
venus duquel on ne fauroit dire f i c étoit la vaillance,
ou la libéralité, ou la générosité, ou l'amour de la
juftice, ou la courtoifie, 6* l'affabilité qui tenoit le
premier rang^ , dit Mezeray. L’opinion générale fut
qu il avoit été empoifonné. On connoît le procès
criminel intente a ce fujet à Charlotte - Catherine
de la Tremoille, fa femme ; le parlement de Paris
la déclara innocente : on connoît aufli ce bruit
populaire fi répandu & fi faux , que le troifième
prince de Coude, Henri I I , étoit né treize mois
apres la mort de fon père. Le père mourut le <
mars 1588, à Saint-Jean d’A ngely , & le fils naquit
le 1 feptembre de la mémo année.
Henri III avoit été amoureux de Marie de Clè-
v e s , première femme du fécond prince > Condé ;
Henri IV le fut de Charlotte-Marguerite de Mont-
niorenci, femme du troifième prince de Condé;
cet amour même le rendit in] ufte efi une tache à
fa gloire. Le prince de Condé fut obligé d’aller
chercher avec fa femme un afyle à Bruxelles, puis
à Milan.
Pendant la régence orageufe & foible de Marie
de Medicis, il fut quelquefois à la tête desmécontens;
il prit les armes contre la cour en 16 14 , & par
le traite de Sainte-Menehould, du i «j mai delà
même année , il força la régente à tenir les derniers
états qui aient été tenus en France. Il reprit.;
les armes en 1615 ? força encore la régente au,
traite de Loudun en 16 16 , fut arrêté cette même
annee par Thémines , à qui cette expédition valut
le bâton de maréchal de France. Il fut enfermé
à la Baftille, puis à Vincennes, puis délivré en
1619 , par le duc de Luynes. Depuis ce temps fa
fidélité fut inviolable. En 1628, il fervit avec fuc-
cès en Languedoc : en 1636, le 15 août, il fut
obligé de lever le fiège de D o le , parce qu’on fit
revenir une partie de fon armée pour la défenfe
delà Picardie, où les Efpagnols avoientpris Corbie :
en 1638 , il eutdesfuccès marqués dans la Navarre:
en 1639', il. commanda encore én Languedoc : en
1639 , il remporta divers avantages dans le Rouf-
fiilon.il mourût le 26 décembre 1646, ayant été
témoin de la gloire du grand Cofde fon fils , &
ne l’ayant pas été de fes expéditions contre la
cour.
Le troifième prince de Condé avoit été élevé
dans la religion catholique , & étoit aufli contraire!
aux proteftans que les deux premiers leur avoient
été favorables.
Le quatrième prince de Condé.(.Louis I I ) efi
le grand Condé, homme de génie en tout, fur-tout
à la guerre ; il avoit le génie des batailles, il avoit
ces illuminations foudaines par lefquelles Boffuet
l’a fi heuréufement caraâérifé. C ’eft de lui qüe ce
même Boffuet, feul digne de louer le grand Condé,
a dit : « Nous ne pouvons rien, foibles orateurs ’
” pour la gloire des âmes extraordinaires : le fage 1
» a raifon de dire que leurs feules aidions les peu-
n vont louer; toute autre louange languit auprès
M des grands noms , & la feule fimplicité d’u»
» récit fidèle pourroit foutenir la gloire du prince
» de Condé. s II fuffiten effet de nommer Rocroi,
Fribourg, Nortlingue , Lens, le paffage du Rhin,
dangereux & fatal pour lui feul & les fiens, Se-
n e f, & cette foule de places conquifes à la fuite
de ces grandes victoires , & toute cette fur-abondance
de gloire qu’il eut la générofité dedéfavouer
lui-même,cette foule d’exploits qu’il arrache du livre
de la mufe de l’hiftoire, dans ce beau tableau allégorique
qui orne la galerie de Chantilly, & dont l’idée
a été fournie par le prince Henri Jules , fon digne
fils ; l’expédition de Blenau, le combat de Saint-
Antoine , la retraite de devant Arras, le fecours
de Valenciennes, le fecours de Cambray, tant de
grandes chofes opérées avec tant de défavantage,
& contre Turenne. « Puifqu’il faut une fois, dit
» Boffuet, parler de ces chofes dont je voudrois
» pouvoir me taire éternellement, jufqu’à cette
w fatale prifon, il n’avoit pas feulement fongé qu’on
» pût rien attenter contre l’état. . . . il y entra
» innocent, il en fortit coupable . . . . fans vouloir
>3 excufer ce qu’il a f i hautement condamné lui-
» même , difons pour n’en parler jamais q u e .. . î
» dans des fautes fi fincérement reconnues, & dans
» la fuite fi glorieufement réparées par de fidèles
v fervices , il ne faut plus regarder que l’humble
» reconnoiffance du prince, qui s’en repentit, 8c
la clémence du grand ro i, qui les oublia 33.
Il revint, dit encore le même Boffuet, avec ce
je ne fais quoi <T achevé, que les malheurs ajoutent
aux grandes venus.
Faut-il, pour faire valoir un trait tel que le fuî-
v ant, faire autre chofe que de le raconter Amplement
comme a fait M. de Voltaire?
« L’armée royale fe trouvoit auprès de Gien
» fur la Loire; celle du prince de Condé étoit à
» quelques lieues,fous les ordres du duc de Nemours
n & du duc de Beaufort. Les divifions de ces deux
» généraux alloient être funefies au parti du prince.
» Le duc de Beaufort étoit incapable du moindre
» commandement. Le duc de Nemours paffoit pour
» être plus brave & plus aimable qu’habile : tous
» deux enfemble ruinoient leur armée. Les foldats
» favoient que le grand Condé étoit à centdieues
» de là , & fe croyoient perdus , lorfqu’au milieu
» de la nuit un courier fe préfenta dans la forêt
» d’Orléans, devant les grandes gardes. Les fenti-
» nelles reconnurent dansce courier le prince de
» Condé lui-même, qui venoit d’Agen à travers
» mille aventures , & toujours déguifé , fe mettre
n à la tête<3e fon armée.
» Sapréfence faifoit beaucoup , & cette arrivée
n imprévue encore davantage. Il favoit que tout ce
n qui efi foudain & inèfpéré tranfporte les hom-
» mes............Le grand talent de ce prince dans
» la guerre étoit de prendre en un infiant les
» réfôlutions les plus hardies , & de les exécuter
» avec non moins de conduite que de prompti-
» tude.
tIJ ri’y a que de grandes pallions jointes à de j randes vertus qui forment les carafières brillans !
1 fublimes, tels que celui du grand Condé. Son
panégyrifie a indiqué, & les hiftoriens ont montré
de fortes taches dans fon caraâère avant qu’il
eût travaillé fur lui-même ; une hauteur inflexible
, une .dureté de manières 8c de propos, une
franchife dédaigneufe & defpotique , qui vouloit
tout emporter par la force, qui ‘n’admettoit ni
foin ni defir de plaire ; une caufiicité fanglante
qui écrafoit les ennemis , n’épargnoit pas les amis
oc ne favoit ménager perfonne. L’injuftice, qui
réfulte naturellement de ces difpofitions, éclaté
fur-tout dans le trait fuivant, rapporté''dans une
des deux dernières vies du grand Condé.
« Le prince de Condé s’enfermoit fouvent avec
» Mioffens & Saint-Evremont pour faire une étude
33 maligne des défauts d’autrui. L’objet de leurs
33 recherches étoit de trouver un ridicule dans les
33 hommes les plus reconnus pour être fages. Miof-
5» fens & Saint-Evremont, en fortant d’une de ces
» converfations , voulurent à leur tour examiner
» quel étoit le ridicule du prince : après avoir un
» peu rê v é , ils demeuroient d’accord que fon
t) affe&ation à rechercher le ridicule d’autrui en
»> étoit un réel dans lui. Il le fut, & au lieu d’en
» plaifanter, il ôta à Saint-Evremont le comman-
» dement de fes gardes, & défendit à Mioffens de
>3 reparoître devant lui ; petiteffe, ajoute l’auteur,
s> qui rapproche le héros de l’homme vulgaire,
» 8c qui fait connoître que ceux qui ont le plus
» de penchant à la raillerie aiment le moins à
w en être l’objet».
M. de Voltaire dit aufli :
« Le prince de Condé eût pu gouverner l’état,
v s’il avoit feulement voulu plaire : mais il fe con-
. j* tentoit d’être admiré. Le peuple de Paris, qui
j? avoit fait des barricades pour un confeiller-clerc
» prefque imbécille, fit des feux de joie lorfqu’on
3) mena au donjon de Vincennes le défenfeur &
j? le héros de la France. »
Lorfqu’il fut enfuite transféré au Havre, ce fut
le comte d’Harcourt-Lorraine qui le conduifit. Le
prince étant avec lui dans la même voiture, fit
fur lui cette chanfon :
Cet homme gros & court,
Si fameux dans l’h ifto ire ,
Ce grand cpmte d’Harcourt,
Tout rayonnant de gloire,
Qui fecourut Cafal & qui reprit Turin
Eft devenu recors de Jules Mazarin,
Dans la fuite le malheur & l’expérience l’ayant
corrigé ,il avoit fenti la nécefiité d’avoir des amis; il
s’étoit fait, comme Louis XIV , un principe & une
habitude de dire des chofes obligeantes ; & lorfque
cet agrément des manières fe joignoit à la générofité
fublime de fon ame , l’attachement qu’il
infpiroit alloit jufqu’à riyreffe. Mais dans les
occafions imprévues, le naturel vêttoit quelquefois
le furprendre ( voye% Varticle B o il e a u ) , &
le mot défobligeant qu’il dit au chevalier de Fournies
, à la bataille de Senef, prouve qu’il n’étoit
pas encore affez corrigé, f
Quant à un antre mot qu’on veut qui foit échappé
au grand Condé dans l’îvreffe de la vi&oire , une
nuit de Paris remplacera cela , mot qui annonce
trop peu de refpeâ: pour l’humanité dans un prince
fait pour l’honorer , un des hiftoriens les plus
modernes du grand Condé doute qu’il foit forti
de fa bouche.
Il efi certain que ce prince a donné dans plus
d’une occafion de grandes marques de fenfibilité
& de bonté. ,
« A la bataille de Rocroi, dit Boffuet, pendant
» qu’avec un air affuré il s’avance pour recevoir
» la parole de ces braves gens ( la troupe de Beck) ,
v ceux-ci toujours en garde craignent la furprife
» de quelque nouvelle attaque : leur effroyable
33 décharge met les nôtres en furie : on ne voit
» plus que carnage : le fang enivre le foldat,
» jufqu’à ce que le grand prince, qui ne put voir
» égorger ces lions comme de timides brebis ,
v calma les. courages émus, & joignit au plaifir
j) de vaincre celui de pardonner. Quel fut alors
» l’étonnement de:ces vieilles troupes & de leurs
» braves.officiers, lorfqu’ils virent qu’il n’y avoit
i » plus de falut pour eux qu’entre les bras du
* vainqueur 1 De quels yeux regardèrent - ils le
» jeune prince , dont la viftoire avoit relevé la
» haute contenance, à qui la clémence ajoutoit de
» nouvelles grâces !
On fait que le prince h’avoit que vingt - deux
ans lorfqu’il gagna la bataille de Rocroi.
On voit toute l’énergie de fa fenfibilité dans
cette relation qu’un des .modernes hiftoriens du
grand Condé donne d’après les mémoires du temps -,
d’une vifite rendue à mademoifelle de Montpen-
fier par le prince de Condé , fortant du combat de
Saint-Antoine.
. « Son vifage étoit couvert de fueur & de pouf-
» fière , fes yeux refpiroient la vengeance, la dou-
» leur & le défefpoir , fon collet étoit déchiré, fa
» chemife & fes mains étoient enfanglantées , fes
» cheveux étoient épars 8c à moitié brûlés, fa
» cuiraffe étoit criblée de coups ; & quoiqu’il ne
3» fût point bleffé, fes habits étoient percés. I I
33 tenoit dans fa main fon épée , dont il avoit perdu
33 le fourreau.
» Ce fut dans cet état terrible qu’il s’offrit
33 aux yeux de la princeffe. Ah ! dit-il en l’abor-
33 dant, vous voye% un homme au défefpoir. J ’ai
perdu -mes amis. Nemours , la Rochefoucauld,
33 Clinchamp , tous font morts (ils n’étoient que
» bleffés); enfuite il fe jetta fur un fiège, où il
» fondit en larmes ».
Rapprochez, ces larmes fi refp eélables,. fi humai-
Ee 2