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Bavière & en Efpagne, une contre les Wilfes ,
anciens habitans de la Poméranie, & douze en Saxe.
Celles-ci furent les plus pénibles & les plus meurtrières.
Pendant "Ces différentes expéditions, Charles
livra plus de vingt batailles, & ne connut jamais
la honte d’une défaite, ( excepte à -Ronpe-
vaux en .778 ). L’hiftoire lui reproche fon inhumanité
dans la. viéloire : il eft vrai q u i l fe livra
à tous les excès delà vengeance la plus effrenée:
il fit madhérer en un feul jour & de _ fang-froid
quatre mille cinq cens Saxons que leurs, chefs !
avoient remis en fa puiffance, comme un témoignage
de leur repëntir. Ses ravages en Hongrie ne
lurent pas moins confidérables. On peut voir dans
Eginard, hiftorien & confident de fa v ie , 1 effrayant
tableau des cruautés de- ce conquérant. ■ ■. .
Ce fut par cette inflexible févérité que s’affermit
une des plus puiffantes monarchies qui . jamais aient
parù-dans notre hémifphèrë; & fi Ion en juge par
le fuccès ,'on pourra croire qu’il s’abandonna moins
aux impreflions d’une durete naturelle, qu il ne
fuivit les confeils de la politique. Les Huns, cite
ancienne & fameufe , étoient pour ce monarque
des voifins dangereux. Sans parler de leurs anciennes
incurfiohs fur les terres de F r a n c e ils fomen-
toient l’indocilité naturelle des Bavarois ,& les en-
gageoient dans de fréquentes révoltes. Quant aux
Saxons, leur opiniâtreté à refufer un tribut légitimé
mérita une partie de leurs malheurs Charles
leur a voit fait grâce plufieurs fois, il étoit à craindre
qu’un pardon trop fréquent n’engageât lès fu-
jets à les imiter. Les François nourris dans l ’anarchie
qu’avoit introduite la tyrannie- des maires du
palais ji don noient chaque jour des marques- de leur
indocilité ; on le traitoit encore d’ufurpateur. Il
put donc regarder -le'fupplice des Saxons opmme
un exemple falutaire; qui devoit faire ceffer les
murmures & affermir fon trône ; il eft vrai que
bien des fouverains ne voudroient pas regner a ce
prix. Tous les ordres de l’état vécurent depuis dans
la plus grande tranquillité.. - . »
Les évêques qui, fous les règnes, fuiyans,-s arrogerent
le droit de clépofer leurs rois, n’oferept manitei-
ter leurs prétentions, fuperbes. Ils n’approcherent du
monarque, que pour lui donner des marques de leur
obéiffance : jamais ils ne s’affemblèrent que par fes
ordres, jamais ils n’eurent d’autre juge , d autre
• arbitre que lui. Quoiqu’il affeélàt une grande piete,
Charles fit toujours connoître que le fceptre étoit
.au-deffus de l’ëncenfoir ; & , s’il ne:itint pas celui-
x i , il fut au moins le,diriger: « Nous nous fom-
mes affemblés par l’ordre du roi^Charles 0 notre
très- pieux & très^ glorieux feigneur .qui nous a
préfidés ( Congregatis no fis in unum conventum, pw- \
cipiénte & pmfidente piijjimo & gloriofijfimo domino
noflro Caroloi rege ), ». Te l fut le .ftyle dont les : évêques
fe fervirent fous fon régné ; & voici celui
dont il ufaà leur égard. « Je me fuis affis au milieu
de vous , & j’ai.affrftè à vos délibérations,
non - feulement comme témoin , mgis encore
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comme, votre fouverain & comme votre juge »?
L’obéiffance des nobles qui formoient un troifième
ordre dans l’état,, n’étoit pas moins entière. La
foibieffe des règnes précédens leur avoit cependant
rendu très-pénibles les devoirs de fujets. Il
leur .laiffa le droit de voter dans les affemblées
générales ; mais comme il y fut toujours préfent „
& qu’il difpofoit de tous les bénéfices, tant ecçlé-
fiaftiques que .civils & militaires , il lui étoit facile
de captiver les fuffrages ; mais quoiqu’il fut
toujours les diriger vers, fon but , if conçut le
deffein d’affoibli.r l’autorité’ de ces affemblées. Ce
fut pour y parvenir qu’il changea l’ordre de la
haute nobleffe : elle étoit partagée en deux claffe.s
principales ; favoir celle des ducs & celle des
comtes ; la fécondé -fubordonnée à ja première.
Les duchés n’étoient pas,.comme ils font aujourd'hui
parmi nous des titres honorables,-, mais ,fans
pouvoir ceux qui en étoient revêtus çxerçoient,
tant en paix qu’en guerre, toute l’autorité de la
juftice&des armes dans toute l’étendue d’une province.
Ils ne dépéndoient plus du prince , mais
feulement des affemblées générales,; & comme la
monarchie étoit partagée entre un petit nombre
de ducs , il leur étoit facile de fe rendre maîtres des
délibérations.. Le foi ne pouvoit les lier qu’en
flattant leurs efpér^nces, par rapport à leurs def-
cendans ; car l.es duchés n’étoient pas alors héréditaires.
Charles , perfuadè que ces. ménagemens
étoient contraires à la profpérité de l ’état , forma
le projet de lés abolir. Taflillon.s’étant révolté, il
faifit cette occafion pour éteindre fon duché de
Bavière. Cette province, ne fut plus gouvernée
que par des comtes, qui , jouiffant d’une confi-
dèratiôn moins grande, étoient aufifmoiu? à craindre.
Charles s’étei t coin por té , de même envers les
Aquitains , après le;défaftre,de Hunauld , leur. duc.
Toutes les;démarchës de ce prince donnent la plus
haute idée de fa politique ; & fi le ciel lui eût
accordé une plus longue deftinée, il eft à croire
qu’il ;eut. aboli ces. affemblées qui furent fi funelles
à fes fuceeffeurs. On peut lés, regard^ comme; une
des principales caufes de la dégradation de fa poff
tèrité. Il eft cependant vrai, que Charles< déroga-,
peut-être involontairement , à la fagëffe de lés
maximes : dans le temps qu’il aboliffoit les duchés ,
il érigeoit des royaumes. C’étoit l’ufage des.peuples
feptentrionaux, d’admettre les entans des rois
à la fucceflion d’un pere commun. Cet ufage, plus
conforme aux droits de la nature qu’aux maximes
de la p o litiq u e la vraie reine des nations, avoit
été conftamment fuivi par les François qui , depuis
long-temps en. étoient les vi&iipes. Charles
ne put y déroger entièrement ; il avoit plufieurs
fils légitimes ; il les admit au partage de fés états,
& leur donna à tous le titre de roi ;• il eft vrai
qu’en les décorant de ce titre fublime, il ne laif-
foitpas de les foumettre à leur aîné, auquel étoit
réiervée la dignité d’empereur. Charlemagne eut
encore?l’attention de mettre une très-grande iné-
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.alité dans le partage : cet aîné eut à lui feul plus
des deux tiers delà monarchie. Il etoit donc allez
puiffant pour foumettre fes frères par la force, su
faifoient quelques difficultés de le reconnoitre pour
leur fouverain ; mais ce partage refta fans execu- .
tion. Une mort prématurée moiffonna lé prince
Charles , à qui l’empire étoit deftiné. Louis ion
puîné, prince digne de régner fur ces vaftes états,
fi pour être roi il ne falloit que des vertus , les
pofféda en entier, à l’exception de 1 Italie » qui
fut donnée à Bernard fon neveu, comme royaume
mouvant de l’empire. Charlemagne avoit -reçu
la couronne des mains ue Léon ; ce grand homme
fembla prévoir que les-fuceeffeurs de ce pontife
fe feroient un titre de cette cérémonie, pour a arroger
le droit de conférer l’empire. Ce fut fans
doute cette crainte qui le porta à ordonner a Louis
de prendre la couronne impériale fans,1e miniftere
du pape , ni d’aucun eccléfiaftique. Le couronnement
fe fit de cette manière ; Charlemagne ayant
pofé le diadème fur l’autel , en préfence ^des prélats,
fit figne à fon fils qui le prit aufli-tot de les
propres mains, &Te mit fur fa tête. Cette ^au-
guration fi fameufe danstios annales, fe fit a Aix-
la-Chapelle, où Charlemagne reçut peu de temps
après les honneurs de la fëpulture. Il ^mourut dans
la foixante-douzième année de fon âg e , la quarante
huitième de fon règne , la quatorzième de
pas toujours attentif à en prévenir les rayages ^
il allarma foulent la pudeur des vierges. Ses écarts ,
l’horrible maffacre des Saxons & la multitude de
fes femmes & de fes concubines, ont éleve des
doutes fur la fainteté que plufieurs papes lui ont
déférée. Il eut cinq femmes ; favoir, Hilmentrude,
Défidérate, que d’autres appellent Sïhïlle, fille de
Didier j roi des Lombards; ces deux femmes furent
répudiées, la première par dégoût, l’autre par des
intérêts politiques : Hildegarde, originaire deSueve,
c’eft-à-dire, de Suabe; Faftrade , fille d’un comte
de Franconie, & Huitgarde qui étoit de la même
nation qu’Hildegarde. D ’Hilmentrude naquit Pépin,
qui fut furnommé le bojfu (par ce qu.il l étoit). Ce
prince fut relégué dans le monaftère de Prout, pour
s’être déclaré le chef d’une çonfpîration formée
; contre Charlemagne Con père.Hildegarde donna nail-
fanée à Charles, à Carloman que le pape fit appeler.
Pépin 9 à à Louis furnommé le Pieux ou le Débonnaire,
fon emparé. Ce fut un prince grand dans la paix'
& dans la guerre, également capable dette législateur
& pontife : jamais il n’exifta de roi plus verfe
dans les matières de la politique & de la religion.
Ses capitulaires, chefs-d’oeuvres de légiflatiôn pour
cès,temps, en font une preuve éclatante. Egalement
économe de fes biens & de celui de fes fujets
, il foutint l’éclat du diadème fans attenter à
leur fortune ( Montefquieu remarque que Charlemagne
faifoit vendre jufqu’aux herbes de fes jardins;
ce n’étoit pas par avarice, car fouvent il faifoit
remettre au peuple la moitié du produit de fes revenus).
Placé fur un trône ufurpé par fon père, il
fe vit fur la fin de fes jours tranquille poffefleur de
la plus belle moitié de l’Europe. Plufieurs rois
(ceux d’Angleterre & d’Efpagne) s’offrirent à être
les tributaires, & Aaron Al-Rachid s’honora de fon
alliance. Ce monarque, dont la puiffance s’étendoit
de l’Imaiïs à l’Atlas, lui envoya les clefs de Jéru-
falem pour marque de fon eftime. Né roi d’un peu-
pie barbare, dont la guerre étoit l’unique métier,
il fentitla néceffité de s’inftruire : il appela les fcien-
ces & en développa le précieux germe. ' Sa
préfencë^entretenoit une généreufe émulation entre
les favans que fes bienfaits attiroient à fa cour. Souvent
même ce prince defcendoic de fon trône
& facrifioit aux mufés les- lauriers qui ornoient fes
mains triomphantes. Les mufes reconnoiffaotes ont
çonfacré fes grandes aélions; mais juftes & modérées
dans leurs éloges, en relovant les vertus du
héros ,'elles ont dévoilé les foibleffes de l’homme.
Né avec des paffions impérieufes, Charles ne fut
fucceffeur de Charlemagne. Hildegarde eût en
outré autant de filles ; favoir, Rotrude, Berthe
Gifelle. De Faftrade naquirent Thetrade & Hil-
trude, l’une & l’antre religieufes Stabbefies deFar-
moutiet. Huitgarde mourut fans laîfîer de pofte-
rité. Charlemagne eut de plus quatre concubines i
favoir, Régine, Adélaïde, Mathalgarde & Gerfuide.
De Régine naquit Drogon, prince vertueux, & qui
remplit le fiége épifcopal de Metz, Adélaïde donna
le jour à Thierry, dont nous nefavons aucune particularité
, excepté la difgrace que Louis-le-Débon-
naire lui fit reffentir ainfi qu’à fes frères. Mathalgarde
fut mère de Hugues, abbé de Saint-Quentin
dans le Vermandois. D e Gerfuide fortit Adeltrude.
Quelques-uns prétendent qu’Emme, femme d'Egi-
nàrd , étoit fille de Charlemagne. Plufieurs écrivains
comprennent Hilmentrude dans le nombre des concubines;
mais on a pour garant du contraire une
lettre du pape qui, lorfque ce prince la répudia,
fit fes efforts pour lui faire horreur du divorce.
Entre les loixde ce prince, oruemarque l’abolition
du droit d afyle accordé aux“ glifes en faveur
des criminels, & celle qui permet aux payens nouvellement.
convertis de brûler pendant le .jour lès
cierges qui fervoient à les éclairer daps les cérémonies
noélurnes qu’ils pratiquoient en l’honneur
de leurs divinités. La.crainte, que les Saxons ne
retournaffent à l’idolâtrie, qu’ ils n’avoient abandonnée
que par la terreur de fes armes, le portaà eriger
parmi ces peuples un tribunal femblable à celui
de l’inquifition. Ce terrible tribunal fut connu fous
les fuceeffeurs de Charlemagne, fous le nom de
cour JVé.rùque ou Ae juflice T'ejlphdlienne. Les prétentions
de cette cour femèrent l’effroi dans route
l’Allemagne, & làremplirent de défordres.Les empereurs
même en furent épouvantés ; leur autorité
ne fuffifant pas, ils ufèrent de toutes les précau-
t'ions pour l'abolir,. Charles Y en vint heureufe-
ment à.bout par l’établiffement de la chambre &
du confeil aulique. Des auteurs interprétant mal
[ un paflàge d’Eginard , on t. prétendu que Char-.