
d’affoiblir les foùpçons publics, s’il arrivoit (Jue
la nature ou la politique le délivra fient de ce
jeune prince. Hélie de S. Saën ( c’eft le nom de
ce gouverneur) s’attacha tendrement à fon élève,
veilla fur lu i, obferva Henri. Celui-ci "qui avoit
jugé la réputation de S. Saën utile à fies defieins,
trouva fa vertu incommode, il voulut rompre ce
commerce & faire arrêter Criton ; S. Saën en fut
averti & le prince fut fauvé. Son gouverneur implora
pour lui la protection de tous les voifins &
de tous les ennemis de Henri ; le comte d’Anjou lui
promit fa fille, le roi Louis-le-gros, rival de Henr
i, donna l’inveftiture de la Normandie à Criton,
le mena au concile de Rheims , le mit fous la fauve
garde de l’églife , du pape, de tous les princes
chrétiens. Au combat de Brenneville-fur-Andèie
en i l 19 , Criton mérita la protection de Louis oC
l ’eftime de Henri; il eut l’honneur d’enfoncer l’avant
garde de l’armée Angloife ; repouflé à fon
tou r , il étoit defeendu de cheval pour rallier fes.
troupes ; ce cheval fut pris & mené au roi d’Angleterre,
qui le renvoya fur-le-champ à.fon neveu
3vec des préfens, & lui fit faire des complimens
fur la valeur qu’il avoit montrée dans cette affaire ;
tuais ce ftèxpit pas feulement à la valeur de fon
neveu qu’il eût dû rendre hom.mage, c’étoit à fes
droits. Criton refta fous la protection de la France,
mais il n’époufa point la fille du comte d’Anjou,
lequel s’attacha au parti de Henri comme au plus
fort. Louis en dédommagea Criton en lui faifant
époufer fa b lle-fceur , Jeanne de Savoie; à la
jnort de Charles.-le-Bon, comte de Flandre, il lui
donna l’inveftiturê de la Flandre, qui lui fut coa-
teftée par Thierry d’Alface ; celui-ci étoit fufcité,
eu au moins protégé par le roi d’Angleterre, & il
avoit des prétentions connues à ce comté. Louis
voyant combien le jeune Criton étoit aCHf & intelligent,
voyant qu’il ne s’abandonnoit ni dans
la paix ni dans la guerre, qu’il avoit furpris Gi-
fors, que fes partilans l’avoient rendu maître de
Pont Audemer, que fon aÇlivité déconcertoit toute
la puiflançe du roi d’Angleterre, Louis ne fe laf-
folt point de prodiguer fes bienfaits à Criton, il
lui donna le Vexin pour qu’il fut plus à portée
d’entreprendre fur la Normandie. Cependant
Thierry d’Alface de fon côté avoit furpris Aloft
en Flandre, Criton courut inveftir cette place,
Thierry vint à fon fecours ; on combattit ; Criton
fut vainqueur ; la ville alloit fe rendre, la garnison
voulut auparavant rifquer une fortie, Criton
y fiit blefle d’un coup de lance à la main droite,
impatient de continuer le combat, il arrache le
fe r , le déchirement fut confidérable, la gangrène
f y mit, & ce jeune prince qui déployoit tous les
t^lens des héros de fa race, fans aucun des défauts
qui les avoient rendus odieux, mourut au
fou t de quelques jours en 1128. Thierry d’Alface
put le comté de Flandre. On n’a pas manqué de
dire que Robert, pere de Criton , toujours aveugle
|i£ pyifpnuier en 3Y91$ 9Y9TÛ
fonge, de la mort de fon fils ; il avoit vu un davalief
flamand qui lui perçoit le bras, il en avoit lenti
le coup, & s’étoit écrié en fe réveillant; A h l
mon fils a été tué.
Un autre C riton (Jacques), Ecoflois, de la
maifon royale des Stuarts, prodige d’efprit, de
fcience & d’adreffe, joignant à la connoiffance des
langues, à celles des fciences & des arts, la perfection
dans tous les exercices d'un chevalier, fut
le Pic de la Mirandole du feizième fiècle. Il vivoit
comme lui en Italie , ayant abandonné fa patrie,
qui déch irée par des guerres de religion, n’étoit
pas digne de le pofleder. Il mourut en 1583 à
vingt-deux ans par un accident déplorable qui dut
laifièr ' bien des regrets & de la confufion à fou
meurtrier, auquel on ne put refufer l’éloge d’avoir
été dans la fuite un prince vertueux; le duc de
Manfoue, Guillaume de Gonzague, avoit invité
Criton à le yenir voir à Mantoue, le prince Vincent,
fils du duc, voulut éprouver fi Çriton avoit
amant de valeur que d’efprif ; il lç fit attaquer la
nuit dans les rues de Mantoue par deux hommes
de fa fuite, qü*il fe mit eu devoir de foutenir ;
C iton les repoufla tous trois fi vigoureufement,
& devint fi prçffant, qu’il obligea le prince de fe
faire conneître, Criton alors mit fon épée à fes
pieds, & lui fit des excufes qu’il ne lui devoit pas ;
le prince encore outré, de fa défaite & emporté
fans doute par un mouvement honteux dont il ne
fut pas le maître, lui donna brutalement un coup
d’épée dp0* il mourut fur-le-champ.
CRCESUS. ( Hifi.anc. )C e n’eft pas fans doute
une hifioire vraie que nous prétendons rapporter ,
en donnant d’après Hérodote & même'Xénophon,
un précis de lniftoire de Crçtjus, roi de L y d ie ;
c’eft une hiftoire convenue, e’eft une efpèce de
conte de fées , dont la moralité fenfible eft préférable
à tant d’hiftpires infignifiantçs,précifément
parce qu’elles font vraies.
Çrptfus, enrichj par l’or du Pa&ole, & ayant
ajouté à fes états prefque toutes les provinces de
l’Afie Mineure , étoit le plus opulent & le plus
puifiant des rois, & fe croypit le plus heureux.
Solon, trop philofophe pour confondre le bonheur
avec la richefle & la puiffancë, même avec la
gloire, lui avoua que des citoyens paifibles, pauvres
& vertueux lui paroiftoient beaucoup plus
heureux , il l’avertit d’ailleurs de l’inftabilité des
çhpfes humaines , ce fut alors qu’il établit ce
principe : que nul ayant fa mon ne deyoit. être appelle
grand jii heureux. Ce langage parut fort étrange
à la cour d’un fi grand ro i, & Croefus difoit avec
mépris : c’efi-lâ ce Solon, ce légifiateur des Athéniens
! Efope lui même , le fage Efope , voyant
avec peine que Solon s’étoit perdu dans l’efprit
du ro i, lui dit : Sobn, il fa u t, ou nç point approcher
des rois , ou ne leur dire que des chofes qui leur
fqient qgréabltf i dites plutôt, rçprit $olpn, qu’il faut
OU.
•eu 7?en point approcher ou leur dire des chofes qui
leur foient utiles. Dites leur, dit en pareil cas Sénèque,
non ce qiTils veulent entendre, mais ce qu ils voudront
avoir toujours entendu.
. Crcefus ne tarda pas à voir fon bonheur troublé.
Il avoit deux fils : l’un devenu muet, fut
pour lui un objet continuel de douleur. L’autre nommé
Atys,faifoit toute fa eonfolation, mais il le vit en
fonge périr par le fer , & comme les fanges étoient
alors, des avis, du ciel -, tout fer fut interdit au
jeune prince ; les précautions de la tendreffe paternelle
le privèrent de tout plaitir , de toute
liberté; il obtint cependant, quoiqu’avec peine,
d’aflifter comme fimple fpe&ateur à une chafie
aufanglier. Croefus crut pouvoir accorder cette grâce
à fes inftances & à celles du fage Adrafte, jeune
prince qui étoit venu fe réfugier à fa cour & qui
étoit uni avec Atys de l’amitié la plus tendre; ce fut
à cette amitié & à cette fageffe qu’Atys fut confié ,
&. Adrafte lui-même lançant fon javelot contre le
fanglier, perce & tue A ty s , & fe tue de douleur
fur le tombeau de fon ami. (V . A t y s & A d r a s t e .)
La leçon n’étoit pas encore affez forte pour Crcefu
s , il lui refto.it de la richefle & de la puiflançe.
La gloire naiffante de Cyrus vient l’inquiéter, &
comme la gloire n’appartenoit en propre qu’à
Crcefus , il veut aller accabler ce nouveau conquérant
; il va confulter l’oracle, mais avant de le
confulter, il l’éprouve , il veut que l’oracle lui
dife ce qu’il faifoit (lu i Crcefus ) un certain jour ,
à une certaine heure ; l’oracle devine, ( & affu-
rément cela n’étoit. pas aifé ) , que Croefus au
moment indiqué faifoit cuire une tortue avec
un agneau dans une marmite d’airain qui avoit
aufli un couvercle d’airain. Croefus alors lui demanda
s’il feroit bien de pafler le fleuve Kalys
pour marcher contre les Perfes? L’oracle répon-,
dit que quand Croefus pafferoit le fleuve Halys, il
détruiroit un grand empire: Croefus ne comprit
pas que ce feroit le fien. Il demanda encore qu’elle
feroit la durée de l’empire de Lydie; l’oracle répondit
qu’il fubfifteroit jufqu’à ce qu’on vît un
mulet remplir le trône de Médie, Croefus comprit
que fon empire feroit éternel, mais le mulet étoit
Cyrus , Perfe par fon père, Mede par fa mère.
En effet Cyrlis battit Croefus à la bataille de Tiiym-
brée, dont M. Fréret a donné une defcription
très-raifonnée dans le 6 tome des mémoires de
littérature ; il le prit enfuite dans fa ville de Sardes
, & ce fut à la prife de cette ville que le fils
muet de Croefus, le feul qui lui reftât , voyant
un foldat prêt à tuer fon père, lui cria bien dif-
îinâement : foldat, ne tue point Croefus, miracle
qui n’eft-là que pour l’ornement & qui n’entre
pas dans la moralité générale du conte, la voici
cette moralité. Cyrus ayant pris Croefus, voulut
le faire brûler v i f , ce qui n’a étonné aucun de
ceux qui ont rapporté ce trait d’après Hérodote,
& ce qui n’a pourtant pas d’exemple chez les
gâtions ni chez les tyrans les plus barbares, Croe-
Hifioire. Tome II, Première paru
| fus fur le bûcher fe rappella Solon & l’appella
! trois fois, Cyrus en voulut favoir la raifon , il
J en fut touché & eut pour Croefus les égards dus
I à un grand roi malheureux. Xénophon fait grâce
| du bûcher à Croefus & aux leéieurs , & fait hon-
I neur à Cyrus feul, fans le fecours de Solon , die
I traitement honorable que reçut le roi vaincu. Il
! parle d’un autre oracle rendu à Croefus & qui eft
fans doute le meilleur de tous. Croefus demandoit
ce qu’il avoit à faire pour mener une vie heu-
reufe ; il commençoit apparemment dès-lors à
fentir la vérité de ce que Solon lui avoit dit;
l’oracle répondit : ü Croefus fera heureux lorfqu'il fe
; » connoîtra lui-même , vous m’avez appris à me
» connoître , dit Croefus à Cyrus, dans le récit de
» Xénophon , & je vais vous devoir mon bon-*
y heur».
CROISADES. Les Croifades appauvrirent & dépeuplèrent
l’état, auquel elles furent néanmoins
très-utiles, en l’affermiffant fur les ruines de la-
haute nobleffe. Telle eft en général la réflexion
qui réfulte de l’hiftoire de ces grandes & malheu-
reufes expéditions. Quelque éxagérés que paroif-
fent les récits des hiftoriens fur le nombre des
Croifés, fur leurs victoires, fur leurs défaites &
leurs malheurs, il eft certain que les Croifades
produifirent dans le gouvernement & dans les
moeurs, une révolution avantageufe à la poftéri-
té. Ce que les hauts barons perdirent en puiflançe,
fut autant d’ajouté à l’énergie de l’autorité. fou-
veraine. La fuperftition, portée à fon comble dans
les premières Croifades, mais affoibiie en voyant
les chofes de plus près , cefla de dégrader la religion
dans fon cuire. Enfin les moeurs, liées ef-
fentiellement à la conftitution de l’é fa t, s’épurèrent
, quand les premiers feigneurs ob igés de
f s’abaiffer devant leur maître, furent moins expo-,
i fés aux regards de leurs vaffaux & du peuple
& ceffèrent de les entraîner par le mauvais
exemple.
L’intérêt & la cupidité furent les principaux
mobiles qui entraînèrent la plupart de ces feigneurs'
■ loin de leur patrie, en leur préfentant fefpoir
d’augmenter leurs domaines ou d’en acquérir de
nouveaux par des conquêtes faciles. Ces conquêtes
flattoient à la fois leur ambition & leur amour
pour la gloire. Ils partirent , les uns accablés de
dettes, les autres abandonnant aux églifes & aux
monaftères, des biens qu’ils comptoient regagner
au centuple ; mais ils revinrent glorieux 8c pauvres
chargés de lauriers & dépouillés de, leur patrimoine.
Parcourons rapidement l’hiftoire de cette nobleffe
dans les Croifades ; remarquons avec foin
; fon imprudence & fes fautes, & cherchons dans
I fes malheurs mêmes, des motifs qui nous empêchent
de les regretter.
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