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afliftant à la méfié à deux rpeas -lieues de fon
pays, la reine alloit repyèrfer le royaume ; ;&
Çhrifline , en abjurant à Bruxelles, fourioit de la
joie des uns & de là douleur des autres.
L e cardinal Mazarin. la fit complimenter, &
fans doute pour ne point effaroucher la dévotion
naiflante de la princeffe^ fit partir pour Bruxelles
des troupes de comédiens François & Italiens.
Les feftins, les bals ,; les parties de .chafie, les
tournois, rien ne fut épargné. Elle ne craignit point
dé fe livrer à toute la dimpation des fêtes les plus
tumultueufes, croyant peut-être qu’une conduite
plus féy.ère eût été un refie de protefiantifme
auquel elle venoit de renoncer fi folemnellement.
Elle prolongea fon féjo r à Bruxelles, dans l’ef-
pérance d’entretenir le grand Condé, le feul homme
de l’Europe qui , par l’éclat de fa réputation , fût
digne ^lors d’exciter fa jaloufie. Condé, de fon
co te , defiroit de contempler cette femme éton-
ûante : IL faut voir de près, difoit-il, cette prince ffe
qui abandonne f i facilement la couronne pour laquelle
nous combattons nous, autres, 6*. après laquelle nous
çoufons tqiffe nptre^,vie fans pouvoir l'atteindre.
■ Cependant Çhrifline, au Lin , des plaifirs qui
l ’entouroient tourpoit ,en foupirantres regards
vers l’Italie , ou tojites les^Teryeilles dje i ’aqtiquité'
l ’attendoient.Innocent X , fameux autrefois, par
fa bulle contre les cinq propofitipns de janfénius,
& alors odieux par, fon ingratitude envers les
Barberins,- auxquels il devoit la tiare t étoit mort
le 6 Janvier $65$. Le cardinal Chigi venoit de
lui fuccéder fous Je hom d'^Ujçandre VII. Çhrifline
dont il éto^ r.admiràteur.^,l’ami, preffajlloit de
joie en pepfant, qu’elle alloit, trouver à Rome
toutes les facilités de fe livrer à l’étude des chefs-
d’oeuvre .do^t’ elle alloit être environnée., Elle
partit enfin, pafia par Infpruk, où on lui perfuada
de r.e.nçuveller dans la cathédrale de cette ville
fa proféffion de foi catholique: elle y confenrit
volontiers. Toute la pompe & toute la gaieté des
fêtes publiques brillèrent d’un nouvel éclat, &
Çhrifline fut perfuadée, dit-on, que changer de
religion étoitr la chofe du monde la plus diversifiante.
Le jour même de cet aéie religieux, on la pria
d ’aflîfter à une comédie, elle répondit: I le fl bien
jujîe qu’on me donne, ce foir la comédie, après que je
vous ai donné moi-même une farce ce. matin. ;
Convenons cependant que M. Chevreau, qui
rapporte ce fait , auroit bien 'dû s’en défier..
« Certainement, dit M. Lacombe, la reine ne fut
» pas fi imprudente que de tourner en ridicule
» une aâion qu’elle avoit tant d’intérêt-de faire
v> regarder comme fincère par les avantages qu’elle
n en efpéroit ».La reine, dont le voyage en Italie
n’étoit qu’un long triomphe, avançoit vers la
capitale,où elle fit fon entrée le 19 décembre , aux
acclamations d’un peuple immenfe. Elle defeendit
au palais & baifa les mains du pape, qui naturellement,
difoit'-on, auroit dû baifer les fiennes.
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Entourée de favans célèbres, d’artifies fupérienrs
qu’elle étonnoit par l’étendue de fes connoifiances i
Çhrifline emploÿoit tous fes momens à vifiter les
monumens publics , les églifes, les académies , les
cabinets des curieux, les colleâions de tableaux,
&c. Dans ce premier enchantement d’une jouif-
fance qu’elle avoit fi ardemment defirée , Çhrifline
heureufe & libre au fein des beaux arts, ne re-
grettoit pas l’éclat du rang qu’elle avoit facrifié.
Le moment de l’yvrelfe étoit arrivé , celui du repentir
ne l’étoit pas encore. Parmi les perfonnes
fenfibles au mérite de la jeune reine, le cardinal
Colona eut, dit-on , l’audace de l’aimer, l’impru-,
dence de le lui déclarer, & le ridicule d’en être
plaifanté. Çhrifline fourit à la paflion de fon éminence,
& lui déclara qu’elle n’étoit point venue à
Rome pour, être feandalifée.
Une fois femme en fa v ie , elle eut la foiblefie
d’être trop fenfible.à quelques propos que tinrent
dés Efpagnols jaloux de l’attachement qu’elle pa-
roifibit témoigner aux Italiens. Elle demanda juf-
tice, l’obtint, & fe repentit de l’avoir obtenue»
Le dépit fecret d’avoir préféré la fatisfaâion de fe
venger à la gloire, d’un pardon généreux qui poii-
voit l’honorer à fes, y e u x , la fit rougir, & dès-
lors . elle ' prit la réfo limon d’abandonner un
pays, témoin de fa foiblefie , pour fe rendre- en
France, où la fingularité de toutes fes démarches
devoit lui mériter de nouveaux éloges & de nouvelles
ce nfures. Elle reçut dans ce royaume tous
léshonneurs qu’on rendit autrefois àCharles-Quint;
La cour s’emprefla, de voir , par curiofité , une
femme dont le.cara&ère avoir du jnoins l’attrait
piquant de la nouveauté ; mais la plupart des cour-
tifans ne remarquèrent en selle que la fingularité
de fes habillemens , à-peu-près comme le marquis
de Polainville, qui, à Londres, donnoit pour le
réfultat de fes oblervations, que les Anglois avoient
l ’air un peu étranger. Çhrifline, de fon côté,ennuyée
du cérémonial de la cour , demaridoit pourquoi
les dames montroient tant d’ardeur ’à la baifer
: efl-ce, difoit-elle , parce que je reffemble à un
homme? > , . •
L’époque la plus remarquable de fon féjôur en
France, & que nous aurions fupprim.ée fi nous
n’étjons que les panégyrifies de cette princefie r
efi la mort du marquis de Monaldefchi ^ fon grand
écuyer. Ce feigrieur, qu’on foupçonne avoir été
l’amant favorifé de. Çhrifline , eut l’imprudence^ ou
le malheur d’humilier ifà fierté en écrivant à une
femme qu’il lui préféroit, des lettres où la reine
étoit indignement outragée. Çhrifline, fwxpxix ces
lettres fatales, & parut fans foupçon jufqu’aumoment
fixé pour en tirer vengeance. Elle mande
Monaldefchi dans la galerie des cerfs à Fontainebleau
, où elle logeoit il, vient, & la porte fe
ferme, avec précipitation. Un religieux, & 'trois
hommes-, l’épée à la main , ôccupoient le fond de
la galerie. La. reine affilé étoit feule au : inilieu. Après
avoir fixé le marquis en filence, ,/lle tire de fa
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poche lès originaux écrits de la main même de
Monaldefchi , & lui demande d’un ton froid;,' ;
connoiffeç-vous ces papiers ? Monaldefchi pâliflant,
■ tombeà'genoux , emhrafle la robe de la reine,&
fond en larmés. Çhrifline fe lè v e , fe tourne vers
le religieux, & lui dit d’un ton tranquille : Mon '
père, je vous laijfe cet homme, prépare^-le à la mort, .
& aye{ foin de fon ame. Elle fortit, & quelques
ænomens après , les trois perfonnéscommifes pour ■
l’exécution, le firent périr en lui enfonçant leurs
épées dans la gorge. Cette fcène fanglante, dans
une cour où les plaifirs de la galanterie contri-
buoient à la douceur des moeurs, rendit Çhrifline
odieufe. Il fe trouva cependant des jurifconfnltes
qui ne craignirent pas defe déshonorer, en entaflant
des citations, pour prouver qu’une Suédoife,en pays
étranger , avoit le droit de fe venger par un âflafii-
nat. Aujourd’hui nous croyons que ces jurifeon-
fultes mériteroient d’être renfermés avec les fous.
Çhrifline , à qui la France qu’elle venoit de révolter
par un meurtre , ne pouvoir qu’èrre défagréa-
.ble., réfolut de fe choifir une retraite en Angleterre.
Cette île n’étoit pas alors le féjour de la phi-
lofophie ; Cromwel y régnoit, & ce fombre tyran,
qui n’étoit monté fur le trône que par un régicide ,
ne pouvoit pas eftimer une reine qui étoit defeen-
due du fien par des motifs qu’un ambitieux doit
-méprifêr. La fille de Guftave, forcée dé retourner
en Italie, où fes revenus n’étoient pas payés , devenue
fimple citoyenne de Rome, obligée de vivre
•des bienfaits du pape, qu’elle n eftimoit plus, oubliée
de la Suède où elle avoit régné avec tant
d’éclat, négligée du prince qu’elle avoit elle-même
couronné , la fille de Gufiave Te voyoit réduite à
l ’humiliation de la demande, & fouvent à la honte
du refus. Alors s’accomplit la-célèbre prédiéHon du
chancelier d’Oxenftiern : alors, dit rhiftorien Nàni,
Çhrifline s’apperçut qu’une reine fans états étoit
une divinité fans temple , dont le culte efi promptement
abandonné. N’ayant plus que la refiburce
d’engager fes meubles 6c d’emprunter fur fes billets;,
elle envoya fon fecrétaire d’Avifon ail roi de
Suède, qui, avant de lui délivrer les revenus de
la reine, exigea qu’il abjurât le catholicifmequ’il
avoit embrafle à l’exemple de fa fouveraine. Revenez
, lui écrivit Çhrifline ^ mais revend^ fans avôir
■ rien fait de las. Quand il ne me-refleroit qu'un morceau
de pain à manger, je le partagerai avec vous j
mais f i la,crainte vous ébranle au point de vous faire
manquer à votre devoir, foye£ perfuadé que je vous
punirai de cette lâchetéy & que toute la puiffance du
roi de Suède ne m empêchera point de vous donner la
mort » même entre fes bras , f i vous vous y réfugieç.
• Une circonftanceintérefiante vint changer toutes
les affaires. Charles-Guftave mourut', laiffant fon
fils au berceau , un royaume illuffré & ruiné par
des viéloires. Çhrifline, guidée fans doute par un
defir fecret de remonter au trône , revint en Suède,’
mais elle revint catholique & le fouvenir dès
juaux que le defpotifme de la cour de Rome ayoit-
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cauféi dans le Nord , l’emporta fur celui des bienfaits
dont la reine avoit comblé fon peuple. On
lui défendit l’éxercice de fa religion ; elle s’en plaignit
avec aigreur; Ce procédé lui fit f'entir combien
il eft dur de ne pouvoir pas porter chez l’étranger
fon culte & fes opinions. Elle voulut obtenu
, pour tous les proteftans d’Allemagne j cette
liberté dont elle étoit fi jaloufe pour elle-même ;
mais elle échoua dans cette négociation. Elle fe
vengea des électeurs, en convertiffant par fes dif-
cours, & fur-tout par fes -préfens , plufieurs luthériens
à la foi catholique ; elle retourna à Rome,
où ce genre de gloire apoffolique étoit mieux
accueilli qu’ailleurs. Elle s’y repofa au fein des arts
& des fciences : heureufe fi le defir d’influer fur
les affaires de l’Europe n’eût pas troublé le calme,
de fa vie 1 Elle voulut rendre des fervices impor-
tans à la république de Venife , qui ne daigna pas
s’en appercevoir.; elle voulut dé même être utile
au pape auprès du roi de France, qui, à l’exerhple
dé fes prédécefleurs , venoit de lui enlever’A v ignon,
comme on ôte une poupée à un enfant mutin
qu’on veut châtier. La républiqué de Hambourg
refùfoit à fon banquier le titre de réfident dont
, elle l’avoit décoré. Le defir de fe rapprocher de
fa patrie lui fit choifir, pour fon fèjowr, cette ville
même où elle venoit d’eflùyer un outrage. L’amour
des lettres l’y fuivit ; mais moins elle étoit éloignée
du trône dont elle étoit dTcendtie , plus l’envie
d’y remonter s’accroiffoit dans fon coeur. Un
jour la médaille- frappée au fujet de fon abdica-
| tion tomba fous fes mains ,. elle la rejetta avec
dépit. Pour feconfoler, elle joua les rôles de rsine
dans des tragédies & dans des opéras; mais ces
; amufçmens déçéloient fon ambition-fans la fatif*
faire. Elle - reparut encore en Suède ; mais
fon attachement à la religion catholique lui
fit èflùyer de nouveaux affronts ; elle répondit
comme Turenne : Je fuis catholique, mais mon épée
efl ’ calyinifle. Il fallut retourner, à Hambourg.
Alexandre VII venoit de mourir, Clément IX lui
avoir fuccéde. Çhrifline voulut donner des fêtes au
fujet de cette exaltation : il y eut une émeute ; la
reine fit battre les plus mutins ; & leur donna en^
fuite de l’argent pour Te faire guérir des bleffùres
qu’ils avoient reçues. Le pape lui rendit ces fêtes
lorfqu’elle reparut à Rorpe en 1669. Jean Cafimir,
roi de Pologne , venoit d’abdiquer comme elle ;
& ne pouvant recouvrer fon feeptre , elle voulut
en acquérir un autre. Malgré les intrigues de la
reine & le crédit du pape , on plaça fur le trône
Michel Koribut Wiefnowski le 19 juin 1669. Elle
voulut au moins, au congrès de Nimègue , fe faire
céder les provinces conquifes pendant fon règne ,
comme le fruit de fon couragç : on daigna à peine
entendre fes demandes. Après la mort de Clément
X , cette prinCeffe , qui ne poüvoit obtenir
une couronne pour elle-même , voulut donner une
tiare au cardinal Conti : fon fort étoit de tenter
1 toujours ; & de ne réuflir jamais. Le cardinal