
Les annaîes des autres peuples, Toit d’Europe *
foit d’A frique, concourent également à prouver '
l’ancienneté de l’équitation ,* on la voit établie chez
les Macédoniens, avant que les Héraclides euffent
conquis la Macédoine. (Hérodote, /. V I I I , ) Les
Gaulois, les Germains, les peuples d’Italie faifoient
ufage des chars ou de la cavalerie dans leurs
premières guerres qui nous font connues. (Diodore
de Sicile , liv. V. ) Les Ibériens ont de tout temps
élevé d’excellens chevaux, de même que les Arabes,
les Maures, 8c tous les peuples du Nord de l’Afrique.
Les traits hiftoriques que nous venons de rapporter
nous montrent évidemment, chez les A ffy-
riens & les Egyptiens, les chevaux employés de
toute antiquité dans les armées, à porter des
hommes & à traîner des chars. Les Egyptiens
ont inondé l’Afie de leurs troupes, pénétré dans
l’Europe, & fondé plufieurs colonies dans la Grèce:
les Amazones & les Scythes, chez qui l’art de
Yéquitation étoit en ufage de temps immémorial,
avoient parcouru de même une partie de l’Europe
8f de l’A ile, fur-tout del’Afie mineure, 8c s’étoient
fait voir dans la Grèce. De ces événemens, tous
antérieurs à la guerre de T r o y e , on pourroit
conclure, fans chercher de nouvelles preuves,
que dans le temps de cette expédition l’art de
monter à cheval n’étoit ignoré ni des Grecs ni
des Troyens.
II. L’équitation connut che£ les Grecs avant la
pierre de Troye. Cette propofition, que nous croyons
vraie dans toute fon étendue, a trouyé néanmoins
deux contradicteurs célèbres, madame Dacier 8c
M. Fréret : fondés fur leprétendulüence d’Homère,
& fur ce qu’il ne fait jamais combattre fes héros
à cheval, mais montés fur des chars , ils ont pré-\
tendu que lîépoque de Yéquitation dans la Grèce
&dans l’A lie mineure , étoit poflérieure àlaguerre
de T r o y e , 8c que les Grecs, de même que les
Troy ens, ne favoient en ce temps-là faire ufage
des chevaux que lorfqu’ils étoient attelés à des
chars.
Il femble qu’une opinion fi fingülière doive
tomber d’elle-même, quand on obferve que les
Grecs exiftoient long-temps avant le -palTage de la
mer Rouge, puifqu’Argos étoit alors à Ton fixième
roi ( i ) , 8c que plus de quatre cents ans avant
ce paffage, l’Egyptien Ourane avoit franchi le
Bofphore pour donner des lois à ces Grecs, qui
n’étoient encore que des fauvages, vivans comme
les bêtes des herbes qu’ils brouroient. D ’ailleurs,
plufieurs villes de la Grèce n’étoient que des
colonies des Egyptiens ou des Phéniciens. L’Egyptien
Cécrops, qui vivoit dans le fiècle de Aioïfe,
(environ 1556 ans avant J. C .) avoit fondé les
douze bourgs d'où fe forma depuis la ville d’Athènes.
Prefque tout ce qui concernojt la religion, les
(1) Ce royaume d’Argos avoit été fondé par l’égyptien
t>anaus, vers l'an 1476 avant J. Clo
îx , les mosurs, avoit été porté d’Egypte dans la
Grèce. Sur quel fondement croira-t-on que les
Egyptiens qui humanisèrent & policèrent les Grecs,
leur euffent laiffé ignorer l’art de Y équitation , qu’ils
poffédoient fi bien eux-mêmes , & qu’ils n’euffent
voulu feulement que leur apprendre à conduire
des chars ? Comment ces (jrecs , témoins des
exploits de Séfoflris, & qui avoient combattu
contre les Amazones , ne virent-ils que des chars
dans des armées où il y avoit indubitablement de
la cavalerie ?
Malgré la folidité de ces réflexions, il s’en efl
peu fallu que le fentiment de M. Fréret 8c de
madame Dacier, foutenu par un profond favoir,
n’ait prévalu fur les plus grandes autorités: mais la
déférence que l’on accorde à l’opinion de certains
perfonnages, quand elle n’a point la vérité pour
bafe, cède tôt ou tard à l’évidence.
M. l’abbé Sallier ( Hijloire de VAcadémie des Inf*
criptions & belles-lettres, tome V i l , p. 37. ) efl celui
qui a coupé court au progrès de l’erreur : il a
démontré fenfiblement que l’art de monter à
cheval étoit connu des Grecs long-temps avant
la guerre de T ro y e ; mais il ne réfout pas entièrement
la queftion ; il finit ainfi fon mémoire :
» Le feul point fur lequel on ne trouve pas de
» témoignages dans Homère, fe réduit donc à
» dire que les Grecs, dans leurs combats devant
» T ro y e , n’avoient point de foldats, fer vans &
» combattans à cheval ».
On va donc s’attacher à prouver, par l’examen
des raifons même qu’a eues M. Fréret de croire le
contraire , que Yéquitation étoit connue des Grecs»
& ' des Troyens avant le fiége de T ro y e , & que
ces peuples avoient dans leurs armées de la cavalerie
diflinguêe des chars : nous conje&urons
que ces chars ne fer voient que pour les principaux
chefs, loffqu’ils marchoient à Iatêted.sefcadrons.
Madame Dacier, qui penfoit fur la queflion
préfente de même que l’illuflre académicien, « ne
* comprend pas, dit-elle, ( préf de la traduEl. de
» /’Iliade, édit. 1741, p. 60.) comment les Grecs,
»> qui étoient fi fages, fe fontfervisfi long-temps
» de chars au lieu de cavalerie, 8c comment ils
» n’ont pas vu les inconvéniens qui en naiffoient ».
Sans examiner la difficulté bien plus grande de
conduire un char que de manier un cheval, ni
leterrein confidérable qtie ces chars dévoient occuper,
elle fe contente d’obferver, ajoute-t-elle, »
» que quoiqu’il y eût fur chaque char deuxhommes
» des plus diflingués & des plus propres pour le
» combat, il n’y en avoit pourtant qu’un qui com-
» battît, l’autre n’étant occupé qu’à conduire les
» chevaux : de deux hommes en voilà donc un
■ù en pure perte. Mais il y avoit des chars à trois
» & à quatre chevaux pour le fervice d’un feul
» homme : autre perte digne de confidération ».
Madame Dacier conclut, malgré ces obfer varions ,
qu’il falloit bien que fart de monter à cheval ne
fût point connu des Grecs dans le temps de la
guerre de Troye.
Quelle erreur de fa part ! Pour fuppofer dans
ce peuple une fi grande ignorance, il faut ou
qu’elle n’ait pas toujours bien entendu le texte de
fon auteur, ou qu’elle n’ait pas affez réfléchi fur
les expreffions d’Homère. On doit convenir cependant
qu’elle étoit fi peu fûre de fon opinion, qu’elle
a dit ailleurs : '{Remarques fur le X . liv. de l'Iliade.')
9) Dans les troupes il n’y avoit que des chars ;
» les cavaliers n’étoient en ufage que dans les jeux
» 8c dans les tournois ». Mais qu’étoient ces jeux
& ces tournois, que des exercices & des préparations
pour la guerre ? Et pourroit-on penfer que
les Grecs s’y fuflent diflingués dans l’art de monter
des chevaux , fans profiter d’un fi grand avantage
dans les combats ?
M. Fréret, moins indéterminé, (Mém. de Litt. de
VAcad. des Infcfipt. tome V I I , p. 286.) ne fe dément
pas dans fon opinion. « On efl furpris, dit il, en
» examinant les ouvrages des anciens écrivains,
» fur-tout cèux d’Homère, de n’y trouver aucun
» exemple de Y équitation, & d’être obligé de con-
» duré que l’on a long-temps ignoré dans la Grèce
» l’art de monter à cheval, 8c de tirer de cet
” animal les fervices que nous en tirons aujour-
n d’hui, foit pour le voyag e, foit pour la guerre. »
Telle efl là propofition qui- fait le fujet de fa
differtation : elle efl remplie de recherches curieufes
& favantes, mais qui, toutes prifes dans leur
véritable fèns, peuvent fervir à prouver le contraire
de ce qu’il avance.
Apres avoir établi pour principe qu’Homère ne
parle en aucun endroit de fes poèmes, de cavaliers,
ni de cavalerie, il prétend que ce poète,
-quoiqu’il écrivît dans un temps où Y équitation étoit
connue, s’efl néanmoinsabflènud’en parler, pour
ne pas choquer fes lefîeurs par un anachronifme
contre le coflume, qui eut été remarqué de tout
le monde. Cet argument négatif efl la bafe de tous
fes raifonnemens ; & M. Fréret n’oublie rien pour
lui donner d’ailleurs une force qu’i l / ne fauroit
avoir de fa nature;
Pour cet effet, i ° . il examine & combat tous
les témoignages des écrivains poflérieurs à Homère
que l’on peut lui oppofer : 20. il difeute dans quel
temps ont été élevés les plus anciens monumens
de la Grèce, fur lefquels on voyoit repréfentés
des cavaliers ou des hommes à cheval, pour montrer
qu’ils font tous poflérieurs à l’établiflement de la
courfe des chevaux dans les jeux olympiques : 30. il
cherche à prouver que la fable des Centaures n’avoit
dans fon origine aucun rapporta Y équitation : 4°. il
termine fes recherches par quelques conjectures
fur le temps ou il croit que l’art de monter à
cheval a commencé d’être connu des Grecs.
Examen du texte d’Homère. Puifqu’Homère efl
regardé, pour ainfi dire, comme le juge de là
queflion, voyons d’abord C fon filence efl réel,
& fi nous ne pouvons pas trouver dans fes ouvrages,
des témoignages pofitifs en faveur de Y équitation.
Dans le dénombrement ( Iliade, l. IL ) des Grecs
qui fuivirent Agamemnon au fiége de T ro y e , il
efl dit de Menefhée , le chef des Athéniens, <t qu’il
» n’avoit pasfon égal dans l’art de mettre en bataille
» toute forte de troupes, foit de cavalerie, foit
» d’infanterie ». Sur quoi il efl bon d’obferver que
les Athénienshabitoient un pays coupé, montueux,
très-difficile, & dans lequel l’ufage des chars étoit
bien peu pratiquable.
On trouve parmi les troupes troyennes les bellU
queux éfeadrons des Ciconiens ; 8c l ’on voit dans
l’Odyflee {livre IX . page 262 , édit. 1741.) que ces
Ciconiens favoient très-bien combattre à cheval
& qu’ils fe défendoientaufli à pied, quand il le falloit.
Quoi de plus clair que l’oppofition de combattre
à pied 8c combattre à cheval ? Ils étoient en plus
grand nombre; voilà donc beaucoup de gens de
cheval. Madame Dacier le dit même dans fa traduction
: elle penfoit donc autrement quand elle com-
pofa la préface de fa tracluClion de l’Iliade.
Quand Neflor confeille ( Iliade, l. V IL ) aux
Grecs de retrancher leur camp : « nous ferons,
» leur dit-ii, un fofle large & profond, que les
» hommes 8c les chevaux ne puiffent franchir ».
Que peut-on entendre par ces mots, fi ce n’efi
des chevaux de cavaliers ? Les Grecs avoient ils
naturellement à craindre que les chars attelés de
deux, trois ou quatre chevaux, franchisent des
fofï’és ?
UlyfTe 8c Diomède {Iliade, L X .) s’étant chargés
d’aller reconnoître pendant la nuit la pofition &
les defleins des Troyens, rencontrèrent Dolon ,
que les Troyens envoyèrent au camp des Grecs
dans te même deffein, 8c.ils apprirent de lui que
Rhéfus, arrivé nouvellement à la tête des Thraces,
campoit dans un quartier féparé du refie de l’armée!
Sur cet avis , les deux héros coupent la tête à
Dolon, preffenf leur marche, 8c arrivent dans le
camp des Thraces, qu’ils trouvèrent tous endormis
, chacun d’eux ayant auprès de foi fes armes
à terre 8c fes chevaux. Ils étoient couchés fur
trois lignes ; au milieu dormoit Rhéfus leur chef,
dont les chevaux étoient aufli tout prés de lu i,
attachés à fon char.
Diomède fe jette suffi-tôt fur les Thraces, en
§e plufieurs, 8c le roi lui-même ; après quoi,
pendant qu’U lyfle va détacher les chevaux de
Rhéfus, il effaye d’en enlever le char ; mais
Minerve lui ordonne d’abandonner cette entre-
prife. Il obéit, rejoint UlyfTe, 8c montant ainfi
que lui fur l’un des chevaux de Rhéfus, ils fortent
du camp 8c volent vers leurs vaiffeaux, pouffant
les chevaux, cju’ils fouettent avec un arc. Arrivés
dans l’endroit où ils avoient laiffé le corps de Dolon ,
Diomède faute légèrement à terre , prend les armes
de 1 efpion troyen, remonte promptement à cheval..