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les plaifirs les plus doux , T amour le plus pur
& le plus innocent > en forte qu'on a raifon de
regarder comme le coeur le plus infenfible & le
plus dénaturé , celui qui ne les éprouve pas.
Le raifonnement pourroit convaincre l'homme
de la néceffité de fe foümettre à ces devoirs &
de la juftice de s'y livrer.; mais l'inftinél, c'eft-
à-dire, un penchant qui précède tout examen &
toute difeuffion , y foumet invinciblement tout
ce qui refoire , & par un effet admirable de la
toute-puiffance, donne à l'amour paternel plus de
force , plus d'aéfcivité & de vigilance en raifon
des befoins & de la foibleffe de la progéniture.
L e coeur fent vivement, & plus vivement, s'il
eft moins diftrait par d'autres pallions : plus les
difficultés , les dangers & les douleurs augmentent
3 plus cet amour tutélaire s'attache à fon
ob jet, plus il s'accroît 5 & delà vient l'exceffive
tendreffe des mères. Un enfant leur doit plus ,
leur coûte plus qu'au père ; elles font d'ailleurs
plus timides 3 on fent qu'elles doivent l'aimer
davantage.
Les devoirs _du père envers les enfans font in-
hérens à fon bien-etre s & fes droits à la fupério-
rité 3 au commandement, au refpeél & aux fer-
vices, font une caufe de l'obfervation de ces devoirs.
Les droits paternels font donc évidens & reconnus
} mais quels font les droits de ceux qui leur
doivent la vie ? Sont-ils nés pour être dépendans ?
Eh ! comment ne le feroient-ils pas ? Que devien-
droit la famille, que deviendroit la race humaine,
fans les foins & les travaux du père ? L'enfance
n'eft que befoin , l'enfant ne naîtroit que pour
mourir auffi-tôt, s'il ne recevoit à chaque inftant
la vie de ceux qui la lui ont donnée. Le père
penfé, agit, fe fatigue, fouffre, fe confume pour
fon enfant, pour lui donner une longue v ie , une
vie heureufe. Quels droits plus forts & plus facrés
l'ouvrier a-t-il fur fon ouvrage? 11 faut bien que
l'enfant dépende, tant qu'il ne peut ni fe fubftan-
ter , ni fe défendre par lui-même, & qu'il trouve
dans cette dépendance les fecours que demandent
fes befoins. Mais il a droit à ces fecours, puif-
qu'on les lui a rendus néceffaires > il a droit aü
foutien de la vie que fes. parens lui ont donnée,
comme un dépôt qu'ils dévoient lui remettre. Ainfi
la nourriture, les foins, là prote&ibn & l'inftruc-
tion que les parens ont reçus de leurs pères , deviennent
un droit pour les enfans., qui à leur tour
en font chargés pour leur poftérité j & cette tranf-
miffion fuceeffive eft auffi jufte que naturelle. En
établiffant les relations de befoins & de fervices,
de pitié & de reconnoiffance, en affignânt à chacun
tout ce qu'il peut prétendre , elle affermit
l'ordre dans la famille & prépare l’homme poyr
la fociété.
L'homme enfant pourroit donc dire à fes païens
: vous m'avez donné la v ie , vous devez donc
m'aider à la foutenir, tant que je n'y faurois pourd
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voir par moi-mème. Je fuis formé avec desdefirs*
qui peuvent être bons ou mauvais, fuivant qu'ils
feront éclairés 5 il faut donc m'apprendre à vouloir
: enfin , je fuis né avec de l'intelligence, qui
peut être utile ou dangereufe } vous devez donc
m'inftruire des meilleurs moyens d'en faire ufage *
& pour moi & pour les autres.
Droits dé lhomme fur thomme.
L'homme a des befoins, & il eft foiblè > il ne
peut rien ou prefque rien par lui-même > mais il
eft né bon, & fociable, & il devient fort de la
force des autres j il doit donc, pour fon propre
intérêt, pour mériter des fecqürs, ne point refu-
fer les fiens, lorfqu'ils font néceffaires, foit qu'on
les lui demande de vive voix , foit que les rap *
ports plus ou moins intimes qui le lient aux autres
le follicitent à foulager leurs befoins preffans
& leur misère. C'eft donc un devoir indifpenfaWe
d'aimer & de fecourir les hommes, tous fils d'un
même père , par tous les moyens que nous four-
niffent nos facultés j mais ces devoirs ont des degrés
de progreffion , & nos rapports nous les indiquent.
Tout homme fur la terre eft en rapport
avec nous , & par - là notre prochain y nos plus
grands rapports conftituent notre plus prochain. L e
fervice le plus prochain eft donc le premier devoir
de fraternité. C'eft par l'exa&itude à obfer-
ver l'ordre des-rapports, que peut s'établir la fraternité
univerfelle.
C e devoir étant comme tout autre néceffaire-
ment réciproque, il n'eft point un devoir pour un
homme, fans être alors un droit pour un fécond«
Un écrivain célèbre a très-bien dit : l'homme n'a
fur l'homme que le droit de l’ échange j mais il a
ce droit 1 & , s'il faut qu’il donne pour recevoir ,
la nature y a pourvu, en obligeant 1'hornme d'être
fans ceffe dans la dépendance des fecours. d autrui.
Faire du bien,,c'eft donc exactement & à
la lettre le recevoir,. c'eft remplir un, devoir utile
& établir fon droit. Par la même raifon, & malgré'
les fophifmes de la fauffe politique & de l'aveugle
cupidité, faire du mal à autrui, c'eft s'en
faire a foi-même. Un homme ne peut donc nuire
à un homme, ni une nation à une autre nation ,
fans fe nuire manifeftement. Pour fe convaincre
de ces. deux vérités importantes, il fuffit d'examiner
les objections qu'on fait d'ordinaire contre
elles, & d'en pefer la valeur.
On convient affez généralement qu'à ne con*
fultel que l'équité , gravée au fond de tous les
coeurs, l’homme a des motifs puiffans, dans fa
bonté naturelle, dans fon inclination à la juftice ,
pour le porter à fecourir les autres , ttpar confé-
quent à ne leur point faire de mal j mais, dit-6n 9
ce font des motifs purement moraux, qui ne tiennent
point contre des intérêts préfens'& néceffaires
, ôe on a dçs preuves que fouyent un homme,
unç
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une nation ne fe nuifent point èn fe rendant in*
juftes.
On le croit ainfi, & c'eft un malheur pour 1 humanité
j mais cette opinion funéfte n'eft pas moins
fauffe que dangereufe. Quiconque élève fon efprit
au vrai principe des chofes, ne peut s'empêcher
de voir & de remarquer, que Dieu ayant établi
un ordre phyfîque auquel l'homme doit obéir ,
fous peine de fouffrance & de mort, il faut que
tout ce qui en découle , même la morale, fe rapporte
à cette bafe phyfique > que tout homme qui
s'en écarte, trouve même phyfiquement un dommage
dans fon infraction.
Vainement diroit-on qu’il y a des feelérats qui
ne fe nuifent point par leurs crimes, des tyrans
par leurs vexations, des conquérans par leurs ravages,
des nations par les attentats d'une ambition
avide &: querelleufe, il n'eft pas moins vrai
que leurs injuftices ne relient pas impunies. Veut-
on parler d'un voleur ? Si la maréchauffée, les
roues, les gibets n'en font pas raifon à la fociété,
la fociété fe la fait en quelque forte. Un voleur
public n'eft-il pas toujours en crainte ? Jouit-il
pleinement des droits de l'homme, des fecours mutuels
, de fa propriété mal acquife ? N'eft-il pas
rejetté de par-tout ? Penferoit-on qu'un filou, un
voleur du fife , un plaideur adroit, efcroc & fripon
évitent absolument la peine qui leur eft due ?
Mais ne font-ils pas dans le cas d'être recherchés ?
N e donnent - ils pas à ceux qui veulent les dépouiller,
le droit d'agir à leur égard comme ils
ont fait envers les autres? Ne trouveront-ils pas
des gens injuftes , eux qui ne veulent pas etre
juftes, ou des gens forts ou adroits qui s'empareront
de leur bien ? Et puis, qui peut dire que
fi ces fripons avoient fuivi les lois de l'ordre j
s'ils avoient travaillé avec honneur & probité, ils
n'auroient pas réuffi ? Sont - ce , après to u t, les
grandes richeffes qui établiffent le bonheur ? N'ell-
il pas évident que f i , dans la fociété , chacun
étoit fidèle à fes devoirs, tous feroient auffi heureux
qu'ils pourroient l'être. Ceux qui contrarient
cette difpofition, font donc le mal public &
le leur. Un bien honnête, bien cultivé, bien foi-
gné, l'eftime & la confidération qui fuivent le travail
& la juftice , donnent des jouiffances plus ;
douces, mieux fenties, plus agréables. Un homme
fe nuit donc par l’injuftice , qui n'eft que lë-
fion de propriété.
Qui peut douter que les conquérans ne fe nuifent
en s'emparant des provinces & des royaumes
qu'ils fubjuguent ? ce.nç fera pas celui qui lira
l'hiftoire avec attention. C e n'eft point l'étendue
d'un état qui fait le pouvoir & fur-tout le bonheur
d'un monarque ; d'ailleurs, on ne ravage pas
le pays des autres, fans ravager & affoiblir le lien.
Ceux qui vont augmenter les friches dans les états
voifins, accroiflent néceffairement celles de leurs
empires, écrafent leurs fujets & fe ruinent eux-
mêmes ; combien ces forcenés qui marquent leur
(Scott, polit. Çr diplomatique, Tom» II,
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paflage en traces de fang & de larmes, n’auroient-
ils pas été plus heureux , f i , fidèles aux loix de
l'ordre , ils avoient employé leurs foins & leurs
dépenfes à bonifier leur propre fol ? en conquérant
fur eux-mêmes un nouvel empire, ils auroient vu
multiplier lpurs fujets & leurs revenus dans la progreffion
la plus rapide. Ajoutons qu'heureux en
apparence , & loués par la bêtife & la flatterie
des hommes rampans, ils font malheureux en effet î
toujours fous le glaive de quelque fanatique, qui
croit bien mériter du genre humain , en purgeant
la terre de ces défolateurs , ils vivent dans la
crainte, & paient fouvent de leur fang celui qu’ils
ont verfé. Quelle eft la fin ordinaire de ces héros
fi vantés ? Le glaive ou le poifon terminent leur
v ie , ou ils la traînent dans des tranfes pires que
la mort. Ninus , Sémiramis, C ÿ rus , Alexandre,
Pyrrhus, Jules-Çéfar , & de nos jours, Thamas-
Kouli-Kan, doivent fixer les regards de ceux qui
entreprendroient de marcher fur leurs traces.
Quant aux nations , à qui l'efprit de vertige a
fait perdre de vue les loix de Porcfre, & les peines
qui fuivent i ’infraélion de celles des droits^ & des
devoirs, & qui oubliant les avantages qui réful-
tent de la concorde & du commerce des nations
entre elles, repouffent les autres par les armes &
les prohibitions , qui s'imaginent devenir riches
& puiffantes, en raifon de la foibleffe & de la
pauvreté de leurs voifins, & qui voudroient tout
envahir & tout vendre, elles font dans une erreur
très-préjudiciable aux autres & à elles-mêmes.
Qu'eft - ce qui rend une nation puiffante ? Ses
richeffes. Et fes richeffes, d’ou viennent-elles ?
de la terre fans doute. Mais ces richeffes ne font
telles, que quand elles excèdent les confomma-
tions immédiates. Augmentez les produits à vo-1
lonté, vous aurez de quoi nourrir un plus grand
nombre d'hommes j mais fi vos hommes , vrais
fpartiates , ponComment chez eux tous ces produits
, ils n'auront que le néceffaire & point de
richeffe. La richeffe eft le revenu difponible , ou
l’excédant du néceffaire, qui fe modifie & circule
en mille façons dans le monde par l'échange
& le commerce. Cela pofé , une nation a befoin
de toutes les nations j car, point de revenu pour
e lle , fi elle ne vend fes denrées , point de jouiffances
agréables, point de finances, point de force,
ni de crédit. 11 y a vingt ans qu’on citoit l'Angleterre comme
une nation dont la profpérité' s’étoit fort accrue
par nos malheurs. Ces affertions , d’une aveugle
partialité , ou d’une politique ignorante , ne fe
foutiennent point devant la réflexion , & font
bien démenties par le fait. Il n’eft point vrai que
l’Angleterre pût s’enrichir par nos pertes. Il eft
évident au contraire, q u e , fi elle venoit à bout
de confommer notre ruine, elle fe cauferoit un
très-grand dommage > car alors, nous n’achete-
rions plus fes denrées, fes laines, ni fes ouvrages.
On achète peu , quand on eft pauvre, on n’achète