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S e ç t i o n I I 8.
Description générale de L’ijle ,* defcription particulière
des établijfemens qui appartiennent a l'Ef-
pagne & de ceux qui appartiennent et la France,
6' remarques fur chacun de ces établijfemens.
L ’ifte de Saint-Domingue a cent foixante lieues
de long. Sa largeur moyenne eft à - peu - près de
trente, & fon circuit de trois cents cinquante ou
de fix cens, en faifant le tout des Anfes. Elle eft
coupée dans toute fa longueur, qui va de l'eft à
l’oueft , par une chaîne de montagnes d’où l’on
tiroit de l’o r , avant que le continent de l’Amérique
eût offert des mines infiniment plus riches.
Le navigateur qui approche de la partie efpa-
gnole , n’apperçoit qu'un amas informe de terres
entaflees, couvertes d’arbres 8c découpées vers
la mer par des baies ou des promontoires : mais
eft dédommagé de cette vue peu riante par le
parfum des fleurs d’acacia, d’ oranger ou de citronnier
que les vents de terre lui portent, foir
& matin , du fond des bois.
La côte françoife, quoique cultivée, offre un
afpeét qui n’ eft guère plus riant. C ’ eft toujours
un horifon femblable ; ce font par-tout les mêmes
accidens, les mêmes couleurs, les mêmes bâti-
mens. L’oeil fatigué ne peut fe repofer en aucun
endroit, fans retrouver ce qu’il quitte, fans revoir
ce qu’il a vu. Il n’y a que la partie du nord ,
remplie de riches plantations , depuis l’océan
jufqu’ à la cime des collines , qui offre une perf-
peétive digne de quelque attention. C e payfàge
eft unique dans l’jf le , fans être comparable à ceux
de l’Europe où la nature 8c l’ art font, bien plus
féconds en beautés touchantes.
Les chaleurs font toujours’ vives dans la plaine.
Quoique la température des vallons dépende en
partie de leur ouverture à l’ eft ou à l’oueft , on
peut dire en général que l’air humide 8c frais
avant 8c après le coucher du foleil, y eft embrafé
dans la journée. La différence du climat n’ eft véritablement
fenfîble que fur les montagnes. Le
thermomètre y eft à 17 degrés à l’ombre , lorsque
, a la même expofition, il eft à vingt-cinq
dans la plaine. » . .
La partie de Saint-Domingue qui appartient à
l ’Efpagne, avoit en. 1717 dix-huit mille quatre
cents dix habitans efpagnols , métis , nègres ou
mulâtres. Leur couleur 8c leur caraélère tenoient
plus ou moins de l’américain ,„d e l’européen 8c
de l'africain, en raifon du mélange- qui s’étoit
fait du fang de ces trois, peuples, dans l’union
naturelle 8c paffagère qui rapproche les races 8c
les conditions : car l’amour,.comme la mort, fe
plaît à les confondre. Ges demi-lâuvages, plongés
dans une fainéantife profonde , vivoient de
'fruits 8c de racines , habitaient des cabanes ,.
étoient fans meubles, 8c la. plupart fans vêtemens-
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Le petit nombre de ceux en qui Tindolenee n*a~
voit pas étouffé le préjugé des bienféances , le
goût des commodités , recevoient des habits de
la main des françois leurs voifins , auxquels ils
livroient leurs nombreux troupeaux , & l’argent
qu’ on leur envoyoit pour deux cents foldats , pour
les prêtres & pour le gouvernement. La compagnie
exclufîye, formée en 1756 à Barcelone pour
ranimer les cendres de Saint-Domingue, n’à rien
opéré. Depuis què cette ifie a été ouverte , en
1766, à tous les navigateurs efpagnols' 3 fon état
eft encore refté Te même. C e qu’on peut y avoir
planté de cannes, de cafiers & de pieds de tabac
ne fuffit pas à la confommation , loin de pouvoir
contribuer à celle de la métropole. La colonie ne
fournit annuellement,au commerce national que
cinq ou fix mille cuirs , & quelques denrées de fi
peu de valeur, 3 qu’ elles méritent à peine d’être
comptées.
T o u t , dans T il le , fe refîent de ce défaut de
culture. San - Yago , la Vega , Seibo , d’autres
lieux de l’intérieur des terres, autrefois fi renommés
pour leurs richeffes , ne font plus que de
vils hameaux où rien ne rappelle leur première
fplendeur.
Les côtes n’offrent pas un tableau plus animé*.
Au fud de la colonie , eft la baie étroite &: profonde
d’Ocoa , qu’on pourroit appèller un port J
C ’eft dans cet endroit où les efpagnols n’ont
point d’établififement, ( quoiqu’une faline qui fuffit
à leurs befoins en foit fort proche ) , qu’eft déchargé
l’argent envoyé du Mexique pour les dé-
penfes du gouvernement, & d’où il eft porté fur
des chevaux à San-Domingo , qui n’en eft éloigné
que de quinze lieues.
Cette célèbre capitale de I’ifle reçut Iong-tems
directement ces fecours étrangers : mais alors la
Lozama, qui baigrre fès murs-, admetteit des bâ--
timens de fix cens tonneaux. Depuis queTern-r’
bouchûre de cette rivière a été-prefque comblée
par les fables & par les pierres que cette rivière
entnine des montagnes, la ville n’eft pas dans un
meilleur état que le port, & de magnifiques ruines
font tout ce qui en refte. Les campagnes qui
F environnent, n’offrent ,que des ronces & quelques
troupeaux.
Quatorze lieues au-deftus de cette place, coule
la-rivière de Macouffis , ou aborde le petit nombre
de navires américains qui viennent trafiquer
dans l’ifle. Us débarquent leurs •foibles cargaisons-
à la faveur de quelques iflets qui' forment un affez
bon abriv. _
Plus loin, toujours fur la même côte, Ta Ru-
mana parcourt les plus fuperbes plaines qu’ il foif
poffible d’imaginer. Cependant on ne voit , fur un
fol f i , vafte fécond > qu’une bourgade qui
paroîtroit miférable dans .les contrées'même que
la nature auroit le plus maltraitées.
Le nord de la colonie eft digne du fud. Porto-
d e -P la ta , dont il feroit difficile d'exagérer la.
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beautc, î bonté, ne voit dans fes tiombreufés
anfes, ne voit fut fon riche territoire que quelques
cabanes.
L ’Ifabellique qui a une belle rivière, des plaines
imtnenfes, des forêts remplies de bois précieux
, ne préfente pas un afpeû plus floriliant.
. Avec autant ou plus de moyens de Mofperite,
Monte-Chrifto n’eft qu’ un entrepôt où des interlopes
anglois viennent habituellement .“ “ g“ .;“
denrées de quelques plantations françoifes e a
à fon voifinage. Les hollilites, entre les cours
Londres & de Verfailles, tendent es haifons
feauduleufes infiniment plus confiderables, 8c ce
maîehé acquiert alors, une grande importance.
Maiscfe mouvement celle aufli-tot tjue le mi
niftère de Madrid croit convenable a fes (intérêts
de fe mêler dans les querelles des deux nations
rivales. 4
Les efpagnols, n’ont aucune poffeffion à 1 oueft
de l’ifle , entièrement occupé par les françois j &
ce n’ eft qu’après la paix de 1763 g, qu
convenable de former des etabliffemens a 1 e l t ,
qu’on avoit depuis long-temps perdu de vue.
Le projet d’établir des cultures pouvoir / e x é cuter
dans la plaine de Vega-Real, qui eft fituee dans
l ’intérieur des terres, & qui a quatre-vingt lieues
de long, fur dix, dans fa plus grande largeur. On
trouveroit difficilement dans le nouveau-Monde
un terrein plus uni , plus fécond .3 plus arrofe.
Toutes les productions de l’Amérique y reuffi-
roient admirablement : mais 1 extraction en feroit
impofïible, à moins qu’on ne pratiquât des chemins
, dont l’entreprife effrayeroit même des peuples
plus entreprenans que la nation espagnole.
•Ces difficultés dévoient naturellement faire jetter
les yeux fur dçs côtes excellentes , déjà un peu
habitées, & ou Fon auroît trouvé quelques fub-
fiftances. On craignit fans doute que les nouveaux
colons ne priffent les mqeurs des anciens , & 1 on
fe détermina pour Samana.
C ’eft une péninfule , large de cinq lieues, longue
de feize, & dont le fol, quoiqu’ un peu inég
a l, eft très-propre aux plus riches productions
du nouveau-Monde. Elle a de plus l’avantage d’offr
ir aux bâtimens qui arrivent d’Europe, un a$té-
-xage facile, & un mouillage sur.
Ces confédérations déterminèrent les premiers
aventuriers françois qui ravagèrent Saint-Domingue
, à fe fixer à Samana. Us s’y foutinrent afifez
long - temps , quoique leurs ennemis fuffent en
force .dans le voifinage. On fentit a la fin qu ils
.étoient trop expofés , trop éloignés des autres éta-
bliflemens que leur nation avoit dans Fille , &
qui prenoient tous les jours de la confiftance. On
les rappella. Les efpagnols fe réjouirent de ce départ
, mais ils n’occupèrent pas la place qui de-
venoit vacante»
C e n’ejà que de nos joujs que la cour de Ma-
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drid y a fait paffer quelques canprietis. L ’état s eft
chargé de la dépenfe de leur voyage, des. frais de
leur établiffement , de leur fubfiftance pendant
plufieurs années. Ces mefures , quoique fages ,
n’ont produit aucun bien. Le vice du climat , des
défrichemens commencés fans précaution 3 l infidélité
fur-tout des adminiftrateurs qui fe font approprié
les fonds qui leur étoient confies : toutes
ces caufes , & peut - être quelques autres , ont
précipité dans le tombeau la plupart des nouveaux
colons j & ce qui a échappé à tant de calamites,
languit dans la détreffe. .
Etablijfemens._formés' dans la partie méridionale
de Saint-Domingue. La partie du fu d , occupée
par les françois, s’ étend a&uellement depuis la
Pointe-à-Pitre jufqu’ au cap Tiburon. A l’ epoque
de leurs conquêtes dans le nouveau-Monde, des
efpagnols avoient bâti fur cette côte deux grandes
bourgades , qu’ils abandonnèrent dans des jours
moins brillans. La place qu’on laiffoit vuide , ne
fut pas d’abord remplie par les françois qui dévoient
craindre le voifinage de San-Domingo , ou
étoient concentrées les principales forces de la
puifTance, fur la ruine de laquelle ils s elevoien;t.
Leurs corfaires j qui s’affembloient ordinairement
dans la petite ifie. à Vache , pour courir fur les
caftillans, & pour y partager le butin qu’ ils avoient
fait, enhardirent quelques cultivateurs a commencer,
en 1673, un Pet‘c établiffement dans le continent.
Préfque auffi-tôt détruit , il ne fut repris
qu’affez long-temps après. La compagnie, établie
pour l’affermir & pour l’étendre, remplit mal fes
obligations. Il dut fes progrès aux anglois de la
Jamaïque & aux hollandois de Curaçao, qui ,
s’ étant avifés d’y porter des efclaves, retiroient
feuls les productions d’un fo l, que feuls ils met-
toient en valeur. C e ne fut qu’ en 1740* que les
négocians de la métropole ouvrirent les^ yeux»
Depuis cette époque , ils ont un peu fréquente
cette partie de la colonie, malgré les vents qui
en rendent fouvent la fortie longue & dangereufe»
Le quartier qui eft à l’ eft de tous les autres
établiffemens ,. fe nomme Jacmel. U eft formé par
trois“ paroiffes qui occupent trente-fix lieues de
c ô te , fur une profondeur médiocre & très-inégalé.
C e vafte efpaçe eft rempli par cent-foixante
caféïèresfoixante-deux indigotefi.es , & foixante
cotonneries* La plupart de leurs cultivateurs font
pauvres, & ne peuvent jamais devenir bien riches»
Un terrein généralement montueux , pierreux,
expofé aux fécherelfes, leur défend d’afpirer a
l’opulence. Cette ambition n’eft: permife qu’à ceux
qui partagent la plaine de Jacmel. U y a vingt habitations
très-vaftes , dont dix feulement font ar-
rofées, quoique toutes foient fufceptibles de cet
avantage : c*eft-là q ue, dans un fol u fé , on fait
de Tindigo, qui demanderoit des terres vierges.
Lorfque les bras & les autres moyens d’une grande
exploitation ne manqueront plus , on lui fubfti:-
I tuera le fucre, qui reuffit auffi -bicn qu’on puiffe