
e n G U E
oppofent au fouverain , & ils diftinguent cette
légitime réfiftance de la rébellion, qui eft une réfiftance
injufte. F o y e ç R é b e l l io n . Mais quel
terme faudra-t-il employer pour dé (igné r la guerre
qui s'élève dans une republique en proie à deux
faélions, ou dans une monarchie , lorfque deux
rivaux fe difputentla couronne ? L ’ ufage commun
eft de défigner par le terme de guerre civile toute
guerre qui a lieu entre les membres d*une même
fociété politique. Si elle eft foutenue , d’un côté ,
par une partie^ des citoyens, & de l’autre par le
fouverain & ceux qui lui obéiffent ; comme les
mecontens ne manquent jamais de prétexte , ce
défor dre s’appelle ordinairement une guerre civile 3
& non pas une rébellion.
Nous n'examinerons point s'il y a des guerres civiles
excufables : nous nous bornerons à l'examen
des règles que l'on doit garder dans la guerre cb
vile j & nous rechercherons enfuite (i le fouverain
en particulier doit y obferver les loix communes
de la guerre.
La guerre civile rompt les liens de la fociété & du
gouvernement , ou elle en fufpend au moins la
force & l'effet 5 elle donne lieu à deux partis in-
dépendans 3 quî fe regardent comme ennemis , &
ne reconnoiflent point de juge commun. Mais ces
deux partis forment-ils, au moins pour un tems,
deux corps, féparés, deux peuples différens ? Il
paroît qu'oui : l’ un des deux a eu tort, de rompre
l’unité de l'état3 de réfifter à l'autorité lé gitime;
mais ils n’en font pas moins divifés de
fait. D ’ailleurs qui les jugera , qui prononcera de
quel côté fe trouye le tort ou la juftice ? On peut
donc les regarder comme deux nations qui3 ayant
une querelle & ne pouvant s’accorder, recourent
aux armes.
Si cela e f t , les. loix communes de la guerre,
ces maximes d’humanité , de modération , de
droiture & d’honnêteté qu’a établies i'ufage, doivent
être obfervées départ & d'autre. Si on les
a jugées néceflaires d'état à état, elles font plus né-
ceflaires encore, lorfque deux partis ôbftinés troublent
leur commune patrie. Si le fouverain qui
ne peut plus exercer les fondions de juge, puif-
qu’il eft devenu partie 3 fe croit en droit de faire
pendre les prifonniers comme rebelles,. le parti
oppofé ufera de repréfailles 5 s'il n-'obferve pas
les capitulations & les conventions ; fes ennemis
ne fe fieront plus à fa parole ; s'il fe permet les
dévaftations & les incendies, on fe les permettra
également contre lui : la guerre deviendra cruelle ,
terrible, & on augmentera les maux de la nation.
On fait avec quelque dureté barbare le duc de
Montp enfler- traita les reformés de France ; il li-
vroit les hommes au bourreau, & les femmes à
la brutalité d’un de fes officiers. Q u’arriva-t-il ?
L ’indignation s’empara des réformés 5 ils fe vengèrent
, & la guerre déjà cruelle, parce que des
guerres civiles & des guerres de religion le font
toujours, le fut encore davantage. Peut-on lire
G U E
fans horreur les cruautés féroces dù baron des
Adrets !
Quand le fouverain a vaincu le parti oppofé ;
quand il l'a réduit à fe foumettre & à demander
la p aix, il peut excepter de l’amnift:e les auteurs
des troubles, les chefs de parti, W faire juger
fuivant les loix les punir s’ils font coupables :
il peut fur-tout en ufer ainfi à la fin de ces troubles
, où il s’agit moins des intérêts des peuples
que des vues particulières de quelques individus ,
& qui méritent plutôt le nom d^révolte que celui
de guerre civile.
Si des fujets prennent les armes, (anscefferde
reconnoître le fouverain, & feulement pour faire
ceffer des vexations, deux motifs femblent exiger
qu’on obferve à leur égard les loix communes
de la guerre : i° . la crainte de rendre la guerre
civile plus cruelle & plus funefte, parles repréfailles
que le parti foulevé oppofera aux févérités
du prince : 20. le danger de commettre de grandes
injuftices. Le feu de la difeorde & de la
guerre civile n’eft pas favorable aux aéles d’une
juftice pure & fainte ; il faut attendre des occar
fions plus tranquilles.
Plufîeurs de ceux'qui ont allumé une guerre
civile, ont laifle une grande réputation de talens ;
mais ils ne la méritent pas : pour obtenir ce malheureux
fuccès, il fuffit de difpofer les chofes
de ^manière que les partis oppofés foiént portés
à répandre le fang de leurs adverfaires 5 & , d'après
la corruption humaine, rien n'eft fi facile.
Lorfqu’une fois on a verfé du fang, la guerre
continue d'elle-même, & elle ne fe fait que trop
ouvertement. Les *deux partis ne refpirent plus
que le fang & le carnage; ils deviennent" implacables
, & ils fe maflacrent l'un l'autre.
La guerre civile , qui ôta la couronne à Edouard
IV pour rétablir Henri V I , commença, par un
conte venu d’un coin du royaume, fur une fraude
commîfe contre un hôpital au fujet de quelque
bled.^ Lapopulace informée de cette affaire, rapportée
d’une manière malicieufe, quoique véritable,
fe jetta en tumulte fur les officiers employés
à recueillir ce bled 5 & le reflentiment fut pouffé
fi loin , que ce qui n'étoit d’abord qu'une fimple
querelle de particuliers ^devint un foulévement
qui changea l'adminiftration.
La grande révolution de la C h in e , qui mît en
1644 ce puiftant état fous la domination & le
joug des tartares , fut exécutée avec tant de promptitude
qu’e la ville capitale fut prife, & même
la cour extérieure du palais , avant que l ’empereur
eût la moindre ‘connoiflânce du danger ou
il fe trouvoit. 11 eft vrai que tout annonçoit une
révolution , & que fes fujets étoient indignés de
fa tyrannie.
Dans les guerres de^ nation à nation, les individus
des partis oppofés ne fe eonnoiffant pas, ne
peuvent avoir d'averfion réciproque ou de rancune
perfonnelle, & la fureur de la foule a fur-tout
G U E
pour objet le chef du parti oppofé. Les angloiss
haïffbient Louis X IV , & lesfrançois Guillaume III.
Cette haine perfonnelle ne s'étendoit tout au plus !
que fur quelques officiers des deux armées, qui |
s’étoient diftingués par leur bravoure, par leur j
fuccès, ou peut-être par leur cruauté. Le gros
des deux armées' n’éprouvoit qu'une inimitié
générale, qui n'a rien de commun avec le reffen-
timent d’un particulier contre un autre particulier.
La guerre civile eft' ainfi plus cruelle & plus
féroce que les autres guerres. Dans les guerres
nationales, les particuliers combattent, parce
qu'on les paye, ou parce qu'ils efpèrent du bu- ;
tin : la guerre civile offre de plus fes anîmofités .
de famille & la rivalité des voîfîns : on s'y dif-
pute d'homme à homme pour le pouvoir & le
commandement, qui ne peuvent être que dans
les mains d’un feul ou d'un petit nombre d’individus.
Les querelles de nation à nation ayant pour
objets des points aifés à connoître , & dont le
nombre n'eft pas grand, on peut arranger ou
abandonner ces prétentions ; mais ces matières
ne font pas à la portée de tout le monde , ou
quand elles y feroient, la marche de l’adminif-
tration en a fait l’apanage des hommes d'état feuls,
& chaque peuple laifle à fon fouverain le pouvoir
d’entreprendre ou de finir^de pareilles guerres.
Il en eft tout autrement des guerres civiles ;
car alors on ne connoît pas le gouvernement civil
, ou du moins les partis oppofés ne le recon-
noiffent plus , & les motifs de la querelle font
infinis : elle eft entretenue par les caprices , les
animofîtés , les vues & les maux de chaque individu.
Il n'eft pas au pouvoir d’un général, dont l'autorité
eft à-peu-près la feule que reeonnoiflent les
foldats, de fatisfaire & encore moins de réprimer
les demandes. Quoique le pouvoir d'un général
foit abfolu par fa nature, dans les guerres
civiles il ne peut le faire valoir fans la, permiflion
des foldats ; ils le limitent à leur fantaifie : le
Chef emploie toute fon adreffe à fortir. des bornes
qu'on lui a preferites ; & s'il en vient à bout
fouvent, fouvent on l’arrête dans fes projets.
' « Les chefs de parti, dit Tacite parlant de
5» celui de Vefpafien, ont beaucoup d'aélivité
* pour allumer la guerre civile ; mais ils n'ont
*> pas le pouvoir de réprimer la fougue qui fuit
» la viétoire ». Après avoir vaincu leurs ennemis,
ils ne furent pas les maîtres de leurs propres gens ;
la raifon qu'il en. donne , eft fort jufte : « les
33 hommes les plus méchans ont beaucoup de
» facilité & de pouvoir pour allumer le trouble
» & la difeorde : mais , pour maintenir la paix
*> & la tranquillité, il faut des mefures confor-
» mes à la juftice & une bonne adminiftra-
H tion *>.'■
Dans h guerre c ivile, le prince ou le général
dune armée peut avoir aflez^d’autorité pour brûler |
©u. piller une ville , pour pafler au fil dé l’épée |
G U E 6 2 $
un peuple innocent ; mais fon pouvoir eft nul ,
pour prévenir les plus grands défordres. Othon
en fitïatrifte expérience, ainfi que Jules-Géfar,.
le plus habile & le plus heureux capitaine de Rome.
Oiî peut dire la même chofe d’Augufte &
de tous les généraux des guerres civiles. Céfar &
Augufte furent réduits à fouffrir contre leur gré
les accès de fureur & les excès de leurs offi-
ciers.
Il eft abfolument impoflible de maîtrifer le peuple
dans les guerres civiles : il perd tout fentiment
& toute idée de décence ou de juftice : il s’endurcit
, & les calamités publiques .& les défordres
y au lieu de lui infpirer de l’horreur, lui
caufent du plaifir.
Lors des derniers combats entre les armées de
Vitellius & de Vefpafien, qui fe donnèrent dans
les rues même de Rome , les romains étoient fi
peu touchés de compaftion, & fembloient y prendre
fi peu de part, « qu’ils s'aflembloient comme
” fpeftateurs curieux autour des combattans ; &
« comme s'il eût été queftion d’un fpeélacle fait
■» pour les amufer, ils favorifoient tantôt ceux-
33 c i , tantôt ceux-là par des acclamations & des
» battemens de mains y dès qu'un parti venoit à
” lâcher le p ied , & que ceux qui en- étoient fe
» fauvoient dans les maifons, ou fe cachoient
» dans les boutiques , le peuple vouloit qu'on les
53 en tirât & qu’on les tuât, fe flattant d’avoir
» lui-même une portion plus confidérable du bu-
M tin : ca r , tandis que les foldats s'occupoîent de
» fang & de. carnage, les dépouilles tomboient
» au pouvoir des gens du peuple. La ville ne pré^
*> fentoit qu'un fpeélacle tragique & hideux ; d'un
33 côté , l’on voyoit des combats fanglants & des
» bleflures mortelles ; de l'autre, des bains déli-
» deux & des tavernes remplies: de monde. On
» voyoit de tous côtés , des ruifleaux de fang &
33 des cadavres entafles les uns fur les autres, &
33 tout auprès, des femmes publiques ou d’autres
3» qui leur reffembloient ; des traits de diflolution
33 & de volupté, tels qu'on les obferve en pleine paix
» & au milieu du luxe , avec toutes les barbaries
33 qui accompagnent une impitoyable captivité; de
33 forte qu'on voyoit la même ville plongée dans
33 les excès les plus brutaux , & abandonnée aux
33 débauches les plus fenfuelles. Rome avoit vu
33 auparavant combattre des armées dans fes murs,
33 lorfque Sylla y fut deux fois vainqueur , &
33 Cinnà une, & l'on n'y vit pas moirs exercer
33 de cruautés ; mais préfentenïent on voyoit ré-
33 gner une infenfibilité & une fécurité dénatu-
» rée : on ne vit pas mêmè négliger pour un feul
33 moment l'amour des plaifirs, comme fi cette
» confufion & ce carnage étoient arrivés à pro-
33 pos pour augmenter la gaieté de leurs fêtes ;
33 ils. fe •réjouiflbient, ils fe livroient à tous lés
» plaifirs, vivant dans une parfaite indifférence
» pour toüs les partis, & triomphant de la misère
33 publique ».
K k k k 2