
tage qui fe fait des richefles territoriales de Saint-
Domingue. La guerre ouvre une autre fcène.
Aufli-tôt que le lignai des hoftilités a été donné,
Fanglois s'empare de tous les parages de la colonie.
Il en gêne les exportations, il en gêne les
importations. C e qui veut entrer, ce qui veut
fortir, tombe dans les mains ; & le peu qui auroit
échappé dans le nouvel hémifphère eft intercepté
fur les côtes de l'ancien, où il eft également en
force. Alors, le négociant de la métropole interrompt
fes expéditions ; l’habitant de l ’ifle néglige
fes travaux. A des communications importantes
& rapides, fuccèdent une langueur & un défef-
poir , qui durent aufli long-temps que les divi-
uons des puiflances belligérantes.
I l en aurçit été autrement, fi les premiers fran-
çois , qui parurent à Saint - Domingue ^ avaient
Congé à établir des cultures. Ils auraient occupé,
comme ils le pouvoient, la partie de l'ifle. qui eft
fituée à l'eft. Elle a des plaines vaftes & fertiles.
L e rivage en eft fur. On entre dans i fes ports le
jour qu'on les découvre. Dès le jour qu'on en
fo r t , on les perd de vue. La route eft telle, que
l'ennemi n'y peut préparer aucune embufçade. Les
croifières n'y font pas faciles. Ses parages font à
l'abord des européens, &$les voyages fort abrégés.
Mais comme le projet de ces aventuriers fut
d ’attaquer les nayires efpagnols & d'infefter, les
çôtes du Mexique de leurs brigandages, les pof-
feflions qu’ils occupèrent fur une côte tortueufe,
fe trouvèrent enveloppées par Cub a, la Jamaïque,
fes Turques ; par la Tortue , les Caïques , le
Gouave, les ifles Lucayes, par une foule de bancs
& de rochers, qui rendent la marche dés bâti—
mens lente & incertaine ; par des mets refîerrées,
qui donnent néçeflairement un grand avantage à
l'ennemi pour aborder , bloquer & croifer.
La cour de Verfailles ne parviendra jamais ;à
maintenir, pendant la guerre, des liaifons fuivies
avec fa colonie, que par le moyen de quelques
vaiffeaux de ligne au fud & à. l'Oueft, & d'une
bonne efeadre au nord. La nature1 y a c r é é , au
Fort-Dauphm , un port vafte ; fût y commode ; &
d ’une défenfe aifée. De cètte rade, fituée au veht
de tous les autres établiflemens,. il fera facile d’eji
protéger les différens parages. Mais il faut réparer
& augmenter les ouvrages de Ta place ; il ÿ
faut fur - tout former un arfénal convenable de
marine. A lo r s , aflurés d’un afyle & de tous’ leà
fecours néceflaires, après un, combat heureux ou
malheureux, les amiraux frànçois ne craindront
plus de fe mefurer avec les ennemis de leur
patrie.
La partie de Saint-Domingue , occupée par les
frànçois, peut être attaquée par les efpagnols qui
en pofsèdent l’autre partie.
Les mefures qu'il conviendrait de prendre,
pour prévenir les ravages qu’il fèroit poffible aux
efpagnols de commettre'dans l’intérieur de Saint-
Domingue , méritent aufli quelque attention,
Les efpagnols , qui occupent encore les deux
tiers de cette iflé y la pofledoient toute entière*
îorfqu’ un peu. avant le milieu du dernier fiècle ,
quelques frànçois, hardis & entrepténans, allèrent
y chercher un . refuge contre les loix ou contre
la misère. On Voulut les repoufler ; & , quoiqu’ils
n’euflent d’autre appui que leur courage, ils ne craignirent
pas de foutenir la guerre contre un peuple,
armé fous une autorité régulièré. Ils furént avoué«
de' leür nation, lorfqu’on les crut aflez forts1 poli r
fë maintenir dans leurs ufurpations , & on leu.r
envoya un chef:; Le brave homme, qui fut choiifî
pour commander le premier à ces braves aventuriers,
fe pénétra de leur efprit au point de pro-
pofer à fa cour la conquête déTifle etitière. Il
tépondoit fur fa tête du fuccès de cette oentre-
p fife , pourvu qu’on lui envoyât une efeadre af-
fez forte pour bloquer le port de la capitale.
Pour avoir négligé un projet d’ une exécution
plus fûre & plus facile qu’elle ne le pavoiflfoit dé
lo in, le miniftère de Verfailles laifla fe,s fujets ex-
pofés à des attaqués continuelles. C e fi’eft pas
qu’on ne les repoïiflat çonftamment avec fuccès ,
qu’on ne portât même la défôlâtion fur le territoire
ennemi; mais Ces hqftilités nourritâfoient, dans
l’ame des nouveaux colons, l’amour du brigandage
pelles les détournoiènt des travaux utiles &
arrêtoient les progrès de la culture, qui doit être
le but de toute fociété bien dirigée.
La faute qu’a voit faite la France , en fe refu-
fant à l’acquifition de l’ ifle entière, Texpofa au
péril de perdre ce qu’ elle y pofledoit. Pendant
que cette couronne étoit occupée à foutenir la
guerre de 1688 contre toute l’Europe, les efpagnols
& les angloisy qui craignoient également de
la voir folidement établie à Saint-Domingue, unirent
leurs forces pour l’en chafler. Le début de
leurs opérations leur faifoit efpérer un fucçès complet
, lorfqu’ils fe brouillèrent -d’une manière irréconciliable.
Ducafle, qui conduifoit la colonie avec
de grands talens & beaucoup de gloire, profita
de leur divifîon pour les attaquer, fucceflivement.
D ’abord il infulta la Jamaïque, où tout fut mis
à feu & â fang. De-là fes armes alloient fe tourner
contre San-Domingo, dont il étoit comme
alluré de fe rendre maître, lprfque les ordres de
fa,cour arrêtèrent cette expédition.
La maifon de Bourbon monta fur le trône d’Ef-
pagne, & la nation ft’ïftçoife perdit l’efpérance
de conquérir Saint - Domingue. Les hoftilités que
les traités d'Aix-la-Chapelle, de Nimegue & de
Rifwick n’y avoient pas même fufpendues,- cef-
fèrçnt enfin entre deux peuples qui ne pouvoient
s’aimer. Celui qui avoit établi des. cultures, tira
quelque avantage de ce rapprochement. Depuis
un temps, fes efclaves prôfitoient des divifions
nationales pourbrifêr leurs chaînes, & Fe retirer
dans un-territoire où:ils trouvaient la liberté fans
travail. Cette défertion. fut rallentie * par l’obligation
que contra&èrént les efpagnols , de ramener
les transfuges à leurs voifins pour la fomme
de 2(0 Uv. par tête. Quoique la convention ne
fût pas trop exaâement obfervée, elle devint un
frein puiflant jufqu’aux brouilleries qui divifèrent
les deux nations en 1718. A cette époque, les
nègres quittèrent en roule leurs atteliers. Cette
perte fit revivre , dans l’ame des frànçois, le projet
de chafler entièrement de l’ ifle, des voifins
prefque aufli dangereux par leur indolence même ,
què d’autres l’àuroient #té par leur inquiétude.
La guerre ne dura pas aflez long-temps pour amener
cette révolution. A la fin des troubles, Philippe
V ordonna de' reftituer tout ce qu’on pour*
roit ramaffer d’efclaves fugitifs. On les avoit embarqués
pour les conduire à leurs anciens maîtres j
lorfqueTe peuple foulevé les remit en liberté. Les
nègres s’enfoncèrent, dit-on, dans des montagnes
inacceflibles, où ils fe font multipliés au point
d’offrir un afyle afluré à tous les efclaves qui peuvent
les y aller jàindre. C ’eft-là que , grâces à la
cruauté des nations civilifées, ils deviennent libres
& féroces comme des tigres, dans l’attente
peut-être d’un chef & <Fun conquérant qui vengé
les maux que fouffrë leur malheureufe race.
Les cqmbinaifqns àéluèliès de la politique n’ordonnent
pas que l'Efpàgne & la France fe.faffent
la guerre. Si quelque év'é'ôefhent' mettôit lés deux
nations .aux prifes, malgré lé pâété des couronnes,
ce ferait vraiferhblablemènt un feu paflager.qui ne
donneroit ni le loifir, ni leJ projet de faire des
conquêtes ^.qü’qn '.ferôjt. oblige de réftituér. Les
entreprîfes , dé part & d^autre , fe rédulroient
donc à dés ravages. Mais alors là nation qui ne
cultive pas , du moins à Saint-Domingue , fe trou-
teroit redoutable , par fa’ ;mifèré même , a celle
dont là culture a foifdes progrès. Un gouverneur
çaftillan fentoit fi bien l’avantagé que lui d'ônnoient
l’indolence & la pauvreté- des .fiéns 3' qu’il écrivit
au commandant frànçois quë , $Jil ' le forçoit à une
invafiori , il détruiroit plus dans une lieue , qu’on
ne le pourroit faire en dévaftant tout le pays fournis
à fé.s ordres.'
Cette pofition démontre que , fi l’Europe vo-
yoit commencer les hoftilités entre les deux peuples
, le plus aétif devrort demander la neutralité
pour cette ille. Il auroit dû même, d it-on fou-
vent, folliciter, la ceflîon1 abfolue d’un territoire
inutile ou onéreux à fon pofleffeur. Nous ignorons
fi la cour de1 Verfailles a jamais manifefté cette
ambition. Mais on peut fuppofer le miniftère espagnol
très^éloigné de 'éette complâifance-, puif-
qu’ il s’eft montré fi difficile fut la fixation des
limites confufes - & incertaines des deux nations.
C e traité vivement defiré^,) long-temps projette ;
entamé mêmé à plufiéùrs teprifès, a été enfin conclu
en 1776... |
S E C T I O N V I If.
Remarques fur la démarcation des limites , entre la
partie franpoife G' la partie efpagnole de Saint-
Domingue.
Quelle devoit être la bafe d’une négociation jufte
& raifonnable ? L ’état des pofleflions en 1700. A
cette epoque , les deux peuples, devenus amis y
relièrent de droit les maîtres de tous les terrains
qu’ils occupoient. Les ufurpations que peuvent
avoir faites depuis les fujets d’ une des couronnes,
font des entreprifes de particulier à particulier*
Pour avoir été tolérées, elles n’ont pas été légn
timées. Aucune convention dire&e ou indire&e ne
leur a imprimé le fceau de l’approbation publique.
O r , des faits inconteftables prouvent qu’ au
commencement du fiècle, & même plusieurs années
auparavant, les pofleflions françoifes, aujourd’hui
bornées au nord par une branche de la
rivière du Maflacre, s’étendoient jufqu’à celle de
Reboue ; qu’au fud ces limites, actuellement arrêtées,
à-l'Anfe-à-Pitre, fe prolongeoient jufqu’ à la
rivière de Neybe. Cette fürprenante révolution
s’opéra par une fuite naturelle du fyftême écono^
mique des deux peuples voifins. L ’ un , devenu de
plus en plus agricole, fe rapprocha des ports od
fes denrées .dévoient trouver un débit fûr & avantageux.
L ’autre, relié toujours pafteur, occupa
les plages abandonnées, poùr élever de plus nombreux
troupeaux. Par ta nature des chofes , les
pâturages fe font rétrécis, du moins rapprochés.
Une négociation- convenablement dirigée auroit
rétabli la France dans la fituation où elle étoit ,
lorfqu’ elle donna un roi aux efpagnols. C ’étoitle
voeu de la juftice ; c’étoit le voeu de. la raifon ,
qui ne’.vouloir pas que des côlons aCtifs, & qui
rendent utile la terre qu’ ils fécondent, fufleht
immolés à un petit nombre de vagabonds qui con-
fomment fans réproduire. Cependant, par une
politique dont les reflbrts' nous font inconnus, la
cour de Verfailles a renoncé à ce qu’elle avoit pof-
fédé anciennement, pour fe réduire à ce qu’elle
pofledoit aux bords de la mer, à l’époque de la
convention. Mais cette puiflance a-t-elle du moins
regagné, dans l’intérieur des terres, ce qu’elle
facrifioit fur la côte ? S’ il faut le dire , le moindre
dédommagement ne lui a pas été accordé.
Avant le traité, la colonie françoife formoit une
efpèce de croiflant, dont la convexité produifoit
autour des montagnes uti développement dé deux
cents cinquante lieues de côte au nord, à l’oueft ,
au fud de l’ifle. C ’eft le même ordre des chôfes ,
depuis que les limites ont été réglées. On reviendra
un peu plu tôt, uù peu plus tard fur cet arrangement
, par une raifon qui doit faire tairé
toutes lés autres cônfidéràtioris.
Les établiflèmens frànçois de I’oueft & du fud