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vu de ces malheureux ; j’ ai trop de fois mis la
main fur leurs plaies, pour ne pas pouvoir affirmer
que le feul moyen de diminuer le nombre des
ïamilles indigentes, & leur faire quitter le vil
métier de mendiantes , quand elles ne font pas
entièrement corrompues , conlifte à leur rendre
l’honneur, à leur faire la charité & non l'aumône
, & enfin à les remettre à-peu-près au point
où elles étoient , quand elles ont commencé à
mendier. J’imaginerais, pour remplir ce b u t, dix
à douza hofpices que je placerais en Champagne
, en Lorraine, dans la Sologne, le Berry,
en Corfe , & généralement dans les provinces où
il y a des terres incultes ; j’ étendrois même ces
hofpices jufqu’en Afrique, où l’on trouve une fub-
fiftance aifée & abondante dans certains cantons; l’ art
de fonder des colonies.eft un art qui nous^manque;
le gouvernement à ce fujet ne connoît encore
que des fautes & des malheurs..
Toutes les années, au mois-de février, on choi-
firoit dans les dépôts les ménages fur lefquels on'
auroit des renfeignemens fùrs , & on les conduirait
dans les hofpices qui leur féroient deftinés : on
fent bien qu'oit ne doit porter, dans ce genre
d’habitations, que des gens mariés & ayant des
enfans; il y auroit trop de danger à placer ainfi
des vagabonds qu’ on ne peut attacher à aucun
fol.
Je ne ferais fortir, par année , du diltriâ: d’un
dépit principal qù’ehviron vingt à vingt-cinq ménages
; ce qui ferait pour le royaume environ cent
vingt-cinq ménages par an rendus à la culture. Un /
feul homme, pour payer dans la route les frais
de gîte , conduirait à pied ces émigrans ; il~y aurait
quelques précautions à prendre pour faire qb-
ferver une police, exàéfe. En arrivant,' les nouveaux
colons féroient préfentèsau chef de l’hofpicei &
enfuite placés fous une tente au milieu de la portion
de terrain qui leur ferait affignée. Le premier
travail confifteroit à défricher, le'plus qu’ il
ferait poffible , & à raffembler les matériaux les
plus communs pour bâtir une hure, conformément
au focal & aux proportions qui'feraient
fixées :. on feroit aidé, dans cette opération , par
les premiers colons qui ne féroient plus à la charge
du roi.
Chaque ménage recevrait, pendant la première
année, pour deux chefs & un enfant, & ainfi proportionnellement,
quatre livres de pain par jour,
& en argent cinq liv. cinq fols par mois. ; favoir,
3 liv. pour le chef,, i liv. l a fols pour la femme.,
& i f fols pour un enfant. Cette femme ferviroi't
à acheter, des anciens colons , les légumes & le
fel -pour faire la foupe. La fecphde année, il ne
feroit plus délivré que trois livres de pain & 3 I.
par mois; enfin la troifième & dernière année, il
ne ferait plus donné d’argent : on ajouterait à
cette dépenfe , celle de quelques outils & d’un
habit complet de toile par année. La quatrième
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année , il ne feroit plus rien fourni aux colons; j
mais il leur feroit paffé un contrat pour leur adjuger
en propriété le terrain qu ils auroient défriché.
Chaque hofpice dépenferoit, la première année
y environ 14000 liv. > la fécondé 10410 liv. j
la troifième 8610 liv. Les douze hofpices coûteraient
donc enfemble, pendant trois ans , 3 96^41.5
mais le gouvernement 3 à cette epoque, auroit acquis
fix cents chefs de famille & des enfans : fi
depuis la profeription de la mendicité * en 1764,
on avoit fuivi c e ’ plan, il y auroit aujourd'hui
dans le royaume deux mille quatre cens proprie- j
taires de plus, des terrains incultes en valeur & |
une malfe de population qu'on ne peut apprécier..
J'ajouterai encore une obfervation : les grands propriétaires
fe multiplient & abforbent toutes les
propriétés, fource de la misere & de j la mendicité.
J'ai fournis au calcul plufieurs villages que
j'étois à portée de connoître, & j ai reconnu que
toutes les propriétés, au - deffous de la valeur de
400 liv. j font diminuées d'un cinquième depuis
dix ans. Si cette progreifion effrayante a lieu „ dans
un fiècle il n'y aura plus, dans les campagnes,
que des poffeffèurs de vaftes domaines > & , au. lieu
de peuple, de malheureux journaliers.
Je ne détaillerai pas davantage ce projet d'hof-
pice ; les circonftances , le local admettent des différences
auxquelles il eft aifé de fuppleer. Cette
idée feroit facilement développée > fi 1 on pouvoit
efpérer de la faire réuffîr, je ne fais par quelle fatalité
la capitale renferme des établiflemens^qui fe.*-
/conderoient dés provinces entières 5 il n'y a pas
une feule bonne raifon à donner, pour fixer a. Paris
la Salpêtrière, Bicêtre, la Pitié , &c. ; mais c efl-
là que fe trouvent les intriguans qui s emparent
de l'efprit des plus honnêtes adminiftrateurs , auxquels
on perfuâde qu'ils font le plus grand bien
poflible , parce qü'ils le défirent.
Après avoir confédéré’ les dépôts fous un point
de vue général, il convient de donner les détails
néceffàires pour conduire les individus^de ces fortes
de marfons. Le régime, qui doit etr'e tout-a-
fait différënt de celui des hôpitaux, a befoin d'etre
plus févêre , & le refîbrt qui contient tant d'êtres,
d'âge, de fexe & de moeurs différens g a befoin
de la main d'un feul homme’doux mais ferme:
c'eft ici que le moral de l'infpe&eur particulier
influera néceffàirement fur ceux qui font confies a
fes foins : if doit être bien né,, aifé-, s'il eft pof-
fible , mais' fur-tout avide de la confidération publique.
G ’eft pour cetté raifon que je defîrerqis
que plufieurs chevaliers de S. Louis fe^liviaffent a
ce genre d'adraïniftration , qui doit être tourne
vers, la forme militaire : on pourroit leur apprendre
à connoître le peuple , non avec les livres où l'on
.ne trouve prefque jamais ce qu'il faut favoir, mais
avec une efpècede noviciat d'une année au moins,
paffé dans uh dépôt principal.
Tout ce que l'on, ya ajouter fur F a dminiftration
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lîntérieure des dépôts > fera pris en1 partie dans les
■ différens comptes de celui de Soinons ; quelques
|détails fur le régime que l'on y a adopte, feryi- I ront à faire connoître la marche que 1 on a fuivie
pour ne pas s'écarter d'un plan fimple, qui ne K rappelle que des idées d'ordre, de juftice & de
ifévérité.' ; ,
| On a d'abord établi pour principe que le tra-
gvail feul feroit la récompenfe de l'homme mal-
Iheureux, & la punition du fainéant 5 c'eft fous ce
[I double rapport qu'on a envifagé le dépôt de men-
Édicité de Soiftons, & tout le fecret de cette nou-
| velle. adminiftration confifte à ne rien épargner
j pour donner au fainéant de la fante, & faire nai- .
Btre en lui le defîr du travail, feul patrimoine de■■■ ;
l'homme obfcur & malheureux. On a établi, dans
s l'intérieur de la maifon , deux atteliers ou l'on
polit des glaces que l'on tire de Saint-Gobin, &
| des métiers où l'on fabrique des toiles- communes 8 de différentes efpèces : les femmes font employées
a la filature du chanvre & aux travaux relatifs à
,i-jeur fexe $ il eût été injufte & contre tout ordre
• de biffer croupir le mendiant ou l'homme danger
e u x dans l'inaétion : tous ont trouvé, dansTa-
fyle qui leur étoit deftiné, un travail fuivi , des
confolations & du pain } mais ils n'ont rien trouvé
âau - delà qui ne fût le produit d'un travail affidu.
'üDe la fubjiftance & du vêtement des individus du
-, dépôt de Soijfons.
r Une livre & demie de pain, compofée de deux
« tie r s de froment & d'un tiers-de feigle, de la
! 'foupe fournie de légumes fuivant la faifon, voilà
l i a feule fubfîftance que l 'adminiftration accorde
■ aux renfermés : on a entièrement fupprimé les ra-
■ ti°ns dé pois , de fèves ou de viande, qu'on eft
I I dans l'ufage de diftribuer dans les autres dépôts ;
U outre que ces alimens font de médiocre qualité ,
le renfermé s'accoutume à cette demi-fubfiftance,
! qui, à la longue , altère fa fanté & favorife fa
| pareffe j car l'oifiveté fe contente de peu : ce n'eft
| ni par les châtintens & les privations qu'on a at-
« ta q u é la fainéantife, mais par la faim ou le befoin
de vivre : c'eft ce befoin impérieux qui dompte le
f§ lion & foumet l'homme dans tous les états. En 1§ fuivant ce principe à la rigueur, il a fallu cepen-
' il dant être jufte, & ne pas laiffer un feul inftant 1 manquer d'ouvrage l'individu qu'on force de fe
| nourrir par fon travail : ©11 expliquera ailleurs quels 1 moyens on a employés pour tenir, autant qu'on
I le peut, en activité tous les renfermés valides.
[ Il a fallu prévoir encore que l'homme qui tra-
[:j vaille, a befoin d'une nourriture plus abondante
■ que celui qui refte dans l'inaétibn : on a établi en
3 conféquence, dans l'intérieur de la maifon , une 1 cantine où l'on vend des légumes , du fruit, de
■ la viande & du pain : on y diftribue également
| du vin, & fur-tout delà demi-bierre faite exprès;
i elle ne coûte que deux fols fix deniers la bouteille 1
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cette boiffon faine & rafraichiffante eft d’un grand
fecours dans les chaleurs exceffives de l ’ete : on
a cru devoir fupprimer toute vente d'eau-de-vie,
comme inutile & fôuvent dangereüfè^
Quoique l'on ait fixé le ptix des differentes denrées
qui fe vendent dans le dépôt, le cantinier
fait fur cette vente un bénéfice qui le dédommagé
de fes peines. Pour reftreindre cependant ce bénéfice
, autant que la juftice le permet, on a oblige
le cantinier à fournir gratuitement, deux fois la
femaine, aux fous & aux folles qui ne travaillent
pas, quinze rations de fromage , de legumes ou
de viande : cette diftribution fe fait en prefence
d'un employé libre. Par cet arrangement fimple ,
on voit que ce font réellement les travailleurs qui
foulagent les fous : ce point de vue a l'avantage
de faire difparoître , aux yeux des renfermés,
toute idée de gain fait au profit de 1 adminiftration
, qu'il faut toujours confidérer comme bien-
faifante & charitable.
Le vêtement pour les hommes & pour les femmes
eft de treillis, ou de groffes toiles fabriquées
dans la maifon ; les bas font de fil, & tricotes par
les femmes du dépôt : on ne fournit de fabots
qu'aux fous > aux enfans & aux infirmes. On ne
fait aucun ufage d'habits de laine ; ils coûtent
chers, & ne peuvent être laves fans fe détériorer
: les renfermés , en général, ont ; bien plus
befoin de propreté que de chaleur; j'ignore par
quelle raifon on emploie des étoffes de laine dans
les dépôts , au-lieu de groffe toile , qui étant doublée
a l'avantage d'être propre & facile à entretenir.
On joint ici le prix d'un vêtement complet-
d'homme & de femme ': ces détails font nécef-
faires pour ceux qui veulent que tout foit calculé
: il faut cependant obferver que le treillis,
fabriqué dans la maifon, ne revient qu'à vingt-
cinq fols l'aune ; il peut en coûter trente & trente-
cinq chez le marchand , fuivant le dégre de fi-
neffe.
Vêtement d'homme.
Vefte , deux aunes.................................. z 10
Toile pour poches , un tiers.............. • 6 8
Bord , fil , boutons ........................... 7 6
Culotte ................................ ............... « y 1 l7 6
T oile poùr 'les, genoux, & c -----. . . . j
Bandelettes pour jarretières.................. 2
Bonnet, un quart.. . . ............................ 6
Bord rouge, fil, & c .............................. 3
Gile t'................................ 1 j
Toile pour poches, & c . .................. y
Fil & boutons........................... 3
Façon de v e fte .. ................ ................. 2 6
Gilet . • . • .................................................. 1 6
Culotte y . , . .............. 1 6
Bonnet.............................................. . . . . 1
T o t a l , envirop 8 liv»
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