
I l vous fera facile déjuger pourquoi nous avons
changé le premier article , fi vous vous rappeliez
le motif qui nous engagea à former une fociété
d'amis. Unis par les liens de la plus étroite amitié
dans les différentes révolutions d'une guerre
que toutes les circonllances ont rendue mémo-
sable , nous avons en le bonheur de remplir l'objet
- pour lequel nous avions pris les armes j & lorf-
qu’il a fallu nous féparer au moment du triomphe
, lorfque nous femmes arrivés à la dernière
fcène de notre drame militaire , dont le dénouement
étoit un fujet d'allègrefïe , puifque notre
patrie jouiflbit de l'indépèndance 8c de la paix 3
mais d'affliôtion , puifque nous allions nous réparer,
& peut-être pour ne nous revoir jamais-;
dans un moment où nous étions pénétrés de regrets
plus aifés à concevoir qu'à décrire , où
chacun de nous fe rappelloit les traits de la bienveillance
& de la fenfibilité de fes camarades,
il étoit impoffible de ne pas chercher les moyens
de prolonger une amitié fi douce & fi néceffaire
à nos coeurs attendris, & il étoit naturel de de-
firer qu'elle fe perpétuât parmi nos enfans juf-
qu'aux fiècles les plus reculés. Tels étoiènt ,
nous l'avouerons, nos- fentimens & nos idées,
lorfque nous avons figné rû.flitution, Nos motifs
étoient irréprochables .mais plufieürsde nôs compatriotes
craignant qu'il ne s'établit Une ligne de .
réparation entre nos defcendans & les autres citoyens
, bien éloignés nous - mêmes de vouloir
créer des diflinéfcions inutiles & dangereufes ,
nous n'héfitons point à tout facrifier, excepté :
l'amitié que nous infpireront toujours nos camarades
8c les a êtes de bienfaifance qui doivent en
être l'effet. C'eft avec la même pureté d'intention
que nous avons propofé de -faire ufage de ■
notre influence collective pour défendre le g ou- I
vernement, & confirmer cette union fédérative
pour laquelle nous avons combattu. Mais inftruits ;
qu'on nous jugeoit trop officieux , 8c que notre
-zèle paroi fl oit déplacé , & que fi -on ne nous
accufoit pas directement de former des de (feins j
dangereux , on nous reprochoit de' nous arroger :
-le droit de défendre les libertés de notre patrie, \
nous ne pouvions , quelqu'injultes que nous fem
blaffent ces reproches, nous oppofer à l'opinion
.générale de nos concitoyens , ou affliger ceux dont
fil étoit de notre intérêt & de notre devoir d'a- ;
vancer le bonheur; »
« Quantaux vues charitables qui fervent de,
bafe à notre inftitution, en remettant vos fonds
à la légiflature de votre 'état, pour qu'elle veille
à leur jufte emploi;, vous prouverez l'intégrité
de vos actions & la droiture de vos principes.
Les provinces convaincues de l'innocence & de
la générofité de nos intentions, protégeront faris
doute un dèffein qu'elles doivent approuver, &
nous croyons qu'elles donneront dés encouragë-
mens aux heureufes difpofitioris où vous êtes d'adopter
les moyens les plus efficaces & les plus
furs pour fecourir les infirmes, & il y a lieu d’ef-
pérer qu'elles nous accorderont des Chartres. »
cc Vous aurez fans doute remarqué,JVieflieurs*
que les feuls jobjets dont nous defirons de con-
ferver le fouvenir ne peuvent déplaire à nos
concitoyens ou nuire à leur poftérité : nous
avons donc gardé les devifes qui nous indiquent
de'quelle manière nous devons rentrer dans l'état
de citoyeirs ; nous les avons gardées j non comme
des marques d'une diftin&iôn orgueilleufe, mais
comme des gages de notre amitié, & comme des
emblèmes qui nous empêcheront de nous éloigner
du fentier de la vertu. Il eft à propos de
rappeiler k i* |u e ces décorations font réputées
des gages précieux d'amitié ,• & révérés par ceux
de nos alliés qui les ont mérités, en contribuant à
notre indépendance ; que ces fra.nçois diltingués
par leur n ai fiance ou par leur mérite ont obtenu
fur ce projet l'agrément de leur fouverain, 8c
qu'enfin ce monarque illufirextegardé notre afio-
ciation fraternelle comme un lien propre à ref-
ferer de plus en plus l'harmonie & la réciprocité
de bons offices qui régnent déjà fi heureufement
entre les deux nations. » ■
« Après avoir ainfi réfor-mé tout ce qu'on a criti?
qué dans notre inftitution, fans rien perdre cependant
de l'ëftîmè que nous nous flattons d'obtenir
de nos contemporains & des générations futures >
après avoir fatisfait à tout ce qu'on pouvoit demander
à une afiociation qui doit fe perpétuer
entre nous jufqu'à notre dernier foupir, & après
avoir établi fur un fondement durable & folide
les projets de bienfaifance qui nous occupent ;
il ne nous relie plus qu'à vous parler des deux
bâfes-de notre établiffement, Y amitié & la charité
3 & à-invoquer votre libéralité , votre ••oa-
triotifme & votre générofité. Comptant fli?1 la
juftice 8c l'intégrité du public , nous penfons qu'il
jugera fatisfaifantes les réformes & les modifications
que nous venons d'établir, & nous efpé-
rons que la puiffance légiflative de chaque province
paffera bientôt des aétes qui donneront de
la fiabilité à notre inftitution. «
« Permettez-nous d'obferver enfin que pro-
fefiant Y amitié & la charité, chacun de nous doit
remplir avec zèle ces devoirs de notre affocia-
tion , confoler & fecourir ceux de nos infortunés
compagnons qui ont vu luire pour eux des jours
plus heureux, 8c qui ont mérité un meilleur fort;
efîuyer les larmes des veuves q u i, fans notre charitable
inftitution, fe feroiént trouvées réduites à
la mifère , ainfi que leurs enfans; foutenir les orphelins
des deux fexes; fouftraire d'innocentes
filles a Ja corruption, encourager les fils à fuivre
les traces d'un père vertueux. Le bonheur des
infortunés que nous aurons fecourus fera le nôtre
; cette idée charmera nos douleurs, & convoiera
nos derniers inomens. Suivons donc les
nobles projets que nous diète la bonté ; que
nos actions attellent toujours la pureté de
nos vues, 8c laifibns pour précepte à nos defcen-||j
dans que la gloire des guerriers n'eft pas complette,
s'ils ne faventaufli remplir les devoirs de citoyens.»
Tel eft- le langage féduifant que prit le comité
des Cincinnati. Nous ne chercherons pas à développer
les faux principes & les erreurs que
contient cette lettre. Nous demanderons feule-
ment comment l'afibciation a pu vanter fps Sacrifices
avecemphafe, puisqu'elle con fer voit l'aigle
& le ruban , 8c qu'alors ; elle, comptoit les
porter ? comment a-t-on pu dire que .les diverfes
provinces confirmeroient fans doute 1 afiociation
par des Chartres, puifque la confervation des
aigles de voit toujours exciter les murmures des
citoyens ? Nous observerons enfin que ne panant
pas à des enfans , il eft fingulier qu'on ait donne
pour la principale des raifon-s qui ont détermine
à garder les aigles, ces devifes qui doivent maintenir
les Cincinnati dans les ƒentiers de la vertu. ^
Cette apologie eft fufceptible de beaucoup d'autres
objections : mais nous nous hâtons d'examiner
les inconvéniens qui peuvent réfulter de l'afio-
ciation des Cincinnati 3 malgré la réforme des, premiers
ftatuts.
i°. Les aflemblées generales auront lieu tous
les trois ans. Ces aflemblées tiendront les officiers
formés en corps ; elles perpétueront la diftinétion
entre l'ordre civil & l'ordre militaire , 8c il eft
néceffaire pour le bonheur des Etats-Unis, d’en
effacer la trace, le plutôt qu'il fera pofliblê. Les
aflemblées militaires , non - feulement exciteront
la jaloufie & les craintes du gouvernement
civil, mais elles rendront cette jaloufie 8c ces
craintes bien fondées ; car lorfque les hommes fe
raffemblent, s'ils n'ont point d affaires , ils en
imaginent. Les Cincinnati s'entretiendront de leurs
griefs , réels ou imaginaires ; ils les peindront avec
la chaleur & l'exagération qu'infpirent toujours la
vanité & l'intérêt pèrfonnel ; ils fe communiqueront
leur mécontentement, & ces étincelles peuvent
produire un incendie qui confumera leur
bienfaifance de cet heureux fol & • de ce climat fa-
vorable , qui pourvoiront aux befoins des defcendans
bonheur individuel & le bonheur général.
2°. La partie charitable de l'inftitution aura efte-
même des fuites funeftes. D'abord elle perpétue
les dangers dont nous venons de parler i car enfin
les Cincinnati, ont établi des fonds, pour fecourir
ceux d'entr’eux qui fe trouveront dans' le befoin.
A qui appartiendront ces fonds ? S'ils appartiennent.
aux defcendans des membres aèluels de la
fociété, ces defcendans formeront une clafle particulière
; ils auront un intérêt affez puiffant pour
maintenir leurs prérogatives, pour continuer les
aflemblées ; & dans un moment où la vigilance de
l'adminifirationfommeillera, où la fermete de leurs
concitoyens fe relâchera, peut-être pour replacer
l’aigle fur leur poitrine, 8c ranimer toutes les prétentions
de la fociété. Eft-il des aétes de charité
particulière , qui puiflent l'emporter fur de fem-
blables abus ? Dira-t-on que les Cincinnati cherchent
à garantir leurs defcendans du befoin ? 8c
.pourquoi donc craignent-ils de les confier à la
de leurs autres concitoyens ? Craignent - ils.
de les voit réduits à labourer la terre . pour leur
fubiillance ? S'ils labourent la terre , ils feront plus
honnêtes & plus heureux. Un induftrieux fermier
occupe , dans Tordre! moral & dans Tordre: politique
, un rang plus refpeétable que le lâche fainéant
trop enorgueilli de fa famille pour travailler^
8c fe dévouant par goût à traîner une mi-
férable exiftence , & à confommer ce furplus de
travail des autres hommes, qui eft le fonds facre
du pauvre que fes infirmités condamnent à l’inaction,
Une chétive penfion les empêchera feulement
de développer cette induftçie & ces talens, qui
les conduiroient. à une meilleure fortune.
3°. L ’habitude des camps & de la guette détruit
les fentimens & les idées qui font les bons
citoyens. 11 faut de la fubordination dans les armées
d’ üne république, comme dans celles d’une
monarchie, & tout ce gui afpire à l’égalité, y eft
crimineh On n’y connoît plus que la loi martiale
& la loi du plus fort ; & lorfqu’ à. la paix les
officiers fe retrouvent au niveau des foldats, cette
dégradation eft trop contraire au naturel de l’homme
j pour ne pas exciter de l’humeur : il eft néceffaire
de proferire tout ce qui peut entretenir
cette humeur, ou rappeiler ces époques d’une
autorité contraire aux loix civiles, où un citoyen
forçoit, d’ un feul mot, fes égaux à voler au carnage
& ,à la mort >. Sc Taffociation des Cincinnati
n'a-t-elle rien de dangereux fur ce point ?
4°. Si "on étudie Thiftoire des démocraties, depuis
celles de la Grèce jufqu'à celles que nous
voyons en Europe, on s’apperçoit que dans toutes
, fans exception , la prétention de former des •
claffes particulières dans Tordre civil, a perdu ou
diminué la liberté publique & fait le malheur des
citoyens;; & que:les Cincinnati portent leurs aigle
s,, ou qu’ ils ne les portent pas., leurs affem-
blées,& leurs fonds charitables ne feront-ils pas,
le germe d’ une’ claffe particulière de citoyens ?
N o n , les écrivains politiques eux - mêmes n'ont
jamais fuivi lés foiblês commencemens de ces inf-
titution.s qui ont fini par opprimer, des millions
d'hommes, pour fatisfaire les fantaifies & la cupidité
d'ün petit nombre de mortels; & d e to u -
, tes les.inftitutions, celles qui font favorifées par
des guerriers, s’ établiffent le plus imperceptiblement.
Lès familles bernoifes qui ont eu part à la
conquête du pays de Vau d , ont fini par s'emparer
du gouvernement, quoiqu'elles n'euffent établi
ni aflemblées , ni marque diftinffive , & on
ne peut être tranquille fur celles d'Amérique , qui
montreraient leurs aigles comme une preuve de
leurs droits-& de leurs fervices.
y°. En difant de quelle manière s’ eft formée Taffociation
des C in c in n a t i , nous avons rappellé les
intéreffans, motifs qui en ont infpiré le projet -;
nous nous fommes efforcés de conferver à ces motifs
ce qu'ils peuvent avoir de fenfible & d'aima*
E f f *