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cun connoiffe précifment ce qu'il peut fur les autres,
& ce que les autres peuvent fur lui, les conditions
fous lefquelles il jouit de fa propriété , 8c combien
il eft jufte 8c profitable que chacun foit le
maître paifible de la fiennej enfin quJil n'y a que;
!e calcul d’un faux intérêt qui ifole l’homme, &
quil^gagne à s'unir aux autres 8c à les fervir.
C 'e jl pour faire jouir chacun de fon droit que les
fociétés policées fe font formées, que les gouverne-'
mens fe font établis, & c’eft par l'obfervation des
devoirs que tout é ta t, que toute police fubfifte >
ainfi, de l’obfervation des devoirs & de la jouif-
fance des droits 3 naît la confervation & le bonheur
de l'homme, qui ne peut fubfifter fur la terre fans
cette harmonie.
Premiers droits & devoirs.
C e que le fentiment & la religion nous pref-
crivent de rendre à Dieu , la raifon & la juftice
ne l'ordonnent pas moins. Tout ce qui s'offre à
la vue ou tombe fous les fens, annonce la bien-
faifance & dépofe de l'autorité du maître delà
nature. Tout nous montre un fuprême ordonnateur
qui a donné le mouvement & la vie , qui a
préparé la fucceffion & pourvu à la reproduétion
des êtres, & q u i, malgré les irrégularités apparentes
de l’univers, entretient ce bel enfemble depuis
tant dç fiècles dans un fi grand accord, qu’il
eft toujours dans la jufte mefure qui convient à
toutes fes parties. Les tremblemens de terre, les
tempêtes, les inondations fi terribles aux individus
, fervent à l'ordre de l’enfemble, & ne vont
'point à l'extindion des efpèces j la guerre même
que l'homme ne celfe de faire à certains animaux,
plus cruelle pour eux que tous les fléaux phyfi-
ques, n’a pu en détruire aucune. Les tygres, les
lions & les loups fubfiftent > le grand ordre a pourvu
à tout.
Mais f i , par la volonté de cejui qui a tout fait,
chaaue efpèce a droit à l’exiftence 8c à la perpétuité
> fi l’homme pourvu de plus grandes qualités
& d’un eforit qui lui foumet en quelque forte
toutes les forces de la nature, eft par cela même
obligé à de plus grands devoirs 3 il trouve aufli
de plus grands droits dans cet ordre irréfiftible.
Comme créature intelligente 8c raifonnable, il
contra&e en venant au monde, un devoir d’adoration,
d'amour & de reconnoiffance envers l'auteur
de la nature & du grand ordre j un ûfevozVd’obéifTa.nce
à cet ordre univerlel, fuprême & facré, quelque
impulfion que puilfe nous donner notre intérêt,-
toujours pervers, quand il contrarie la loi de l'ordre
j enfin un devoir de réfignation abfojue à ce que
ordonne cette lo i, de nous & de nos intérêts. Mais
dès-lors l'homme a droit à la vie que Dieu lui a
donnée, pour en jouir, fous fa volonté., le plus
& le mieux qu’ il peut, fauf le droit des autres.
Ï1 trouve,. dans le grand ordre des chofes , la
bafe de fon droit3 la loi qui lui alfigne fa part à
D r o.
la fubfiftançe, a la liberté, à la fûreté 8c à la»
propriété.
, La vie ne feroit qu'un préfent illufoire, fi nous
n avions un droit permanent à la fubfiftançe $ elle
offriroit dans la nature une contrariété iunefte ,
puifque nous fommes forcés de pourvoir à nos be-
foins, fous peine de fouffrance 8c de mort. A ufli.
cette néceffité impérieufe donne d’abord à l’homme
le droit de fe procurer les chofes propres à le
nourrir j car le grand voeu de la nature étant l'e x il
tence 8c la fucceflion des êtres, elle agiroit évidemment
contre fon voe u , fi l'homme n’avoit pas
ce droit 5 8c 3 pour qu’il en faffe un ufage convenable
, il faut non-feulement qu’il jouiffe de la
liberté de fa perfonne , fans quoi n’ayant pas droit
à lui-même, il n’auroit droit à rien, il ratit encore
que les chofes qu’il fe procure par la recherche
& le travail lui appartiennent en propre >
finon par la négation de ces deux propriétés mobilière
& immobilière, fon droit à la fubfiftançe
devient encore nul 3 8c l’homme ceffe d'exifter. Ses
prétentions à cet égard font donc fondées fur la
juftice par effence, 8c elles n’auroient de bornes
que l’infuffifance de l’homme , fans la propriété
des autres que la loi naturelle & Ja raifon lui apprennent
à refpe&er, pour ne pas donner de motifs
d’attenter à la fienne. Tels font les premiers
droits de l’homme confignés dans le grand livre de
la nature , auquel il faut toujours avoir recours
pour trouver 1er principes de toute loi 8c de
toute juftice.
Droits & devoirs de Vhomme dans la fociété
policée.
C ’eft à la fociété bien ordonnée que l'homme
doit tout le bonheur dont il jouit fur la terre. Il
tient de Dieu fon exiftence & fes facultés $ mais il
trouve dans la fociété la fureté de fa perfonne ,
l’emploi de fes forces & de fon induftrie, le perfectionnement
de fes organes 8c I’ affurance de fes
biens. C'eft fous la protection du corps politique
dont il eft membre, qu'il vit tranquille a l’abri
de l’invafion du fort 8c des attentats du méchant.
C e font fes loix qui veillent autour de lui, & qui
défendent fes propriétés.
Sans l’inftitution fociale , le genre humain ne
feroit encore compofé que de peuplades miféra-
bles, les arts feroient ignorés, les douceurs de la
vie civile ne feroient pas connues, & l'homme ref-
teroit borné comme les animaux aux refîburces de
la recherche pour fa fubfiftançe. La fociété bien
ordonnée eft donc pour l’humanité le plus haut
point .de perfectibilité 8c de bien-être $ les droits
de chaque homme n'y ont pas été' feulement protégés,
ils s'y font accrus par la facilité de l’ufage.
Mais comme tout eft relatif dans le mopde, fes
devoirs v ont augmenté en proportion de fes
droits. Il eft libre de fa perfonne, maître abfôlu
d R o
de Tes biens 8c de fes richelfes r(i)* Il en a four
garant l'union confiante de toutes lés volontés &
le pouvoir de l’autorité tutélàirê, mais il doit ,
par cette raifon, regarder avec refçeCt la propriété
des autres, & , dans la vue meme de fon
intérêt, n’y donner jamais atteinte > il doit fournir
des fecours pour en mériter 8c déférer aux
loix 5 il doit enfin contribuer pour fa part, en raifon
de fa force 8c de fés revenus, aux ’dépenfes
fouveraines, qui bien dirigées n’ont pour but que
la proteClion, la défenfe 8c l ’amelioration des
propriétés particulières 8c de la chofe publique.
En effet, fi la fociété eft formée pour je bonheur
de tous fes membres, comme on n’en peut
douter, chacun y doit trouver l’extenfiort de fes
droits par le concours de tous , 8c chacun a le
plus. grand intérêt d’en affûter l'exercice à lui 8c
aux autres. D’ un autre côté, le fouverain n’ayant
de pouvoir que par la réunion de toutes les volontés
fociales èn fa perfonne, fon intérêt demande
qu'elles ne s'aliènent jamais de lui, & que
l’ordre qui maintient les propriétés ne fouffre aucune,
altération î d’où il fuit que les loix de la
fociété fuppofées les meilleures poflibles, le droit
naturel deT’homme doit y avoir la plus grande
étendue poffible.
Les droits du fouverain, réfîdent dans les devoirs ,
des fujets. C eux -c i, par un jufte retour , ont
leurs droits de citoyens établis fur les devoirs du
fouverain , & l’ affurance de ces droits fur fon autorité
, qui, femblable à celle dè Dieu, doit être
préfentè par-tout , pour furveiller 8c maintenir la
fureté publique , l’inftru&ion publique 8c le patrimoine
commun*
La fûreté’ publique bien établie fuppofe qu’ un
homme ne' doit pas être feulement à l’ abri dans
fa maison, au milieu de fa famille, de l'attentat 8c
de l'invafion des méchans; mais encore dans tous
les lieux de l'état où fes propriétés de toute efpèce
peuvent s’ étendre ou fe transporter ; ainfi les chemins
, les lieux écartés & les frontières, comme
les places publiques 8c les rues de la capitale ,
doivent être fous l ’oeil vigilant de l'autorité fou-
veraine.
Le devoir d’inftruire dont eft chargé le fouverain
, fait attendre de lui l’éducation publique ,
l’ênfeignement des droits & des1 devoir; , 8c la juftice
qui en eft le garant immuable. Il n’importe
pas moins au chef qu'aux fujets que cette inftruc-
i ion s’établiffe, fe maintienne, fe perpétue. L ’erreur
otfulque & trouble la raifon, caufe les maux
publics & les défordres moraux 8c politiques.
L ’inftru&ion feule , publique 8c continuelle peut
s’oppofer à l'erreur &: la détruire, en montrant
le vrai principe des chofes.
Il ne peut y avoir que des chefs injuftes qui
Veuillent abufer de la foibleffe humaine., & faire
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ligue avec l'ignorance pour perpétuer & augmenter
l'erreur1. Ils prohibent l'inftru&ion qui éclai-
reroit leurs injuftices, auffi l'ignorance eft partout
le partage des efclaves ; mais il eft dela dir
gnité 4® l’homme libre de jouir de 1 inftruélion»
Enfin les propriétés feroient comme nulles dans
une fociété, fi, on n'ayoit la facilité d’en jouir.
Elles deviennent agréables, elles profpèrent en
raifon de cette facilité. Tout ce qui peut fervir au
débouché, à la communication, au commerce, à là
circulation , donne un prix aux productions de la
terre, en fait des richeffes 8c augmente la forte
& la richeffe de l’ état. Ainfi la conftruétion 8c
l’entretien des chemins, des canaux, des ponts »
des quais, des ports, des rues ,, des marchés ,
des aqueducs , 8cc. fait une partie effentielle des
devoirs du fouverain, en tant qu’il veille 8c pré-
fide à la confervation & à J’accroiffement des avances
foncières fouveraines , qui font le patrimoine
public 8c établiffent l’abondance.
Quelle que foit la forme extérieure de l’autorité,
elle n’ a jamais dû s’occuper que de ces objets. Elle
n'eft rien au-delà j car elle ne doit avoir ni inf-
peftion, ni jurifdiétion furies particuliers, tant
qu'ils font dans l'ordre & que perfonne ne s'en
plaint. Telles font, dans la fociété, les fonctions
. du chef pour le repos & le bonheur de tous, 8c
tels les droits des particuliers pour leur bien propre
& pour la profpérité générale.
Droits & devoirs dans la famillè 3 ou droits du pere
& du fils 3 relativement l'un a Vautre.
Ici fe vérifie d'une manière plus préCïfe cette
vérité, que nous n’avons encore expofée que fuc-
cinCtement ; favoir, que le droit 8c le devoir nail-
fent enfemble 8c fe fuivent fans ceffe} qu'on n'eft
point affujetti à des devoirs 3 fans, acquérir des
droits , & que plus les premiers s'étendent, plus
les autres s’accroiffent & deviennent facrés. Les
devoirs de père 8c de fils font comme tous les
autres prefcrits par la nature 5 mais comme ils
dévoient être en quelque forte la bafe de l’humanité
, le fondement des liaifons fociales 8c le principe
des devoirs relatifs , ils ont dû précéder toutes
les fociétés.
Dès qu’il y a eu un homme & une femme fur
la terre , un père & un enfant, ces droits 8c ces
Avoirs relatifs de père & de fils inftitués par le
: erand ordre , ont commencé à avoir dse l’exécution
, pour être perpétués avec la chaîne des
générations lufqu’à la fin des fiec^s. L auteur des
Itres s'eft plu à graver en traits ineffaçables dans
le coeur de toutes les créatures , mais particulié-»
1 rement dans celui de l’homme , la loi conftitunve
des premiers droits 8c confervatrice de l’univers.
I II a attaché aux devoirs qui s'y lient l’attrait 8c
(1) S’il ne l’eft pas, il doit l’être pour le bien particulier & général.