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fe trouvent habituellement entr'eux ; que leurs conditions
doivent être égales, quoiqu'ils fervent inégalement
la fociété î que tous ainfi doivent également
commander. Et fi cela ne vous parott pas
affez ridicule, changez de thèfe j dites qu'aucune
égalité*, pas même celle de droit, ne doit régner
entre les membres d'un même corps politique j
q u e , pour qu'une fociété foit folidement établie,
pour qu'elle puiffe toujours jouir de la paix intérieure,
8c toujours profpérer, il faut quefatronf-
titution la partage en deux principales claffes > l'une
d'oppreffeurs , & l'autre d'opprimés.
' Publiez que, pour être fécondées, les terres
n'exigent de nous ni travaux, ni avances j que,
malgré la multiplication dontnotre efpèce eft fuf-
ceptible, les productions fauvages qu'elles donnent
fpontanément, fuffiront toujours à nos be-
foins j o u , fi vous l'aimez mieux, que les hommes
feront toujours les avances & les travaux de la
culture , fans efpérance d'en retirer aucun profit,
de fe voir même indemnifés de ce qu'ils auront
avancé j qu'ils pourront ainfi toujours dépenfer,
(ans rien recevoir.
Publiez que le commerce ne doit jouir d'aucune
liberté, ni dans l'intérieur du royaume, ni avec
les étrangers $ qu'il eft avantageux à l'état que fes
productions relient fans débit & fans valeur, ou
que leur valeur foit enlevée au fouverain, aux
propriétaires fonciers 8c aux cultivateurs , par
quelques marchands revendeurs ; qu'une nation
s'enrichit , quand ces marchands s’enrichiffenr en
la dépouillant ; qu'il eft ainfi de l'intérêt général
de fubftituer à la liberté du commerce, la pratique
des privilèges exclufifs, afin d'introduire un
monopole mercantille, à la cupidité duquel la ri-
chelfe nationale ne puiffe échapper.
Publiez qu'il convient que le poids des impôts
foit doublé, foit triplé par les frais 8c faux frais
de leur perception j qu'il convient que leur forme
les rende arbitraires ; qu'elle s'oppofe à la con-
fommation & à la réproduction ; qu'elle occafionne
ainfi à la nation, des pertes fèches qui tendent à-
la ruiner progreflivement 5 que ces fortes d'impôts^
quoique deftruCtifs de la culture, de l'induftrie,
du commerce , de la population, des revenus de
la nation 8c du fouverain, font néanmoins avantageux
à l'é ta t, par les fortunes particulières qu'ils
permettent de faire aux dépens de l'état.
Publiez q u e , par la conftitution d'un gouvernement
monarchique , l’autorité fouveraine doit
être une autorité fans bornes ; q u e , dans une
monarchie même héréditaire, les vrais intérêts de
la fouveraineté ne font point les vrais intérêts du
fouverain que tout monarque eft néceffairement
un defpote, en droit d'ufer arbitrairement de fon
pouvoir, de difpofer, félon fes caprices, des
biens 8c de la perfonne de fes fujets j qu'encore
qu'il ne foit fort, que de la force de ceux qui lui
obéiffent, fon titre néanmoins fuffit pour le rendre
pleinement indépendant des motifs qui doivent les ,
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déterminer a lui obéir 5 que ni la faifon, ni la
ligion ne lui impofent l'obligation d'être jufte j
o u , ce qui revient au même, q u e , fous fa domination
, les hommes n'ayant aucuns droits, pas
meme celui d'exifter, le jufte & l'injufte refultenc
de fa feule volonté.
-Publiez .que le gouvernement de plufieurs n'a
PaJ^ u!"meme aucun inconvénient } qu'il ne tend
point a rendre arbitraires les prétentions } à mettre
les intérêts particuliers en oppofition à l’intérêt
commun j à divifer le corps politique en plufieurs
faCtions ennemies } à introduire la vénalité des
hommes, l’oppreflion des uns par la puiflance
des autres , la tyrannie exercée par les patriciens
fur les plébéiens 5 que les grands talens 8c le génie
peuvent s’y montrer, fans exciter contre eux
la jaloufie, fans alarmer la multitude, fans s'ex-
pofer à des perfécutions plus cruelles que l'oftra-
cifme.
Publiez que les nations doivent commercer
entre elles, dans la feule vue de fe ruiner les
unes les autres, attendu que, pour bien vendre,
il ne leur faut pas des acheteurs qui puiffent les
bien payer. Mais , non î faites mieux encore f
dites que , malgré le befoin réciproque qu'elles
ont de fè communiquer leurs productions par la
voie ^des échanges , il ne convient point a leur
intérêt commun de vivre en paix les unes avec
les autres, pour que ces échanges puiffent avoir
lieu | qu'il leur eft bien plus avantageux d'éprouver
fans ceffe tous les fléaux, toutes les horreurs
de la guerre j qu'elles doivent fe regarder comme
étant naturellement ennemies les unes des autres,
naturellemment deftinées à fe défoler, à s'entr'égorger
mutuellement , tandis que tout les invite
naturellement à .s'entre- fervir.
Publiez, en un mot, qu’il n'eft point d’ordre
effentiel pour les fociétés j qu'il n'eft par confé-
quent pour elles aucun défordre réel ; o u , pour
parler le langage fcientifique de quelques ftoiciens,
que le bien & le mal moral, nos vertus 8c nos“
crimes , conviennent également au maintien de
l'ordre univerfel 5 fervent également à glorifier
les dieux, à manifefter la puiffance 8c les volontés
des dieux.
Homme fage, politique profond, quand ces
belles maximes feront bien établies $ quand votre
fublime métaphyfique, érigeant la folie en fageffe,
fera parvenue à rendre les hommes fcélérats par
principes,, à convertir en état de guerre l'état de
fociété, j'ignore en quel lieu j'irai me réfugier $
mais ce que je fais bien, c'eft que ne voulant être
ni le témoin, ni le compagnon de vos malheurs ,
je n'aurai rien de plus preffé, que de m'éloigner
de votre prétendu corps politique, comme d'un
volcan toujours en feu : heureux, heureux, fi dans
ma fuite je peux rencontrer une terre peuplée de
ces fous, qui s'imaginent appercevoir dans l'ordre
phyfique, le véritable fondement de l'ordre fo-
ç ia l, & dans l'agriculture , la fource primitive de.
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tous nos biens ; de ces fanatiques, qui croient à
une morale univerfelle, établie par la nature même
pour le bonheur de notre efpèce, pour être cpn-
îequemment la règle invariable de tous nos procédés
, de ces gens fyllématiques, q u i, plaçant
la raifon dans la connoiffance des moyens de_ nous
rendre heureux , & la fageffe, dans le bon ufage
qu'on fait de ces moyens , prétendent que des
êtres raifonnables ne doivent jamais faire la guerre,
que pour fe procurer la paix j de ces hommes
dangereux enfin, qui tiennent que , moralement
parlant, le crime confifle à nuifcq aux autres hommes,
la vertu à leur être u t i l e g l o i r e à pratiquer
conftamment la vertu.
Faifons^maintenant, en peu de mots , l'hiftoire
de l'origme 8c des progrès de la fcience économique.
Depuis que l’Europe s’eft éclairée , o u , pour
éviter le langage de la préfomption, depuis que
les hommes y ont eu la facilité de fe communiquer
leurs penfées par le moyen de l'impreffion ,
on a prétendu détruire les préjugés, raifonner les
opinions 8c fixer les idées ; il en eft- réfulté quelques
lumières & beaucoup de conteftations. C e
dernier point eft une fuite naturelle des nouveautés
pour ceux dont elles dérangent les opinions
les fouvenirs. « -
La Théologie a paru la première dans le champ
de bataille ; d'autant plus terrible , qu'il s'agiffoit
dans fes prétentions du premier des empires, celui
des âmes. La Philofophie , qui' eft venue après ,
S'eft d'abord occupée de l'étude des fciences physiques
ou de la morale j elle s'eft adonnée depuis
à la difcuflion de tous les objets de crédulité. La
Politique a fait patoître enfuite fous fes bannières
fes publiciftes, plus aifés à concilier, parce qu’ils
ne fe guidoient que d'après les lumières des anciens
, qu'ils n'enfeignoient rien que d'après ces
modèles , & qu'ils avoient tous puifé leur doctrine
à la même école.
Le commerce ayant pris la politique à fes gages,
il y a près d'un fiècle, il n'eft re'fulté que de trilles
qffets de leur liaifon 5 ils fe font ruinés l’un 8c
l'autre 5 mais cela n’ a pas empêché les hommes
inftruits 8c clairvoyans de raifonner & de calculer
l'intérêt des nations, d'après cette affoçiation peu
naturelle. Leurs fpéculations ont eu cela d'avantageux
, qu'elles ont excité la curiofîté & tourné
l’attention vers les objets qu’elles préfentoient.
Il parut, vers le milieu du règne de Louis X V ,
un homme de génie , plein de goût, de décence
8c d’humanité, avec le talent d'écrire 8c l'ambition
des diftinélions littéraires. Obligé d'abord,
par éta t, de s'occuper de l’étude du droit pofi-
t i f , l'étendue de la carrière donna l'effor à fon
efprit, dans lequel il crut trouver celui des loix.
Il rapporta fans ceffe à fon objet tout le fruit de
fes immenfes leCthres, qui loin de l'enrichir, gênèrent
fon génie, en le refferrant dans 1e cercle des
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légiflatîons humaines fouvent fortuites, d'autres fois
forcées par les circonftances, 8c pour l'ordinaire ,
tirées de^ recueils fufpeCts ou inutiles. Loin de remonter
à la fource des lo ix , dictées par la nature
& par les befoins, prononcées 8c affichées
par la néceffité pour avertir, les hommes ignorans
& abrutis, altérées enfuite par le choc des parlions
, profanées enfin par la cupidité , il crut
voir, il voulut trouver dans la légiflation humaine
le principe 8c le lien conllitutif des fociétés, &
il employa le travail le plus ingénieux & le plus
opiniâtre , à donner de l'ordre 8c des grâces au
plus vafte recueil d'érudition 8c de farcafmes politiques
qui eût jamais paru. Quoiqu'il y eût bien
des chofes à redire contre plufieurs de fes principes
* 8c fort fouvent contre leurs conféquences ,
fon livre^, femé d'idées neuves, faillantes ou profondes,
écrit d'un ftyle brillant , v if 8c plein d'ener-
gie , eut un fuccès prodigieux , 8c fit une révolution
dans les efprits. B parut, peu de temps après, un autre homme
célébré, qui ne peut être bien jugé par fes contemporains
, mais à qui fans doute la poftérité
impartiale rendra toute la juftice qu'il mérite.
Plein de zèle 8c d’amour pour l’humanité , &
d'une ingénuité modefte, dont on voit peu d'exemples
, il prit fur lui de rappeller aux hommes le
refpeCt 8c l’amour de l'agriculture j il répréfenta
d’abord l'agriculture comme la bafe de la population
, 8c celle-ci, comme la fource de la prof-
périté des empires. Mais un vieillard, homme d'un
génie rare, profond 8c infatigable, eut le courage
de contredire ces affertions. 11 lui démontra que
la population étoit l ’effet 8c non la caufe des richeffes
j que celles-ci donnoient le mouvement à
la circulation des dépenfes} il en préfenta la fource
dans les avances, le cours dans la diftribution ,
les effets dans la reproduction ; il lui fit voir les
rapports des dépenfes entre elles, leurs rapports
avec l'agriculture , avec la population, avec le
commerce , avec l'induftrie, 8c avec les richeffes
d'une nation j 8c il eut la gloire de lui voir adopter
publiquement ces principes.
De toutes ces connoiffances fe forma le corps
de la fcience économique, qui. embraffe l'enfemble
des fociétés politiques , c'eft-à-dire , tout ce qui
concerne la force 8c la durée des empires 8c le
bonheur phyfique 8c moral de l'humanité.
C'eft proprement cette fcience nouvelle, quant
à la forme , aux principes 8c aux réfultats, qui
a fait naître cette expreftion, aujourd'hui fi commune
: économie politique, 8c ce font fes feCta-
teurs , qu'on a appellés économies.
Voici ce que les économises nous préfentent,
comme les principes de cette doCtrine. Ils difent,
l° . que tout fort de la terre productive des biens,
qui feuls peuvent devenir richeffes par leurs valeurs
d'échange entre les hommes, 8c que cependant
il faut des richeffes pour folliciter la terre
à produire fes biens à l'ufage des hommes 5 de