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Ils chaflerent une infinité de familles. Leurs républiques
en furent ébranlées ; l’exil ou le retour
des exilés furent toujours des époques- qui marquèrent
le changement de la conftitution.
• Les romains furent plus fages. Lorfque Caflius
fut condamné pour avoir afpiré à la tyrannie ,
on mit en queftion fi l’on feroit mourir fes en-
fans : ils ne furent condamnés à aucune peine.
Dans lés républiques où les |pheffes font également
partagées , il ne peut y avoir de luxe 5 &
comme cette égalité de diftribution fait l’excellence
d’une république, il fuit que moins il y a
de luxe dans une république, plus elle eft parfaite.
Il n’y en avoit point chez les premiers romains
j il n’y en avoit point chez les Iacédémo-
niens j &: dans les républiques où l’égalité n’eft
pas tout-à-fait perdue, l’efprit de commerce, de
travail & de vertu fait que chacun y peut, & que
chacun y veut vivre de fon propre bien, & que
par conféquent il y a peu de luxe.
Les loix du nouveau partage des champs , demandées
avec tant d’inftance dans quelques républiques
, étoient falutaires par leur nature. Elles
ne font dangereufes que comme adion fubite. En
otant tout-à-coup les richeffes aux uns, & augmentant
;de; même celles des autres, elles font
dans chaque famille une révolution, & en doivent
produire une générale dans l ’état.
A mefure que le luxe s’ établit d'ans une république
, l’ efprit fe tourne vers l’intérêt particulier.
A des gens à qui il ne faut rien que le néceffàire,
il ne relie à defirer que la gloire de la patrie &
la fienne propre : mais une ame corrompue par le
luxe a bien d’autres defirs. Bientôt' elle devient
ennemie des lo ir qui la gênent. Le luxe que la
garnilbn de Rhège commenta à çonnoître , .fit
qu’ellé en égOrgearTes habitafïs.
• Si-tôt que les romains Furent- corrompus leurs
defirs devinrent immenfesi On en peut juger par
le prix qu’ ils mirent aux chofes.-Une cruche-'de
vin de Falerne (T ) fe vendoit cent deniers romains
5 un baril de chair fajee dû Pont, en coûtoit
quatre cents y un bón çuifinier quatre talerjs y les
jeunes garçons: navoient point de prix. Quand ‘,
par une irrrpétuofité générale (2 ) , tout le monde
fe portoit à la volupté, que devenoit la vertu?
La fèvérité des peines eft plus analogue au gouvernement
defpotique, dont le principe eft la terreur
, qu’ à la monarchie & à la république, qui
ont pour reffort l’honneur & la vertu.
Dans les états modérés, l’amour de la patrie,
la honte & la crainte du blâmé “ font des motifs
réprimans , qui peuvent arrêter bien des crimes.
La plus grande peine- d’ une mauvaife aétion fera
d’en être convaincu. Les loix civiles y corrigeront
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donc plus -aifément, & ri’auront pas befoin de
tant de force.
Dans ces états, un bon Iégiflateur s’ attachera I
moins à punir les crimes qu’à les prévenir , il s’ap- I
pliquèra plus à donner des moeurs, qu’ à infliger I
des fupplices.
C ’eft une remarqué perpétuelle des auteurs I
chinois ( 3 ) , que plus, dans leur empire ; on I
voyoit augmenter les fupplices, ' plus la révolution I
étoit prochaine. C ’eft qu’on augmentoit les fup- ;
plices , à mefure qu’on manquoit de moeurs.
Il feroit.aifé de prouver que, dans tdus ou pref-1
que tous les états d’Europe, les peinés ont diminué
ou augmenté, à mefure qu’on s’eft plus ap-1
proché ou plus éloigné de la liberté.
Dans les pays despotiques, on eft 11 malheureux
, que l’on y praint plus la mort qu’on ne
regrette la vie ÿ & le tyran qui le Fait » ôu qui eft
. averti par fon inftinét, y rend les fupplices plus
rigoureux. Dans les états modérés, on Craint la f
mort en elle-même'j les fupplices qui ôtent Ample- ;
ment la v ie , y font donc fuffifans.
Les hommes extrêmement heureux & les hom- f
mes extrêmement malheureux font également por-|
tés à la dureté , témoins les moines & les conqué-
rans. Il n’y a que la médiocrité & le mélange de
la bonne & .mauvaife fortune, qui donnent de la
douceur & de la pitié.
C e que l’on voit dans les hommes en particulier,
fe trouve dans les diverfes nations...Chez
les peuples fauvages qui mènent une vie très-dure,
& chez les peuples des gouvernemens defpoti-
ques , où il n’y a qu’un, homme exorbitamment
favorifé .de la fortune, tandis que tout le refte en
eft,outragé, on eftoégalement cruell Là douceur,
règne dans les gouvernemens modérés. . . ii Torique. nous lifons,. dans .les. hiftoires-, les
exemples de la juûice atroce des fultans , nous
fentons avec douleur les maux de la nature humaine.
Dans lés gouvernemens modérés', to u t, pour
un bon Iégiflateur;, -peut fervir • à’ former des peines.
N ’eft-il pas bien extraordinaire qu’à Sparte j
une des principales', fut de; ne pouvoir prêter’ fa
femme à un àùtfë“,: ni recevoir celle d’un autre,
dé ri’être jamais dans fa mai'fon qu avec des vierges
? En un mot,, tout ce que la loi appelle une
peine, eft effectivement une peine.
Dans les états modérés, où la tête du moindre
citoyen eft confidérabîe , on ne lui ôte fon honneur
& fes Kiéns'qü’âprè’s ùri lohg examen j on ne le
prive de la vie que lorfque la patrie, elle - mêtjne
l’attaque> & elle ne l’attaque qu’en: lui lailîant
tous les moyens poffibles de fe défendre.
(1) Fragment du livre 36<, de Diodore, rapporté par Conft, Porphyrog. Extrait des vertus & des, vices,
(2) Cüm maximus. omnium, impetus,ad Luxuriant èjfet. Ibid.
(3) La Chiné , f cet égard, eft dans te cas dhine République qu d’ubè niônàrèhié»* 1 " - :
i lK i i
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Aufli, lorfqu’un homme fe rend plus abfolu (1 ),
fonge-t-il d’abord à Amplifier les loix. On commence.,
dans cet état , à être plus frappé des in-
convéniens particuliers, que de la liberté des fu-
jets dont on ne fe foucie point du tout.
On voit que, dans les répiiDliques, il faut pour
le moins autant de formalités que dans lès monarchies.
Dans l’un & dans l’autre gouvernement,
.elles augmentent en raifon du cas que l’on y fait
de l’honneur, de la fortune, de la v ie , de la liberté
des citoyens.
| Les hommes font égaux dans le gouvernement
républicain} ils font égaux dans le gouvernement
i defpotique : dans le premier i, c’eft parce^ qu Us
1 font tout : dans le fécond, c’eft parce qu ils ne
jifont rien. /
Plus le gouvernement approche de la républiq
u e , plus la manière de juger devient fixe j &
|c’étoit un vice de la république de Lacédémone,
1 que les éphores jugeaüent arbitrairement, fans
[qu’il y eût des loix pour les diriger. A Rome ,
| les premiers confuls jiigèrent comme les éphores î
|on en fentit l’inconvénient , & l’on fit des loix
i précifes.
i Dans les états defpotiques, il n’y a point de
| lo i, ou , s’il y a une lo i, on ne s’en embarraffe
Ipas j le juge eft lui-même fa règle. Dans les états
| monarchiques, il y a une loi 3 & là où elle eft
précife, le juge la fuit j là .où elle ne l’eft pas , il
en cherche l’efprit. Dans le gouvernement républicain,
il eft de la nature de. la conftitution-que
|les juges fuivent la lettre de la loi. Il n’y a pas
de citoyen contre qui on puiffe interpréter une
| lo i, quand il s’agit de fes biens, de fon honneur
|o u de fa vie.
K , A Rome, les juges prononçoient feulement que
| l’accufé étoit coupable d’un/ certain Crime î & la
Ipeine fe trouvoit dans la lo i, comme on le -voit
■ dans diverfes loix qui furent faites.- De même , en
i Angleterre, lès jurés décident f i l ’accufé- eft coü-
» pablé ou non du fait qui a- été porté devant eux}1
r & , s’il eft déclaré coupable , le juge prononce la
I peine que la loi inflige pour ce fait j & pour cela
K il ne lui faut que; des yeux.
[ Machiavel ( 2 ) attribue la perte de la liberté
j de Florence à ce que le peuple ne jûgeoit pas en 1 corps, comme à Rome , -des crimes de lèfe-ma-^
K jefté commis contre lui. Il y avoit pour cela huit
I juges établis. Mais , dit Machiavel, peu font cor-
B zompùs par peu. J’adopterois bien là maxime de
B ce grand homme : mais comme dans ces cas l’in-
■ térêt politique force , pour ainfi dire, l’intérêt
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c iv il, ( car c’eft toujours un inconvénient que le
peuple juge lui-même fes offenfes ) il faut, pour
y remédier, que les loix pourvoient, autant qu’ il
eft en elles,. à la fureté des particuliers.
Dans cette id é e , les légiflateurs de Rome firent
deux chofes j ils permirent aux accufés de
s’exiler (3) avant le jugement (4.), & ils voulu-’
rent que les biens des condamnés fuffent confa-^
crés , pour que le peuple n’ en eût pas la confif-/
cation. On mit d’autres limitations à la puiffànce
que le peuple avoit de juger.
, Solon fut bien prévenir l’abus que le peuple^
pourroit faire de fa puiffànce dans le jugement des
: crimes : il voulut que l’aréopage ré vît l’affaire ;
que , s’ il croÿoit l’accùfé injufteirient abfous (y) ,
il l’accufat de nouveau devant le peuple ; q u e ,
s’il le croyoit injuftement condamné (6) , il ar-'
rêtât l’exécution , & lui f ît rejuger l’ affaire : loi
admirable qui foumettoit le peuple à la cenfure de
la magiftratûre qu’il refpeéloit le plus, & à la
fienne même !
Il fera bon de mettre quelque lenteur dans des
affaires pareilles, fur - tout du montent que l’ac-
eufé fera prifonnier , afin que le p*euple puiffe fe
calmer & juger de fang-Froid.
Il faut des cenfeurs dans une république, où
le principe du gouvernement eft la vertu , dit,
M. de Montefquieu. C e ne font pas feulement;
les crimes qui d^truifent l a . vertu ; mais encore
les négligences, les fautes,, une certaine tiédeur
; dans l’amour de la patrie, des exemples dange-
I reux, des femences de corruption j ce qui ne cho-
: que point les loix , mais les élude ; ce qui ne les;
détruit pas , mais les affoibîit} tout cela doit être
corrigé par les cenfeurs :■ il ne s’agit pas ici d’une
néceflite abfolue} & ce que nous avons déjà dit
fuffit pour le prouver.
‘ On eft' étonné de la punition de cet aréopa-
1 gite qui âvoit tué :un moineau , q u i, . poürfuivi
par un épervier ,'S*étoît réfugié dans fon feiri. On
èft furpris que l’ aréopage ait fait mourir un enfant
1 qui avoit crevé les yeux à fon oifeaif. Qu’on fafle
attention qu’il ne s’agit point là d’ une condamnation
pour crime, mais d’ un jugement de moeurs
daris une république fondée fur les moeurs.
cc; Dans les monarchie^, il ne -faut point de
» cenfeurs , continue Montefquieu : elles font
» fondées fur l’honneur, & la nature de l’hon-
. w nëur eft d’avoir pour cenfeur tout l’univers.
» Tout homme qui y manque eft fournis aux re-
l « proches de ceux-mêmes qui n’en ont point. Là,
i » les cenfeurs feroient gâtés par ceux-mêmes qu’ils
(i) Céfar , Cromwel & tant d’autres.
(i) Dilcours fur la première décade de Tite-Liye ,t liv. I , chap. vu.
(3) Cela eft bien expliqué dans l’Or ai fon de Cicéron pro. Ccecinnd , à la fin.
(4' C’étoit Une loi d’Athènes, comrne il paroît par Démofthèno; Socrate refufa de s’en fervir^
(■ >) Démofthène , fur la couronne / pag. 494 , édition dé Francfort de l’an 1604,
(6) .Vpjys^ Pfiiloftrate , vie des fophiftes., -liv,-1‘} viçjd’.Ffchines»
<ïïcon. polit, 6* diplomatique, Tom. IJ, I