
33 de Rome, avant qu'elle eût étendu Tes eon-
” quêtes dans les trois parties du monde, un
*» roi eft inutile, & de tels Empires font plus
33 heureux fous le gouvernement des grands. 1 out
« ce que j'ai dit contre la. démocratie, parle en
33 faveur de i'ariftocratie. La puifl’ance du peu-
09 pie j au moment* ou elle dégénère en excès ,
” n'â plus dé bornes. Le pouvoir' des grands ,
” au contraire, trouve naturellement, fon contre-
33 poids dans le nombre de ceux qui y font fou-
** mis. Les grands ne doivent leur pouvoir qu'aux
” loix , qu'à l'eftime du peuple & à fon bien-
30 être. Ils font donc intéreffés à ne pas armer
03 contre eux les citoyens. Les grands font plus
” capables de gouverner que le peuple. Les lu-
% mières ne'rendent pas toujours vertueux 3 mais
" fans lumières, la vertu eft'inutile. Un fénat,
33 compofé de gens éclairés, n'eft pas auffi facile-
” ment ébloui par les charmes de l'éloquence d'un
83 orateur féduifant, par l'éclat de quelques quan
tité s brillantes , dont le peuple eft prefque tou-
” jours la dupe.. La jaloufie feule armera les
03 grands contre celui d'entre eux qui voudra ten-
33 ter de s'élever ati-deflus d'eux. Lacédémone
« foutint avec fermeté la conftitution de Lycur-
« gue , tandis que le gouvernement d'Amènes
« fut toujours variable : tantôt le peuple fe donna
» pour cnef un Pififtrate ; tantôt il établit fur
=? lui un certain nombre de citoyens opulens j
» tantôt enfip le moindre citoyen prétendit à l'au-
*> torité fuprême »•.
Caton convient toutefois que, dans certaines
eirconftances 3 le deTpotifme peut fortir du fein
de I'ariftocratie : voici les remèdes qu'il indique
contre ce mal. Il fuppofe un Empire d’une médiocre
étendue , ayant pour. capitale une ville
peuplée j il voudroit que tous les habitans de
cette ville fuffent regardés comme compofant le
corps des grands de l'état, c'eft-à-dire, comme
pouvant tous afpirer au gouvernement. On choi-
îirôit entre eux un fénat de t^ois cents perfonnes
au moins, dont l'élection fe feroit par le fénat
même , & non par le peuple. Si le pays étoit
vafte , il voudroit que les ^habitans des autres
villes & les poffefietirs dès terres jouiffent des
mêmes prérogatives que les habitans de la capitale.
Il voudroit que tout changement dans-la
conftitution fû t, parles loix mêmes 3 rendu très- !
difficile.— Chaque citoyen qui ne feroit pas membre
du fénat, mais qui feroit du nombre de ceux
qui pourroient afpirer à en être, auroit le droit \
de repréfentation 5 & il faudroit prendre garde
que les repréfentations ne devinffent pas trop
fréquentes, & qu'elles ne fuffent pas légèrement
rejettées.-Il feroit bon^qu'avant de faire la guerre
©u d'établir un nouvel impôt, le fénat s'affurât !
de la façon de penfer du peuple, non pour s'y j
foumèttçe, mais parce que de femblables entre-
prifes peuvent être rendues très-difficiles, fi le
peuple eft mécontent. Comme dans I’ariftocratie
la-faveur, plus que le mérite, conduit aux honneurs,
il faudroit fixer un âg e , avant lequel il
ne feroit pas permis d'afpirer aux emplois} personne
ne pourroit parvenir aux premiers, fans
palier par les inférieurs 5 & pour obtenir ces derniers
, il faudroit foutenir un examen public. Les
affaires courantes feroient confiées à un périr
nombre de fénateurs, & jamais à une feule per-
fonne^Il faudroit que les plaintes du moindre des.
citoyens fuffent portées devant le fénat. Aucune;'
charge ne feroit à v ie , & à cet égard il fau-
! droit que les loix fuffent inexorables. Un peuple
ne demeurera vertueux quautant que l’on réprimera.
le luxe } les loix fomptuaires devroient donc
être {evères & ^tenonvellées de dix en dix ans»
pour être fortifiées. L'inexorable Caton voudroit
qu'on ne les modérât jamais} rl ajoute que pour
gouverner il faut des lumières s & que l'état doit
veiller à l’éducation des enfans des grands, afin
de lès mettre en état de conduire les affaires*
F A C T IO N . C e m ot, dans fa principale ac-»
ception , lignifie un parti féditieux dans un état.
Le terme de parti par lui -même n'eft point
odieux} celui de faâtion l'eft toujours. Un grand
homme & un médiocre peuvent avoir aifément
un parti i la cour, dans l'armée, à la ville, dans
! la littérature. On peut avoir un parti par fon
mérite , par la chaleur & le nombre de fes amis »
fans être chef de parti. Le maréchal de Catinat,
peu confidéré à la cour , s'étoit fait un parti dans
l'armée fans le vouloir. Un chef de parti eft
toujours un chef de fattion : tels ont été le cardinal
de R e tz , Henri , duc de Guife, & tant
d'autres.
Un parti féditieux, quand il eft encore foible ,
quand il ne partage pas tout l’état, n'eft qu'une:
faction. La faition de Céfar devint bientôt un
parti dominant qui engloutit la république. Quand
l'empéreur Charles VI difputoitî'Efpagne à Philippe
V , Ü avoit un parti dans ce royaume , &
enfin il n'y eut plus qu'une faâion ; cependant
on peut dire toujours le parti de Charles VI. I l
n'en eft pas ainfi des hommes privés. Defcartes
eut longtemps un parti en France} on ne peut
dire qu'il eut une fafîion. C'eft ainfi qu'il y a des
mots fynonimes en plufieurs cas, qui cefient de
l'être dans d’autres. . •
Les romains donnoient le nom de faftion aux
différentes troupes ou quadrilles de eombattans
qui couroient fur des chars dans les jeux du cirque.
Il y en. avoit quatre principales, diftinguées
par autant de couleurs, le verd , le bleu , le
rouge & le blanc }. d'où on les appelloît la fattion.
bleue 3 la faction rouge 3 &c. L'empereur Domi-
tien y en ajouta deux autres, Ja pourpre & la
dorée} dénomination prife de l'étoffe ou de l ’ornement
des cafaques [qu’ elles portoient; mais elles
ne fubfiftèrent pas plus d'un liècle. Le nombre
des...factions fut réduit aux quatre anciennes
dans les ipeftacles. La faveur des empereurs &•'
te lle 3a peuple fe partageaient entre les fictions ; .
chacune avoit fes partifans. Caligula fut pour la
‘faction verse , & Vitellius pour la bleue. ^ Il résulta
quelquefois de grands défordres^ de l'interet
trop v if que les fpedtatéurs prirent à leurs fac-
'tions. j , .
: Les fanions naiffent la plupart des prétentions
de deux familles, de deux rivaux affez puiflans
'pour fe faire un grand nombre de partifans ; ou
de deux opinions contraires dans des^ matières,
auxquelles tout le public met de l’intérêt. -
Ges querelles, ces animofités ne s’appellent
'pas d’abord des fanions s elles ne méritent
;ce nom que lorfqu’un grand nombre fe réunit
contre un grand nombre : nous ne citerons pour
exemple que les Guelphes & les Gibelins , les ;
Whigs & les Torris. ' . ' "
Les fanions ont befoin de tems pour fe former
; lorfqu’elles commencent à naître, leurs vues
Pont ordinairement petites & foibles ; leurs projets
croiffent & s’ étendent avec elles : forties d’abord
du choc des intérêts particuliers , elles fi-
iiilfent par divifer une nation : facheufes dans,
tous leurs degrés, elles contrarient toujours'l’ e f
prit des fociétés civiles, qui fe font établies pour
profiter des fecours mutuels de tous les citoyens :
une partie fe trouve privée de 1 appui de 1 autre ;
le défordre & la confufion s’emparent de l’état i
enfin quand elles arrivent au dernier terme, les
citoyens s’égorgent les uns les autres.
■ Les maifons de Guife 8c de Montmorency commencèrent
par fe difpufcr la faveur des rois de
France ; elles cherchèrent à fe fortifier mutuellement
en fe faifant des créatures, à l’ aide dds gra-
ces qu’ elles ârraçhoient du fouyerain : ce n’étoit
encore qu’une rivalité particulière. La cour fe
trouva remplie d’intrig-ues & de cabales ; les cabales
gagnèrent les provinces, & devinrent des
factions ; & lorfque, pour s’entredétruire i là première
fe fut mife à la tête des catholiques',
cjue la fécondé eut attiré les Bourbons, chefs du
parti des réformés, elles dégénérèrent en guerre
civile. Les fuccès donnèrent aflez de hardielfe à
3a première pour lui infpirer l’ ambition du trône.
• Lés cabales, dàngereufes dans toutes les fociétés,
le font moins dans la monarchie par la
■ nature de fa conftitution. L'autorité du prince ,
s’ il fait • s’ en fervir, eft affez forte pour impofer
-à des fujets. En général, les autres gouvernemens
manquent de force pour en arrêter les progrès.
Toute la fcience du monarque confifte à éteindre
le feu naiflant. C e n’ eft d’abord qu’une étincelle
, mais entourée de matières combuftibles.
S ’il eft facile d'en arrêter le premier coürs, il eft
pial aifé de l’étouffer, lorfqu’il s’ eft fortifie. Les
orages commencent par des vapeurs, par des
exhalaifons légères: . . .
■ Sous l’empire de Juftinicn; les villes fe divi-
fèrent entre la couleur verte & la bleue , que l’on
. portoit dans les tournois ; cette divifioa fervoit
d’amufomènt à l'empéreur 8é à fa cour ; mais elle
ne tarda pas à devenir férieufe : les magiftrats de
Conftantinople voulurent punir quelques-uns des
plus ardens : leurs' partifans brifèrent les priions
, brûlèrent l’églife de fainte Sophie ; 8c pour
fe fouftraire à la punition, ils placèrent un des
leurs fur le trône.: on combattit pour lui ; les
batailles furent fanglantes, 8c la mort du chef fut
le falut de Juftmien.
D ’ autres motifs engagent à s’oppofer aux com-
mencemens. La faction eft une maladie de 1 état
qu’il faut traiter avec douceur , 8c il faut renoncer
à la douceur 8c à l’humanité lorfque le mal
eft aigri, Sc que la contagion s’ eft répandue.
Le fouyerain donne des juges 8c des arbitres
aux grands de l’é ta t, qunad ils font aflez puiffans
pour que leurs divifions foient à craindre ; il
les reconcilie ou il les oblige au filence. Il eft
rare que fon autorité ne puiffe arrêter les m'éfiri-
telligences, lorfqu’elles fe forment entre les principaux
dé l ’état, ou entre des corps qui exercent
les différentes parties’ de l’autorité.-
Mais fi par fa négligence, ou celle de fes pré-
déceffeurs, les partis font devenus factions , la
douceur aura peu d’ effet, 8c la force , qu'alors
on eft contraint d’employer, peut trouver de la
réfiftance.
Le prince commet une faute en politique, s’il
fe borne à favorifer l’une ou l'autre des factions :
'■ il n’appaife rien , 8c il fe fait des ennemis capitaux.
Le fouverain doit choifir, fe déterminer 8c
accabler l’une : ou l’autre, fi malheureufement il
n’ eft plus poffible d’employer des moyens de pacification
: s’il fe contente de protéger, il montre
de la foibleffe. S ’il ell neutre, il eft fans confédération,
8c l’.état fe déchire. S’il veut être mé-,
diateur, il dégrade fa majefté. Lorfqu’il commande
8c exécute, c’eft un fouverain, 8c un fouverain
qui exerce la juftice.
Des fouverains ont eu pour maxime d’entretenir
"des faltions de toute éfpèce , 8c de foutenir
alternativement l’ un ou l’autre parti. Catherine de
Médicis s'arrêtait lorfque les réformés delà France
étaient prêts à fuccomber : cette conduite eft
pufillanime; on cherche à maintenir fon autorité,
en affoibliffant la moitié de l'état par l’autre , 8c
cet expédient eft dangereux. S'il a quelquefois
d’heureux effets, lorfqu’on l’emploie envers des
vôifins dont l'union feroit capable de donner de
l’ombrage, il eft détéftable vis-à vis des fujets.
L’état perd fes meilleurs citoyens; il s’énerve.8c
il court rifque de devenir la proie des ennemis
étrangers.
La manoeuvre de Catherine de Medicis eft une
- intrigue d e . femme ; elle ne mérite pas le nom
de politique : elle n’eft excufable quautant que
l’on manque d'autres reffpurces. Rien ne prouve
mieux la petiteffe de l'efprit que la fourberie : ces
foibles moyens de fe maintenir font indignes de
la couronne ; ils biffent penfer aux fujets que
Iv k k i