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Entre la Caroline 8e la Floride-, eft irne langue
de terre , qui occupe 60 milles le long de la coté
de la mer, acquiert peu-à peu une largeur de 150
milles , 8c a trois cents milles de profondeur jusqu'aux
Apalaches. C e pays, qu on nomme Géorgie
, ell borné au nord par la rivière de Savan-
nah, 8c au midi par la rivière d’Alatamaha.
Lorfque la nation angloife eut établi une colonie
dans la Caroline méridionale , le miniftère
britannique fongea à occuper la Géorgie qui l’avoi-
finoit, 8c qui étant plus au fud fembloit offrir
encore plus de reffources. Un de ces aCtes de
bienfaifance , que la liberté , mère des vertus patriotiques
, rend plus communs en Angleterre que
par-tout ailleurs, acheva de décider les vues du
gouvernement. Un citoyen compatiflant 8c riche
voulut qu"après fa mort , fes biens fuflent employés
à rompre les fers des débiteurs infolvables,
que leurs créanciers détenoient en prifon.
La fageffe politique, fécondant le voeu de
Thumanité, ordonna que les infortunés qu'on ren -
droit fibres, feroient tranfportés dans la terre
voifine de la Caroline, qu’on fe propofoit de peupler.
C e pays fut appellé Géorgie , en l’honneur
du fouverain qui gouvernoit les trois royaumes.
C et hommage, d’autant plus flatteur qu’il ne
venoit pas de l’adulation} l’exécution d’un entre-
prife vraiment utile à l’état ; tout fut l’ouvrage de
la nation. Le parlement ajouta 225000 liv. au legs
facré d’un citoyen. Une foufcription volontaire
Êroduifit des fommes encore plus confidérables.
!n homme qui s’étoit fait remarquer dans la chambre
des communes, par fon goût pour les chofes
brillantes, par fon amour pour'la patrie, par la
paflion pour la gloire, fut chargé de diriger un lï
digne projet avec ces moyens publics. Jaloux de
fe montrer égal à fa réputation , Oglethorpe voulut
conduire lui-même en Géorgie les premiers colons
qu’on y faifoit pafler. Il y arriva au mois de
janvier 1 7 3 3 ,8c plaça fes compagnons à dix milles
de la mer fur les bords de la Savannah. Cette
rivière donna fon nom au foible établilfement ,
qui* pouvoit devenir un jour la capitale d’une colonie
floriflante. La peuplade, bornée à cent per-
fonnes, s’éleva, avant la fin de l’année, au nombre
de fix cents dix-huit, dont cent vingt - fept
avoient fait les frais de leur émigration. Trois
çents vingt hommes 8c cent treize femmes, cent
deux garçons 8c quatre-vingt trois filles étoient le
fonds de la nouvelle population, 8c l’efpérance
d’une nombreufe poftérité;
C e fond s’accrut, en 1735 , de quelques
montagnards écoflois. Leur bravoure nationale leur
fit accepter l ’établifiement qu’on leur offrit fur
les rives de l’Alatamaha, pour les défendre, s’il
le falloit, contre les entreprifes de l’efpagnol voi-
jln. Us y fondèrent la bourgade de Darien, à cinq
lieues de l’ifle de Saint-Simon* où étoit déjà établi
le hameau de Frédérics.
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La même année * un,.grand nombre de labour
reurs proteftans quittèrent les environs de Saltz?
bourg, 8c allèrent chercher la paix 8c la tolérance
dans la Géorgie, Ebenezer , placé fur la rivière
de Savannah, à feize lieues de l’O céan, leur
dut fon origine.
Les fuiffes imitèrent les faltzbourgeois, fans
avoir été perfécutés comme eux. Ils s’établirenf
aufli fur la Savannah > mais trois lieues plus bas f
mais fur une rive qui les mettoit fous les loix de
la Caroline. Leur peuplade, formée de ceritmai?
fons * s’appella Purysbourg du nom de Pury, qui ,
ayant fait la dépenfe de leur tranfplantation, me-
ritoit bien cette marque de reconnoiffance.
Dans ces quatre ou cinq peuplades, il fe trouva
des hommes plus portés au commerce qu’ à l’ agriculture.
On les en vit fortir 3 pour aller fonder
, à cent quarante-cinq milles de l’Océan, la
ville d’Augufta. C e n’étoit pas la bonté du fol
qu’ils cherchoient $ ils vouloient partager avec la
Virginie , avec les deux Carolines, les pelleteries
que ces provinces dbtenoient des Creeks , des
ChickefaWs , des Cherokees, les nations fauvages
les plus nombreufes- de ce continent. Leur projet
réuflitfibien, q ue , dès 1739, ces liaifons occu-
poient fix cents perfonnes. L ’extraCfion de ces
fourrures d’une qualité inférieure étoit d’autant
plus facile q u e , durant la plus grande partie de
l’année, la Savannah conduit des barques de vingt
à trente tonneaux jufqu’aux murs d’Augufta,
La métropole pouv.oit, ce femble, beaucoup
efpérer d’ un établilfement q u i, dans un temps
très-borné, avoit reçu cinq mille habitans, qui
avoient coûté 1,485,000 liv. au fifc, & beaucoup
davantage aux zélés patriotes. Quel dut être fon
étonnement, lorfqu’ en 1741 onTinftruifit que la
plupart des malheureux, qui étoient allés chercher
un afyle dans la Géorgie , s’en étoient fucceflîve-
ment retirés, & que le peu qui y reftoit encore
foupiroit fans celfe après un féjour moins infup-
portable ! On chercha les caufes d’ un événement
fi fingulier, & on les trouva,
Dans fa nailfance même, cette colonie avoit
porté le germe de fon dépérilfement. On avoit
abandonné la jürifdiCUon avec la propriété de la
Géorgie à des particuliers. L ’ exemple de la C a roline
auroit dû prévenir contre cette imprudence >
mais, chez les nations cemme chez les individus,
les fautes du palfé font perdues pour l’avenir. Le
plus fouvent les faits font ignorés. Sont-ils connus,
on en impute les fâcheufes conféquences à
des prédécefteurs mal-habiles, ou Fon trouve, dans
quelques légères différences entre les circonftan-
ces & dans quelques précautions frivoles, le moyen
de colorer-des opérations radicalement vicieufes :
d’ou il arrive qu’un gouvernement éclairé , fur-
veillé par la nation, n’eft pas même à—l’ abri des
furprifes qu’on fait à fa confiance. Le miniftère
britannique livra donc l’intérêt public à l’avidité
des intérêts privés* •
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Le’ premier ufage que les propriétaires de la
Géorgie firent de l’autorité fans bornes qu on leur
avoit accordée, fut d’ établir une legiflation qui
mettoit dans leurs mains, non - feulement la polic
e , la juftice & les finances du pays , -mais
la vie & les biens de fes habitans. On ne latf-
foit aucun droit au p e u p le q u i , dans 1 origine,
a tous les droits. Contre fes intérêts 8c fes lumières
, on vouloit qu’il obéît. C ’étoit fon devoir
& fon fort. " A ,
Comme les grandes poffeflions avoient entraîne
des inecnvéniens dans d’autres colonies, on arrêta
que, dans la G éo rg ie chaque famille n auroit
d’abord que cinquante acres de terre, & n en
pofiederoit jamais plus de 500 3 qu’ elle ne pour-
roit pas les aliéner, qu’ ils ne pafferoient pas meme
en héritage aux filles. Il eft vrai que cette fublti-
tution aux feuls mâles fut bientôt -abrogée ; mais
on laiffoit fubfîftèr encore trop d’obftacles à 1 e-
mulation.
. Les colonies angloifes, même les plus fertiles,
ne payoient qu’un foible cens, encore n’étoit-ce
qu’après avoir pris de la vie & des forces- La
Géorgie fu t , dès le berceau , foumife aux redevances
du gouvernement féodal, dont on l’avoit
chargée. Ces rentes dévoient s’accroître outre me-
fure, avec le temps. Ses fondateurs furent aveuglés
par la cupidité, au point de né pas voir que
le plus petit droit exercé dans une province peuplée
8c ftoriftante, les enrichiroit bien plus que
les taxes les plus multipliées fur une terre inculte
& déferre,
A ce genre d’opprefijon , fe joignit un arrangement
qui devint une nouvelle caufe d’oppreflion.
Les désordres qu’entraînoit, dans tout le continent
de l’Amérique feptentrionale ,. l’ ufage des liqueurs
fpiritueufes,, fit défendre l’ importation des eaux-
de-vie de fucre dans la Géorgie. Cette interdiction
, quelle qu’en fût le motif, ôtoit aux colons
la feule boifîbn qui pouvoir corriger le vice des
«aux du pays, qu’ils trduvoiënt par-tout mal faines
3 8c l’unique moyen de réparer la déperdition
qu’ ils faifoient par des fueurs continuelles : elle
leur fermoit encore la navigation aux Indes occidentales,
où ils ne pouvoient aller échanger contre
ces liqueurs 3 les bois, les - grains , les bef-
tiaux, qui dévoient être leurs premières richeffes.
" Toutes foibles qu’ étoierit ces reffourceselles
dévoient s’accroître très-lentement, à caufe d’une
défenfe digne d’éloge, fi le fentiment de l’humanité
> 8c non la politique, l’avoit di&é'e. L ’ufage
des efclaves fut interdit aux colons de la Géorgie.
D ’autres colonies avoient été fondées fans la main
des nègres. On penfa qu’ une contrée , deftinée a
être le boulevard de ces poffeflions, ne devoit
pas être peuplée d’une race de victimes, qui n’au-
roient aucun intérêt à défendre des tyrans.
Cependant -, la fituation vraiment défefpérée du
nouvel établilfement, publioit avec trop d’ énergie
les imprudences du miniftère x pour qu’on
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pût perfévérer dans de fi fatales conibifiaifons. La
province reçut enfin te gouvernement; qui faifoit
profpérer les autres colonies. Ceflant d’être uii
fief de quelques particuliers, elle devint uné
poffeflion vraiment nationale.
Depuis cette heureufe révolution , la Géorgit
a fait d’affez grands progrès , fans être aufli rapides
qu’on les efpéroit, A la vérité on n’y a pas cultivé
la vigne, l’olivier, la fo ie , comme;la métro*
pôle Fauroit déliré : mais fes marais o n t ‘ fourni
une affez grande quantité de riz 5 8c fut fon fol
plus élevé a été récolté un indigo fupérieur à celui
de la Caroline. Avant le premier Janvier 1768 ,
fix cents trente-fept mille cent foixante-dix acres
de terre y avoient été concédés. Ceux qui ne va»
ioient que 3 liv. 7 fols 6 deniers en 17 6 3 , étoient
vendus 67 liv. 10 fols en 1769. Les. exportations
de la colonie s’y élevèrent à 1*625,418 livres 9
fols. 5 deniers 5 elles ont beaucoup augmenté
depuis.
Les douze autres colonies avoient déclaré leur
indépendance , 8c formé une confédération conr
tre le roi d-Angleterre , 8c la Géorgie ne fe pref-
foit pas d’accéder à la Ligué : elle y accéda en^
fin : elle fe déclara indépendante} elle établit une
conftitution *, par le traité de paix avec F Angleterre,
elle a été reconnue pour un état libre
& indépendant, ainfi que les douze autres provinces
; 8c fa population , & fes cultures vont faire
des progrès rapides. Nous avons examiné à l’article
Etats-unis * les affertions de quelques
écrivains, qui croient que le fol des Etats- Unis
dépérit d’une manière fenfible : 8c parce qu’on at
tenté vainement des effais dans la Géorgie\, fous.le
gouverne ment-britannique , nous avons prouvé
qu’il ne faut pas en conclure que ces eflais feront
également infructueuxavec l’énergie & la conf^
tance qu’infpire la liberté à des citoyens.
S e c t i o n s e g o n d e.
Çonjlitution de P état de-Géorgie, unanimement ar£
rêtée le 5 Février mil fept .cent foixante-dix^
fept'
P r é a m b u l e . Confidérantque la conduite
de la légillaturei de la Grande-Bretagne, a depuis
long-tems été vexatoire envers le peuple
de l’Amérique, jufqu’au point d’avoir explicitement
déclaré , les années dernières,. 8c d’avoiïr
affirmé qu’elle avoit le droit de lever des'taxes
fur le peuple de l’Amérique , 8c de faire des-
loix obligatoires pour lu i,. dans tous les cas
quelconques , fans fon confentement 5 qu’une
telle conduite répugnant aux droits communs à
tous les hommes,, a forcé les Américains à s’op-
pofer en hommes libres à ces mefures vexatoi-
res , 8c à s’aflurer les droits 8c les privilèges qui
leur appartiennent par les loix de la nature & de
la raifon y ce qui % été fait par le confentement