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de deux mois. La métropole n’en envoyait pas }
Saint-Chriftophe en refufa, Toit par difette, foit
faute de volonté j & les premiers travaux de, culture
qu’on avoit faits dans le pays , ne pouvoient
encore rien donner. Il ne reftoit de refïource à
la colonie que dans les fauvages : mais le fuperflu
d’un peuple qui, cultivant peu , n’avoit jamais
formé de magafins , ne pouvoit être confidérable.
On ne voulut pa$ fe contenter de ce -qu’ils appor-
toient volontairement eux-mêmes. La réfolution
fut prife de les dépouiller, & les hoftilités commencèrent
le 6 janvier 1636.
• Les caraïbes, ne fe croyant pas en état de ré-
fifter ouvertement à un ennemi qui tiroit tant d’avantage
de la fupériorité de fes armes , détruifirent
leurs vivres, leurs habitations, & fe retirèrent à
Ja Grande-Terre ou dans les ifles voifines. C ’eft
de-là que les plus furieux, repaflant dans l’ ifle
d’où on les avoit chafles , alloicnt s’y cacher dans
l ’épaifleur des forêts. Le jour, ils perçoient de
leurs flèches empoifonnées , ils affommoient à
coups de maflfue tous les françois qui fe difper-
foient pour la chaffe ou pour la pêche. La nuit,
ils brûloient les cafés, & ravageoient les plantations
de leurs injuftes raviffeurs.
Une famine horrible fut la fuite de ce genre de
guerre. Les colons en vinrent jufqu’ à brouter
l'herbe, jufqu’ à manger leurs propres excrémens,
jufqu’ à déterrer les cadavres pour s’en nourrir.
Plufieurs qui avoient été efclaves à A lg e r , détef-
tèrent la main qui avoit brifé leurs fers ; tous
maudifioient leur exiftence : mais le gouvernement
d’Aubert amena la paix avec lés fauvages,
à la fin de 1640. Quand on penfe^ l’injuftice
des hoftilités que les européens ont commifes dans
toute l’Amérique, on eft tenté de fe réjouir de
leurs défaftres, & de tous les fléaux qui luivent
les pas de ces féroces opprelfeurs. L ’humanité,
brifant alors tous les noeuds du fang & de la. patrie
, qui nous attachent aux habitans de notre
hémifphère , change de liens, & va contracter
au-delà des mers, avec les fauvages indiens, la
parenté qui unit tous les hommes , celle du malheur
8c de la pitié.
Cependant le fouvenir des maux qu’on avoit
éprouvés dans une ifle envahie, excita puiflam-
ment aux cultures de première néçeflité, qui amenèrent
enfuite celles du luxe de la métropole. Le
petit nombre d’habitans , échappés aux horreurs
qu’ils avoient méritées, fut bientôt groflï par
quelques habitans de Saint-Chriftophe mécontens
de leur fituation ; par des européens avides de
nouveautés > par des matelots dégoûtés de k navigation
5 par des capitaines de navire , qui ve-
noient par prudence confier, au fein d’une terre
prodigue , un fonds de richeffe fauve des caprices
qe l’Océan. Mais la profpérité de la Guadeloupe
fut arrêtée ou traverfée par des obftacîes qui naif-
foient de fa fituation.
. JLa facilité qu’avoient les pirates des ifles yoi-
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fines de lui enlever fes beftiaux, fes efclaves »
fes ^récoltes même, la réduifîc plus d’une fois à
des extrémités ruineufes. Des troubles intérieurs
qui prenoient leur fource dans' des jaloufies
d’autorité , mirent fouvent fes cultivateurs aux
mains. Les aventuriers qui pafloient aux ifles du
v en t, dédaignant une terre plus favorable- à la
culture qu’aux arméniens, fe laiflerent attirer à
la Martinique par le nombre & la commodité de
fes rades. La protection de ces intrépides corfai-
res amena , dans cette ifle , tous les négocians
quife flattèrent d’y acheter à vil prix les dépouilles
de l’ennemi, & tous les cultivateurs qui crurent
pouvoir s’y livrer fans inquiétude à des travaux
paifibles. Cette prompte population devoit introduire
le gouvernement civil & militaire des Antilles
à la Martinique. Dès-lors, le miniftère de
la métropole s’en occupa"plus férieufement que
des autres “colonies qui n’ étoient pas autant fous
fa direction j & n’entendant parler que de cet,te
ifle , y verfa le plus d’encouragemens.
Cette préférence fit» que la Guadeloupe n’avoic
en 1700, pour toute population, que trois mille
huit cents vingt-cinq blancs j trois cents vingt-
cinq fauvages nègres ; ou mulâtres libres j fix
mille fept cents vingt-cinq efclaves, dont un
grand nombre étoient caraïbes. Ses cultures fe ré-
duifoient à foixante petites fucreries , foixante-
fix indigoteries, un peu de cacao & beaucoup
de coton. Elle polfédoit feize cents vingt bêtes
à p oil, & trois mille fix cents quatre-vingt-dix-
neuf bêtes à corne. C ’étoit le fruit de foixante
ans de travaux.
La colonie ne fit des progrès remarquables
qu’après la pacificationf d’Ütrecht. On y comp-
toit neuf mille fix cents quarante - trois blancs ,
quarante-un mille cent quarante efclaves., & les
beftiaux, les vivres proportionnés à cette population
, lorfqu’au mois d’avril 1759, elle fut con-
quife par les armes de la Grande-Bretagne.
• La France s’affligea de cette perte , m,ais la
colonie eut fes raifons pour fe confoler d’un évènement,
en apparence fi fâcheux. Durant un
fiège de trois mois, elle avoit vu détruire fes
plantations, brûler les bâtimens qui fervoient à
fes fabriques, enlever une partie de fes efclaves.
Si l ’ennemi avoit été 'obligé de fe retirer après
tous ces dégâts, l’ifle reftoit fans ^e-flource. Privée
du fecours de la métropole, qui n’avoit pas
la force d’aller à fon fecours, & faute de denrées
à livrer, ne pouvant rien -efpérer des hol-
landois, que la neutralité amenoit fur fes rades j
elle n’auroit pas cti de quoi fubfifter jufqu’au
temps des reproductions de la culture.
Les conquerans Ja délivrèrent de cette inquiétude.
A la vérité, les anglois ne font pas marchands
dans leurs colonies. Les propriétaires des
terres, qui, pour la plupart, réfident en Europe,
envoyent à leurs repréfentâns ce qui leur eft né?
çeflïure > & retirent, par lç retour de leurs yaiffeaux*
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feàu, la récolte entière de leurs fondât Un com*
miffionnaire établi dans quelque port de la Grande-
Bretagne, eft chargé de fournir l’habitation &
d’en recevoir les produits. Cette méthode ne
pouvoit être pratiquée à la Guadeloupe. Il fallut
que le vainqueur adoptât, à cet égard, l’ ufage
des vaincus. Les anglais, prévenus des avantages
que læ France retiroit de fon commerce avec fes
colonies, fe hâtèrent d’expédier comme elle des
vaifleaux à l’ ifle conquife , & multiplièrent tellement
leurs expéditions, que la concurrence,
excédant de beaucoup la confommation, fit
tomber à vil prix toutes les marchandifes d’Europe.
Le colon en eut prefque pour rien j &
par une fuite de cette furabondance, obtint de
longs délais pour .le paiement. ^ hj \
A ce crédit de néceffité, fe joignit bientôt
un crédit de fpéculation, qui mit la colonie en
état de remplir fes engagemens. La nation viCto-
rieufe y porta dix-huit mille fept cents vingt-
un efclaves, avec l’efpoir de retirer un jour de
grands avantages de leurs travaux. Mais fon ambition
fut trompée 5 8c la colonie fut reftituée à
fon ancien poflefleur, au mois de juillet 1763.
L’état floriflant où la Guadeloupe avoit été élevée
par les anglois, frappa tout le monde. On
conçut pour elle ce fentiment de confidération,
qu’.infpire aujourd’hui l’opulencei Jufqu’ alors elle
avoit été fubordonnée à la Martinique, comme
toutes les ifles françaifes du vent. On la délivra
de çes liens, qu’elle trouvoit honteux,.en lui
donnant une adminiftration indépendante. Cet
ordre de chofes dura jufqu’en 1768. A cette
époque , elle fut remife fous l’ancien joug. On
l ’en retira en 1 7 7 2 , .pour l’y faire rentrer fix
mois après. En 177 y , on lui accorda de nouveau
des chefs particuliers ; & il faut efpérer. qu’après
tant de variations, la cour de Verfailles fe
fixera à cet arrangement, le feul conforme aux.
principes d’une politique éclairée. Si le miniftère
s’écartoit jamais de cet heureux plan, il verroit
encore les gouverneurs & les intendans, prodiguer
leurs foins, leur crédit, leurs affections à
l’ifle métropolitaine , immédiatement foumife à
leur inlpeCtion j tandis que Tille affervie feroit
abandonnée à des fubalternes, fans force , fans
confidération, & par conféquent, fans aucun
pouvoir , fans aucune volonté, d’opérer le bien.
Les gens de guerre qui ont opiné pour la réu
nion des deux colonies fous les mêmes chefs , fe
fondoient fur l’avantage qu’il y auroit à pouvoir
réunir les forces des deux ifles, pour leur dé-
fetife mutuelle. Mais ils n’ont pas penfé qu’ entre la
Martinique & la Guadeloupe , fe trouvoit à une
diftance égale , la Dominique ,. établifiement Anglois,
qu’on, ne peut éviter ^ & qui infpeCte
également le double canal, qui la fépare des
pofleffionsfrahçoifes. Si vous êtes inferieur en
forces matimes^ la communication eft impraticable,
parce que les fecours refpeCtifs ne fau- (Econ. polit. G " diplomatique, Tom, II,
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roîent manquer d’ être interceptés j fi vous êtes
fupérieur, la communication eft inutile, parce
qu’ il , n’y a point d’invafion à craindre. Dans les
deux cas, lé fyftême qu on veut établir n’eft qu’une
cfiimère.
Il en feroit tout autrement, s’ il s’agiffoit d’exécuter
des projets offenfifs. La réunion des moyens
propres à chaque ifle , pourroit devenir utile,,
néceflaire même dans ces circonftances. Alors
on confieroit le commandement militaire à l’un des
gouverneurs, & fa prééminence ceflferoit après
l’entreprife projettée.
Mais convient-il de laifler libre, le verfement
des produûions territoriales d’une colonie dans
l’autre ? Jufqu’ à la cdnquête de la Guadeloupe-
par les anglais , fes liaifons. directes avec les ports
de France , s’étoient bornées à fix ou fept navi-,
res chaque année. Ses denrées, par des motifs
plus ou moins réfléchis, prenoient la plupart la
route de la Martinique. Lorfqu’ à l’époque de la
rettitution, l’adminiftration des deux ifles fut réparée
, on fépara .aufli leur commerce. Les communications
ont été rouvertes depuis, .& font
encore permifes au temps où nous écrivons.
C e t ordre de chofes trouve des cenfeurs en
France. Il faut, difent-ils avec amertume, que
les colonies rempliflent leur deftination, qui eft:
de confommer beaucoup de marchandifes de la
métropole, & de lui envoyer une grande abon-
• dance de productions. O r , avec les plus grands
moyens pour remplir cette double obligation ,
la Guadeloupe ne fera ni l’un ni l’autre , tout le
temps qu’ il lui fera permis de porter fes denrées
à la Martinique. Cette liaifon fera toujours la
caufe ou Toccafion d’un - verfement immenfe dans
les marchés étrangers, principalement à la D ominique.
Ce n’eft qu’en coupant le pont de com-
i munication, qu’on arrêtera ce commerce frauduleux
, & qu’on déracinera l’habitude de la contrebande.
Ces argumens puifés dans l’intérêt particulier,
n’empêcfient pas que la Guadeloupe & la Martinique
ne .doivent être confirmées dans les liaifons
qu’ elles ont formées. La liberté eft le voeu
de tous les hommes 5 & le droit naturel de tout
propriétaire, eft de vetftlre à qui il v e u t, & le
plus qu’ il p eut, les productions de fon fo l.. On
s’ eft écarté, en faveur de la métropole, de ce-
principe fondamental de toute fociété bien ordonnée
j &. peut-être le falloit-il dans l ’état actuel
des chofes. Mais vouloir étendre plus loin
les prohibitions, qu’éprouve le colon : vouloir
le priver des commodités & des avantages qu’il
peut trouver dans une communication fuivie ou
paflagère avec fes propres concitoyens ; c ’eft un
aCte de tyrannie, que le commerce de France
rougira un jour d’avoir follicité. S i , comme on
le prétend, la navigation permife entre les deux
ifles, donne une portion de leurs denrées à de«
rivaux rufés. &. avides , le gouvernement trou-
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