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fc dévouèrent folemnellement pour la république
réduite à la dernière extrémité. Plufieurs prêtres
fe joignirent à eux , & imitèrent ces illuftrës vieillards.
Les uns ayant pris leurs habits faints, &
les autres leurs robes confulaires avec toutes les
marques de leur dignité , fe placèrent à la porte
de leurs maifons 3 dans des chaifes d’ivoire, où
ils attendirent avec fermeté l’ennemi & la mort.
Voilà le premier exemple de dévouement général
dont l’hiftoire faffe mention, & cet exemple eft
unique. Tite-Live, liv. tf, chap. 32.
L ’amour de la gloire & de la profeffion des
armes porta le jeune Curtius à imiter le généreux
défefpoir de ces intrépides vieillards, en fe précipitant
dans un gouffre qui s’étoit ouvert au milieu
de la place de Rome, & que les devins avoient
dit devoir être rempli de ce qu’elle avoit de pkis-
précieux, pour affûter la durée éternelle de fon
empire. Tite-Live 3 liv. V i l > chap. 6.
Le principal motif du dévouement des payens
étoit d’appaifer la colère des dieux malfaifans &
fanguinairés, dont les malheurs & les difgraces
qu’on éprouvoit, donnoient des preuves Convaincantes
; mais c’étoit proprement les puiffances infernales
qu’on ayoit denein de fatisfaire. Comme
elles paffoient pour impitoyables lorfque leur fureur
étoit une fois allumée, les prières, les voeux,
les victimes ordinaires paroifloient trop foibles
pour la fléchir ; il falloir du fang humain pour l’éteindre.
Ainfi, dans les calamités publiques, dans l’horreur
d’une fanglante déroute, s’imaginant voir les
furies , le flambeau à la main, fuivies de l’épouvante
, du défefpoir, de la mort, portant la défla
tion par-tout, troublant le jugement de leurs
chefs, abattant le courage des Toldats, renver-
fant les bataillons & confpirant à la ruine de la
république, ils ne trouvoient point d’ autre remède
pour arrêter ce torrent, que de s’expofer à la rage
de ces cruelles divinités, & attirer fur eux-mêmes,
par une efpèce de diverfion, les malheurs de leurs
citoyens.
Ainfi ils fe chargeaient, par d’horribles imprécations
contre eux-mêmes, de tout le venin de
la malédiction publique, qu’ils croyoient pouvoir
communiquer comme par contagion aux ennemis,
en fe jettant au milieu d’eux , s’imaginant que les
ennemis accompliffoient le facrifice & les voeux
faits contre e u x , en trempant leurs mains dans
le fang de la viClime.
Mais , comme tous les aCtes de religion ont
leurs cérémonies, propres à exciter la vénération
des peuples, & en repréfenter les myftères, il y
en avoir de fingulières dans le dévouement des romains
, qui faifoient une fi vive impreflîon fur les
efprits des deux partis , qu’elles ne contribuoient
pas peu à la révolution fubite qu’on s’en promet-
toit.
Il étoit permis, non-feulement aux magiftrats ,
mais même aux particuliers, de fe dévouer pour
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le falut de l’éta t} mais il n ’y avoit que le général
qui put dévouer un foldat pour toute l’armée ;
encore falloit-il qu’ il fût fous fes aufpices, & enrôlé
fous fes drapeaux par fon ferment militaire.
Tit&rLive 3 liv. P~I11 3 chap. 10.
Lorfqu’ il fe devouoit lui-même , il étoit obligé,
en qualité de magiftrat du peuple romain , de prendre
les marques de fa dignité, c’eft-à-dire, la robe
bordée de pourpre, dont une partie rejettée par
derrière, formoit autour du corps une manière
de ceinture ou baudrier, appelle cinëlus gahinus,
parce que la mode en étoit venue des gabiéns.
L ’autre partie de la robe lui couvroit la tête. Il étoit
debout, le menton appuyé fur fa main droite par-
defîous fa robe, & il avoit un javelot fous fes pieds.
Cette attitude marquoit l’offrande qu’il faifoit de
fa tête, & le javelot fur lequel il marchoit, dé-
fignoit les armes des ennemis qu’il confac-roit aux
dieux infernaux, & qui dévoient être bientôt ren-
verfés par terre. Dans cette fituation, armé de
toutes pièces , il fe jettoit dans le fort de la mêlée
, & s’y faifoit tuer. On appelloit cette aClion
fe dévouer à la terre & aux dieux infernaux.
C ’eft pourquoi Juvénal d i t , en faifant l’éloge des
dieux :
Pro legianibus s auxili.is , & plebe latinâ
Sufjiciunt dits inférais , terr&que parenti.
Le grand-prêtr.e faifoit la cérémonie du dévouement.
La peine qu’il prononçoit alors, étoit répétée
mot pour mot par celui qui fe dévouoit.
Tite-Live 3 liv. V I I I , chap. 9. nous l’a confer-
v é e , & elle eft trop curieufe pour ne pas l’inférer
ici.
« Janus Jupiter, Mars , Quirinus, Bellone ,
» dieux domeftiques , dieux nouvellement reçus
» dieux du pays ; dieux qui difpofez de nous &
» de nos ennemis, dieux mânes, je vous adore,
» je vous demande grâce avec confiance, & je
»-vous conjure de favorifer les efforts des romains,
» & de lçur accorder la victoire, de répandre.la
» terreur, l’ épouvante, la mort fur les ennemis.
» C ’eft le voeu que je fais , en dévouant avec
» moi aux dieux mânes & à la terre, leurs lé-
» gions & celles de leurs alliés, pour la répu-
» blique romaine ».
On ne doit pas être furpris des révolutions fou-
daines qui fuivoient les aévouemens pour la patrie.
L ’appareil extraordinaire de la cérémonie, l’autorité
du grand-prêtre, qui promettoit une victoire
certaine, le courage héroïque du général qui cou-
foit avec tant d’ardeur à une mort afïurée, étoient
affez capables de faire impreffion fur l’efprit des
foldats , de ranimer leur valeur & de relever leurs
efpérances. Leur imagination remplie de tous les
préjugés de la religion payenne, & de toutes les
tables que la fuperftition avoit inventées, leur faifoit
voir ces memes dieux, auparavant fi animes
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i leur perte , changer tout d'un Coup l’objet de i
leur haine , & combattre pour eux.
Leur généraU-en s'éloignant, leur paromoit
d'une forme plus qu'humaine : ils le regardoient
comme un genie envoyé du ciel pour appaifer la
colère divine, & renvoyer fur les ennemis les traits
qui leur étoient lancés. Sa mort, au lieu de conf-
teruer les liens , ralfuroit leurs efprits : c etoit la
confommation de fon facrifice, & le gage affûte
de leur réconciliation avec les dieux.
Les ennemis mêmes, prévenus des memes erreurs,
Jorfqu’ils s’ étoient apperçus de ce qui s’étoit paffe,
croyoient s’être attirés tout l’enfer fur les bras,
en immolant la victime qui leur etoit confacree.
Ainfi Pyrrhus ayant été informé du projet du
■ dévouement de Decius, employa tous fes talens
& tout fon art pour effacer les mauvaifes impref-
pons que pourroit produire cet événement.
Les romains ne fe contenaient pas de fe dévouer
à la mort pour la ^république , & de livrer
en même-temps leurs eqnemis à la rigueur des divinités
malfaifantes : toujours prêtes à punir & à
détruire, ils tâchoient encore d’enlever à ces mêmes
ennemis la protection des ; dieux maîtres de
•leur fort 5 ils évoquoient ces dieux j ils les invitaient
à abandonner leurs anciens fujets, indignes
par leur foibleffe de la protection qu’ils.leur avoient
accordée , & à venir s’établir à-Rome, où ils
trouveroient des ferviteurs plus ?^élés & plus en
'•état de leur rendre les honneurs qui leur étoient
?dus. C ’ eft ainfi qu’ ils en ufoient avant la prife des
•villes, lorfqu’ils les voyoient réduites à l’extrémité.
Après ces évocations, dont Macrobe nous a con-
•-fervé la formule , ils ne doutoient point de leurs
victoires. & de leurs fuccès.
I Tous aiman's leur patrie, rien ne fembloit les
‘empêcher de facrifier leur vie au bien de l’é ta t,
& au falut de leurs citoyens. Là république ayant
auffi un pouvoir abfolu fur tous les particuliers qui
la compofoient, il ne faut pas s’étonner que les
i romains dévouaffent quelquefois aux dieux des en-
[ fers des fujets pernicieux dont ils ne pouvoient
pas fe défaire d’unè autre manière, & qui pourvoient
, par ce dévouement j être tués impu-
nément.
K ( Cet article ejl de Vancienne Encyclopédie. .)
D EW A N , D EW A N E E , nom d’un officier,
[ ©u titre d’un office dans le Bengale , qu’il eft im-
[ portant de faire connoître.
[ Le dewanée 3 ( dit M. Bolts dans l’Etat civil ,
i politique & commerçant du Bengale, ) eft le nom
d’un office qui n’exifte plus depuis plufieurs an-
l'nées, & cependant les agens de la compagnie
î s’en font fervis pour faire illufion aux ignorans,
& abufer la légiflation de la Grande - Bretagne.
I Afin de mettre le leCteur en état de former un
jugement impartial fur ce qu’ on appelloit autre-
! fois le dewanée, & fur ce qu’on veut faire en-
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tendre à préfent parce mot, nous aurons recours
à ce qu’en ont dit ceux qui ont joué les principaux
rôles dans l’adminiftration des affaires du
Bengale, & qui par conféquent connoiffoient bien
cette matière.
M. Vanfittart , qui a été gouverneur du Bengale
, nous dit que le dewanée eft l’emploi d’ un
officier qui eft le fécond de la province , & qui a
la furintendance des terres & de la perception des
revenus. C et officier, appellé dewan 3 eft nommé
par la cour de Delhi ; il eft abfolument indépendant
du nabab q ui, fuivant la conftitution de
l’Empire, n’ a aucun droit de fe mêler de ce qui
regarde l’adminiftration des revenus.
Une lettre de plufieurs membres du confcil de
Calcutta à la cour des directeurs, datée du 11
mars 176 1 , nous dit : « que le dewanée eft l’em-
» ploi d’un officier chargé de la perception des
» revenus de toutes les provinces foumifes au na-
» bab , & dont il doit rendre compte à la cour
>» de Delhy. C e t officier eft différent} du foubah,
» qui a le commandement des troupes & la ju-
» rifdiétion des provinces. Le dewanée étoit au-
» trefois un office féparé 5 mais les nababs du
» Bengale , profitant des derniers troubles de l’Em-
» pire, fe font approprié cet emploi ».
Voici les termes de M. H o lw e l," ancien gouverneur
du Bengale , au fujet du dewanée : « lJem-
» pereur a la propriété des terres, & par conféquent
» les revenus. Il y a dans chaque nababie un dewan
» royal, qui rend compte au tréfor de Delhy de
» la Comme de tous les revenus , tels qu’ils font
» fixés dans les livres de la couronne. Comme le
» dewan & le nabab font toujours en bonne in-
» telligence, ils ne manquent jamais 'de prétextes
» pour foutenir que tous les revenus n’ont pas
» été payés, quoique, dans le fait , ils en aient
» reçu, le montant. Ils partagent entr’eux ce qu’ils
» peuvent diftraire ainfi du tréfor royal, & le na-
» bab prend toujours la part du lion ».
Le lord Clive & fon comité acquirent , en
176 5 , à la compagnie angloife cet emploi de dewanée.
L ’empereur le leur avoit déjà offert plufieurs
fois ; mais elle l’avoit toujoürs refufé. La
cour des directeurs écrivit, en 1763,. au gouverneur
& confeil de Calcutta : « vous avez très-bien
» fait de ne pas accepter le dewanée què nous
» offroit le r o i, c’eft-à-dire, le prince Ally-Go-
» har î nous fommes fatisfaits des raifons que vous
» donnez de votre refus ».
On alléguoit alors pour raifon, que fi la compagnie
angloife prenoit cet emploi, il en réfulte-
roit des difputes interminables avec le nabab ,
parce qu’on diminueroit trop fon autorité ; qu’on
exciteroit la jaloufie & le mécontentement des puiffances
du pays & des nations de l’Europe qui ont
des établiflemens dans le Bengale ; que la légifla-
tion d’Angleterre pourroit fe mêler des affaires de
la compagnie & les contrarier; & qu’enfin l’ac-
quifition de cet office pourroit avoir d’autres fui