
L'importation des métaux de l'Amérique, 8c
l'exportation des objets dêftinés à l'approvifionne-
ment du Mexique & du Pérou, avoieut été peu considérables
durant la guerre, & on ne peut prendre
ces états des deux premières années de paix,
pour des données fixes. Il faut attendre celui de
1786 qui paroîtra au commencement de 1787.
Nous oferons prédire qu'on y trouvera la quantité
de métaux importés plus confidérable qu'on ne
le croit ; & qu'au lieu d'évaluer cette importation
à 89 millions par année avec M. l'abbé Raynal,
ou à une fournie moins grande, comme le fait
M . Necker, les importations de métaux feront,
année commune, de plus de 120 millions.
Les états que nous venons de, donner, offriront
d'une année à l'autre les progrès, de l'activité
8c du commerce efpagnol ; 8c ils montrent
dès-à-préfent que les étrangers ne fourniffent pas
des cargaifons aufli confidérables qu'on le croyoit,
dans les exportations qui fe font en E(pagne pour
l'Amérique. La valeur des productions & marchandises
efpagnoles, exportées pour l'Amérique
en 1784, fut, de 195,885,361 réaux de ÿel!o.n }
celle des productions & marchandifes étrangères,
exportées aufli pour l'Amérique dans la même
année, fut de 238,923,219 réaux : ainfi cette dernière
n'excède pas la première, d'un cinquième (1).
La différence a été un peu plus forte en 1785-5
mais elle n’ a pas été d'un quart : & fi fera bien inté-
reffant de fuivre déformais cette lutte de l'induftrie-
efpaenole, contre l'induftrie des nations étrangères.
M. Necker n'évalue qu'à 1600 millions les
métaux d’or 8c d'argent, expédiés des Indes-occidentales
, 8c reçus à Cadix 8c à Lisbonne,
depuis 1763 , jufqu'en 1777 : calculant enfuite,
d'après les regiftres des hôtels des monnoies,l'augmentation
du numéraire en France, dans cet intervalle
de 15 ans, il trouve que le numéraire a ;
augmenté de 600 millions : après avoir déduit de la
fomme totale des métaux, importés d'Amérique
en Europe, par le commerce légitime ou le commerce
interlope , la quantité de ces métaux qui
ont paflfé, dans le même efpace de temps , aux
Indes, à la Chine, à l'Ille-de-France, au Levant
& fur les côtes de Barbarie, il ne refte que 600
millions pour l'accroiffement du numéraire des aü ■
très pays de i'Europe ; & il conclud que « Pac-
»> croiffement du numéraire de la France, pensa
dant 15 ans, paroît égal à l'accroifTement du
» numéraire des autres pays de l'Europe, durant
» le même intervalle. » C e réfultat doit être bien
agréable aux françois ; mais il ne peut être jufte.
Au refte , l'auteur célèbre que nous venons ‘de
citer, fe défie de toutes fes fuppofitions & de fes
calculs , & il en avertit les Ieéteurs : les détails
que voici démontreront qu'en effet il fe trompe.
Si les enregiftremçns des métaux, arrivés à Cadix l
& a Lisbonne, depuis 1763, jufqu'en 1777, n'offrent
qu environ i6co millions de métaux d'or 8c
d argent | 1 Europe n'a reçu , année commune,
des poffeflions efpagnoles & portugaifes en Amérique,
qu un peu plus de ic6 millions par an. Mais
il y a lieu de croire^qu'elle en a reçu davantage :
car enfin, d après le relevé des douanes de 1784,
les difterens ports d’EJpoegne ont reçu 929,123,894
reaux de vêlions, ou 23 2,280,973 liv. tournois en
métauxj 8c en 1785, d'après le même relevé des
douanes, YEfpagne a également reçu d? Amérique,
877,660,778 réaux de vêlions-, ou 219,415,194 liv.
en métaux. b ’Efpagnc feule a donc reçu d'Amérique,
dans les années 1784 & 1785, 451,696,167 <
liv. tournois en métaux, & quand on fuppoferoit
que c'eft le produit des mines , pendant quatre
années , il en téfuîteroit que les feules mines du
Mexique & du Pérou produifent aujourd'hui
plus de 112 millions par année. Il faut obferver
que l'efcadre efpagnole avoit rapporté, en'1783,.
la plus grande partie des métaux qui fe trou-
voient au Mexique & au Pérou } que lès ef-
cadres efpagnoles 8c françoifes ont tiré une
quantité confidérable de métaux par la Havane
, pendant la guerre j que les citoyens.des
Etats-Unis en ont tiré par la même voie, 8c que
'ces retours de 1784 8c 1785 font tout au plus le
produit des mines du Mexique '& du Pérou, pendant
quatre années. Enfin , s'il refte fur cet objet
des points qu'on ne veuille pas regarder comme
affez fû r s q u 'o n attende les états de 1786 & de
ceux des années 'qui fuivront.
Il faut y ■ ajouter enfuite la quantité d'or 8c d'argent
^ue le Portugal a reçu de fes poffeflions
d'Amérique , dans les années 1784 & 1785. Mais
le cabinet de Lisbonne n'a point publié ces détails, 8c
fi on fuppofe que le port de Lisbonne a reçu, en 1784
8c-170 y j la quantité dé métaux qu'il a reçus, année
commune , depuis la découverte des mines, jufqu'en
1756 ; ( c e t intervalle étant de 60 ans , 8c
les regiftres des flottes nous apprenant que le Bréfil
feul avoit envoyé 'en Portugal, 2,400,000,000 en
o r , c'eft-à-dire, année commune , 40 millions } )
on verra que l'Europe a reçu d'Amérique, par la
voie de l ’Efpagne 8c du Portugal, plus de 106 millions
de métaux dans chacune des années qui fe
font écoulées entre 1763 8c 17 77, & qu'elle en a
reçu plus de 140;
L'exploitation des mines du Mexique & du
Pérou a fait de grands progrès, il eft vrai, der
puis huit ou dix ans } mais il eft clair que::?
nouveaux fuccès des entrepreneurs des mines n«.
peuvent avoir augmenté, le produit d'une quantité '
aufli forte que celle que.nous trouvons ici pour
différence. Il paroît donc .que les états , fur lef-
quels M. Necker a compté , d'après d'autres
écrivains, dans l'intervalle de 1763 à 17 7 7 , font
(1) Mais elle a été de plus d’un cinquième , parce qu’on embarque dans les ports YEfpagne une quantité
ailes confidérable de marchandifes qui font réputées nationales, & qui font de fabrique étrangère.
trop foibles , & qu'ainfi, le numéraire des autres
nations a pu s'accroître, dans une proportion plus
rapprochée de celle déjà France. 11 feroit en effet
1 iconcevable que l'Angleterre, qui depuis 1763,
jufqu'en 17 7 7 , s'eft emparée de prefque tout l'or
du Bréfil, n'eût pas elle feule augmenté fon numéraire
de,plus de 300 millions, dans cet inter-
.valle de 15 ans : ainfi, le. numéraire de la France
a bien réellement augmenté de 600 millions, depuis
1763 , jufqu'en 1777 } mais le leéteur jugera
fans doute, que l'accroiffemeQt réuni du numéraire
des autres nations de l'Europe a1 été plus confidérable.
On fera d'autant plus difpofé à le croire, que
M. Necker fait une autre évaluation trop foible
dans la même partie de fon ouvrage. 11 n'eftime
que de 2 à 3 cens millions les parties non enregistrées,
qu'on a débarquées clandeftinement dans
les ports iïEfpagne 8c de Portugal, la quantité
de poudre d'or , apportée des cotes d'Afrique ,
8c les productions des mines d'argent, éparfes
dans toute l'Europe, depuis 1763, jufqu'en 13777*
En prenant un terme moyen, on ne trouve qu'en-
viron 16 millions par année. Les vaiffeaux qui reviennent
d'Amérique , font feuls entrer une fomme
au moins égale, dans les ports d’ Efpagne 8c -à Lif-
bonne} & il y a fieu de penfer que les mines
d'Europe en donnent , elles feules , une aufli
forte fomme chaque année : car enfin , on tire
40 mille marcs de celles de Saxe ? ou environ
2 millions : celles de Hongrie produifent à-peu-près
5 millions : celledu Hartz,félon M. Bufching, dont
tout le monde connoît l'exaéritude, mettent dans
la circulation 802,860 rïxdales par an , & quelques
perfqnnes évaluent à plus d'un million de
roubles le produit de celles de la Sibérie} & il y
a des années où elles ont produit, dit-on, deux
millions 8c demi de roubles.
Il feroit poflible d'augmenter la maffe des métaux
& des denrées, que YEfpagne tire du Mexique
8c du Pérou. Pour atteindre le premier
b u t, il fuffiroit "que le gouvernement fît paffer
des gens plus habiles dans la métallurgie , 8c
qu'il fe relâchât fur les conditions auxquelles on
permet d'ouvrir des -mines : mais ce fuccès ne feroit
jamais que paffager. La raifon en eft fen-
fiblç. L'or 8c l’argent ne font pas des richeffes }
ils repréfentent feulement des richeffes. Ces lignes
font très-durables, comme il convient à leur def-
tination. Plus ils fe multiplient ', & plus ils perdent
de leur valeur, parce qu'ils repréfentent
moins de chofes. A mefure qu'ils font devenus
communs , depuis la découverte de l'Amérique,
tout a doublé, triplé, quadruplé de prix. Il eft
arrivé que ce qu'on a tiré des mines,, a toujours
moins v alu} & que ce qu'il en a coûté pour les
exploiter, a toujours valu davantage.‘La balance 5
qui penche toujours de plus en plus du coté de
la dépènfc, peut rompre l'équilibre , au point
qu'il faudra renoncer à cette fource d'opulence.
Mais ce feroit toujours un grand bien que de finiplifier
ces opérations, & d’employer toutes les
reliôuices des fciences à rendre ce travail moins
deftruéteur qu'il ne l’a été.
On s'eft long-temps mépris fur la manière d’importer
en Efpagne, les tréfbrs du Mexique & du Pérou.
M . de la Enfenada comprit le premier que
l’extraérion en feroit impraticable, tout le temps
que le commerce du nouveau-Monde feroit conduit
comme il l’avoit été. A u fli, malgré les obstacles
qu'on lui oppofa, malgré les préjugés qu'il
fàlloit vaincre , fubftitua-t-il en 1740 des vaiffeaux .
détachés, à l'appareil fi antique & fi révéré des
galions & des flottes. 11 méditoit des changemens
plus avantageux encore , lorfqu’une difgrace imprévue
l'arrêta au milieu de fa brillante carrière.
La moitié du bien qu'avoit fait ce miniftre hardi
8c habile , fut annullee en 1756 , par le rétabli fle-
ment des flottes : mais le mal fut en partie réparé
huit ans après, par l'établiffement des paquebots
qui, de la Corogne, deyoient porter tous les mois
à la Havanne les lettres deftinées pour les colonies
feptentrionales, 8c tous les deux mois à Buenos-
Aires pour les colonies méridionales. On autorifa
ces bâtimens affez confidérables à fè charger à leur
départ, des marchandifes d'Europe , 8c à leur retour
des denrées d'Amérique.
La fortie des métaux étoit prohibée fous des
peines capitales. On Te jouoit de cette défenfe
très - mal calculée , puisqu'il falloit bien que le
commerce étranger retirât la valeur des marchandifes
qu'il avoit fournies. Les gouvernemens anciens
, qui avoient pour les lo ix , le refpeét qu'elles
méritent, n'auroient pas manqué d'en abroger une,
dont l’obfervation auroit été démontrée chimérique.
Dans nos temps modernes, où l'on fuit trop fouvent
. les fantaifies des adminiftrateurs, &non des principes
raifonnés, YEfpagne fe contenta , en 1748 , de
permettre l’extraérion de l'or 8c de l'argent, pourvu
qu'on payât au fifc un droit de trois pour cent.
Cette redevance fut portée vingt ans après à quatre
, qüoique des fraudes continuelles avertîffent
fans ceffe le gouvernement qu'il étoit de fon intérêt
de la diminuer.
L'an 1774 fut l'époque d'une autre innovation
heureufe. Jufqu'alors toute liaifon entre les différentes
parties du continent avoit été févérementproff
crite. Le Mexique, Guatimala, le Pérou, & c. étoient
forcément étrangèrs l'un à l'autre. Cette aérien, cette
réaétion qui auroient fait jouir toutes ces provinces
des avantages que la nature leur avoit partagés ,
étoient placées au rang des crimes, 8c très-févére-
ment punies. Mais pourquoi n'avoit-on pas étendu
la proscription d'une ville à une autre v ille} d'une
habitation à l'habitation voifine , dans le même
canton } d'une famille à une autre famille , dans
la même cité ? Le doigt de la nature a-t-il tracé
fur le fol qu'habitent les hommes, quelque ligne
de démarcation ? Comment fous la même dénomination
un fieu placé à égale diftance entre deux
autres fieux, peut-il exercer librement à Ponçât