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Jufques-là, fon pouvoir n’eft que précaire, &: , |
fi Ton peut parler ainfi. , qu’une autorité par intérim,
plus dangereufe pour lui que pour tout autre.
Pour l’exercer , il faut qu’il la tranfporte fur
une autre tê te , qui en ufera ou en abufera. Pour
en ufer, il faut qu’il la rende fîenne ; car être fer-
viteur 8c maître tout enfemble, furpaffe les forces
de l'humanité. Le voilà donc fufped ou abufif. S’il
abufe, il tyrannife , 8c la tyrannie écrafe & dif-
perfe la fociété.
En un m o t, l’ aétion fociale doit être perpétuelle.
Point d’aétion durable fans réaétion. Ainfi
le veulent les loix de la nature que l’homme ne
fauroit changer. L ’aétion du fouverain fur le peuple
a befoin de la réa&ion du peuple fur la fou-
veraineté. Il faut au peuple un prince , il faut
au prince un peuple j le befoin eft réciproque à
cet égard. _
Le befoin du peuple eft que le fouverain foit
le protecteur 8c le défenfeur des loix reconnues 3
8c de fa voir à qui & à quoi il obéit. Le befoin
du prince eft que fes droits foient reconnus 3 8c
que le peuple lui pbéifTe volontairement & fans
contrainte. Entre ces deux bel'oins de leur nature,
fi correfpondans & fi aifés à concilier en apparence
, fe trouvent la cour des princes 8c leurs
prépofés. Les courtifans affidus n’ont pas befoin
de la volonté du prince , mais de celle de l’homme
} à force d’intrigues & d’ affiduités , ils obtiennent
les places j & l’on fait que l’ afliduité &
l ’intrigue ne font pas l’école des règles, des loix,
des ufages, des moyens de s’affocier les opinions 8c de prévenir les cas d’intervention dè l’autorité.
L e defir même de fe faire valoir & d’étaler fes
propres fervices provoque les occafions. L ’impéritie
une fois compromife aime à trancher le noeud
gordien, & tous ces motifs intéreflent les prépofés
à provoquer l’exercice de la volonté p e r - .
fonnelle , & à préfenter de loin 8c de près à l’autorité
les exemples qui l’entraînent vers le defpo-
tifme.
Ainfi l’on dépouille le prince de fon vrai pouvoir
, en opprimant le peuple, en contrariant fes
©pinions 8c fes ufages, 8ç en s’oppofant à l’exercice
de fa raifon, jufqu’à- ce qu’on ait enchaîné
le prince des fers dorés du dejpotifme, avili le peuple
& anéanti l’ efprit national.
C ’ eft chez les nations civilifées , apprivoifées ,
polies, qu’il faut chercher le defpotifme vraiment
a& if 8ç corrofifj follicité d’un côté parla cupidité
ambitieufe & le voeu commun de l’impunité $
facilité de l’autre par la connivence, la prévarication
, la molleffe, & par tous les vices qui, dans
les périodes préparatoires des révolutions politiques
, remplacèrent de tout temps les moeurs gé-
néreufes-., turbulentes & économes. Aux lieux où
Ton croit voir le defpotifme avoué & dominant,
©n ne trouve qùe des déferts, des étapes de commerce
8c des caravanes 5 ce font des pays de con-
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quête, qui, faute de lo ix , n’ y purent voir s é*
lever des nations.
C e ne peut être l’oeuvre d’un grand homme,
ni de plulieurs même fucceftifs, que de faire goûter
& recevoir des loix à des peuples une fois barbares
} c’eft l’effet feul du temps & des circonf-
tances longues 8c défaftreufes, qui amène un peuple
à plier volontairement fous, le joug des loix :
& malheureux aveugles que nous fommes , a peine
nous jouiffons de quelques-uns des avantages qui
coûtèrent tant de foin$ 8c de travaux à nos peres,
que chacun de npus cbficourroit volontiers, dans
ce qui lé regarde, à leà tranfgreflfer avec mépris.
On fatigue,le juge de folliekations > ce qui eft renier
la loi pourùnvoquer l’homme : on accable la
cour de demandes pour obtenir des places &r des
penfions î ce qui eft dénaturer la charge 8c l’eri-
ger en bénéfice, déferter l’emploi & envahir les
émolumens > on interroge, on invite de toutes parts
le dejpotifme du prince } chacun de nous voudroit
que le gouvernement f ît tout, pourvu qu il le fît
félon nos vues 8c nos intérêts particuliers : on
cherche à établir le dejpotifme jufques fur les digues
pofées pour l’ arrêter. Ainfi vit-on autrefois,
dans certains pays , des tribunaux de la légalité
ordonner qu’on arrachât les vignes-, ou qu’on envoyât
, dans des temps de prétendue difette, les
pauvres en garnifon chez les propriétaires aifés.
Qu’on y prenne garde, le dejpotifme eft dans
l’ame de tous les hommes , 8c dans la cupidité
de chaque individu , tel qu’ il puiffe être. I ln a
de remede efficace 8c permanent que dans l’inf-
tru&ion de tous, afin que l’opinion & le préjugé
de tous faffent fociété en faveur du droit d’un
chacun , 8c foit plus fort que toute ligue oppref-
five.
Que tout homme apprenne, dès qu’ il peut concevoir
& s’énoncer , ce que font les droits & les
devoirs de l’homme} ils font auffi Amples, qu’ ils
font contredits par la barbarie & par les ufages
qu’elle a fait naître : ce font les titres & les caractères
diftindtifs de la liberté de l’homme, &
de fa véritable foumiffion. La connoifTance des devoirs
fait des fujets bien plus fûrs 8c plus acquis
que l’ emploi de la contrainte 5 & U connoifTance
des droits, en nous donnant la plénitude de notre
être & une haute idée de notre condition , nous
attache tout autrement à la puiflance qui veille
pour nous les conferver. Ils ne fauroient fe montrer
à nous, fans la connoifTance,-des droits d’autrui
, de ceux fur-tout de l’autptité protectrice &
du prince qui en eft revêtu. ^
Cette connoifTance première tient à celle des
avances, de leur nature, de leur origine, de leur
importante 8c décifive immunité. Tout cela s’ap-
perçoit 8c fe grave aifément dans le coeur 8c dans
la mémoire , parce que tout cela tient au premier
des préceptes , 8c que Tçnfemble conduit à la
connoifTance & au refpeCt de la propriété , qui
n’eft pas moins un fçntinaent excité par l’amour
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propre, qu’ un efprit de modération infpire par
l’équité.
Voilà tout ce qu’ il faut que l’homme Tache pour
être entièrement difpofé à fe foumettre a des loix ,
à ne pas s’y tromper, à ne reconnoitre comme
telles que celles qui énoncent les loix de la nature
& préfentent la règle infaillible des moeurs ,
à ne recevoir pour loix que les injonctions marquées
à cette empreinte > à rejetter enfin , par la
jforce de la raifon, toutes celles qui n’ont point
[ce çaraCtère, au lieu de les éluder par la fraude,
de les avilir par la défuétude, & de donner aux
moeurs le régime de TinfraCtion.
. C ’eft ce régime funefte qui établit le defpotifme
habituel, volontaire 8c individuel, dans le fein
de chaque fociété. Chacun veut arriver à fon but
'par la foute la plus courte $ c’eft le voeu de la
nature ; c ’eft l’épargne des avances 8c le moyen
de trouver un profit plus confidérable & plus fur.
Chacun veut l’obtenir à moins de frais poffible }
tous invoquent le defpotifme 3 dans Tinftant même
où ils le dévouent à l’anathême qu’ il mérite, en
ifuppofant le defpote invefti d’une puiflance illimit
é e , fans autre guide que fa foible & fragile volonté
; mais ce fentiment d’horreur qu’il infpire,
[bien profond 8c bien reconnu, n’eft encore que
lie voeu de l’ufurpation.
I Ce voeu général déguifé fous toutes les formes,
loin d’être combattu, doit peur devenir utile
■ être livré à fon propre efTor, jufqu’ à ce qu’il ren-
icontre le defpotifme légal.
■ Voilà le vrai defpotifme ; celui q u i, fous la dic-
itée de la nature, peut feul gouverner l’homme
len tout temps & en tous lieux, qui affurera les
adroits des fouverains & leur puiffance, les droits
de l’homme & fa foumiffion. Le code des loix
■ majeures prononcées defpotiquement par cette au-
Itorité bienfaifante, mais impérieufe, fous peine
jde mifère 8c de mort, n’eft ni long ni abftrait. A
[l’ombre du refpeCt qui leur eft dû , repoferont les
lloix coutumières, les ufages, les règles, les moeurs :
[l’autorité fera par-tout abfolue, & nulle part arbitraire.
I La nature, dans fon cours , nous montre cha-
Ique jour l’exemple du defpotifme, qui nous rend
[le matin la lumière , & qui nous l’ôte le foir }
imais félon des révolutions confiantes, générales
|& favorables, qui guident, manifeftent & confta-
Itent l’ ufage de nôtre liberté. Le defpotifme légal
[que nohs indiquons ic i , eft le feul raifonnable com-
|me le feul poffible. Tout autre eft la prétention
j d’un général d’ armée qui, dans TivrefTe 8c les fu-
Imées du v in , voudroit commander l’exercice à
Ideux cents lieues à la ronde, 8c prétendroit être
iobéi.
( Cet article ejl de M. G r i v e l . J
1 Nous avons fait d’autres remarques fur le def-
Ipotijhie à l’article a b solu ( Po u v o ir ) , 8c le
Ieéfeur en trouvera de nouvelles encore à l’article
M o n a r ch ie . Voye-^ auffi les articles A r is t o c
r a t ie & D ém o c r a t ie .
DÉSERTEUR,. L ’ illuftre auteur de TEfprit des
loix remarque que la peine de mort infligée aux
déferteurs 3 ne paroît pas avoir diminué les défer-
tions; il croit qu’une peine infâmante qui.les laif-
feroit vivre, feroit plus efficace. En effet, un
foldat, par fon éta t, méprife,ou eft fait pour mé-
prifer la mort, & au contraire pour craindre la
honte.
Plufieurs fouverains paroiflent avoir fenti la juf-
tefife de cette remarque ; 8c , grâces au progrès
des lumières, ou à l’expérience des princes, il ne
refte plus que quelques contrées en Europe ^ où
l ’on puniflfe de mort les déferteurs.
Le 12 décembre 177 y , une ordonnance du roi
a modéré les peines portées contre les déferteurs-,
La peine de mort avoir lieu dans tous les -cas de
défertion : on ne l’inflige plus qu’aux déferteurs qui,
abandonnant leur patrie en temps de guerre, joi’*
’ gnent la trahifon à l’ infidélité. Ceux qui défer-
tent, après avoir volé le prêt ou dérobé des effets
à la chambre, ou ailleurs, font condamnés aux
galères perpétuelles : on met les autres à la chaîne>
pour un temps proportionné au délit.
Les hiftoriens parlent d’une loi que fit Charon-
das contre les déferteurs 5 elle portoit qu’ au lieu
d’être punis de mort, ils feroient condamnés à
paroître pendant trois jours, dans la v ille, revêtus
d’un habit de femme 5 mais les mêmes hiftoriens
ne difent point fi la crainte d’une telle honte pro-
duifît plus d’effet que celle de la mort. Quoi qu’ il
en foit, Charondas retiroit deux grands avantages
de fa loi ; celui de çonferver des fujets, 8c celui
de leur donner occafion de réparer leurs fautes, 8c de fe couvrir de gloire à la première occafion
qui fe préfenteroit. J’obferverai feulement que la
peine etoit peut-être mal choifie.
L ’Europe avoit adopté des francs la peine de
mort contre les déferteurs 5 fi cette loi a pu être
bonne pour un peuple, chez qui le foldat alloit
librement à la gûerre, avoit fa part des honneurs 8c du butin, il n’en étoit pas de même parmi
nous.
Comme perfonne n’ ignore les diverfes caufes
qui rendent les défertions.fi fréquentes 8z fi confi-
dérables , je n’en rapporterai qu’une feule j c’eft
que les foldats font réellement dans les pays de
l’Europe , où on les prend par force 8c par ftra-
tagême, la plus vile partie des fujets de la nation, 8c que leur folde n’eft pas proportionnée à leurs
- fatigues. Chez les romains, ( dit encore l ’auteur
de TEfprit des loix dans un autre de fes ouvrages
, ) les déferrions étoient très-rares : des foldats
tirés d’ un peuple fi fier, fi orgueilleux, fi fûr
de commander aux autres, ne pouvaient guères
penfer à s’avilir , jufqu’à ceffer d’être romains.
On demande s’il eft permis de fe fervir à la
guerre, des déferteurs 8c des traîtres qui s’offrent