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» devroient corriger. Ils ne feroient pas bons
» contre la corruption d'une monarchie ; mais la
=•* corruption d'une monarchie feroit trop forte
» contre eux, ».
On pourroit faire beaucoup d’objeâions à l'auteur
de ce paflaee ; mais elles feroient étrangères à
cet article > 8c la penfée de M. de Montefquieu
étant plus vraie que fon expreffian, on auroit mau-
vaife grâce à critiquer ce grand homme.
S e c t i o n I V e.
Des avantages- & des: inconvénient de la démocratie.
Nous parlons , dans cet ouvrage , de toutes
lès. républiques qui exiftènt , & dé celles de l'antiquité
qui font lés plüs connues. Les détail^ fur
la forme des divers;gouvernemens populaires font
accompagnés de réflexions , d'après lefquelles on
peut fe Former une idée des avantages 8c des in-
convéniens dè la démocratie. Nous allons ajouter
quelques autres obférVations.
La démocratie pure n'exifte peut-être que dans
Ifes petits cantons fui (Tes. La dés hommes, courageux
& robuftes 3, qui ont fecoué lé joug de la
tyrannie, mènent une vie paftorale 8c ie gouvernent
eux-mêmes : leurs montagnes prelque inac-
ceffibles font la fauve-garde de leur liberté ; comme
ils ont peu de befôin,leur fimplicité prévient ou
arrête les maux queproduiroit leur gouvernement;
pour en conclure quelque chofé en faveur de la
pure démocratie , il faudroit toujours fuppofèr une
peuplade dans des circonftances pareilles , & de
pareilles circonftances ne peuvent guère fe. retrouver.
En général la démocratie pure eft fort danger
xeufe ; on peut même ajouter qu'elle eft dérai-
fonnable 3 en ce qu'elle accorde à des hommes
ignoraUs 8c grofliers des droits ft vaftes quTils: en
abuferont toujours. Ainfi. nous ne traiterons pas des
avantages 8c dès inconvéniejns de la pure démocratie
y mais des avantages 8c des inconvénens des
gouvernemens démocratiques, c'eft-à-dire , des
gouvernemens où dominent les inftitutions. républicaines.
Cette diftinélion étoit nécelfaire; car Ia.plupart
des écrivains de l'antiquité 8ç des- temps modernes
ont embrouillé la queftion, pour ne l'avoir
pas énoncée d'une manière affez précife. On a
trop généralifé les queftipns du même genre :
les mots de démocratie 3 à'arijîocratie 3 de., monarchie
& de defpoiifme ont produit de la con-.
fufion & du défordre dans la fcience qui importe
le plus au bonheur de l'humanité , & cette con.-
fufion a fini par établir aflez généralement des
principes dangereux. Les anciens légiflateurs préféraient
a tout le gouvernement républicain, tempéré
par quelques inftitutions ariftocratiques ;
mais le gouvernement républicain auquel ils donnent
des eloges , offre dés combinaifons fi variées
, qu'on ne tirera jamais un réfuftat fixe de
leurs écrits ou de leurs loix. D'ailleurs la théorie
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des gouvernemens a fait beaucoup de progrès ; 8c
l'èxpérience de tant de fiècles écoulés depuis, inf-
truit les nations. L'abatardiflement des caractères ,
1 etendue actuelle du commerce, du luxe 8c de la
navigation, la multitude fans nombre de monarchies.
qui fe font formés & confolidés de toutes
parts, font' peu favorables aujourd'hui aux conf-
titutions démocratiques : on fera déformais réduit
à profiter plus ou moins des heureux témpéra-
mens qu'a imaginés la-nation angloife pour le main-
| tien de fà liberté ; 8c les nouvelles conftitutiohs
, qui viennent de s'établir en Amérique, ont fait
; a-peu-près tout ce que doivent efpérer les grandes
peuplades dans l'état aétuel des chofes.
Un grand peuple , livré au luxe 8c à l’ambition,
i ne peut plus juger des avantages des gouvernemens
démocratiques. Lorfqu'on a perdu l'enthou-
I fiafme ou le fentiment de la liberté ; lorfqu'on eft
accoutumé aux entraves 8c aux chaînes de la fer-
vitude , on préfère la tranquillité à tout. L ’ eftime
: pour les çonftitutions républicaines paroît avoir
diminué ; les troubles, les divifions 8c le carna-
; ge qu'elles offrent quelquefois, épouvantent l'imagination
, & l'imagination épouvantée ne fonge
plus à l'égalité naturelle : nous tâcherons de la
rappeller i c i , mais fans oublier à quel point le
repos contribue au bonheur des hommes.
S'il s’agiflbit de (avoir quelle eft , indépendamment
des circonftancès, la forme de gouvernement
la- plus naturelle , celle qui confetve le plus les
droits de l'homme, celle qui fait perdre aux citoyens
la moindre portion de leur liberté primitive
, celle qui expofe à des abus dont on peut
le moins murmurer , la queftion feroit bientôt ré-
folue ; mais fi les orages 8c les troubles des constitutions
républicaines fo n t, en dernière analyfe,
plus de mal que de. bien , on auroit raifon de préférer
un autre régime. Il eft donc néceflaire de
pefer de part & d'autre les avantages 8c les inconvéniens;
Nous rie chercherons pas â indiquer
la meilleure forme de gouvernement démocratique;
il eft impoflible dè donner fur ces matières une
folution générale : l'homme le plus habile , con-
fulté par plufieurs peuplades qui voudroient établir
leur gouvernement, feroit réduit à examiner
la pofitiôn de chacune, & à tempérer le régime
de \di dêmocratie 3 d'après une foule de détails.
Nous nous contenterons d’indiquer ceux des avantages
de la démocratie 3 qu'il- eft difficile de con-
téfter, & ceux dé fes inconvéniens dont il faut
convenir.
I®. Si les démocraties entraînent de grands abus
8c même de grands maux, ces maux font de la
-na.mre humaine, 8c-les-maux des autres gouvernemens
nous viennent des hommes.
2°. L'état, populaire eft1 le plus conforme à la
nature ; c'eft celui qui s'écarte le moins de l'égalité
primitive de l'homme.
3,0. La démocratie eft de tous les états celui où
J'yopi obfeïve le plus de juftice dans la diftribution
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des emplois, 8c où l'on voit le moins dé cés choix
qui déshonorent les places Sc^es adminiftraceurs.
4°. C'eft la conftitution qui laifle au citoyen le
plus de liberté, & qui eft la plus favorable aux
talens. C'eft dans les républiques qu'on a vu les
ttjlus grands légiflateurs 8c les plus grands orateurs.
Telle république a produit dans un ficelé plus de
grands hommes, que n'en produiront jamais les
monarchies 8c les ariftocraties durant toute leur
durée. Nous n’ignorons pas que les grands hom-
i mes font fouvent les fléaux des nations, & nous
jme parlons ici que de l'effet des démocraties fur les
talens & les cara&ères. # 1 ,
' r°. Il faut que les démocraties bien ordonnées
foient très-féduifantes ; car elles frappent vivement '
l'imagination, 8c elles donnent au coeur de^ 1 houy-
me les émotions les plus douces. Un attrait invinci-
I ble nous reporte fans cefle vers ces beaux fiècles T A-
thènes, de Sparte 8c de Rome, qui offrent l’héroïf-
; me des talens , des caractères & des vertus , 8c où
[des peuples entiers préfentent à l'admiration publique
tout ce qui honore la nature humaine. Des
|taches imperceptibles du point où nous fommes ,
Igâtoient un peu le tableau , quand on le voyoit
f de près ; mais de légers défauts détruiront- ils
? l'effet de tant de charmes ? Si l'on tourne enfuite
Ifes regards fur des républiques moins brillantes ,
mais plus heureufes, le fpeétacle n'eft plus auffi
H pompeux, mais il eft auffi intéreflant. Les petits
; Cantons fuiffes, par exemple , n'offrent - ils pas
Inine fimplicité héroïque, des hommes intrépides,
pmis laborieux 8c contens, dont la liberté fait le
- bonheur, fans le vain échaffaudage des arts &
t des faux plaifirs ? Enfin celles des paflions hu-
Imames qui font nobles, n'ont-elles pas toute leur
rénergie dans les gouvernemens démocratiques ? &
Ile frein qui y domine les paflions viles, eft-il ailleurs
laufli puiflant ? >
I 6°. Si l'état populaire n'eft pas formé pour les
conquêtes, il n'y en a point d'aufli propre à la
I guerre défenfive : Rome eut moins de peine à fub-
! juguer des royaumes formidables, que les petites
| républiques de l'Italie. Les vieillards, les femmes
I & les enfans ouvroient les portes, lorfqu'ilne ref-
I toit plus de citoyens pour les tenir fermées.
| 70. On ne connoît, dans l'état démocratique,
d’ autre fouverain que la loi. La loi y eft l'expref-
! fion de la volonté générale ; & , fi elle manque
I quelquefois de juftefîe , elle n’eft pas injufte com-
I me dans les pays où quelque’s hommes dictera t des
I ordres, au mépris des droits de leurs concitoyens.
8°. Un philofophe de l'antiquité l’ a d it, les
I loix font inutiles fans les moeurs : ce courage vi-
K gilant qui furveille les officiers de l'adminiftration ;
I cet amour de la patrie qui réprime les grands abus ;
K cette fierté qui s’indigne de l'oppreffion, & qui
! punit toujous les opprefleurs, ne fe retrouvent
I plus qu’à la fuite des inftitutions démocratiques.
9°. La modicité des impôts eft un avantage
E qu'on ne peut contefter aux démocraties, & fous
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ce rapport le gouvernement républicain eft encorè
favorable aux fujets : excepté peut-être les républiques
commerçantes qui forment une clafle à
p a r t, on n'en citera pas une feule où les citoyens»
& même les fujets aient payé la moitié des impôts
qu'on paye de tout temps dans les ariftocraties
& les monarchies.
io°. La douceur de la jurifprudence criminelle
eft un dernier avantage des démocraties bien ordonnées.
Le glaive de la juftice frappe rarement
les fujets des cantons fuifles , & meme des villes
impériales, où le peuple jouit d'un refte de liberté.
La licence qu'on reproche aux démocraties
qui ne font pas encore corrompues , ne va donc
pas jufqu'aux crimes ; & malgré l'heureufe police
dont fe vantent les autres gouvernemens, on y
voit fans cefle des forfaits, & les coupables y fatiguent
les juges 8c les bourreaux. Nous allons indiquer
avec le même foin les inconvéniens de la
démocratie , 8c le le&eur pourra tirer la con-
clufion.
i° . Si la démocratie eft avantageufe pour les villes
feules ou les petites peuplades, elle a beaucoup
d'inconvéniens pour les grandes nations. Le gouvernement
démocratique chez un peuple puiflant
n'offre plus que des relies de la liberté & de l'égalité
de la démocratie. C'eft une liberté fictive ,
réelle feulement en bien peu de cas. Les droits
des citoyens s'y réduifent fouvent à la vaine prérogative
de donner fon fuffrage à l'éleélion des
officiers de Eétat. Toutes les grandes nations font-
elles donc dévouées à l'ariftocratie, à la monarchie
& au defpotifme ? Elles y font entraînées ;
mais il fau t, s'il eft poffible, arrêter, cette difpo-
fition, & il leur eft utile d'avoir des inftitutions
démocratiques ou républicaines. Car alors ©n
compte le peuple pour quelque chofe, 8c le peuple
lui-même fent qu'il conferve des droits; fi o»
ne le refpeéle pas, on le ménage ; 8c fi on ofe
le tromper, on n’ofe pas l’opprimer hautement :
il vit plus tranquille ; 8c puifque la nature nous a
réduit à un bonheur idéal, il en eft plus heureux.
z°. Nous avons déjà dit que la démocratie pure
8c fimple a des inconvéniens. Il faut prefque toujours
que des inftitutions ariftocratiques la tempèrent.
Les républiques ont ordinairement befoin
d'un fénat, 8c il eft rare que le peifple abandonné
à lui feul, dirige une fage adminiftration.
30. Si on juge des démocraties par les horreurs
qu'on y a vu quelquefois, par les épouvantables
proferiptions de Marius 8c de Sylla, par exemple,
on fe trompera. Une république eft corrompue,
lorfqu'on s'y permet ces violences fanguinaites ,
8c il vaudroit autant juger la monarchie par
les cruautés de Philippe fécond 8c de Chrif-
tiern deux ; mais elles offrent trop fouvent des fcè-
nes cruelles..
40. Il eft d'autres violences qui tiennent davan-
tage^ au régime de la démocratie 3 & à l'afeendant
| de l’une des factions. Les citoyens qui y font les’ I 1