
poids de Tes engagemens, le corps épuîfé mît Tes
pofïèffions en vente. Elles furent achetées , la plupart,
par ceux qui les conduifoient comme gouverneurs.
Boifferet obtint en 164$, pour 73,000 livres,
la Guadeloupe, Marie - Galande, les Saintes &
tous les effets qui appartenoient à la compagnie
dahs ces iiles : il céda la moitié de fon marché
à Honel, Ton beau-frère. Duparquet ne paya,
en 16j o , que 60,©00 liv. la Martinique, Sainte-
Lucie, la Grenade & les Grenadins : il revendit
fept ans après, au comte de Cerillac la Grenade
& les Grenadins un tiers de plus que ne
lui avoit coûté fon acquifition entière. Malthe
acquit, en i 6 y i , Saint-Chriftophe, Saint-Martin
, Saint-Barthelemi, Sainte-Croix & la Tor tue
, pour 40,000 écus : ils furent payés par le
commandeur de Poincy qui gourernoit ces ifles.
La religion devoit les pofféder comme fiefs de la
couronne, & n'en pouvoit confier l’ adminiftra-
tion qu'à des françois.
Les nouveaux poffeffeurs jouirent de l'autorité
la plus étendue. Ils difpofoient des terreins. Les
places civiles & militaires étoient toutes à leur
nomination. Ils avoient droit de faire grâce à
ceux que leurs délégués condamnoient à mort :
c'étoient de petits fouverains. On devoit croire
que, régiffant eux-mêmes leur domaine, l'agriculture
y feroit des progrès rapides. Cette con- ;
jeéhire fe réalifa à un' certain point, malgré les
émotions qui furent vives & fréquentes fous de 1
tels maîtres. Cependant ce fécond état des co- i
lomes françoifes ne fut pas plus utile à la nation !
que le premier. Les hollandois continuoient à les :
approvisionner , & à emporter lès productions
qu'ils vendoiertt indifféremment à tous les peup
le s , même à celui qui, par la propriété, de- ,
voit en avoir tout le fruit.
Le mal étoit grand pour la métropole.’ Col- j
bert fe trompa fur le choix du remède. C e grand i
homme, qui conduifoit depuis quelque temps le
commerce & les finances du royaume , s'étoit
égaré dès les premiers pas de fa carrière. L'habitude
de vivre avec des traitans, du temps de
Mazarin, l 'avoit accoutumé à regarder l'argent,
qui n'eft qu'un inftrument de circulation, comme
la fource des richeffes. Pour attirer celui
de l’étranger, il n'imagina pas de plus puif-
fant moyen que les manufactures. Il vit dans les
atteliers toutes les reffourcés de l'état , & dans
les artifans tous les fujets précieux dé la monarchie.
Pour multiplier cette efpèce d'hommes, il
crut devoir tenir à bas prix les denrées de première
néceflîté , & rendre difficile l'exportation
des grains. La production des matière? premières
l'occupa peu, & il appliqua tous fes foins à leur
fabrication. Cette préférence, donnée à l'induf-
trie fur l'agriculture , fubjugua • ttftïs les efprits ,
& ce fyftême deftruCteur s'elt malheureufement
perpétué.
Si Colbert avoit eu des idées j’uftes de feafr*
pîoitation des terres, des avances qu'elle exige y
, de la liberté qui lui eft néceffaire, il auroit pris
en 1664 un, parti différent de celui qu'il adopta.
On fait qu'il racheta la Guadeloupe & les ifles
qui en dépendoient 3 pour 125,000 livres j 1 a
Martinique pour 40,000 écus i la Grenade pour
100,00a livres î tontes les poffeflions de Malthe*
pour joo,ooo liv. Jufques-là fa conduite étoit digne
d'éloges : il devoit rejoindre au corps de l'état
autant de branches de. la fouveraineeé j mais
il ne falloit pas remettre ces importantes poffef-
fions fous le joug d’une compagnie exclufive
que l'expérience, d'accord avec les principes ,
profcrivoit également. Le miniftère efpéra vrai-
femblablement qu'une fociété, dans laquelle o»
incorporeroit celle d'Afrique, de Cayenne., de
l'Amérique feptentrionale, & le commerce qui
commençoit à fe faire fur les côtes de Saint-Domingue
, deviendroit une puiffance inébranlable ,
par les grandes combinaifons qu'elle auroit oc-
cafion de faire, & par la facilité de réparer ,
d'un c ô té , les malheurs qu'elle pourroît effuyes.
d'un autre. On crut affurer fes hautes deftinées ,
en lui prêtant, fans intérêt pour quatre, ans, le
dixième du montant de fes capitaux , en déchargeant
de tous les droits les denrées qu'elle por-
teroit dans fés établiffemens, & en profcrivant,
autant qu'il feroit poffible , la concurrence hol-
landoife.
Malgré tant de faveurs ,- la compagnie n'eut
pas un inftant d'éclat. Ses fautes fe multiplièrent
en proportion de l'étendue des ; concevions donc
on l'avoit accablée. L'infidélité de fes agens , le
défefpoir des colons , les déprédations des guerres,
d'autres caufes portèrent le plus grana détordre
dans fes affaires. La chute de cette fô-,
ciété paroifïbit affurée & prochaine en 1674,.
lorfque la cour jugea qu'il lui eonvenoit d’en payer
les dettes qui montoient à 3^23,000 livres ,
& de lui rembourfer fon capital, qui étoit de
*^"87,185 liv. Ces conditions généreufes firent
jréumr à la maffe de l'é ta t, des poffeflions pré-
cieufes qui lui avoient été jufqu'alors comme
étrangères. Les colonies furent véritablement françoifes
j & tous les citoyens, fans diftin&ion ,
eurent la liberté de s'y fix er, ou d'ouvrir des
communications avec elles.
Il feroit difficile d'exprimer les tranfports de
j§ie que cet événement excita dans les ifles. Les
fers fous lefquels on gémiffoit depuis fi long-tems,
étoient rompus, & rien ne paroiffoit déformais
ralentir l'aâivité du travail & de l'induftrie. Chaque
colon donnoit carrière à fon ambition : cha-^
çun fe flattoit d'une fortune prochaine & fans
bornes. Si leur confiance fut trompée , il n'en
faut accufer ni leur préfomption, ni leur indolence.
Leurs efpérances n'avoient rien qui ne fût
dans le cours naturel des ch o fes , & toute leur
conduite tendoit à les juftifier , à les affermir*
î.e s préjugés de la métropole leur oppofèrent
malheureufement des obftaclés infiirmontables.
D'abord on exigea , dans les ifles m'ême, de
chaque homme libre, de chaque efclave des deux
fexes, une capitation annuelle de cent livres pe-
fant de fucre brut. On repréfenta vainement que
l'obligation impofée aux colonies de ne négocier
qu'avec la partie principale, étoit un impôt af-
fez onéreux pour tenir lieu de tous les autres.
Ces repréferitations ne firent pas l'impreffion qu elles
méritoient. Soit befoin , toit ignorance du
gouvernement, des cultivateurs qu il auroit fallu
aider par des prêts fans intérêt, par des gratifications
, virent 'paffer, dans les mains de fermiers
avides, une portion de leurs récoltés, q u i,
reverfée dans des champs fertiles , auroit augmenté
graduellement la reproduction. ^ |
Dans le temps que les ifles fe voyoient amfi
dépouillées d'une partie de leurs denrees, 1 ef-
prit d'exclufion prenoit en France des mefures certaines
pour diminuer le prix de celles qu’on leur
laififoit. Le privilège de les enlever fut concentre
dans un pétit nombre de ports. C etoit nuire aux
autres rades du royaume, qu'on empêchoit de
jouir d'un droit qu'elles avoient effentiellement :
mais c'étoit un grand malheur pour les colonies y
q u i, par cet arrangement, voyoient diminuer fur
eurs côtes le nombre des vendeurs & des acheteurs.
|
A ce défavantage s'en joignit bientôt un> autre.
Le miniftère avoit cherché à exclure les vaiffeaux
étrangers de fes poffeflions éloignées , & il y avoit
réufli, parce qu'il l'avoit vouhr véritablement.
Ces navigateurs obtinrent del avarice, ce que 1 autorité
leur refufoit. Ils achetèrent aux négocians
françois des paffe-ports pour aller aux colonies ,
& ils rapportoient directement flans leur patrie
les chargemens qu'ils avoient pris. Cette infidélité
pouvoit être punie & réprimée de cent manières.
On s’arrêta à la plus îfunefte. Tous les
bâtimens fe virent obligés, non-feulement de faire
leur retour dans la métropole , mais encore dans
les ports mêmes d'où ils etoient partis. Une pareille
gêne occafionnoit néceffairement des frais
confidérables en pure perte j elle devoit influer
beaucoup fur le prix des productions de l'Amérique.
A / '
Leur multiplication fut encore arrêtée par les
impofitions dont on les furchargea.
Le tabac fut affujetti à un droit de vingt fols
par livre.
On profcrivit d'abord l'indigo des teintures du
royaume, tous prétexte qu'il les détérioroit, &
qu'il nuiroit à une des cultures deria métropole.
Mais lorfque des expériences répétées eurent convaincu
les plus opiniâtres que , mêlé avec le paf-
■ tel,..pu même employé feul, il rendoit les couleurs
plus belles & .plus folides, on fe contenta
1693 que celui qui étoit deftiné pour l’etranger,
fut délivré de ces vexations.
Le cacao ne fortit desïnains du monopole qu«
pour être affujetti , en 1693, à un droit de r y f.
la livre , quoiqu'il n'en coûtât que cinq dans
les colonies. Son introduction dans le royaume
ne fut d'abord permife que par Rouen & par Mar-
feille, & j depuis fa liberté prétendue , que par
ce dernier port. | /
de l'accabler de taxes. Elles furent telles-, qu'il
ne fut pas poffible d’en exporter. C e ne fut qu'en
Le coton , qui avoit d'abord échappe aux rigueurs
du fifc , fut chargé, en 1664, d e p liv.
par quintal. Inutilement on réduifit de moitié cette
impofition,, en 1691. Cette modification ne fit
pas revivre les. arbulles qu’on avoit extirpés.
La confommation du gingembre, qui a une partie
des propriétés du poivre, & qui peut aifé-
ment le remplacer, devoit être encouragée. On
l'arrêta au moyen d’un droit de fix liv. par quintal.
Il fut réduit dans’ la fuite à 15 fols : mais
alors les dernières claffes de citoyens avoient pris
pour cette épicerie un mépris que rien ne put
vaincre. .
La caffe de l'Amérique n'étoit achetée en France
que le quart de ce que coûtoit celle du Levant.
Des analyfes bien faites auroient diffipé le préjugé
d'où naiffoit Cette énorme différence dans
les prix : mais le gouvernement ne s’avifa jamais
d'un expédient qui devoit augmenter les richeffes
de fes poffeffions.
Le fucre étoit la plus riche produétion des ifles.
Jufquen r669, l’exportation direéle dans tous
les ports.de l'Europe en avoit été permife, ainlt
que celle de toutes les denrées des colonies. O it
voulut à cette époque , qu'il ne pût être dépofé
que dans les rades du royaume. C et arrangement
en augmentoit néceffairement le prix, & les étrangers
qui le trouvoient ailleurs à meilleur marché ,
contractèrent l'habitude de l'y aller chercher. C e pendant
le parti qu'on prit de décharger le fucre
des trois pour cent qu'il avoit payés à fon entrée ,
fut caufe qu’on conferva quelques acheteurs. Une
nouvelle faute acheva de tout perdre.
Les raffineurs demandèrent, en 1682, que la
fortie des fucres bruts fût prohibée. L'intcrtt
publie paroiffoit leur unique motif. Il étoit, di-
foient-ils , contre tous les bons -principes , que
les matières premières allaffent alimenter les fabriques
étrangères, & que l’e'tat fe privât volontairement
d'une main-d’oeuvre très-précieufe.
Cette raifon plarifible fit trop d'impreffion fur Colbert.
Qu'arriva-t-il? Leur art re fe aufli c h e r ,
aufîi imparfait qu’ il l’avoit toujours été. Les peuples
confommateurs ne s'en accommodèrent pas î
la culture françoife diminua , & celle des nations
rivales reçut un accroiffement -fenfible.
Quelques colons voyant qu'une expérience (I
fatale ne faifoit pas abandonner le fyftême qu’on
avoit pris , follicitèrent la permiffion de raffiner
leur fucre eux mêmes. Ils avoient tant d’avantages
pour faire cette opération à bon marché ,