
le coupable. La peine propofée contre le rapt , ;
& le crime de fodomie n'eft-elle pas d'une indécence
groffière ? elle a été imaginée dans les gou-
vernemens defpotiques , ou chez des peuples barbares
, & elle déshonoreroit les gouvernemens
de rAmérique. D'après la teneur du bill, une
femme pourra 3 par efprit de vengeance 3 accu-
fer un homme du délit qui entraîne la caftration 5
& cette raifon n'effrayera-1-elle pas ceux qui
connoiffent les pallions & leur injuftice ? En général
l'amputation & les peines du talion font
des peines déteftables -3 & elles ont des fuites
bien dangereufes, car elles endurcilfent les citoyens
, & elles les accoutument /à la cruauté.
Les Etats-Unis en réformant la jurifpruderice
criminelle, doivent craindre d'y laiffer des
abus qu'on ne rencontre pas chez des nations
très-mal gouvernées fur ce point. Ils ne peuvent
ignorer, que la modération & la décence des
peines doivent fe trouver toujours dans la démocratie.
Les commiffaires veulent qu'un homme coupable
deux^fois du d é lit, de manjlaughter, foit
puni comme un affaffiin.
Celui qui tue un homme- volontairement,
mais dans un tranfport fubit, & fans avoir eu
le tems de lailfer fa paffion fe calmer, commet
un délit de man flaugther\ & lorfque cela lui
arrive deux fo is , la loi d’Angleterre & l'an-
çienne loi de tous les états d'Amérique , le condamnent
à la mort. On a fuppofé qu’un homme
tellement fubjugué par fes pallions 3 qu'elles l'entraînent
à des affaffinats multipliés, eft dangereux
pour la fociétéj qu'il vaut mieux le facri-
fier fur l'autel des loix , que d'expofer à la mort
d’autres hommes plus innocens que lui : ces vues
font faines & juftes; mais pour les remplir eft-
il néceffaire d'envoyer le coupable au fupplice,
& ne fuffiroit-il pas de l'enfermer | ou de le tenir
le relie de fes jours aux galères ? C e t expédient
feroit d'autant plus convenable, que des circonf-
iahees particulières1 peuvent diminuer le crime
du malheureux , que la colère excite^ à deux affaffinats
; & que les loix doivent s'exécuter à
la rigueur dans les républiques.
La loi d'Angleterre eft trop rigoureufe fur ce
qui regarde le grand & petit larcin, & convient
il aux républiques de l'Amérique de l'adopter
? | #
La table qu’on vient déliré eft fufcepwble d’autres
objeâions s mais comme il eft facile d’y apper-
eevoir des taches , & mal - aifée d’indiquer la
nuance précife qu’il convient de mettre dans cette
matière, nous bornerons ici nos remarques.
Les articles fur lefquels les commiffaires dirent
: U f lu: avoir pitié des coupables, & ne point Us
punir, mérite la reconnoiffance de tous les hommes
éclairés : nous délirons avec ardeur que
leur travail foit corrigé , de manière à la mériter
suffi fur tous les autres points.
S e c t i o n I X e.
D e F ajfociation des C in c in n a t i , des dangers
de cette injlitution.
Nous donnerons i.° l’hiftoire exaéle de l’origine
8c des progrès de l’aflociation des Cincinnati.
2.0 Nous examinerons f i , dans fon état
aétuel, elle eft dangereufe pour les nouvelles
republiques. 3.0 Quels font les moyens les plus
fimples de prévenir ces dangers, ou comment on
pourroit l'abolir ?
Lorfqu'on fe difpofoit à licencier l'armée à
la fin de cette guerre , qui a établi l'indépendance
des Etats- Unis , les officiers <jui, durant
le cours des hollilités , avoient fupporté les plus
terribles épreuves , & qui, par de bons offices
& des fervices réciproques, s’étoient infpirés mutuellement
une amitié très grande, virent avec
une extrême douleur, approcher le moment où
ils alloient fe féparer, fans l'efpoir de fe réunir
jamais. Ils étoient de différentes provinces, ou
ils habitoient des cantons éloignés de la même
république. Le hafard feul pou voit donc leur
procurer des oecafions de fe revoir; & ces occa-
fions dévoient être rares & réunir feulement
un petite nombre d'entr'eux. Il falloit fe quitter
pouj: jamais, ou imaginer un moyen qui les raf-
femblât quelquefois. Us fongèrent à fe raffem-
bler à des époques fixes : le plàifir de fe rencontrer;
la plus douce des confolations, celle de
parler entr'eux de ce qu'ils avoient fouffert, 8c
des traits de bienveillance & d'attachement,
qu'ils avoient reçus de leurs camarades, leur parut
fupérieur à la fatigue du voyage. Un autre
intérêt leur rendit ce projet agréable j ils pen-.
fèrent qu'ilsdécouvriroient par-là celui de leur frère
d'armes , qui réuffiroit dans le monde celui qui
feroit malheureux, 8c qu'ils donneroient des fe-
co.urs à tous ceux qui fe trouveroient dans 'la
détreffe. Cette idée avoit quelque chofe de
touchant & d’heureux., & elle fit fouvent la
matière des converfations. Ils s'y attachèrent
fi bien , qu'ils imaginèrent une alïbciation régulière
, une véritable adminiftration, des affem-
blées générales & particulières, à des époques
fix es, avec des contributions pour les officiers
qui en auroient befoin , 8c une décoration qui
devoit les faire reconnoître de ceux qui ne les
auroient pas connu perfonnellement, & être
portée par leurs defeendans , afin de perpétuer
l'amitié qui les uniffoit.
Le foin de licencier une armée qui n'étoit pas
payée, affligeoit alors M. Washington, 8c ce qui
rendoit cette opération plus difficile & plus
cruelle pour lu i, deux ou trois provinces ne
paroiffoient pas difpofées à payer les troupes. Ses
officiers cauferent quelquefois devant lui des ar*
yangemens de la nouvelle fociété. I l fentit la
E T A
pureté de leurs motifs, 8c les effets qui devoïent |
en réfulter, lui parurent ^uffi innocens. Il écri- j
voit auxdifférens états cette lettre d'adieu, qui J
a mérité le fuffrage du monde entier. Il ne crut
pas devoir multiplier les fujets de mécontentement
de l'armée , en contrariant un projet qui n'avoit
d'autre but que celui de la bienveillance 8c de
l’amitié ; cet incident qui diininuoît fes embarras*
& calmoit fes officiers, lui eau fa plutôt une forte
de plaifir. Il jugea que l'affociation projettée,
feroit un moyen de plus de renforcer le lien
fédéral, 8c d'attacher à la confédération, les guerriers
qui avoient contribué à la révolution. L'affociation
des Cincinnati fe forma. On y-admit les
officiers de l'armée, & de la marine^ françoife,
qui avoient fait la guerre avec les Américains , 8c
avec le fecours defquels les Etats-Unis avoient
triomphé; mais on obferva qu'en France on n’ac-
corderoit pas cette faveur à tous les grades, 8c
on la réferva aux colonels feuls. Un député vint
à Paris leur propofer ce témoignage d'amitié ,
& chercher les aigles qui dévoient être la marque
diftinétive de l'affociation.
Il fallut licencier l'armée , avant que les Cincinnati
puffent tenir une affemblée générale pour
la nomination de leur préfident : ils- prièrent M.
Washington d’agir en cette qualité, jufqu'à la
première affemblée générale qui auroit lieu à
Philadelphie au mois de mai fuivant. Les loix
de la fociété devinrent publiques ; les hommes
qui les lurent dans leur cabinet, fans être échauffés
par cette amitié dont elles étoient la fuite,
& fans fonger a la douleur qu'une fépâration prochaine
avoit èxcitée dans l'ame des officiers; les
politiques qui n'obfervent dans les inftitutions
que les dangers qui menacent la fociété civile ; les
cultivateurs & tous les citoyens laborieux enfin ,'
qui , fous la garde des loix d’égalité, n’avoient
jamais vu de diftin&ion entre un homme 8c un
homme, mais qui avoient trouvé dans leurs lectures
le récit des affreüfes vexations que les gens
de leurs claffes éprouvent en d’autres pays de
la part d,e ceux qui font diftingués par des cordons
& des titres , commencèrent à prendre
l'alarme fur cette nouvelle inftitution. Chacun
d'eux néamoins garda un filence bien digne de re- '
marque ; ils fe contentèrent long-tems de parler
de leurs inquiétudes dans des entretiens particuliers.
. .
M. Burke, chef-juge de la Caroline méridionale
, éleva enfin la voix : il écrivit contré l'affo- ,
ciation des Cincinnati3 8r-ilen montra les dangers,
d'une manière imparfaite il eft v ra i, car il ne
fut aidé que par fon imagination ; un américain
ne pouvoit rien faire de plus: pour peindre tous
les maux de l'ariftocratie , il faut les avoir étudié
en Europe. Les craintes de M. Biirke parurent
exagérées en Amérique , tandis qu'on fait en
Europe, que M. de Mirabeau lui-même adeffiné
trop ibiblement encore les funeftes fuites de TarifÊ
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tocratie héréditaire , telles qu'on les éprouve dans
l ’ancien monde, 8c telles qu'on les auroit éprouvées
dans le nouveau, fi les cincinati avoient
confervé leur affociation fous fa première forme.
Le pamphlet de M. Burke avoit pour épigraphe :
Sonneç de la trompette au milieu de Sion ; il eut
cette efpèce de fuccès qu'en attendoit l'auteur;
la nouvelle fociété devint d'abord la matière de
toutes les converfations. Les alfemblées légilla-
tives de quelques-unes des provinces ne tardèrent
pas à s'en occuper. Le gouverneur de la Caroline
méridionale la cenfura dans une adreffe au
corps légiflatif de cet état ; les alfemblées de
Malfachufett, de 'Rhode Ifland, de Penfilvanie
condamnèrent les principes : aucune circonftance,
il eft vrai , ne fournit ce point important à la
délibération du congrès ; mais il affeéloit profondément
l'efprit de tous les députés à l’ aflem-
blée de l'union fédérale. L'ordre polonois de la
divine providence s'avifa d'offrir fon cordon à ceux
des citoyens diftingués des Etats - Unis qu'on
lui indiqueroit, 8c le congrès profita de cet incident
pour déclarer de pareilles diftindlions
contraires aux principes de la confédération américaine.
L e mécontentement excité par l'affociation des
Cincinnati inquiéta de très-bonne heure M. Washington
; il fe fouvenoit toujours de la pureté
des motifs qui lui avoient donné naiffance; niais
il s'apperçut qu'il pouvoit en réfulter des maux
politiques* que la nature de ces motifs avoit cachés.
Elle étoit défapprouvée par la majorité des
citoyens de l'union y 8c cette raifon feule fuffi-
foit dans un pays où la volonté de la majeure
partie du peuple forme & doit former la loi. Il
vit que le s . objets de Pinftitution étoient trop"
légers en eux - mêmes, pour les oppofer à des
confidérations auffi férieufes > 8c qu'il étoit devenu
néceffaire de l'anéantir complettement. II
1 s'y décida en e ffe t, 8c fes lettres particulières le
| prouvent d'une manière inconteftable. L'époque
de la première affemblée annuelle qui devoit fe
tenir à Philadelphie approchoit : il fe rendit à
Philadelphie , bien réfolu de faire ufage de toute
fon influence pour la fupprimer. Il propofa aux
officiers de l ’abolir, & il appuya cette propo-
fition de toute fa force. Il rencontra une oppo-
fition qui fut bien pénible pour fon coeur ; car
on obferva que fa phyfionomie, fi tranquille &
fi fereine au milieu des fcènes les plus défaftreufes
des combats , fe couvrit de nuages, 8c qu'il étoit
auffi /-affligé qu'aux époques de la guerre , ou i l
n avoit point d'armée a oppofer à /’ennemi. La quef-
tion fut difeutée durant plufieurs jours ; les rai-
fons & les confeils de M. Washington prévalurent
enfin , & tout le monde fut perfuadé que
Taffociatïon ne fubfifteroit plus. Une très-grande
majorité des officiers alloit prononcer fon anéan-
tilïement, lorfque M. le major l'Enfant, qu’on
avoit envoyé en France , apporta , non-feule