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for de la population , qui n'eft que trop difpofée
à l'émigration. •
Quoi qu'il en foit, c'eft en profondeur .& à.
demeure qu'il faut faire les défrichemens. Tout doit
partir de la £r» tout doit y tendre : grand principe
qui j fauf les exceptions locales & de détail, qui
font ou doivent être fort rares, exclut généralement
& les communes 3 & les parcours ,• & les
confîdérations nationales 3 & les fpéculations ufu-
rières, &c.
Tout j difoûs-nous, doit partir des défrickemens
3 & tout doit y tendre ; mais, félon les règles
& dans l'enfemble de tous les moyens de la
politique 3 ou de l'art de rendre les hommes utiles
& heureux $ ce qu'ils ne peuvent être qu'en
fuivant les voies de la nature, fous la fauve-garde
& l'autorité d'un ordre focial immuable, & entièrement
conforme aux grandes loix de l'ordre
naturel.
Dans le fa it , chaque jour le véritable cultiva-
teùr défriché. Y a-t-il un jour, par exemple, où
un habile jardinier n'ait pas à faire à fon jardin ?
Travailler à la culture & à fon pçrfe&ionnement
n'eft autre chofe de la part du cultivateur que défricher
fes propres méthodes, & faire fa charge
de fubftitut de la nature avec.plus de foin & d'intelligence,
quoique toujours dans les mèmès vues
& pour le même objet.
( Cet article efi de M. G r i ve l. )
D E G A T , ( droit de la guerre. ) Terme général
qui défigne tous les maux que l'on peut cau-
fer à l'ennemi, en ravageant fes biens & fes domaines
pendant le cours de la guerre.
II, eft inconteftable que le cruel état de guerre
permet d'enlever à l'ennemi fes biens , fes poflef-
fions, fes domaines , de les endommager , de les
ravager, & même de les détruire j parce que ,
fuivant la remarque de Cicéron, il n'eft point du
tout contraire à la nature de dépouiller de fon
bien une perfonne à qui on peut ôter la vie avec
juftice : nequeefi contra naturam fpoliare eum f i
pojfis , quem honeftum efi necare. De offic. lib. III.
cap. 6.
Les dégâts que la guerre occafîonne font un
mal néceflaire, dont le peuple eft la vi&ime. Un
fouverain qui fait une guerre injufte, eft refpon-
fable à Dieu de tous les dégâts que fouffrent fes
fujets & fes ennemis > & c'eft bien ici le cas de
dire , quidquid délirant reges , pledhuntur ackivi.
Puiflent apprendre les rois ce que vaut le fangdes
hommes ! Le fameux connétable Bertrand du Guef-
clin recommandoit, en mourant, aux vieux capitaines
qui l'avoient fuivi pendant quarante ans y
de fe- foüvenir toujours qu'en quelque lieu qu'ils
fiflent la guerre, les’ femmes, les ènfans & le
pauvre peuple n'étoiênt point leurs ennemis. M. de
Turenne , digne imitateur de ce grand homme,
gériuÏÏoit comme lui des maux inévitables que la
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guerre traîne après foi, & que la néceflité oblige
de dilEmuler, de fouffrir & de faire.
Mais le droit des gens véritablement te l, &
mettant à part les autres règles de nos devoirs,
n'excepte-t-il pas du dégât les chofes facrées, c'eft-
'à-dire, les chofes confacrées ou au vrai Dieu, ou
aux faulfeS’ divinités dont- les hommes font l'objet
de leur culte ? Il eft certain d’abord que les- nations
ont eu des coutumes différentes & oppofées
fur ce fujetj les unes fe font permis le dégât des
chofes facrées, & les autres l'ont envifagé comme
une profanation criminelle. Il faut donc recourir
aux principes de la nature & du droit des
gens, pour décider du droit réel que donne la
guerre à cet égard j & cependant les avis fe trouvent
encore ici partagés.
Les uns font convaincus que la confécration des
chofes au fervice de Dieu, leur donne la qualité
de faintes & de facrées, comme un caraélère intrinsèque
& ineffaçable dont perfonne ne peut
les dépouiller ; que ces chofes, par une telle défi
tination, changent pour ainfi dire de maîtres, n'appartiennent
plus aux hommes en propriété , &
font entièrement & abfolument fouftraites du commerce.
D'autres foutiennént au contraire que les chofes
facrées ne font pas-, dans le fond, d'une nature
différente des profanes } qu’elles appartiennent toujours
au public ou au fouverain, & que rien n'empêche
que le fouverain ne change .la deftination
de ces chofes pour fes befoins , en les appliquant
à d'autres ufages. Après tout,. de quelque manière
qu'on décide cette queftion, il eft du moins
inconteftable que ceux qui croient que les chofes
facrées renferment une deftination divine & inviolable
, feroient très - mal d'y toucher, puifqu'en
lefaifant ils pécheroient contre leur propre conf-
cience.
Convenons toutefois d’une raifon qui pourroit
juftifier les payens feulement du reproche de fa-
crilège, lorfqu'ils pilloient les temples des dieux
qu'ils reconnoiffoient pour tels j c'eft qu'ils s'ima-
ginoient que, quand une ville venoit à être prife ,
les dieux qu'on y adoroit abandonnoient en même-
temps leurs temples & leurs autels, fur-tout après
qu'ils les avoient évoqués, eux & toutes les chofes
facrées, avec- certaines cérémonies.
Mais tous les princes chrétiens font aujourd'hui
d'accord de refpeéïer , dans le dégât des chofes
que le droit de la guerre autorife , toutes celles
qui font deftinées à des ufages facrés j car
quand même toutes ces chofes feroient du
domaine de l'é ta t , & qu'on pourroit impunément
, félon le droit des gens , les endommager
ou les détruire ; cependant, fi l'on n'a rien à craindre
de ce côté-là , il faut , par refpeét pour la
religion, conferver les édifices facrés & toutes leurs
dépendances, fur-tout fi l'ennemi à qui elles, appartiennent
fait profeflion d'adorer le même Dieu,
quelque différence qu'il y ait par rapport à cer-'
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tains fentiments ou certains rits particuliers. Plusieurs
peuples en ont donné l'exemple j Thu-
cidide témoigne que, parmi les^grecs de fon tems,
c ’étoit une efpèce de-loi generale de ne point
toucher aux lieux facrés, lorfqu'on faifoit irruption
dans les terres d'un ennemi : ils refpeétoient
également les perfonnes, a caufe de lafainteté des
temples où elles s'étoient réfugiées. '
Les mêmes égards doivent s’étendre fur les mai-
fons reli'gieufes, les fépulcres & Tes monumens
vuides’ , érigés en l'honneur des morts; 5 parce
qu'outre que c'eft fouler aux pieds les loix de
l ’humanité, un dégât de ce genre ne fert de rien,
ni pour la défenfe, ni pour le maintien des droits,
ni pour aucune fin légitime de la guerre. Concluons
qu'en tous cés points on doit ôbferver fcrupuleu-
fement les loix de la religion , & ce qui eft établi
par lès coutumes des peuples. Florus, parlant de
Philippe, ('liv. IL chap. v i ï . ) dit qu'en violant
Iles temples’ & les autels, il porta les droits de la
victoire au - delà des juftes bornes. Détruire des
chofes, dit le fage Polybe, ( liv . V . chap. x i. )
qui ne font d'aucune utilité pour la guerre, fans
que d'ailleurs leur perte diminue les forces de l'ennemi
, fur-tout détruire les temples, les ftatues &
autres' femblables ornemens, quand même on le
ferait par droit de repréfailles , c'eft le comble de
l'extravagance.
Après avoir mis à couvert les chofes facrées &
leurs dépendances, voyons avec quelle modération
on doit ufer du dégât, même à l'égard des chofes
profanes.
Premièrement, fuivant les obfervationside Grotius
, pour pouvoir fans in juftice ravager ou - détruire
le bien d'autrui, il faut de trois chofes l'ùne ;
ou une néceflité telle, qu'il y ait lieu de préfumer
qu'elle forme un cas excepté, dans un éta-
blifTement primitif de la propriété des biens 5 comme
, par exemple , fi pour éviter le mal qu'on à
à craindre de la part d'un furieux , on prend une
epée d'autrui dont il alloit fe faifir, & qu'on là
jette dans la rivière 5 fauf à réparer enfuite le dommage
que le tiers fouffre par-là, & on n'en eft
pas même alors difpenféj ou bien il faut ici une
dette qui provienne de quelque inégalité, c'eft-
à-dire, qu'il faut que le dégât du bien d’autrui fe
fafle en compenfation de ce qui nous eft dû 5 comme
fi alors on recevoir en paiement la chofe que
l’on gâte ou que l'on ravage , appartenante au débiteur,
fans quoi on n'y auroit aucun droit j ou
enfin il faut qu'on nous ait fait quelque mal qui
mérite d'être puni d'une telle' manière, ou juf-
qu'à un tel point: ca r , par exemple, l'équité ne
permet pas de ravager une province pour quelques
troupeaux enlevés, ou quelques maifons bru-'
lées.
Voilà les raifons légitimes, & la jufte mefure
de l'ufage du droit dont il s'agit. Du refte, lors
même qu’on y eft autorifé par de tels motifs, fi
l'on n'y trouve pas en même-temps un grand avan-
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tage, ce feroit une Fureur criminelle de faire du
mal- à » autrui, fans qu'il nous en revienne du
bien; " y ■
Quoiqu'on ne puifle condamner un dégât qui
en peu de temps réduirôit l'ennemi à la néceflité
de demander la paix , cependant, à bien confidé-
rer la chofe, l'animofité a fouvent plus de part à
ces fortes d'expeditions qu'une délibération fage
& réfléchie.
Il faut s'abftenir du dégât, lorfqu’il s'agit d'une
chofe dont on retire du fruit, & qui n'eft point
au pouvoir de l’ennemi: par exemple, des arbres
fruitiers , desfemences, &c. Il faut aufli s’en abf-
tenir, quand on a grand fujet d'efpérer une prompte
viétoire.
Il faut encore ufer de pareille modération lorsque
l'ennemi peut avoir d’ailleurs de quor vivre,
comme fi la mer lui eft ouverte , ou l'entrée de
quelqu’autre pays entièrement libre. Dans les guerres
de nos jours, on laifle labourer & cultiver en
toute fureté, moyennant des contributions que les
ennemis exigent de part & d'autre, & cette pratique
n'eft pas nouvelle j elle avoit lieu parmi les
indiens du temps de Diodôre de Sicile. Le fameux
capitaine Timothée donUoit à ferme les meilleurs
endroits du pays où il étoit entré avec fon
armée. *
Enfin toutes les chofes qui font de nature à ne
pouvoir être d'aucun ufage pour faire la guerre,
ni contribuer en quoi que ce foit à la prolonger,
doivent être épargnées , comme tous les bâtimens
publics j facrés & profanes, les peintures , les tableaux,
les ftatues , tout ce qui concerne les arts
& les métiers. Protogëne peignoit tranquillement
dans une maifon près de Rhodes , tandis que Dé -
métrius l'afliégeoit : je ne puis croire 3 difoit le
peintre au conquérant, quetufajfes la guerre aux
arts.
Finiflons par les réflexions que fait le même
Grotius, pour engagèr les princes à garder dans
le dégât une jufte modération, en conféquencé
du fruit qui peut leur en revenir à eux - mêmes.
D'abord , dit-il, on ôte à l'ennemi une des plus
puiflantes armes >• je veux dire, le défefpoir : de
plus, en ufant delà modération dont il s'agit^
on donné lieu de penfer que l'on a grande efpé-
rance de remporter la vi&oire, & la clémence
par elle-même eft le moyen le plus propre pour
gagner les coeurs. Il eft encore du devoir des
fouverains & des généraux d'empêcher le pillage,
la ruine, l'incendie des villes prifes, & de tous
les autres ’aiftes d'hoftilité de cette nature, quand
mênfe ils feroient d'une grande conféquence pour
les affaires principales de la guerre ; par la raifon
que de tels aétes d'hoftilité ne peuvent être exécutés
, fans caufer beaucoup de mal à un grand
nombre de perfonnes innocentes , 3c que la licence
du foldat eft affreufe dans de telles conjonctures
, fi elle n'eft arrêtée par la difcipjine la plus
févère,
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