
ce qu'il peut en faire ufage. Les droits <Tun homme
fort & ceux d’un homme foible, ceux d’un
homme faim & ceux d’ un infirme , les droits d’un
homme fait & ceux d’ un enfant 5 enfin, ceux d’ un
grand génie & ceux d’un imbéeille, ne peuvent
avoir pour chacun une extenfion égale. Là où augmente
là-, capacité de fatisfaire les befoins , là s’accroît
le droit d’y pourvoir ; là où elle diminue,
là le droit s’ affoiblit ; enfin, ce droit devient comme
nul pour celui qui eft privé de fou ufage. A in é ,
un enfant dépourvu dé forces & d’ intelligence,
a un droit à la fubfîftance, fondé fur fes befoins
indiqués pat la nature au père & à la mère 5, mais
fi- le père 8c la mère viennent à mourir, 8c lailïènt
l ’enfant là ns autre reffource, alors privé de l’u-
fage dé ron droit naturel aux foins dé fes pu rens |
ce dïoït devient nul pour lui. Au contraire, fi cet
enfant , plus' heureux, peut profiter des foins &
des? avances de fes parens » s’il devient grand &
fobufte , qui doute que plus dé facilite à jouir
de. fes droits , n’en étende bientôt les limites ?
on peut en dire autant d’un homme infirme qui
recouvre la fauté, &' d’un ignorant qui devient
habile. , ■ ■
ce Si nous voulons donc confidérer les facultés
* corporelles 8c mtélle&uelles, & les autresmoyens
35 de chaque homme en particulier , nous y trou-
» verons une grande inégalité, relativement à la
« jourffmce du droit naturel des hommes. Cette
» inégalité réfulte de la combinaifon des loix dé
*> la nature , & devient une fuite des propriétés
33 par lefquelles nous éprouvons les bièns & les
33 maux de cette vie , propriétés , fondées elles-
à» mêmes far les règles immuables' 8c juftes, que
33 l’Ètre fuprême a inftituées pour la formation
33 & la confervation de l’univers. *
L ’efprit borné de l’homme s’étonne, en voyant
que ces loix éternelles font les caufes du mal physique
; mais fans en pénétrer la profondeur , il
peut du moins s’appercevoir, s’il examine ces loix
avec/ attention, que ces caufes du mal font elles-
mêmes les caufes du bien ; que la pluie qui incommode
le voyageur , fertiîife les terres ; que ces
caufes-, qui ne font inftituées que pour le bien.,
ne produifent le mal qu’incidemment > qu’àinfi,
elles ne font, dans l’ordre naturel, relatif à l’homme,
que des loix obligatoires pour le .bien, en lui
împofant le devoir d’éviter, autant qu’il, peut,
tout le mal dont fa prudence fait lui faire prévoir
les fuites.
Si l’homme , abufant de fa force 8c de fes ri-
cheffes, viole l’ ordre des loix phyfiques, inftituées
pour le bien, il- ne doit donc pas attribuer à ces
loix les maux qui font la jufte peine de leurs tranf-
grefiions ; fi le mauvais ufage qu’il fait de fa liberté
lui attire des malheurs funeftes, 8c vient à caufer
fa ruine ( 1 ) , il n’a pas à fe plaindre de celui qui
l’ a fait libre. Dès que par l’attribut eonftiturif de
fon effence, il peut fuir le mal & choifir le bien,
il ne doit s’en prendre qu’à lui - même, de fon
mauvais choix 8c des fuites de fes folies. Mais
s’ il n’excède point les bornes dé fon droit,, fi fa
raifon eft éclairée, il peut fé conduire avec fageffe,.
autant que le permet l’ ordre des loix phyfiques
qui conftitueut l’univers.
Quoique le bien & le mal phyfique , lé bien
& le mal moral aient leur origine dans les loix
naturelles , elles- font juftes 8c parfaites dans le
plan général, parce qu’ elles font conformes à l’ordre
& aux fins' que l’auteur de la nature s’eft pro-
pofées en les inftituant ; car il eft lui-même l’auteur
des loix 8c des règles, & par eonféquent, fupé-
rieur aux loix 8c aux règles ; mais leur deftination
eft d’opérer le bien , & tout eft fournis à Celles
qu’il a inftituées. L ’homme, doué d’ intelligence,
a le droit de pouvoir les contempler & de les
connoître pour fon plus grand avantage ; d’ou fuit
qu’il a aufli le droit de faire ufage de toutes les
facultés qui lui ont été départies par la nature,
dans les circonftances où elle l’a placé, fous la
condition de ne nuire à foi-même, ni aux autres 5
condition, fans laquelle perfonne ne feroit allure
de conferver la jouiffance de fon droit-naturel (1).
Du droit naturel des' hommes , confédérés relativement
les uns aux autres , & de l'établijfement de
la propriété foncière.
Pour fe faire une idée jufte du droit naturel de
l'homme3 relativement aux autres, il faut d’abord
confidérer l’ homme dans fes divers états de fociété..
Le fentiment de ceux qui ont regardé
l’homme comme un animal naturellement info-
ciabie , eft un vrai paradoxe démenti par le fait.
Nulle part on ne trouve les hommes cherchant à
s’ éloigner les uns des autres. L ’homme ne vit ifolé
(1) Qui eft-ce qui ne voit pas que les dons les plus précieux delà nature, peuvent devenirpour l’homme
qui en fait un mauvais ufage , des caufes de dommage & de deftru&ion. La force , la fante, la liberté ,
l’intelligence font pour lui des biens ineftimables „ s’il les emploie dans l’intention de la nature & de la
raifon ; mais s’il en jouit avec excès; s’il les fait fervir à contenter fes caprices; s’il en fait l’inftrumenç
de fes pallions fougueufes & de fes plaifirs déréglés, ils & changent en poifons ; ils opèrent la perte
de fa fortune ; ils caufent fouvent fa ruine ,. & quelquefois celle de fa famille. Tous ces maux font une fuite
des loix phyfiques * fi l’on veut ; mais c’eft par la faute dé celui qui en brave la fan&ion. Il eft un être libre
& il s’égare : en aeeufera-t-on la liberté'? eft-celle qui en eft la vraie caufe ? point du tout, puifqu’il étoit
libre de faire un meilleur choix. Elle en eft la caufe occasionnelle , comme Dieu l’eft de toutes les aêhons.
humaines*
(j) Phyfiocratie, tom. 1, pag. 2.2.. / ,
ou’accidcntetlement, ou par le caprice d'une vo-
»tonte particulière qui ne fait loi pour perfonne.
Dans cet état de pure folitude 5 l'homme a a
plus de rapport qu'avec la nature ; mais cet état
ne peut fubfifter que le temps de la vie de chaque
individu. • . p . , .
On auroit beau dire que l’homme elt mfociable ;
puifqu’il y a des hommes fur la terre la fociece
eft prouvée. Chacun doit la vie a des etres de ion
efpèee qui ont dû s’affocier, non-feulement pour
lui donner le jour ; mais pour veiller a là fubiii-
tance, à fa défenfe | à fa confervation. bans une
foçiété entre le père 8c la mere, la race des
hommes étoit féenée dans fes racines ; fans une
fociété durable entre un enfant 8c les -auteurs de
fa vie , l’enfant n’ auroit pu fubfifter : enfin., fans
une fociété continuelle avec fes femblables, l’homme
n’eût point étendu fes facultés perfectibles,
inventé les arts & les Sciences , & formé les grandes
familles , appellées nations.
La première fociété fut donc celle de l’homme &
de la femme, ou , fi l’ on veut, celle de la famille;
& , dès qu’elle exifta , les relations de befoins 8c
de fervices, de pitié 8c de reconnoiffance, commencèrent
à fe former entre fes divers membres ;
l’habitude de fe voir tous les jours fortifia les liens
de l’ attachement qui les uniffoit, & aifigna fes
droits à chacun ; ce qui établit naturellement un
ordre de dépendance, de juftice, de devoirs , de
fûreté & de fecours réciproques.
Chacun- eft pour foi dans Ce monde, c’eft-à-
dire , que chacun eft obligé pour fa confervation 8c fon bien-être de fe procurer les chofes nécef-
faires ; 8c comme il fouffre feul, s’il vient à y
manquer, la préférence de fes foins pour lui-même
eft fon premier devoir. Tous ceux qui lui font
afiociés, doivent s’acquitter des mêmes devoirs
envers- eux-mêmes & fous les mêmes peines. Mais
ces devoirs font plus faciles à remplir, fi les
hommes, naturellement portés les uns vers les autres
, trouvent dans l’ union de la famille, l’avantage
des fecours mutuels, pour l’ entière jouiffance
de leurs droits refpe&ifs. Or c’eft ce que les befoins
& l’attrait naturel ont dû opérer dans la première
fociété. Le deffein de la nature n’a donc
pas été de reftraindre nos droits dans la fociété,
mais de les étendre au contraire *par le concours
des forces 8c des intérêts de tous ceux qui la com-
pofent. Il eft évident, en effet, que l’union dé
l’homme 8c de la femme , établie fur l’inclination 8c le befoin, n’ a pu leur être que très-avantageufe ;
elle ne leur a pas feulement donné plus do facilité
de pourvoir à leut fubfiftance ; mais la femme y
a trouvé une fûreté contre les dangers, & le mari
l’adouciffement de fes travaux & de fes peines. Il
n’a pas dû entrer dans l’ idée de celui-ci de borner
le6 droits de la femme qui hii devenoit fi chère,
ni dans les deffeins de la femme de fe fouftraire
à l’autorité de l’homme, dont la force & l’ affec-
ti,on lui' devenoient fi utiles. Et fi , par la naiffanee
des. enfans, les devoirs du père & de la
mère ont augmenté à caufe du furcrort de travaux-
& de foins qit exigeoit l’augmentation de la famille
, leurs droits, ont dû s’étendre dans la même
proportion, fans pourtant rien fouftraire aux droits
de ces nouveaux membres.
Dans cet ordre de fociété, l’autorité fur les
autres a dû naturellement appartenir au père, comme
à celui qui avoir le plus de force & d’intelligence
r mais il n’auroit pu. empiéter fur les droite
naturels de ceux qui lui étoient fubordonnés, non-
feirlemeiK fans blefler les feintimens de tendreffe
qu’il leur d e voirma is fans contrevenir aux no-
tions-de juftice & de raifon qui le lui défendoient.
Les- en-fans:, dans leur foibleffe, avoient droit aux
fecours. paternels , commé étant une extenfion de
1-a fubftance & de la propriété des parens , &
ceux-ci n’auroient pu. encore s’y refufier, fans renoncer
à l’efpoir d’ en trouver le prix, au déclin
de l’â g e , dans la reconnoifiànce de leurs en-
fans..
Il eft évident, en e ffet, que l'opinion dé (à
fupériorité fur la femme dut feulement infpirer à
l’homme qui l’aimoit, le defir 8c l’attention de lui
fauver les dangers & les peines 5 que fa pitié pour
la foibleffe de fes-. enfans, jointe à l’ idée qu’ils
étoient une partie de lui-même, en les lu? faifant
chérir tendrement, lui fit une loi de veiller plus
particuliérement à leur fûreté 8c dé pourvoir à
leur nourriture. C eux -c i devant tout à leurs parens
, s’ accoutumèrent à les regarder avec fou^-
miMon 8c avec refpeét. Leur père fur-tout fupé-
rieur en force, en llature, en intelligence, en expérience,
toujours occupé de leur confervation ,
dut leur paroître un être puiffant & bon, à qui
ils dévoient l’attachement le plus cher , la gratitude
& l’obéiffance la plus parfaité.
L ’homme fut donc reconnu pour chef de cette
fociété, par toutes les raifons de juftice & de
néceffvté qui juftifient le pouvoir. Le temps ne fit
que cimenter cette efpèce d’ernpire, & la fuite
dés générations fervit à le prolonger. Il eft vrai*-
femblable que ces enfans, devenus pères à leur
tour, infpirèrent leurs fentimens à leurs enfans y
que tous demeurant enfemble dans la cabane paternelle
, ou tout auprès, la vénération pour le
père commun 8c l’obéiffance ne firent que s’ étendre.
L ’homme né bon ne fait point de mal à fes
femblables, s’il n’ eft égaré par le calcul d’un faux
intérêt ; on peut dire même qu’il n’eft content de
lui qu’après avoir donné des marques de recon-
noiffance à ceux qui l’ont obligé. Quels n’étoient
donc pas les fe itimens de ces premiers humains
tous enfans du même père , pour ce chef de la
famille ? Ils n’avoient- point ceffé d’éprouver fa
bonté : jeune, on lui avoit du l’obéiffance 8c le
refpeftcomme à l’être néceffaii-e 8c puiffant;. vieux,
fis lui dévoient des fecours & la plus tendre re-
connoiffance pour avoir ufè fa vie au foutren de la
j leur,. 8c pour l’affe&ioa qu’il leur témoignok en