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peuplades de nos jours ne feroit admire que dans
fon pays 3 il femble que quelques-unes des loix !
des douze Tables, fiiffifent-pour dévoiler le but
principal qui anima lès décemvirs lors de leur rédaction
, & cette remarque n'a pas échappé à l'il-
luftre auteur de l'Efprit des loix.
Le génie de la république, dit-il, fie deman-
doit pas que les décemvirs miflent dans leurs douze
Tables les loix royales fi révères, 8c faites pour
un peuple compofe de fugitifs , d'efclaves 8c de
brigands 5 mais des gens qui afpiroient à la tyrannie
-, n'avoient garde de fuivre l'efprit de la république
3 la peine capitale qu'ils prononcèrent contre
les auteurs des libelles 8c contre les poètes ,
n'étoit certainement pas de l'efprit d’une république
, où le peuple aime à voir les grands humiliés
3 mais- de gens qui voulant renvërfer la
liberté, craignoient des écrits qui pouvoient la
rappeller 5 8c Cicéron qui ne défapprouve pas
cette loi 3 en a bien peu prévu les dangereufes con-
féquences. Enfin la loi qui découvre le mieux les
projets qu'avoient les décemvirs de mettre la di-
vifion entre les nobles 8ç le peuple , 8c de rendre
par cet artifice leur magiftrature perpétuelle 3 eft
celle qui défendoit les mariages entre les nobles
& le peuple. Heureufement, après l'expulfion des
décemvirs , cette dernière loi fut abolie 3 l'an 308 de
Rome j 8c prefque toutes celles qui avoient fixé
les peines s'évanouirent : à la vérité y on ne les
abrogea pas exprelfément 3 mais la loi Porcia ayant
défendu de mettre à mort un citoyen romain 3 elles
n'eurent plus d'application.
Outre les décemvirs dont on vient de parler,
on vit à Rome d'autres décemvirs ; ceux-ci étoient
des juges 3 au nombre de dix , établis pour rendre
la juftice en l'abfence des préteurs occupés à la
guerre. 11 y avoit cinq fénateurs 8c cinq chevaliers
: par ordre du préteur dont ils formoient le
confeil 3 ils affembloient les centumvirs pour rendre
la juftice j 8c ils recueilloient les voix 5 ce qui
s'appelloit hafiamj cogéré : deindèl ciim effet neceffa-
rius magiflratus 3 dit Pomponius , qui hafi& pr&effet,
decemviri in litibus judicandis funt conflituti. On
les prenoit en fortant de la quefture 3 8c ,r quoiqu'ils
exerçaffent une magiftrature fubalterne, ils
avoient la prééminence fur les centumvirs , 8c formoient
un tribunal qui connoifîoit des caufes tout-
à-fait différentes. On créa aufli des décemvirs .à
Rome, en différèn’s temps , pour le partage des
terres : d'autres officiers qu'on appelloit decemviri
facrorum, étoient chargés de l'examen des livres
fybilins , de pourvoir aux jeux- apollinaires >,■ 8c
d'ordonner des prières.
DÉ CH IF FR ER , expliquer un chiffre, deviner
le fens d'un difcours écrit avec les caractères; qu'on
emploie dans les dépêches fëcrettes. ;
Il paroît qu'on a imaginé le mot àc; dé chiffrer-,
parce que ceux qui ont cherché les premiers , du
moins parmi nous, à écrire en chiffres’, fe font
fervis des chiffres de l’arithmétique : *on a fou-
D É C
vent employé les chiffres, parce qu'ils préfentent
des caraélères très connus , £c qu'ils diffèrent des
caractères ordinaires de l’alphabet. Les grecs ,
dont les chiffres arithmétiques n'étoient autre chofe
que les lettres de leur alphabet, n'auroient pas pu
fe Tervir commodément de cette méthode : auffi
xen avoient-ils d'autres, par exemple, les fcytales
des lacédémoniens ( Voye^ l'article C hiffres ).
Cette efpèce de chiffre ne devoit pas être fort
difficile à deviner : i° . en tâtonnant un peu , il
étoit aifé de découvrir la ligne qui devoit fe joindre
par le fens à la ligne d'en bas du papier :
20. cette fécondé ligne connue , tout le refte étoit
facile à trouver 5 car fuppofons que cette fécondé
ligne, fuite immédiate de la première pour le
fens , fût la cinquième , il fuffifoit d'aller de là à la
neuvième, à la treizième , à la dix-feptième, 8cc.
jufqu'au haut du papier, & on avoit la première
ligne du rouleau : 30. on n'avoit qu'à reprendre
enfuite la fécondé ligne d'en bas-, puis la nxième ,
la dixième, la quatorzième, &c. Une ligne écrite
fur le roülèau Revoit être formée par des lignes
partielles, également diftantes les unes des autres.
Plufîeurs auteurs ont écrit fur l'art de 'déchiffrer i
nous n'entrerons point ici dans ce détail immenfe
qui nous meneroit trop loin 3 mais, pour l'utilité
dè~nos leéleurs , nous allons donner l'extrait rai-
fonné d'ùn petit ouvrage cîe M. S'Gravefande fur
ce fujet, qui fe trouve dans le chapitre x x x v
de la fecon le partie de fon Introduâiio ai philofo-
phiam. Leyde 1737, fécondé édition.
M. S'Gravefande, après avoir expofé les règles
générales "de la méthode analytique & de la manière
de faire ufage des hypotnèfes, applique avec
beaucoup dé clarté ces règles à l'art de déchiffrer
, dans lequel elles font en effet d'un grand
ufage.
La première règle qu'il prefcrit , eft de faire
un catalogue des caractères qui compofent le chiffre,
8e dè marquer combien chacun eft répété de
fois. Il avoue que] ce travail n’eft: pas toujours
utile , mais il- peut l'être, j En effet, fi chaqué
lettre étoit exprimée par un feul chiffre, & que
le difcours fût en François, ce catalogue ferviroit
à trouver , i° . les e par le chiffre qui fe 'troüvé-
roit le plûs fouyent 3 car Te eft la lettre la plus
fréquente en fr-ançois : 20. les Voyelles par les autres
chiffrés les plus fréquens : -3°. les t 8e les q ,
à caufe de“'la fréquence :des 8e et des qui, que ,
fur-tout dans un difcours un peu long : 40. les s ,
à caufe de la terminaifon de tous les plùriers par
cette lettres 8c ainfi dé fuite, fuivant les proportions‘
approchées du nombre dès lettrés dans le
ffançois ,=trouvées par l'expérience.
Pour pouvoir déchiffre} 3 il faut d'âbOrd con-
noître la langue 3 Viéte'j il eft vrai,' a prétendu
i pouvoir' s'èfi paflëfj mais cela paroît bien diffi-
| cilé , pour fie pas dirè impoffible.’ 1 II faut que lâ-plupart des caractères fe trouvent
d é c
pins d’une fois dans le chiffre, au
eft un peu long, 8c fi une meme lettre eft d g
par des caractères différens.
A
Exemple d’un chiffre latin : a b c d e f g
B « - 'T C
h i k f : 1 m k g n e k d g e i h e. kf :
D E
b c e e f i c l a h f c g f g i n e b h f b h i c e
F G H 1
i k f : f m f p i m f h i a b c q i b c b i e
K , L M
i e a c g b f b c b g p i g b g r b k d g hi k f:
f m k h i t e f m.
Les barres, les lettres majufcules A , B , 8cc. 8c les : "ou comma qu'on voit ici ne font pas du
chiffre 5 M. S'Gravefande les a ajoutés pour un
objet qu'on verra plus bas.
Dans ce chiffre on a ,
14 f 10 g y m 2 n . 1 r
14 > 9; 0 4 a 2 p 1 f
12, b 8 h i. d 1 0 1 t
n e 8 k 2 1 1 q
Ainli il y a en tout dix-- 1. J « w* -vu... -n--e--u---f- -c--a--r--a--&---è--r-e--s-3 , <--------
cinq feulement une fois.
On voit d’abord que g h i k f fe trouve en
deux endroits B , M ; que i k ,f fe trouve encore
en F 5 enfin que h e k f ( C ) , & h i k f (B , M)
ont du rapport entre eux.
D'où je conclus qu'il eft probable que ce font-
là des fins de mots , ce que j'indique par les : ou
comma.
Dans le latin, il eft ordinaire de trouver des
mots, où des quatre dernières lettres le$ feules
antépénultièmes diffèrent * lefquelles en ce ;cas font
ordinairement des voyelles , comme dans amant,
legunt y docent} &c. donc i e font probablement
des voyelles.
Puifque f m f ( voye% G ) eft le commencement
d'un m o t, donc m ou f eft voyelle 5 car un mot
n'a jamais trois confonnes de fuite, dont deux
foient la même 5 & il eft probable que c'eft f ,
parce que f fe trouve quatorze fois , & m feulement
cinq, : donc m eft confonne.
De là allant à K ou g b f b c b g , on voit que
puifque f eft voyelle, b fera confonpe^dans b f b ,
par les mêmes raifons que ci-deffus : donc c fera
voyelle à caufe de b c b.
Dans L ou g b g ,r b , b eft confonne 5 r fera
confonne, parce qu’il n'y a qu'un r dans tout l’écrit
: donc g eft voyelle.
Dans D ou f c g . f g , il y auroit donc un mot
ou une partie de mot de cinq voyelles 5 mais cela
eft impoffible , il n'y a point de mot en latin de
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cette efpèce : donc oh s’eft trompé en prenant f c g
pour voyelles : donc ce n’eft pas f , mais m qui
eft v o y e lle& f confonne : donc b eft voyelle, voy‘_ï
K. Dans cet endroit K , on a la voyelle b trois
fois, féparée feulement par une lettre or on trouve
, dans le latin, des mots analogues à cette com-
binaifon, tels qu’e r r e , emcre, legere, amara fi tibi ,
& c . ; & comme c'eft la voyelle e qui eft le plus
fréquemment dans ce cas , j’ en conclus que b eft
probablement e , & que c eft probablement r.
e r e
J’écris donc I , q i b c b i e i e, & j e
que i e font des voyelles, comme on 1 a trouve
déjà : or cela ne peut être i c i , à moins qu’ils ne
repréfentent en même-temps les confonnes j ou v.
j En mettant v , on trouve revivi : donc i eft v *
donc v eft i. .
1 1 e r u e r e v i v i
J'écris enfuite i a b c q i b c b i e i e a c , 8c je lis^uterque revivit, les lettres manquantes
étant faciles à fuppléer : donc a eft t , & q eft q.
e u r i u
Enfuite dans E F , ou h f b h i c e i k, f ,
je lis aifément efuriunt : donc h eft s , k eft n , 8c
f eft t. Mais on a vu ci-deffus que a eft 1 3 lequel
eft le plus probable ? La probabilité eft pour f 5
car f fe trouve plus fouvent que a , & t eft tres-
fréquent dans le latin : donc il faudra chercher
de nouveau a 8c q , qu'on a cru trouver ci-
deüus. .
On a vu que m eft voyelle, 8c on a déjà trouve
e , - t , u : donc m eft a ou o , donc dans G> H
on a
t ô t u t o s u
o u t a t u a t s u
s m f P i m f h i
Il eft aifé de voir que c'eft le premier qu’il
faut choifir, 8c qu’on doit écrire tôt quot funt
donc m eft o , 8c p eft q. De plus, à Fendroit
où nous avions lu malrà-propos uterque revint, on
aura tôt quot fu er uere vivi , 8c on voit que le
mot tronqué eft fuperfuere : donc a eft p , 8c q
eft t.
Les premières lettres du chiffre donneront donc
pe rit funt 3 d'où l'on voit qu il faut lire perdica
funt : donc d eft d , 8c g eft à.
On ura par ce moyen prefque toutes les lettres
du chiffre 5 il fera facile de fuppléer celles
•qui manquent, de corriger même les fautes qui
fe font gliffées en quelques endroits du chiffre , 8c l'on lira : perdita funt bona , mindarus interiit ;
urbs Jlrata humi eji ; efuriunt tôt quot fuperfuere
vivi ; pr&terea que agenda funt confulito.
Dans les lettres de W a llis , tome XII de fes
ouvrages, on trouve des chiffres expliqués , mais
fans que la méthode y foit jointe : celle que nous
donnons i c i , pourra fervir dans plufieurs cas. ;
mais il y aura toujours beaucoup de chiffres qui fe