à une vie douce , à quelque aifance , à beaucoup
de commodités > ils auroient eu befoin de l’enthou-
fiafme religieux ou politique pour les foutenir dans
les travaux, les mifères, les privations 8c les calamités
inféparables des nouvelles plantations 3 &
le rétabliflement de la tranquillité publique dans
la métropole mit des obftaçles infurmontables au
progrès des cultures en Amérique.
L e gouvernement de la Grande - Bretagne ne
cherchoit point alors à fonder des colonies qui
lui auroient enlevé un trop grand nombre de citoyens.
11 s’occupoit vivement, des progrès du
commerce > il auroit defiré fans douté d’ établir des
colonies, 8c de s’enrichir de leurs produ&ions ; mais
la population de l’Angleterre, de l’Ecofle & de
l ’ Irlande n’étoit pas nombreufe, & il renonçoit à
ces avantages qu’ il falloit acheter par le facrifice
d’une multitude de fujets. Il prenoit pofteffion
des côtes & de l’intérieur de l’Amérique fepten-
trionalej il employoit la force pour obtenir cet,
inutile droit, parce que tous les peuples aiment
à régner même fur des déferts , parce que la nation
angloife fait faire depuis long-temps des calculs
profonds,fur l’avenir} 8c qu’enfin lés puif-
fances modernes n’ont foüvent d’autre but, dans
leurs opérations politiques , que d’arrêter l’induf*
trie & l’eflor de leurs rivales.
Il paroît qu’ alors on eonnoiffoit peu les reflbur-
ces fans nombre qu’offroit la culture de l’Amérique
feptentrionale. Les voyageurs n’avoietit pas
pénétré fort avant dans l’intérieur des terres} 8c
les peuples qui avoient- les idées les plus fajnes
fur la véritable richeffe des nations, examinoi'ent
d’abord fi les contrées nouvelles offraient des mires
d’or ou d’argent, & ils les dédaignoient fi
elles ne préfentoient pas des indices de ces ftéri-
les ’métaux. On avoit défriché la plupart des Antilles
; mais c’étoit avec les bras, des nègres, &.
on fer.toit bien que, pour garder .& contenir de
malheureux efçlaves, il falloit les enfermer dans
des files. Le continent du nouveau-Monde, dont
les hautes forêts annonçoient un fol fi fertile &
une végétation fi vigoureufe , ne tentoit point la
cupidité : on étoit effrayé des obftaçles ; on crai-
»noit de ne pas réuflir, & on redoutoit jufqu’ aux
fauvages qui promenoient d'ans ces déferts leur
valeur indomptable & leur farouche liberté.
L ’intolérance & le defpotiïme, qui tourmen-
toient plufieuTs contrées de l’Europe, produifirent
le courage néceflaire pour défricher l’Amérique
lëptentrionale, fe do nombreufes viétimes de ces
deux fléaux de l’humanité y- abordèrent.
On fait jufqu’à quel point les opinions religieuses
exaltent & renforcent les caradieres, & avec
quelle patience inaltérable & quelle noble confiance
des hommes échappés à la verge des tyrans,
fe livrent au travail dans la retraite qu’ ils ont
choifie. Dénués de moyens i n’ayant pas même
les outils les plu£“ grofïiers, tout devoit déboute*
ger les nouveaux colons } mais rien ne les découragea
: ils montrèrent, par un exemple remarqua*
b le , les forces 8c les reflources de la néceffité.
En paflant les mers, ils avoiënt perdu l’ efpoir
de retourner dans leur patrie } il eft vraifemblable
qu’ils ne le defiroient plus}, car s’il eft difficile
d’étouffer cette difpofition naturelle, il'ne l’eft
pas moins d’oublier les. injuftes perfécutions & les
violences de la'tyrannie. Ils ne tardèrent pas à fe
trouver heureux , & à jouir en paix d’une fobfif-
tance aflurée} on fut inftruit de leur bonheur ,
8c les infortunés de toutes les parties de l’Europe,
ceux de l’Allemagne for-tout, prirent la
route de l’Amérique. L’Angleterre s’apperçut de
leurs progrès, & elle crut devoir encourager les
émigrans} elle promit la qualité de citoyen dans
toute l’étendue de l’empire britannique , après
fept ans de domicile dans quelqu’une de fes colonies
, & cette faveur augmenta la population des
nouveaux établiffemens, de l’Amérique feptentrionale.
« L ’Amérique angloife, dit un écrivain eélè-
» b re , fe rempliffioit de trois, fortes d’habitans.
» Les hommes libres formoient la première clafte ,
»» 8c ç’étoit la plus nombreufe.
»U n e fécondé clafte des colons fut autrefois
» compofée de malfaiteurs, que la métropole con~
» damnoit à être tranfportés en Amérique, 8c
» qui dévoient un fervice forcé de fept ou de
»? quatorze ans aux planteurs qui les achetoient
»» des tribunaux de juftice. Ori fe dégoûta un peu
»» tard, il eft vrai, de ces hommes corrompus 8c
»» toujours ptêts à commettre de nouveaux crimes »».
Nous obferverons que le nombre des malfaiteurs
envoyés en Amérique ne fut pas aftèz grand ,
pour qu’on en fafîe une des trois clafles dont la,
population des colonies fut d’abord compofée.
Cet ufage commença fort tard. Un homme très-,
inftruit de tout ce qui a rapport à l ’état ancien
& à l’état aéhiel des provinces de l’union, ne
croit pas qu’elles aient jamais reçu plus de deux
mille malfaiteurs, & la plupart deces malheureux
accablés de maladies formèrent peu de mariages
8c donnèrent le jour à peu a’enfans : il ne penfe
pas qu’eux & leurs defeendans foient aujourd’hui
au nombre de 4000 ?^8c ainfi ils n offrent guères
,que la millième partie de la population, totale.
L ’auteur de LHiftoire philosophique 8c polîtî-
quâjdes établiffemens dansées deux Indes ajoute-:
»» l®nombre des hommes indigens que l’impofli-
»» bilité de fobfifter en Europe pouffioit dajis le .
»» nouveau-Monde, fut i très - considérable. Em-
»» barqués fans être en état de payer leur paf-
»» fage, ces malheureux étoient à la difpofition de
»9 leur conducteur, qui, les vendoit à qui bpn lui. »9 fembloit. Cette efpèce d^efclavage étoit plus
95 ou moins long ; mais il ne pouvoir jamais durer
■ » plus de huit! années. Si parmi; ces cmigraus il
V» fe trouvoit des enfans, leur Servitude devoit
*» dure? jufqu’ à leur majorité , fixee à vingt-un ans
»» pour les garçons, 8c à dix - huit ans pour les
»9 filles. Aucun des engagés n’avoit le droit de
•» fe marier fans l’aveu de fon maître , qui met4'
•».toit len*prix qu’il vouloit à fon consentement.
•» Si quelqu’un d’eux s’enfuyoit 8c quon le ra-
»» trapât, il devoit fervir une femaine pour cha-
•» que jour de fon abfence, un mois pour chaque
» femaine, 8c fix-mois pour un feul. Leproprie-
•» taire qui ne vouloit pas reprendre fon defer-
»> teur , ppuvoit le vendre > mais ce n etoit que
99 pour le temps de fon prem.ier engagement. Du
99 refte, ce fervice n’avoit rien d ignominieux , 9» & l’acquéreur faifoit tout ce qu il pouvoit pour
9» affoiblir la tâche de la vente 8c de 1 achat. A
99 l’expiration de fa fervitude, l’engage jouifloit
99 de tous les droits du citoyen libre} avec fon
>» affranchiflement, ilrecevoit du maître qu il avoit
»9 fervi, ou des inftrumens de labourage, ou les
» outils néceflaires à fon induftijie »?.
»9 terre qui leur a donné le jour, n*ayant rien de
»9 pire à craindre fous un ciel étranger, fe livrent
99 aifément à la perfpeétive d’un meilleur fort. Les "
|| moyens qu’on emploie pour tes retenir dans
99' leur pays, ne font propres qu’à irriter en eux
99 lé defir d’en fortir. C ’ eft par des prohibitions,
99 par des menaces 8c des peines qu’on croit les
»J arrêter * on ne fait que les aigrir, les poufler
33 à la défertion par la défenfe même. Il faudroit
33 les attacher par. des foulagemens & des efpé-
»3 rances : on les emprifonne, on les garotte ; 011
3» empêche l’homme, né libre, d’aller refpirer
»3 dans des contrées où le ciel "8c la terre lui don- »9 neroient un afyle »».
Le même écrivain continue ainfï : cc de quelque
99 apparence de juftice que l’on colore cette efc
99 pèce de trafic, la plupart des étrangers qui
9» paflent en Amérique à ce prix, ne s embar-
99 queroient pas, s’ ils n’étoient trompes. Des bri-
9» gands, fortis des marais de la Hollande , fe
»9 répandent dans le Palatinat, dans là Suabe ,
»9 dans les cantons d’Allemagne les pins reculés,
>> ou les moins heureux. Ils y vantent avec en-
99 thoufîafme les délices du nouveau-Monde, 8c
»» les fortunes qu’ il eft aifé d’y faire. Des hom-
99 mes fimples, féduits par des promeffes fi ma-
•» gnifiques, fuivent aveuglément ces vils cour-
»9 tiers d’un indigne commerce , qui les livrent a
9» des négocians d’ Amfterdam ou de Rotterdam.
»9 Ceux-ci, foudoyés eux-mêmes par des compa-
»9 gnies chargées de peupler les colonies ; payent
»9 une gratification à ces embaucheurs. Des famil-
99 les entières font vendues 3 fans le favoir, à des
99 maîtres éloignés, qui leur préparent des con-
99 dirions d’autant plus dures, que la faim & la
»» néceffité ne permettent pas à ceux qui les ac-
»> céptent de s’y refufer. L ’Amérique forme des »3 recrues pour la ‘ culture , comme les princes
a» pour la guerre , .avec lfes mêmes, artifices, mais »3 un but moins honnête & peut - être plus in- »9 humain : car qui fait le rapport de ceux qui
33 meurent & de ceux qui furvivent à leurs efpé-
9» rances ? L’ illufion fe ^perpétue en Europe, pat
*9 l’attention qu’on a de fupprimer les lettres qui
99 pourroient dévoiler un myftère d’impofture &
33 d’iniquité, trop bien couvert par l’ intérêt qui
*9 en eft l’inventeur. C ’ eft le malheur des peuples
*9 qui. fait adopter ces chimères de fortune à la
93 crédulité des hommes fimples. Des gens mifé-
»3 rablçs dans leur patrie, errans ou foulés for la
Le congrès 8c quelques citoyens des Etats-Unis t
recommandables par leurs lumières 8c leur huma«
nïté, ne voient que de l ’exagération dans ces reproches.
Puifque la loi de la propriété ôte aux
malheureux jufqu’aux moyens de chercher un afyle
dans une terre étrangère, l ’ufage dont on fe
plaint ici leur paroît une fuite inévitable de l’arrangement
des fociétés : ils croient qu’on peut
l’adopter, fi le gouvernement forveille les maîtres
des engagés , 8c contient dans des bornes fixes
cette efpece de fervitude : c’eft ce que les nouvelles.
républiques ont fait. On allure que les engagés
n’éprouvent aucune vexation, qu’ils ne font
point malheureux} qu’à la fin de leur fervice #
ils font toujours en état de former un éta-
bliflement} qu’ils n’achètent pas trop cher I’a:-
fance, la tranquillité 8c les privilèges dont ils
jouiflent alors } 8c qu’enfin , fi c’eft un abus, rien
ne peut le réformer. Il s’agit ici d’ une chofe qui
importe à la gloire des Etats-Unis^ 8c au bonheur
des pauvres de l’Europe, 8c nous allons difeuter
ces reproches plus en détail. Les pauvres de l’Europe
qui allèrent s’établir en Amérique, dévoient
trouver les moyens de payer leur paffage. On les
laiifa les maître^ de fe mettre au fervice de l’américain
qui leur convenoit, pourvu que. celui - ci
s’engageât à payer au capitaine dû navire les frais
de la traverfee. S’ ils ne fa voient point la langue
du pays} s’ils ne favoient pas eux - mèmès faire .
Un arrangement, le capitaine du navire s’en char-
geoit. Le contrat étoit de l’efpèce défignée par
le mot indented. dans la Jurifpruderice angloife (1 ) ,
8c on appella les engagés indented. fervants : 01*
donna aufli quelquefois aux nouveaux débarqués
le nom de redemptioners , parce qu’ils s’étoient ré-
Cervé ]k droit de fe racheter, en payant leur paffage
au capitaine, & ils usèrent fouvent de ce
droit , en fe mettant d’ètix-mêmes au fervice d’un
colon. Dans quelques provinces, ces gens avoient le
droit de fe marier, fans la permiffion de leur
maître : on dit que celui qui s’enfuyoit, devoit
fervir une femaine pour chaque jour de fon abfence',
8cc. mais fi cela eft jamais arrivé, ce fut
(1) Voye^ Blackftone.