
chap. 14 , d it, par exemple, que le vainqueur
acquiert un pouvoir defpotique fur les vaincus ;
qu'il peut juftement les mettre à mort, & dif-
pofer abfolument & comme il lui plaît, de ceux
qui, s'étant mis dans l'état de g ue rr e y ont perdu
le droit propre qu'ils avoient fur leurs perfonnes.
Sans doute , cette queftion n'eft pas auflî fimple
qu'elle le paroît d'abord. Pour la réfoudre , il
faut fe livrer à beaucoup de combinaifons , 8c
faire entrer bien des élémens dans le calcul.
Mais on peut obferver ici que les écrivains les
plus habiles & les plus éclairés fur cette matière
ont établi les erreurs les plus dangereufes, 8c
qu'ils fe font égarés par de faulfes inductions 8c
des fubtilités. Comment Locke ne voit-il pas que
la propofition énoncée fi généralement eft abfurde
& cruelle ; qu'elle ne peut être Vraie qu'à l’égard
d'une peuplade , o ù . chaque individu ayant une
portion de l'autorité fouveraine, eft entré par lui-
même 8c directement, dans l'état de g ue rre y à l'égard
d'une armée de l'un des petits cantons de la
Suine , par exemple, & que, dans tous les autres
c a s , c'eft faire un abus monltrueux dés fi-
neffes de la dialectique 8c de l'art du raifonne-
ment? Comment ne voit-il pas que fi le vainqueur
obtient , par la victoire, ce pouvoir defpotique
fur le général, fur le chef, ou les hommes qui
ont confeillé 8c réfolu la g u e r r e il ne peut acquérir
le même droit fur les malheureux foldats,
ni même furies officiers fubalternes?
Sans, doute on peut fans crime tuer un ennemi
: on le peut non-feulement d'après la juftice
extérieure , & d'après ce qui fe paffe chez toutes
les nations s mais d'après la juftice intérieure 8c
les loix de la confcience. Le droit de la g ue rre
entraîne ce pouvoir.
Si l'on ne confulte ici que l'ufage dés nations
, & ce que Grotius appelle l e d r o it d e s
g e n s , ce droit de tuer l'ennemi s'étendra bien
loin : on pourrait dire qu'il a peu de bornes, 8c
on proferiroit bien desinnocens. Mais le droit que
donne la g ue rr e fur la perfonne 8c la vie de l'ennemi,
eft limité.
Le droit de tuer l'ennemi ne regarde-t-il que
ceux qui portent actuellement les armes, ou bien
s'étend - il indifféremment fur tous ceux qui fe
trouvent fur les terres de l'ennemi, foit qu’ils
foient fujets ou étrangersdemandent plufieurs
auteurs ? il fera bon de montrer ici 3 par un
exemple , avec quelle légéreté on réfout des quef-
tions auffi importantes. « Je réponds, dit un auteur
connu » : à l'égard de tous ceux.qui font
«, fujets, la chofe eft inconteftable : ce font - là
»» les ennemis principaux, 8c l'on peut exercer
fur eux tous les aCtes d’hoftilité en vertu de
.*> l'état de g u e r r e .
* Pour ce qui eft des étrangers » ceux qui ,
?.3 lorfque la guerre eft commencée, vont, le fa-
5» chant:, dans le pays ennemi, peuvent avec jüf-
F tice être regardés comme tels > mais pour ceux
» qui étoient déjà venus dans le pays ennemi avant
M la guerre, la juftice 8c l'humanité veulent qu'on
» leur accorde quelque temps pour fe retirer 5
« que , s'ils n'en veulent pas profiter, on fe
trouve par-là autorifé à les traiter comme nos
» ennemis mêmes.
» A l'égard des vieillards, des femmes 8c des
>> enfans, il eft certain que le droit de la guerre
» n'xexige pas par lui-même que l'on pouffe les
» hoftilitésjufqu'à les tuer, & que par conféquent
» c'eft une pure cruauté que d'en ufer ainfi. Je
*> dis que le but de la guerre n'exige pas cela par
” lui-même j car fi les femmes, par exemple ,
» exercent elles - mêmes des aCtes d’hoftilité; fi
» oubliant la foibleffe de leur fexe , elles, pren-
» nent les armes contre l'ennemi, alors on e ft,
» fans contredit, en droit de fe fervir contre elles
» de celui que donne la guerre.
??. Il faut en dire autant des miniftres publics de
» la religion, des gens de lettres & autres per-
93 fonnes, dont le genre de vie eft fort éloigné
» du métier des armes. Non que ces gens-là , ni
» même les miniftres des autels, aient néceffai-
» rement 8c par leur emploi aucun caractère d'in-
» violabilité, ou que la loi civile puiffe le leur
33 donner par rapport à l'ennemi : mais, comme
«. ils n'oppofent point la force ou la violence à
» l'ennemi, ils ne lui donnent aucun droit d'en
99 ufer contr'eux ».
Quant aux prifonniers de guerre , il eft reçu
qu'exceptées quelques circonftances particulières ,
on ne peut les faire mourir, fans fe rendre coupable
de cruauté. Mais quelles font ces circonftances
particulières ? Il n'eft pas ailé de le dire
nettement.
Les droits de la guerre ne s'étendent pas juf-
qu'à autorifer les outrages faits à l'honneur des;
femmes; car les outrages n'importent ni à notre
défenfe , ni à notre fureté, ni au maintien de
nos droits , & ne peuvent fervir qu'à fatisfaire la
brutalité du foldat.
Et dans les cas où il eft permis d’ôter la vie à
l'ennemi, peut-on fe fervir de toutes fortes de
moyens indifféremment ? Non fans doute , frappez
l'ennemi, mettez - le hors de combat, tuez - le
même, tout cela vous eft permis: le droit des
gens vous y autorifé. Mais lorfque l’ennemi eft
une fois hors de combat, dès qu’il ne vous ré-
fifte plus, faut-il qu'il meure d'une bleffure em-<
poifonnée ? 8c faut-il que la/ garnifon & les ha-
bitans d’une ville affiégée périffent par l'empoi-
fonnement des fontaines, des puits, & c ? C e
ferait pouffer la cruauté à l'excès, 8c bien au-delà
de ce que les loix de la guerre permettent. La
guerre même a fes lo ix , dit fagement Plutarque.
Vita Garnit.
Nous n'avons trouvé nulle part une folution
jufte des queftions que fe propofent ici les publi-
cilles : leur difeuflion demanderait des détails que
ne comporte pas la nature de cet ouvrage, 8c
nous
liou*vnons Bornerons à préfenter les indiferettes
réponfes de quelques auteurs.
« Peut - on légitimement faire affaffmer un en-
» nemi, fè demande l'un d'entr'eux ? « Je ré-
„ ponds i° . que celui qui fe fert pour cela du
» miniftère de quelques-uns des fiens , le peut en
» toute juftice. Lorfqu'on peut tuer un ennemi,
y* il n'importe que ceux qu on emploie pour cela
» foient en grand ou en petit nombre. Six cents
»» lacédémoniens étant entrés avec Léonidas dans
» le camp de l'ennemi, allèrent droit a la tente
»»du roi perfe : or ils auraient pu fans doute le
»» faire, quoiqu'ils euffent été en plus petit nom-
» bre. L'entreprife fameufe de Mucius Scevola
»> eft louée par tous ceux qui en ont parlé 8c
»* Porfenna lui-même, celui à qui on vouloit ôter
» la vie , ne trouve rien que de beau dans ce
» deffein.
»» Mais il n'eft pas fi aifé de déterminer fi l’on
£ peut pour cela employer des affaffins , q u i, en
as fe chargeant de cette commiffion, commettent
a, eux-mêmes un aéte de perfidie, fi l'on peut em-
j# ployer des fujets contre leur fouverain , 8c des
•w foldats contre leur général. A cet égard ,
as il femble qu'il faut d'abord diftinguer ici deux
*s queftions différentes : l’une , fi l'on fait du
» tort à l'ennemi même contre lequel on fe fert
as de traître : l'autre, f i , fuppofé cju'on ne lui
as faffe aucun to r t, on commet néanmoins une
as mauvaife aétion.
*> Autrefois celui qui pouvoit tuer le roi ou le
a» général ennemi, étoit loué 8c récompenfé : on
as fait quel honneur étoit attaché aux dépouilles
as opimes. Rien n'étoit plus naturel : les anciens
>, combattoient prefque toujours pour leurfalut,
»» 8c fouvent la mort du chef met fin à la guerre.
»» Aujourd'hui, "au moins pour l'ordinaire , un
»» foldat n'oferoit fe vanter d'avoir ôté la vie au
a» roi fon ennemi ». Chacun apperçoit les vices
de ces raifonnemens ; 8c puifque l'honneur en
apprend plus aux généraux des états policés que
les-volumineux écrits des publiciftes, il n’eft pas
néceffaire de nous arrêter davantage fur ce point.
A l’égard des biens de l'ennemi, l'état de guerre
permet fans doute de les lui enlever, de les ravager
, de les endommager, 8c même de les détruire
entièrement ; car , comme le remarque fort
bien Cicéron, il n'eft point contraire à la nature
de dépouiller de fon bien une perfonne, à qui
l’on peut ôter (a vie avec juftice : les maux que
l ’on -peut caufer à l'ennemi, en ravageant fes
terres 8c fes biens, font appelles le dégât.
Outre le pouvoir que donne là guerre de gâter
& de détruire les biens de l'ennemi, elle donne
encore, le droit d'acquérir , de s'approprier 8c^retenir
fans crime les chofes qu'on a prifes fur l'ennemi.
Selon les règles du droit des gens, non-feulement
ceux qui ont pris les armes ppur un. juftë
(Ecart..polit. & diplomatique. Tarn, II,
fujet, mais tous ceux qui font la guerre, acquièrent
la propriété de ce qu'ils prennent à l'ennemi,
8c cela fans règle ni mefure , du moins quant aux
effets extérieurs, dont le droit de propriété eft
accompagné, c'eft-à-dire, que les nations neutres
doivent regarder les deiik nations en guerre ,
comme propriétaires légitimes de ce qu'elles peuvent
acquérir l'une fur l'autre par la force des
armes.
Les chofes prifes dans une guerre publique 8c
folemnelle, appartiennent - elles à l’état ou aux
particuliers qui en font membres , ou à ceux qui
ont fait eux-mêmes le butin ?
Grotius , qui examine fort au long cette queftion
, diftingue les aétes d'hoftilité véritablement
publics, 8c les aétes particuliers d'hoftilité faits
d'autorité privée à l'occafion d'une guerre publique.
Par les derniers , félon lu i , les particuliers
acquièrent pour eux-mêmes, premièrement 8c directement
, ce qu'ils prennent fur l'ennemi ; au
lieu que, par les premiers, tout ce que l'on prend
eft au profit du peuple ou du fouverain : mais on
a eu raifon de critiquer cette décifion ; toute guerre
publique fe faifant par autorité du peuple ou du
chef du peuple, c'eft de lui que vient originairement
le droit que des particuliers peuvent avoir
fur des chofes prifes à l'ennemi : il faut toujours
ici un confentement ou exprès, ou tacite du
fouverain.
S e c t i o n s e c o n d e !
Des guerres civiles.
C'eft une grande .queftion de favôir fi le fouverain
doit obferver les loix ordinaires de la guerre
envers des fujets rebelles, qui ont pris ouvertement
les armes contre lui. Si on répond vaguement
que les loix de la guerre ne font pas faites
pour des rebelles dignes des derniers fupplices ,
on ne réfout point la queftion $ il faut l'analyfer
avec plus de foin. Si l'on veut voir clairement
quelle conduite le fouverain doit tenir envers des
fujets foulevés , on doit fe fouvenir que tous les
; droits du fouverain viennent originairement des
droits meme de la nation , des foins dont on l'a
chargé , de l'obligation qu'il a contra&é de veiller
au falut du peuple, de travailler à fon bonheur ,
8c de le tenir dans l'ordre, la juftice 8c la paix.
Il eft néceffaire enfuite de diftinguer la nature 8c
le degré de ces défordres qui peuvent troubler
l’é ta t, 8c obliger le fouverain à fubftituer les
voies de la force à celles de l'autorité.
Lorfqu'il fe forme dans l'état un parti qui n*o*
béit plus au fouverain , 8c fe trouve affez fort pour
lui réfifter ; oulorfqu'un gouvernemént démocratique
fe divife en deux faétions oppofées, 8c que
de part 8c d'autre on en vient aux armes, c'eft
une guerre civile. Quelques publiciftes réfervent
I cette dénomination aux iuftes armes que les fujets
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