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Il y a deux voies générales par Iefqitelles un
gouvernement dégénère } favoir , quand il fe ref-
forre , ou quand l’état fe diffout.
L e gouvernement fe refferre , quand il paffe du
grand nombre au p e t it , c’eft-à-dire de la démocratie
à l’ ariftocratie, & de l’ariftocratie à
la royauté. C ’eft - là fa pente naturelle. S’il rétrogradait
du petit nombre au grand 3 on pour-
roit dire qu’il fe relâche, mais ce progrès in-
verfe eft impoflible.
Nous avons déjà parlé de la di ffolution des
états. Foyer l’ article aijfolution des états, .
Quand l’ état fe diffout, le gouvernement prend
d’abbrd le nom général d’anarchie. Enfuite la
démocratie dégénère en ochlocratiej l’ariftocra-
tie en olygarchie. Voyeç ces mots. La royauté
dégénère en tyrannie} mais ce 'dernier mot eft
équivoque & demande une explication. Voyez
l’art. T y r a n n ie .
Origine & nécejfitê du gouvernement civil.
Si les hommes étoient parfaitement bons &
fages, s’ils pouvoient difcerner les moyens qui
tendent au bien général de leur efpèce 3 & s’ils
vouloient les employer 3 rien ne manqueroit à leur
bonheur. Us n’auroient befoin ni d’autres liens
ni d’autres obligations que celles que leur impo-
fent la vertu .& la fageffe. La néceffité de l'autorité
civile ne peut donc être fondée que fur
l’imperfeèrion ou fur la dépravation des homm
e s , ou fur l’une & l’autre en même-temps.
Lorfque plufieurs auteurs anciens définilfent
l ’homme un animal fait pour la fociété. civile
ou naturellement propre à la fociété civile 3 ils
ne veulent pas dire que l’homme fouhaite naturellement
d’etre affujetti aux loix , de. même qu’il
fouhaite la fociété d’autrui dans l’état de .nature,
ou de fe marier & d’avoir des enfans. Perfonne
n’aime à1 foumettre fes allions .à la •.direction
d’autrui, ni encore moins à le réndt'é maître de?
fon bien & de fa vie. Il faut donc que les hommes
ayent reconnu que les maux & les dangers
attachés à l’anarchie, étoient plus grands que
ceux auxquels ils s’expofoient en fe Soumettant
eux & leurs affaires à la direction de certaines
perfonnes, qui veillaffent à la fureté commune.
Ils ont préféré de vivre fous les.loix du gouvernement
civil ^ tant à caufe des - 'avantages qu’ ils
y trouvoient eux-mêmes, qu’ à caufe de ceux
qu’il procuroit à l’humanité.
Si Ton étudie la corruption des hommes
©n fentira la néceffité du gouvernement civil.
Comme la plupart font avares & ambitieux *
qu’ils aiment à opprimer 3 lorfqu’ils peuvent
le faire impunément, & qu’ils font plus touchés
de leurs avantages préfens, que des maux
éloignés qu’ils- peuvent s’attirer par leurs injuf-
tices, il a fallu trouver un remède contre ces
mauvaîfes difpofitîons ; mais un remède dont
l ’effet fut préfent & fenfible, & l’on n’en a
point trouvé de plus efficace qu’une autorité civile
, revêtue d’une force fuffifante pour maintenir
la j u f t i c e & châtier ceux qui nuifent aux
autres. Quoique le commun des hommes , ou
meme chaque individu foit méchant & injufte,
il eft rare qu’étant unis, ils faffent des loix très-
îniques. Tous orttrun fentiment du jufte & de
1 injufte, & une averfion naturelle pour l'injuftice.
Je puis, pour mon plaifir, pour mon intérêt ,
ou pour Satisfaire quelque paffion., agir contre
le fentiment que j’ai de la.juftice} mais ceux
qui n’ont aucun intérêt à ce que je fais , me
regarderont avec^ horreur. Un fécond fera la
meme chofe} mais moi & mes femblabfes nous
concevrons de l’indignation pour lui. Comme
tous les autres ont les mêmes fentimens, ils ne
s’accorderont guères à faire des loix injuftes ,
encore qu’aucun ne foit affez affermi dans les
principes de' l’équité, pour faire ce qu’elle lui
, diète , lorfque cela eft contraire à fes intérêts
ou à fes paffions. D ’ailleurs , chacun en particulier
craint qu’on ne lui faffe tort , & appréhende
lui-meme d’en faire à fes voifins , de
crainte de s’attirer leur reffentiment. Il eft donc
rare que plufieurs perfonnes unies d’intérêt,
approuvent l’injuftice d’un de leurs membres.
Comme perfonne n’approuve l’injuftice, fi ce
n eft celui qui trouve fon .intérêt à la commettre
, jamais l’autorité 'publique ne donnera une
approbation volontaire à celle que l ’on commet
envers l’ un de fes membres , fi ce n’ eft dans le
cas où on la confie à un feul ou à un petit
nombre de perfonnes. Car alors ce chef unique
peut manquer à ce qu’il doit à fes fujets, ou
ce petit nombre de perfonnes peut former une
claffe féparée du peuple, & opprimer celui-ci,
pendant qu’ elles obfervent entr’ elles les règles de
la juftice.
t On ne doit pas en conclure , à l’exemple de
quelques écrivains, que la plus mauvaife efpèce
de police vaut mieux que la meilleure anarchie.
Dans les plus mauvais gouvememens y il fe trouve
toujours quelques bonnes lo ix , & la juftice eft
fouvent bien adminiftrée , lorfqu’il ne s’agit ni
des^intérêts des chefs , ni de ceux de leurs fa-
: vqris t le peuple eft garanti des invafions exté-
■ rieures, par fa facilité qu’il a dé réunir fès forces
& fes confeils, avantage) qu’on ne peut fe
'promettre dans la nouvelle anarchie. Mais dans
un état anarchique , où les moeurs des peuples
ne font point encore corrompues par la molleffe *
les richeffes & le luxe, il peut y avoir plus de
bonheur, de fimplicité & d’innocence de moeurs,
que dans un mauvais gouvernement:on peut y trouver
beaucoup de zèle pour la défenfe commune
pour l’obfervation de la juftice, & même pour
la culture des arts & des Sciences.
Les écrivains politiques qui ont adopté la
méthode fcholaftique dans leurs divifions , difenc
que les différens pouvoirs qui appartiennent aux
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gouverneurs dans la police civ ile, fe divifent
communément en quatre grands pouvoirs civils
( i ) , qu’on appelle auffi les parties ejfentiel-
Les de l’autorité fuprême , & en (z ) petits pouvoirs
} qui ne font point effentiels au gouvernement
civil.
Us fubdivifent quelquefois les parties effentiel -
les en (3) internes, ou qui doivent être exercées
par les fujets dans la fociété même, & en
paffagers ou externes, tels que ceux qu on
exerce envers des nations étrangères, ou des états
indépendans.
La formation des fociétés civiles fe fait fou-
vent au hafard, mais' elle entraîne communément
trois aétes exprès & implicites. i° . Chacun
s’engage, avec tous les autres, à fe réunir
pour toujours' en un feul corps, & à régler
d’un commun confentement ce qui regarde leur
confervation & leur fûreté mutuelle. 2°. On
règle par une ordonnance la forme du gouvernement
, & le nombre de perfonnes auxquels
les on veut le confier. 3®. Un autre aéte
défigne une ou plufieurs perfonnes revêtues du
pouvoir de gouverner la fociété. Ceux qui ont
cette autorité, s’engagent à veiller avec foin au
bien public, & les autres leur promettent une
fidélité & une obéiffance inviolables.
T otites les fociétés n’ont pas commencé par
ces trois a&es authentiques , ainfi que nous le di-
fions tout-à-I’heure } mais il eft évident que toutes
les fociétés font fondées fur des conventions
écrites ou non écrites , ftipulées ou non ftipulées
expreffément, qui ont rapport aux trois aétes dont
ori vient de parler.
Les affociations les plus parfaites font celles
q u i, dans leur commencement, ont fait ces trois
aftes avec beaucoup d’appareil & de folemnité :
telles font celles des Etats-Unis d’Amérique. On
ne connoît pas de gouvernemens où l’on ait pris
ces précautions avec le même foin. Voyez l’article
A bsolu p o u v o ir , D écadence des é t a t s ,
D is so lu t io n des é t a t s , D ém o c r a t ie ,
A r is t o c r a t ie , M o n a r ch ie , & c .
G O UV ERN EU R DE PR O V IN C E . Voyez
le Dictionnaire dé l’Art militaire.
G R A D ISC A ( comté de ) , appartenant à l’empereur.
Voye% Fr i ou l .
G R A IN S : on trouvera à l’article A g r icu l tu
r e & à.l’article Bled ce qui regarde le commerce
des grains , & à l’article C u l tu r e ce qui
regarde la culture. Nous ne parlerons ici que de
l’emploi des terres en labourage , pâturage , jardinage
, vignoble & autres cultures. Nous rechercherons
les effets de ces divers emplois , & les
caufes qui les rendent plus ou moins avantageux.
(1} Jura majeftatis majora.
( i) Jura majeftatis minora.
(i) Jura imperii immanentia vel tranfêuntia»
G R A
Un champ de bled , d’une fertilité médiocre ,
produit beaucoup plus de nourriture pour l'homme
que le meilleur pâturage de la même étendue.
Quoique fa culture exige beaucoup plus de travail
, le furplus qui refte après le remplacement
des femences & la confommation qu’emporte tout
ce travail, eft auffi beaucoup plus grand.
Mais les valeurs relatives de ces deux fortes
d’alimens, le pain & la viande de boucherie ,
changent beaucoup dans les divers périodes de
l ’agriculture. Dans fes commencemens groffiers
les terres incultes, qui font fans comparaison le
plus grand nombre, font toutes abandonnées aux
beftiaux. II y a pour lors plus de viande de boucherie
que de pain} la plus grande concurrence
eft pour le pain, & par conféquent il eft le plus
cher. Ulloa dit qu’à Buenos-Ayres le prix ordinaire
d’ un boeuf choifi dans un troupeau de deux
ou trois cents, étoif, il y a quarante ou cinquante
ans, de quatre réaux ou vingt-un pences & demi*
( environ quarante - quatre fols de France ).
U n’en eft pas cTe même quand la culture em-
braffe la plus grande partie des terres. Il y a ,
dans ce c a s , plus de pain que de viande de boucherie
,. & le prix de la viande de boucherie eft
fupérieur à celui du pain.
Ajoutez que, par l’extenfion de la culture, les
terres qui relient incultes ne fuffifant plus pour
fournir à la demande de la viande de boucherie ,
on eft obligé d’employer une grande partie de
celles qu’on cultive à élever & engraiffer les bef-
riaux, dont le prix doit par conféquent être affez
fort pour payer mon-feulement la peine de les
élever, mais encore la rente que le propriétaire
& les profits que le fermier auroient pu tirer d’une
terre en labour. II n’y a pas plus de cent ans
que, dans plufieurs endroits des montagnes d'E-
cofife, ou avoir la viande de boucherie à auffi bon
ou à meilleur marché que le pain , même le pain
de gruau d’avoine. L ’union des deux royaumes
a ouvert aux beftiaux des montagnards le marche
d’Angleterre. Leur prix eft aujourd’hui environ
trois fois plus grand qu’il n’étoit au commencement
du fiècle , & les rentes de plufieurs fonds de
terre des montagnes ont triplé & quadruplé dan%
le même temps. Il y a peu d’endroits dans la
Grande-Bretagne, où une livre dé viande de boucherie
ne vaille aujourd’hui plus de deux livres du
meilleur pain blanc , & , dans les années d’abondance
, elle en vaut quelquefois crois ou quatre.
C ’eft ainfi que , dans les progrès de la fociété,
la rente & le profit d’un pâturage inculte viennent
à fe régler en quelque forte par la rente & le profit
de celui qui eft cultivé , & que ceux-ci, à leur
1 tour, font réglés parla rente & le profit du bled.