n’auroit pu y inférer un décret qui obligeât éga- }
lement les autres tribus des francs , qui fe tro'u-
voient fournis à -’des loix particulières, & qui ne
reconnoifloient pas celle des faliens.
Le paffage li fameux eft le dernier d’un chapitre
qui traite feulement des fucceflions entre les
particuliers , & même des fuccelfions en ligne collatérale.
Les termes qu’on y emploie, ne conviennent
pas à la fucceflion d’une couronne, &
on ne peut les appliquer qu’à la fucceflion des
fiefs. On ignore par quel hafard on a féparé ce
paragraphe de ceux qui le précèdent, pour lui
attribuer un objet différent; & à n’examiner qùe
le texte , rien n’autorife l’application qu’on en a
faite à la couronne. Il eft difficile de croire que
les auteurs de la loi aient voulu confondre, dans
un même chapitre, deux efpèces de biens, fi
différentes par leur -nature & par leurs prérogatives
, le royaume & le patrimoine des individus ,
le droit du fceptre & celui des pofleflions privées.
Comment imaginer que le même décret a
réglé l’état des rois & l’état des fujets ! Qu’on
ait renvoyé à la fin du décret , comme un fup-
plément ou comme un âccefloire, l’article qui
concerne le monarque, & qu’on fe foit expliqué
en deux lignes, & en termes obfcurs, fur une
matière de cette importance, tandis que .lelégif-
lateur s’étend beaucoup & s’énonce clairement
fur ce qui regarde les fujets.
Les faliens pofledoient deux fortes de biens :
ils avoient d’abord des terres appelîées faliqûes ;
c’étoient des bénéfices militaires ou d’autres de
cette efpèce, ou des récompenfes données par
Clovis. Ils pofledoient, en fécond lieu , des al-
lodes ou atleux j c’étoient des biens patrimoniaux.
La diftin&ion'de ces deux fortes de biens eft in-
eonteftable. Les loix faliqûes appellent alleux les
biens héréditaires , les biens patrimoniaux , les
biens qu’on recevoit de fes pères j elles emploient
comme fynonimes le mot allode & le mot patrimoniaux
, & les capitulaires de Charlemagne, de
Louis le Débonnaire, de Charles le Chauve donnent
une acception oppofée au terme bénéfice & à
celui d’alleu.
Les terres faliqûes étoient la récompenfe d’un
fervice militaire, & elles impofoiént à ceux qui
dévoient en jouir, l’obligation de porter les armes
;. & la loi déclare que les femmes ne dévoient
avoir aucune part à cette efpèce de bien,
parce qu’elles ne pouvoient remplir la condition
à laquelle leurs pères en avoient joui. Il n’en étoit
pas de même des terres pofledées par les ripua-
riens, autre peuple franc , non à titre de récompenfe
du fouverain, mais à titre de fuccefleurs
de ceux à qui les romains les avoient données.
La loi des ripuariens tranfmettoit celles-ci aux
pères, mères, frères , foeurs , oncles 6c tantes.
Elle excepte feulement les terres faliqûes, auxquelles
les mâles feuls pouvoient fuccéder.
Les diverfes tribus des francs ayant eu befoin
I d*un roi guerrier , il paroît qu’elles ne longèrent
jamais à donner la couronne à des femmes : & ,
s’il fut jamais queftion de les exclure formellement
du trône , leur fierté dédaigna peut - être
d’établir fur ce point une loi particulière, 8z .leur
groflière ignorance s’en tint à la difpofition de la
loi falique fur les alleux 3 que nous venons d’expliquer.
Mais à quelle époque firent-ils cette belle
interprétation ? C ’eft ce qu’on ignore, & ce qu’il
feroit peut-être difficile de découvrir.
La coutume de ne pas fouffrir les femmes fur le
trône, étoit plus ancienne chez les francs que le
code falique. Elle leur étoit commune avec toutes
les nations germaniques qui inondèrent l’Europe
, & qui s’y établirent vers h' fin de l’empire
d’Honorius. Suèves, vandales, bourguignons,
francs, lombards, aucun de ces peuples ne fut
gouverné par des reines. Ils avoient tous des rois ,
qui fouvent n’étoient que les chefs & les généraux
de leurs armées.
Au refte, il eft aifé d’imaginer comment ces
peuples barbares firent, du titre du code falique
que nous difcutons, une application indirecte à
la fucceflion à la couronne. Les biens nobles ne
peuvent, félon le droit commun, tomber de lance
en quenouille 5 ils jugèrent que la prérogative de
la royauté, qui eft l’héritage le plus noble & celui
d’où découle la noblefîe de toUs les autres ,
fe trouvoit fur-tout dans ce cas. Si donc la règle
qui, en France , exclut les femmes du trône ,
n’eft pas une loi écrite, la coutume invariablement
obfervée depuis le commencement de la monarchie
lui a donné force de loi ; & plufieurs juge-
mens delà nation qui la fuppofoient écrite, & qui
prononçoient fes decrets d’après cette fuppofition ,
ne biffent aucun doute fur ce point.
Mais la première & la fécondé race de nos
rois ne fourniflent pas , en effet, un feul cas
où les filles d’un roi} mort fans poftérité masculine
, aient réclamé le fceptre ; & Iorfque, fous
la troifième race, les defcendans des filles ont
voulu fuccéder , on n’a jamais admis leurs prétentions.
Depuis Hugues Capet, treize rois en ligne directe
étoient montés fur le trône, lorfqu’après
la mort de Jean , fils de Louis-le-Hutin, la couronne
pafîa en ligne collatérale à Philippe le Long,
comte de Poitou, frère de Hutin. L’ordre de
la fucceflion royale fut attaqué , pour la première
fois, par Clémence, fille de Hutin ; elle difputa
le fceptre à Philippe le Long. Les pairs & les
barons de France fè rendirent à Paris , afin de
juger fes prétentions ; & une forte d’aflemblée
de la nation décida que la loi falique & la coutume
inviolablement obfervée parmi les françois ,
excluoient hs filles de la couronne.
Charles le Bel n’avoit en mourant qu’une fille 5
mais il Iaifla la reine enceinte. Si elle n’accôuchôit
pas d’un prince, Philippe, fils de Charles, comte
de Valois, frère de Philippe le Bel, père des
trois derniers rois, hériroit du trône. Philippe
le Bel j outre fes trois fils , avoit une fille , ap-
pellée Ifabdlt, mariée à Edouard I I , roi d Angleterre
: fon fils Edouard lll-s’avifade prétendre
à la fucceflion , du chef de fa mere.
Il fut queftion de nommer yn régent, & on
choifit, félon l'ufage , le prince que la loi appellerait
à la couronne, fi la veuve de Charles le Bel
accouchoit d'une fille. ' /
Edouard reconnoiffoit que la lot falique ex-
cluoit les filles de la fucceflion à la couronne ,
& il falloir bien qu'il le reconnut, puifque les
trois derniers rois, Louis Hutin ,lh ilip p e le
Long & Charles le Bel, avoient laifle fept hiles
encore vivantes, à qui le trône eut appartenu
plutôt qu'à Ifabelle leur tante; mais il vouloir
que l’exclufion fût bornee a^la personne des rem-
mes, & qu'elle ne s'étendît pas à leurs defcendans
mâles ; il ne fe croyoit pas obligé de recourir
au droit de repréfentation , qui place un parent
éloigné , au degré de celui qu'il repréfente ,
parce qu'il étoit neveu du dernier roi, & que
Philippe de Valois n'en étoit que le coufin-ger-
main. Il cherchoit ainfi à faire valoir le droit de
proximité ; il foutenoit que la perfonne la plus
proche où le défaut du fexe ne fe trouvoit point,
étoit, par la proximité du fang, en droit de
fuccéder au fceptre de France^ ; 8c qu ayant 1 a-
Vantage d'un degré, il excluoît Philippe dé Valois.
. „ . , , . ,
La prétention du roi d Angleterre etoit mal
fondée à tous égards ; car Philippe de Bourgogne
étoit plus proche que lui par Jeanne fa me-
re , fille de Philippe le Long ; & Eudes I V , duc
de Bourgogne , fon père, ne penfoit pas que
cette proximité lui donnât aucun droit a la couronne.
Philippe de Valois répondoft d'ailleurs,
qu’Ifabelle n'ayant aucun droit au trône , fes en-
fans ne pouvoient en avoir ; que 1 inhabilité de
la mère avoit palfé à fon fils 8c à tous fes defcendans
; que la mère d’Edouard ne pouvoit
lui avoir communiqué un droit qu’elle n'avoit
pas elle-même , 8c que ce prince ne pouvoit en
avoir aucun de fon chef, fondé fur fa proximité,
puifque cette proximité n’ exiftoit en fa perfonne
que par fa mère ;• qu'il étoit déraifonnable de vouloir
fuccéder à la couronne comme fils d'Ifabelle,
fans vouloir la tepréfenter, 8c qu'enfin la loi falique
avoit un double objet : le premier, que le
peuple françois ne-fût pas fournis à des femmes ;
8c le fécond, d'empêcher que la couronne ne
paffât à un prince étranger'.
Les princes & les barons de France reconnurent
8c déclarèrent la force de la loi falique ; ils
prononcèrent unanimement en faveur de Philippe
de Valois. « A donc les douze pairs 8c barons
s, de France , ( dit un hiftorien contemporain ) ,
,» s’afiemblèrent à Paris le plutôt qu’ils purent ,
». 8c donnèrent le royaume , d’un commun ac-
» cord, à meflire Philippe de Valois, Si en
„ ôtèrent la reine d’Angleterre, 8c le roi fon
„ fils, laquelle étoit demeurée foeur-germaine du
» roi Charles, dernier trépaffé, par la rai fon de
» ce qu'ils difent que le royaume de Frante eft
» de fi grande noblefie, qu'il ne doit mie par
» fucceflion aller à femelles ». Edouard fe fournit
à ce jugement, 8c il vint à Amiens rendre
hommage à Philippe , qui le fomma de-lui faire
hommage en perfonne pour le duché de Guienne ,
qu’il tenoit fous la mouvarfcé de la couronne. Si
Edouard fit enfuite la; guerre à Philippe , & fi
fes prétentions à la couronne en furent le prétexte
, cette guerre n’affoiblit pas le droit incon-
teftable de Philippe, l'autorité du jugement de la
nation , 8c la foumiflion volontaire du prince an-
glois. à ce jugement ; 8c il demeure prouvé qu’en
France les filles 8c leurs defcendans n'ont- jamais
fuccédé à la couronne , ni à aucune portion de
la couronne. . . .
La preuve la plus certaine qu’on a toujours fuivt
l’interprétation donnée à ce qu’on appelle la loi fa lique
, c’eft la fuite généalogique de tous nos rois.
On voit qu’ils font monte's fur. le trône de père
en fils, de frère en frère ; 8c qu'au défaut des
enfans mâles du roi, le plus proche prince du
fang royal, a obtenu le fceptre. 11 ne faut pas
croire que la couronne de France n'a été héréditaire
par les mâles , que depuis que Lo-
thaire Empereur, Louis le Germanique 8c Charles
le Chauve affemblés, conv nrent, dans un traité
folemnel, que leurs enfans fuccéderoient au trône
; qu’ils auroient chacun en partage ce qui leur
feroit ' afligné, 8c que les ondes n’auroient aucune
part à la couronne. Ce traité ne fut qu’une .
confirmation de la loi falique ; car un autre aéte
folemnel, figné par Louis le bègue 8c Louis, roi
de Franconie , fon voifin , déclara que ces deux
princes réghoient par droit fucceflif , 8c que leur
royaume devoit paffer L leur poftérité par droit
de fucceflion , ce qui ne peut s'entendre d'un
droit nouveau.
Au refte, le préjugé qui fuppofe la loi fur l’exclufion
des femmes au trône, comme une loi écrite
qui fe trouve formellement dans les codes, n'eft
pas très-ancien i il paroît qu'il a commencé à
s'accréditer au commencement du quinzième fiè-
cle , d'après les affertions de. Robert Gaguin &
de'Claude de Seyffel,
Si les françois excluent du trône les femmes Si
leurs defcendans depuis plus de treize fiècles ,
ils ne les. ont pas privés du droit de gouverner
le royaume à titre de régentes. Ils fe font éloignés
par-là de l'efprit de cette règle , qu’ils regardent
comme nne loi fondamentale, 8c ils fe font
privés de l'avantage qu'elle ménageoit à la nation
; on a remarque, fur l’adminiflration des
régentes, que la nation françoife eft de toutes les
nations celle qui a fouffert le plus de maux du
gouvernement des femmes, quoiqu’elle ait pri$
un foin particulier de leur ôter le fceptre.