
3^4 É T A
périence de l'Angleterre a appris aux américains’
ce qu’ils doivent penfer de la liberté de la preffe.
Il feroit à delîrer que les américains miffent des
bornes à leur commerce 5 ce fera la première caufe
de leur corruption : mais vouloir, comme M. l’abbé
de Mably 3 les ramener aux principes de Platon
, c’eft perdre fon temps.
Nous avons fait voir à l’article D ém o c r a t ie
dans quelles erreurs on eft tombé * combien on a
fait de remarques déraifonnables pour avoir mal
faifi le fens du terme démocratie | ou gouvernement
démocratique : le livre de M. l’abbé de Mably eft
plein de faux jügemens qui viennent de cette mé-
prife. Il apperçoit de véritables démocraties dans
les conftitutions des Etats-Unis : & parce que les
anciennes démocraties ne pouvoient guère fubfifter
que dans .une ville dont tous les citoyens fe con-
noiffoient, il en conçlud que cette forme de gouvernement
ne peut fubfifter dans les Etats-Unis ,
dont le territoire eft fi vafte. Que lignifie ce rapprochement
? Dans les républiques de l’antiquité
dont on nous parle, le peuple agiffoit par lui-
même & fans repréfentans ; dans les Etats- Unis 3
il agit par repréfentans & non par lui-même : le
gouvernement y eft démocratique j mais ce n’eft
pas une démocratie 3 fi l ’on donne à cette expref-
îion la valeur que lui donnent Ariftote & M. l’abbé
de Mably.
C ’eft dans une longue lettre au doéteur Price
que M . Turgot parle des conftitutions des Etats-
Unis 3 & qu’il paroît fi frappé de leurs vices. C e
grand homme q’ui a montré un courage fi vertueux 8c un zèle fi ardent pour le bonheur des hommes,
qui a peut - être rendu chimériques fes vues de
bien public, parce qu’ il les a trop étendues, &
dont les erreurs méritent ainfi de la reconnoiffance,
a jugé bien rigoureufement l’ouvrage de légiflation
des provinces de l’ Amérique feptentrionale. Il eft
étonné que les Etats-Unis aient imité la conftitu-
tion d’Angleterre, qu’ ils aient établi des corps
diffère ns , un corps de repréfentans 3—un confeil, un
gouverneur 3 parce que l'Angleterre a une chambre
des communes , une chambre haute & un roi. « On
» s’occupe , dit-il, à balancer ces différens pou-
» voir s , comme fi cet équilibre des forces qu’on
» a pu croire néceffaire pour balancer l’énorme
» prépondérance de la royauté, pou.voit être de
m quelque ufage dans des républiques fondées fur
» l’égalité de tous les citoyens, & comme fi tout
35 ce qui établit différens corps n’étoit pas une
» fource de divifion. En voulant prévenir des
33 dangers chimériques , on en fait naître de
33 réels », ,1 Æ . ■
Il eft furpris qu’on ait ôté au clergé le droit
d’éligibilité.
Il ajoute enfuite : « nul principe fixe fur l’ im-
» pot : on fuppofe que chaque province peut fe
33 taxer à fa fantaifie, établir des taxes perfon-
33 nettes, des taxes fur les confommations, fur les
» importations, c’eft-à-dire, fe donner un intérêt.
Ë T A
» 'contraire à l’intérêt des autres provinces » , fe
il finit par fe récrier contre les prohibitions du
commerce.
Il ne feroit pas difficile de répondre à ces objections
> mais il faudroit relever les méprifes d’un
homme d’état refpeétable & mettre nos vues au-
deffus des fiennes, & c’eft ce que nous ne ferons
pas. Au re lie,1 on verra à l’article V i r g i n i e que
fi les américains n’ont pas eu tort d’imiter en quelques
points la conftitution d’Angleterre, ils auroient
d û , à l’exemple des anglois, mettre des barrières
fixes entre la puiffance légillative, la puiffance
exécutive 8 c la puiffance de juger 5 que les contrepoids
habilement ménagés font ce qu’il y a de
plus parfait dans la conftitution de la Grande-Bretagne
, 8 c que fi les mêmes contrepoids ne conviennent
pas à 'la forme du gouvernement des
américains, ils doivent en imaginer d’autres qui
foient plus analogues à leurs conftitutions.
Nous nous contenterons de faire une feule quef-
tion fur la première objection de M . Turgot : les
américains étoient-ils propres à une autre forme
de gouvernement ? 8 c leur efprit & leur caràCtère >
façonnés par la conftitution'angloife, fe fer oient-
ils accommodés d’une autre efpècede démocratie?
Ell-il poflible d’ oublier que tous les peuples ne
font pas propres à la liberté ; que ceux qui s’y
, trouvent propres -le font plus ou moins , 8 c qu’il
faut leur donner une conftitution plus ou moins
républicaine. On ne celfe de prêcher depuis quelque
temps une liberté abfolue > on endoCtrine tous
les peuples de la même manière, non fur des
points qui intéreffent les droits facrés 8 c invariables
du genre humain , mais fur la forme particulière
des gouvernemens, 8c c’eft une grande
erreur de la philofophie moderne. Si ces écrivains
que leur zèle rend eftimables, fçavoient avec
quel dédain ils font accueillis par un homme d’état,
parce qu’ils palfent toujours la mefure, ils de-?
viepdroient plus circonfpeéts, 8 c ils étudieroient
davantage les modifications que mille circonfiances
rendent* néceffaires.
M . Turgot dit avec plus de raifon : « dans l’u-
33 nion des provinces entr’elles, je ne vois point
33 une coalition, une fufion de toutes les parties
33 qui n’en faffe qu’un corps un 8 c homogène j ce
33 n’eft qu’une aggrégation de parties toujours trop
33 féparées, & qui conferveront toujours une ten-
>3 dance à fe divifer, par la diverfité de leurs lo ix,
33 de leurs moeurs 8 c de leurs opinions, par l’i-
33 négalité de leurs fortunes naturelles, plus en-
33 core par l’inégalité de leurs progrès ultérieurs.
33 C e n’ eft qu’une copie de là république hollan-
33 doife, 8 c celle-ci même n’avoit pas a craindre,
» comme la république américaine, les accroiffe-
33 mens poffibles de quelques-unes de fes pro-
savinces». ' à > /
Mais ces détails regardent le fyfteme de confédération
plutôt que lés conftitutions, 8 c nous le&
renvoyons à la feétion luivante.
Ê T A
Nous nous contenterons de faire ici une remarque
: M. le marquis de Châtellux a très - bien
prouvé que les mêmes principes, les memes opinions
& les mêmes habitudes ne peuvent fe trouver
dans les diverfes républiques d’Amérique, 8 c que
le caractère & le génie d’un peuple ne font pas
uniquement le produit du gouvernement qu il a
adopté 5 mais des .circonftances dans lefquelles ce
peuple s’ eft formé. Les rapports avec le congres, *
la liberté de la preffe, les intérêts|generaux &
communs feront peu à peu difparoitre les difte-
rences qui ne font pas le réfultat dç la pofition
particulière des lieux. .
Le doéteur Price n’examine point les conltitu-
tions en général : elles lui paroiffent bonnes 5 mais
il en critique différens articles, 8c il donne^ aux
américains des avis fur ce qu’ils doivent craindre
8 c fur ce qu’ils doivent éviter.
D ’après les fermens de foi qu’exigent les états
d’Amérique $ il leur demande avec raifon s’ils
n’auroient pas admis aux places de Létat Montef-
quieu, Newton & Locke. Il infifte avec chaleur
fur l ’importance de l’éducation. Il avertit
les Etats-Unis que .l’inégalité des fortunes eft
un des maux les plus à craindre pour eux j que
le partage égal des biens entre tous les enfans ,
fans que l’aîné ait rien de plus* leur convient ; 8c
on verra plus bas que les Etats-Unis s’ occupent de
çet article important. Il parle , comme M. -l’ abbé
de M a b ly , des dangers du cqmmerce 5 il eft effrayé
. comme lui de cette fureur de trafic qui
tourmente les Etats-Unis j il leur demande s’ils'
en ont befoin, quels avantages ils peuvent en ef-
pérer , 8 c ce qu’ils peuvent attendre dé leurs liai-
fons avec l’Europe. Il obferve que l’Angleterre
nç fe foutient que par fa marine 8 c par fon commerce,
mais que les Etats-Unisme font pas dans
le même,cas.
Le doéteur Price parle auffi de l’efclavage des
nègres, & il faut efpérer que les réclamations de
tous les hommes inftruits détermineront toutes les
provinces , même les plus méridionales, à l’abolir.
Mais le do&eur Price fait plufieurs reproches
mal fondés aux Etats- Unis ; il d it , par exemple,
que le congrès n’a point la force coaétive , 8c on
démontrera, dans la feétion fuivante, que cette
affertion, devenue très-commune, eft. abfolument
fauffe.
'Remarques particulières fur ceux des Etats-Unis qui
ont changé leurs conftitutions , "ou qui doivent les
changer ou les revêtir de formes plus légales &
plus folemnelles.
L a conftitution du nouvel - Hampshire , établie
en 17 76 , déclara qu’elle feroit feulement en
vigueur durant la guerre contre la Grande-BreÊ
T K
tagrie 5 les citoyens de cet é ta t ont en effet rédigé
une conftitution nouvelle depuis la paix. Voye£
N e w H a m p s h i r e ( i ) . ■ Le Connefticut 8c Rhode-JJlaftd etoient , avant
la révolution, les -feules provinces qui euffent un
charter-government 3 comme nous 1 avons dit plus
haut celles fe trouvoient beaucoup plus libres que les
autres 5 le roi d’Angleterre leur avoit accorde, pat
des chartrés, la plupart des privilèges des états républicains
j & lorfqu’ après là déclaration d indépendance
, le Nouveau-Hampshire , Maffachufett,
la Nouvelle-Yorck 3 le Nouveau-Jerfey , la Penjyl-
vanie., la Delaware 3 le Maryland, la Virginie, lés
deux Carolines 8c la Géorgie rédigèrent une conftitution
; ces deux états fe contentèrent d’abjurer
l’autorité de la Grande-Bretagne 8c d’altérer en
quelques points le régime établi par leurs Chartres.
Ils n’ orit rien change à cette forme d’adminiftra-
tion depuis la paix , 8c à proprement parler, ils 4
n’ont point de conftitution , à moins qu’on ne
veuille donner ce nom à leurs anciennes Chartres
modifiées : il eft à defirer qu’ils imitent le relie
des Etats-Unis ,* qu’ils rédigent une conftitution ,
avec appareil 8c avec folemnité, & qu’ils établif-
fent d’une manière formelle, dans la déclaration
des droits, ces principes invariables de tolérance
.8c de' liberté civile & politique qui doivent les
guider à jamais. Les nations libres font en ce point
tomme les moines j elles ont befoin d’une règle
fixe 3 promulguée d’une manière éclatante 5 il faut
qu’elles aient fans celfe fous les yeux ces loix politiques
qui aflurent leur liberté j il faut qu’elles
foient relues & citées tous les jours 5 il faut qu’elles
occupent l’enfance 8 c la vieillelfe , 8 c que leur
décifion claire 8 c précife, toujours préfente à l’ef-
prit, intimide les ennemis du gouvernement. Lo rsqu’on
n’ a qu’une liberté de fa it, on la perd bientôt
j & les conftitutions folemnelles font ce que
les tyrans redoutent le plus.
C ’eft par fimplicité que les citoyens du Connecticut
ont négligé cet ouvrage important. Leur pai- -
fible innocence ne prévoit pas les dangers , 8c leur
fermeté courageufe les tranquillife fur les ufurpa-
tions. Mais qu’ils fe fouviennent qu’on trompe'ai-
fément les hommes fimples 5 qu’avec de l’adreffe ,
on furprend, ou arrête leur valeur 5 & qu’ils ont
d’autant plus befoin d’une conftitution expreffe ,
qu’ils ont plus de ces vertus tranquilles, fi rares
parmi les nations. La difficulté de l’ouvrage ne
doit plus les effrayer ; ils ne font plus à ces époques
d’ignorance , où , vu leur incapacité de rédiger
une nouvelle forme de gouvernement 3 ils fe promettaient
folemnellement les uns aux autres de fuivre
les loix de M oyfe, jufqua ce que quelqu'un d’entre
eux eût 1‘habileté cC en faire de plus adaptées a leurs
moeurs (1). Ils n’ ont prefque qu’à copier , avec
(1) Nous y indiquerons les changemens faits à la conftitution, qu’on a fuivie pendant la guerre.
(2) Voyei l’article Connecticut.