ment les aigles , mais des lettres des officiers
françois qui acceptaient cordialement les fymboles
d’union & d’amitié quon. leur avoit offerts ,
mais des demandes de beaucoup d autres qui
defîroient être reçus parmi les Cincinnati > mais
un avis que le roi avoit bien voulu reconnoitre
cv.tte affociat-ion , & que fes officiers portoient
déjà l’aigle; M. le major l’Enfant le portoit auth
lui-même. S’il fût arrivé deux jours plus tard ,
l’affociation n’exilleroit plus ; &c quand on voudra
prouver à quelles pe^jfes caufes tiennent les
abus les plus dangereux » on n oubliera pas cet
exemple. ...
Cette funefte arrivécchangea tout. La queition
prit une nouvelle forme. Après avoir offert aux officiers
françois une affociation & un fymbole d a-
mitié qu’ils avoient accepté, comment retracter
cette propofition , fans encourir le reproche de
légéreté & d’ingratitude , fans^ £dre une f°rte
d’injure à de braves guerriers qu ils aimoient ? Les
principes de la confédération , le mécontentement
populaire étaient des raifons dont les américains
connoiffoient & fentoient toute la force ; mais
des étrangers pouvoient-ils la connoitre & la feptir
également ? la fentiroient-ils affez , pour n etre
pas indignés qu’on leur arrachat 1 aigle dont les
prévenances dé l’amitié avoient orné leur fein ?
L a générofité & la nobleffe des fentimens des
officiers américains, leur ignorance bien pardonnable
fur les idées , & le caractère des françois,
empêchèrent de voir un expédient tres-fimple qui
pouvoit tout concilier. Arrêtez, arrêtez, pouvoit-
on leur dire } laiffez l’aigle aux officiers françois ;
ils tiennent aujourd’hui cette décoration de leur
fouverain ,* elle convient à leur gouvernement ^
mais elle bleffe vos conftitutions & vos loix, elle
eft dangereufe pour vous : on me vous acculera en
France ni de légéreté ni d’ingratitude ; fi 1 non-
neur y eft d’une délicateffe exceffive, ce n eft
pas en pareille occafion ; on y fait apprécier tout,
jufqu’aux facrifices des républicains; & celt la
que les vertueux citoyens des états libres recueillent
les éloges les plus juftes & les plus
flatteurs. A , ,
Les officiers américains entrâmes par des craintes
fi mal fondées , n’ofèrent plus abolir l’infti-
tution ; ils Longèrent à la modifier de manière à ne
pas indifpofer les françois ; & voulant tout à-
la-fois faire des facrifices a leurs amis & a leurs
concitoyens, ils anéantirent tout ce qui avoit le
plus révolté ceux-ci. Les Cincinnati confervetent
leurs noms, leurs affemblées& leurs fonds charitables
; mais ils déclarèrent que les fonds fe-
roient fous l'infpeélion du corps légiflarifde chaque
province, & que 1 affociation ne feroit plus
héréditaire : ils reçurent de France même des
lettres qui confeilloient la réforme de ce point.
Us déclarèrent qu'on n'y admettrait plus^ de
nouveaux membres ; que les alfemblees generales
, au lieu d'être annuelles 3 ne fe tiendroient
que. tous les trois ans : ils gardèrent
l’aigle & le ruban parce que leurs amis les
portoient , parce qu’ils defîroient de voir ce
fymbole de l’amitié dans une contrée où il n’of-
fenfoit perfonne. Mais ce qui eft bien digne d’attention
, & ce qu’on ne fait pas en France , ils
ne l’ont jamais porté eux-mêmes ; & au lieu de
ces dix mille républicains qu’à Paris on fuppofe
chamarrés d’un cordon, on n’ en voit pas, dans
les Etats-Unis3 un feul qui ofe fufpendre l’aigle
à fa boutonnière. Il blefferoit les yeux de fes concitoyens,
& fon audace feroit punie par des
infultes fans nombre. Ils enfermèrent l’aigle dans
leurs bureaux, avec les médailles de l’indépendance
de l’Amérique , avec celles des trophées
dont ils fe font rendus maîtres, & des batailles
qu’ils ont gagnées.
Cette réforme a un peu tranquillifé les diverfes
provinces, il faut en convenir : les citoyens fa-
vent par quelles malheureufes circonllances l’affociation
n’a pas été anéantie : ils s’ intéreffent
trop à la réputation de leurs officiers, ils ''efti-
ment trop tout ce qui peut rappeller à la mémoire
de leurs alliés les époques où iis ne for-
moient qu’ un feul peuple , pour fe plaindre avec
aigreur. S ’ils fongent à l’avenir, s’ils cherchent
à écarter du fein de leurs républiques tout ce qui
pourroit y établir des diftinltions dangereufes ,
& dégrader une claffe d’hommes au-deffous d’un
autre ; ils apprennent avec plaifîr qué leurs alliés,
chez qui fe trouvent de pareilles diftinltions en ont
adopté une particulière relative à l’établifiement
de la liberté des Etats- Unis , & ils feroient très-
affligés fi la réforme domeftique qu’on a crue
néceflaire* fi les cenfures des écrivains ou quel-
qu’autre caufe les empêchoient de porter l’aigle,
& diminuoient fa réputation.
Les détails dans lefquels nous venons d’entrer
font d’autant plus précieux , que le citoyen des
Etats-Unis qui a écrit fur les dangers de l’affocia-
tion des Cincinnati , que l’homme célèbre qui a
traduit-fon ouvrage en françois, & q u i y a ajouté
des obfervations pleines d’une énergie fi brillante ,
ne connoiffant point ces détails, ne rendent pas
affez de juftice à M. Washington , & déclament
quelquefois , quand il faudroit raifonner tranquillement.
On ne demandera plus par quelle fatalité W a shington
fi modefte, fi noble & fi grand "dans
fa fimplicité, a autorifé & défendu un pareil éta-
bliffement ; on ne répondra plus qu’on l’a trompé,
que fort noble coeur l’a trompé lui-même, que
plein de zèle pour la liberté, & n’ayant que des
motifs purs , il a cru les autres incapables de
mauvaifes intentions, & que , par une foibleffe
naturelle à l’homme, il n’a pu revenir complet-
tement d’ une erreur qu’il avoit adoptée.
Les reproches qu’on fe permettra déformajs
contre les officiers américains,feront auffi plus modérés
j & on fera moins furpris qu’une inftitutionfi
fi bifarre & fi hétérogène dans des républiques fe
foit formée en Amérique. On croira qu’elle a pu s y
établir fans mauvaifes intentions } mais fi elle n a
rencontré de là part des citoyens qu’une oppofi-
tion paifible & raifonnable, tandis qu on la re~
garde en Europe comme un déteftable parricide >
qu’on ne s’en étonne pas ; les habitans des Etats-
Unis n’avoient jamais reconnu entr’eux d’autre
diftinltion que celle des hommes en charge qui
exercent le pouvoir par l’autorité des loix, oc
des individus particuliers. Le plus pauvre laboureur
s’y trouve au niveau du plus riche millionnaire
; & lorfqu’ils réclament mutuellement leurs
droits, il eft en général plus fayorife. On a
vu un cordonnier ou un autre artilan tire de fon
attelier par fes compatriotes pour exercer une
charge, impofer fur le champ tout le refpeét &
toute l’ obéiffance qu’ exigent^ les loix à la fuite
de l’emploi dont il étoit revêtu. Quant aux dif-
tin&ions produites par la naiffance ou par les
marques; extérieures de gloire ufitées en quelques
pays, ils n’en avoient pas plus d’idée que de la
manière d’exifter dans la lune ou les plantes. Us
avoient feulement oui dire que ces chofes - la
recevoir ; & sJil furvient des difficultés dans l’ac-
compliffement des vues de la foc iété ,les légif-
latures de chaque état en difpoferont de la manière
qu’ ils jugeront la plus équitable & la plus
analogue aux vues primitives de l’inftitution.
Afin de préparer les diverfes affemblées à recevoir
les derniers ftatuts dont on vient de parler
, on leur adreffa une lettre circulaire lignée
du général Washington en fa qualité de prefî-
dent > mais il n’y parle plus ert fon nom. Il eft
bon de conferver ici ce monument hiftorique ;
il montrera peut-être un jour quel étoit l’aveuglement
des fondateurs de l’affociation, & il apprendra
jufqu’à quel point il faut fe défier , dans
lès états républicains, des inftitutions les plus
honnêtes en apparence , lorfqu’ elles portent ayec
elles des germes d’inégalité & de divifion.
ce Les délégués des Cincinnati 3 après les plus
mures délibérations & la difcuffion la plus approfondie
des principes & des objets de notre fo-
c ié té , ont" jugé à propos de vous recommander
les articles fui vans. >
Pour que notre conduite foit connue & approuvée
de tout l’univers, pour ne point encou-
iiS o ie n t aiïieurs , & ils jugêoient quelles de- i rir le reproche domination ou de légéreté, &
i*—/- -- dit, I afin que vous foufcnviez plus voient être mauvaifes. Nous l’avons volontiers a notre
il faut connoître l’ancien Monde , j)our favoir
jufqu’où la dignité de l’homme* eft dégradée par
des diftinétions arbitraires ; & nous le répéterons
avec les hommes les plus éclairés & les plus vertueux
de l’Amérique ; en établiffant l’affociation
des Cincinnati, les officiers américains n’ ont pas
vu le mal qu’ ils alloient faire à leur patrie , &
leurs intentions n’ étoient point criminelles.
Cependant, que d ’affreux abus & que de maux
rinftitution, fous jg première forme , n’ auroit-
elle-pas entraîné ? On en a fait le tableau; & ,
il faut être de bonne f o i , les traits de ce tableau
ne font point exagérées. Il refte à examiner
fi l’ affociation des Cincinnati, dans fon état
aétuel, eft dangereufe, & il eft facile de prouver
quelle efi encore dangereufe fous chacun de fes rapports.
Avant de montrer fes dangers, il convient de
dire nettement ce qu’elle eft aujourd’hui. L ’affem-
blée de 1784 a réduit les ftatuts à quatorze articles
; elle a défigné les perfonnes qui feront
membres de l’affociation de l’ ordre ; elle a réglé
fon régime & fes affemblées ; elle a divifé l’ordre
en treize provinces, & permis aux officiers
françois de former une province à part ; chacune
des provinces peut prendre les mefures qu’ elle
voudra fur les projets de bienfaifance de la fo-
ciété , réprimander & chaffer les membres qui fe
conduiront d’ une manière repréhenfible ; enfin
N établir des fonds pour le foulagement des meqabres
qui auront befoin defecours. L’ artiçle }0 ordon-
nojt a chaque officier de remettre un mois de fes
appointemens au tréforier de l’affemblée d’ état.
L ’afticle 12. dit que chaque affemblée d’ état prêtera
fes fonds à fa provinçe, ifi la province veut les
<J£con, polit, 6? diplomatique. Tome IL
recommandation, voici les raifons qui nous ont
déterminés : Nous déclarons d’abord , & -nous
prenons le ciel à témoin de notre véracité , que
les principes les plus honnêtes ont dirigé notre
conduite en cette occafion : notre confcience eft
tranquille fur la droiture de nos intentions ; &
nous en fommes intimement perfuadés, on verra
un jour que nous n’avons eu d’autres motifs que
ceux de l’amitié, du patriotifme & de la bienveillance.
Mais nos vues, à certains égards, ont
été mal interprétées ; comme Faite de notre af-
fociation a été rédigé à la hâte & dans un tems
o ù , agités de toutes les manières » nous n’avions
point la tranquillité d’efprit néceffaire pour examiner
attentivement les détails de notre affocia-
tion , ou pour exprimer nos idées avec tout le
foin ‘ qu’on auroit pu defirer ; comme plufieurs
perfonnes ont jugé nos premiers ftatuts incompatibles
avec le génie & l’efprit de la confédération
; & comme il pourrpit arriver qu’ils ne rcm-
pliffent pas notre ob jet, & qu’il en réfultât de
mauvais effets que nous n’avions pas prévus : pour
diffiper toutes les inquiétudes , pour expliquer
d’une manière claire & préoife le principe de notre
inftitution, & pour montrer de nouveau que
les officiers de l’armée américaine font les citoyens
les plus fidèles, nous avons arrêté les réformes
& modifications importantes que voici: La Juc-
oejjion héréditaire fera abolie j toute interpofition
dans les, affaires çejfera d'avoir lieu-y les diverfes
légijlatures prendront elles - mêmes connoiffance de
l'emploi des fonds i mais pour rendre plus efficace
notre projet de fecourir les malheureux, nous
demanderons des charries aux diverfes provinces*
F f f