la fociété. Il y a trente - trois dépôts en France ;
on peut évaluer l'enfemble . des mendians renfermés
habituellement aii moins à fix mille, & a-
peu près à feize mille le nombre de-ceux qui font
arrêtés dans le cours d'une année. C e genre d’ad-
miniftration qui n'eft pas fort ancienne y occafionrie
au gouvernement une dépenfe annuélle d'environ
douze cens mille livres. On v o it , d’après ce
premier apperçu, combien il en coûte â * l'état &
.à l'humanité, pour rendre paifïbles les jouiffances
de l'homme riche ou du citoyen laborieux. Les :
loix rigoureufes, publiées contre la mendicité ,
font du 3 août 1764 & -du 21 octobre 1767. A
cette dernière époque , des lettres miniftérielles
rappellerent aux intendans des provinces, aux prévôts
de la maréchauffée la déclaration de 1764, qui
prononce la peine de galères contre les mendians
fans afyle. Les cruautés exercées contre ce qu'on
appelle mendions ont fait périr, dit-on, en moins de
trois ans, vingt-cinq mille hommes dans' les cachots
& plus de fix mille aux galères : on ceffa,
à la vérité , de marquer indiftinélement d'un fer
chaud le vagabond & le manouvrier^mendiant ;
mais on. livra le pauvre nud à la brutalité des con-
çiçrges & à la voracité des régiffeurs : alors des
compagnies parcoururent le royaume, & l'on s'agita
pour tirer des bénéfices des trente-trois cloaques
, où l'on entaffoit tout ce que la maréchauffée
pouvoir raffembler : on fit des marchés à cinq
fo ls , à fix fols par tête; la pefte s'établit. dans
pliifieurs dépôts , & la mort dévora ceux que
la faim , la malpropreté & la mifère avaient
épargnés. *
M. Turgot parut, & en vertu du mot liberté
dont fes difcipies. ont fi fouvent abufé , on ouvrit
les dépôts : près de fept mille individus ,' fans afyle,
fans reflourc.es , fe répandirent dans, les campagnes
& fur les grandes routes : oq ne tarda point à
s'appercevoir que les attroupemens fe multipliaient
dans le royaume : les anciens réglpmens reprirent
vigueur 5 fans principes, fans ordre, fans avoir
rien prévu , on.enferma une fécondé fois tous les-
mendians. Les académies propofèrent des prix pour
ceux qui trouveraient les moyens de détruire la
mendicité ; c'étoit demander, en d'autres termes,
comment on pourrait rétablir, l'égalité des conditions
; aufli la queftion fut-elle à peipe effleurée , &
il ne nous eft refté de tous ces travaux littéral-,
res que quelques projets vagues, ou des plans
d’une-'exécution difficile. Voye^ les articles M çn-
P ia n s , M en d ic it é .
En 1781 , fe trouvoit à la tête des finances up
homme d'un génie vafte & accoutumé à tout fou-
mettre à fles combinaisons d’ordre & d'économie. Il
avoit déjà fondé à Vaugirard un hofpice qu'il penfoit
pouvoit fervir de modèle aux hôpitaux du royaume :
il abaifla fes regards fur les dépôts, & il voulut
foulager le pauvre. Lié par des rapports de principes
& d e fenfibilité avec M. le Peletier de Mort-
fontaine , intendant dé Soflfons, il fit choix de
cette province peu diftante de Paris pour établir,
dans le dépôt, un plan de réforme qui lui avoit
été préfenté : ce plan fimple avoit été rédigé par
M. de Montlinot, qui fut chargé de le faire exécuter.
Les vues du gouvernement ont été remplies
; les comptes imprimés ont mérité que M.
Necker en faflè une mention honorable , dans un
ouvrage • trop connu pour en donner ici le titre.
Un fuffrage aufli flatteur doit déterminer à entrer
dans tous les détails qui ont fervi de bafe à l'ad-
mmift.rati.on du dépôt de Soiffons : mais, avant
que de citer cet exemple comme un modèle à perfectionner
, on croit devoir donner une idée de ce
qu'il conviendrait de faire pour rendre l'adminif-
tration générale des dépôts uniforme , & plus dirigée
vers-le but qu'on fe propofe.
Un adminiftrateur principal, un fecrètaire général
& un caiflier formeraient à Paris le bureau
de la mendicité.
Cinq infpeéteurs au moins, réfidans au Havre,
à Orléans, à Amiens, à Soiffons, à Bordeaux,
feraient chargés de rendre compte de l'état des
autres dépôts du royaume : ces cinq infpeéteurs
-généraux auraient 1500 liv. chacun d’appointe-
mens , 500 liv. pour les frais de .bureau, & quinze
cens livres pour les tournées qu’ils feroient obligés
de faire chaque année dans le département qui
leur ferait indiqué. Toutes les années ils feroient
tenus de Venir faire leur rapport en perfonne au
bureau de l'adminiftration, & de réfider à Paris
pendant le cours du mois de décembre au moins,
afin d'avoir le temps de difcuter les matières qu'ils
auraient à traiter, & prendre de nouveaux ordres.
La confidération qu'ils chercheraient à mériter
par leur travail, exciterait leur émulation : quelques
légères gratifications , accordées par l'admi-
niftrateur en ch e f, augmenteraient leur zèle & leur
aélivité.
Tous les autres dépôts du royaume auraient également
des irifpe£leurs ; mais, comme ils ne feroient
pas tenus-de faire des voyages , ils ne recevraient
que quinze cents liv. d'appointemens :
on pourroit leur accorder des gratifications relativement
à leur travail & à l'importance de leurs
fonctions. Je penfe que > pour le bien des pauvres
& l'utilité de l'adminiftration, il conviendrait
de choifir tous les infpe&eurs ,* dans une cîaffe
au-deffus de la bourgeoifie : je prendrais par préférence
des chevaliers de S. 'Louis , pour des rai-
fons que je détaillerai ailleurs : je me ferais , en un
•mot, autant qu'il me ferait poffible, un rempart
d-honnêtes, gens contre toute efpèce de vexation
& de rapacité : il ferait bon d'ailleurs d’avoir
des agens honnêtes & bien nés , pour préfen-
ter à meffieurs les intendans les projets qui tendraient
à améliorer les établiîfemens1 confiés à
leurs foins. Les places fcuvent honorent les hommes
; mais àuffx quelquefois lès hommes honorent
les places,
h
\
Je ne bifferais fubfifter aucun dépôt dans les
villes de guerre, parce que la police civile & militaire
y eft trop aélive pour y fouffrir les mendians
valides : ainfi le dépot ât Lille, par exemple,
ferait transféré à Dunkerque : toutes les généralités
où il y a des ports de mer , y placeraient
leurs dépôts. Le motif de cette difpofition eft que
la marine pourroit employer utilement les^ enfans
abandonnés ou illégitimes, qui font à la luite des
mendians 5 il y a d'ailleurs , dans ces villes ,
plus de reflources pour le travail & l'embarquement
des vagabonds. On ne fauroit trop le répéter
; il faudroit ôter aux mendiantes de race les
enfans avec lefquels elles perpétuent la mendicité
la plus contraire au bien public. C eft dans^ ce
genre d'opération que les infpeéleur? provinciaux
dont j'ai parlé, feroient fort utiles , foit en faisant
paffer les garçons dans les ports de mer ,
foit en plaçant les filles de fept à nuit ans dans les
pays de fabrique.
Les dépôts principaux dont j'ai déjà parlé, fe-
! raient dîfpofes de manière à contenir chacun au
! moins quatre cents individus : tous ceux qui fe-
! raient arrêtés à Paris comme mendians ou vaga-
| bonds & étrangers à cette généralité , feroient fur
> le champ répartis dans l'un des dépôts principaux ;
[ ils feroient conduits à leur deftination tous les
I mois au plus tard par la même voiture , fuivie
I -d'un garde prépofé à cet effet. C e garde feroit
l.tenu de veiller à ce que les ' transférés ne diffipent
l.point dans la route leurs effets , leur argent, &c.
I- Ce nouvel ordre de chofes n'empécheroit pas
; la maréchauffée d'efcorter les convois comme à
| l'ordinaire. Tous les mendians feroient vêtus, en
| fortant de prifon , d'une robe de groffe toile ,
r pour les mettre à l'abri des intempéries des faisons
& cacher, autant qu'il eft poffible., le fpec-
j tacle hideux de. gens couverts de haillons î ces
.robes feroient remifes au conducteur, pour être
.rendues en compte à Paris.
Immédiatement ‘après leur entrée au dépôt, tous
.les mendians feroient fcrupuleufement interrogés
par l'infpeéteur, & ils feroient fur-tout obligés
d'indiquer d’une manière claire & précife.le nom
de leurs .parens, amis ou maîtres , & leur genre
d’efpoir & de reffources. Des interrogatoires , faits
.avec un efprit de douceur, de zèle & de cha- .
rité, infpireroient à ces malheureux une forte de
, confiance ; il ne faut pas confondre avec les inr
r terrogatoires dont je parle , les déclarations juridiques
que l’on fait faire aux mendians ; elles
font trop conciles & toutes calquées fur le même
modèle 5 elles ne rempliffent prefque jamais le but
[ qu'on fe propofe. Veut-on rendre les hommes meil-
| leurs ? il faut qu'ils voient clairement que vous
F vous intéreffez à leur fort : aufli ne faut-il épar-
I gner ni foins , ni dépenfes ,. ni crédit pour faire
! les informations.indiquées. &. les recherches convé-
; nahles.
Je fuis perfuadé que , par cette méthode , on
(Kcon. polit, & diplomatique. Tom. II,
obtiendrait pour ceux qui ne font que malheureux
, des réclamations plus promptes que par la
voie des transféremens. J'ai mille preuves que l'on
va plus vite au-devant de celui dont le déshonneur
n'eft pas connu dans fa patrie, que quand
il n'eft plus poffible de lui fauver l'efpece de flé-
triffure qu'imprime toujours la détention dans un
dépôt : il faut compter l ’honneur pour quelque
chofe , même dans les dernières claffes du peuple.
Je fupprimerois donc les transféremens : ils font
très-difpendieux & ne fervent à rien. J'ai connu
de malheureux ménages ambulans qui ont coûté
plus de deux mille écus à l’éta t, fans produire
d'autre effet que d'en détruire quelques-uns par
les maladies peftilentielles qu'ils contrarient dans
leurs' marches. Tous ceux qui ne feroient pas réclamés
relieraient au moins trois mois renfermés ,
fi c'étoit la première fois j s'ils paroiffoient être
d'une bonne conduite après ce terme de détention
, on leur accorderait alors des paffeports limités
, une route fixée, & deux fols par lieue
pour regagner leurs provinces.
Je ferais retenir tous les mendians en tierce récidive
; je leur ôterais tous les enfans illégitimes
avec lefquels ils excitent la p itié , & je les diftri-
buerois, dans les provinces étrangères* à celles
qu'ils ont parcourues. Chaque dépôt, par la méthode
que j'indique , ne feroit pas furchargé des
vagabonds incorrigibles 5 on les feroit paffer dans
l’ un des dépôts principaux, & cette punition feroit
la plus effrayante que l'on puiffe donner aux
mendians. Comme il n'y a qu'une caiffe feule
pour la mendicité, il doit être fc-rt indifférent à
l'adminiftration qu’un homme foit renfermé dans
un lieu, plutôt que dans un autre. A ces difpofi-
tions générales , j’en ajouterais une particulière ,
que je crois _très - importante. Parmi le nombre
de mendians que la maréchauffée arrête , il en eft
fûrement de malheureux ; dans l'ordre a&uel des
chofes, la corvée, les impofitions, les maladies,
le défaut d'ôuvrage, un hiver rigoureux peuvent
plonger , dans la mifère la plus affreufe , un journalier
qui n'a que fes bras pour vivre, & qu'oh
refufe d'employer ; la première reffource de cet
être abandonné eft de vendre fes meubles , fes
i hardes , fon linge j alors tout eft perdu pour lui ;
rebuté dans toutes les claffes delà fociéte, n'ayant
plus de courages avili & déguenillé, il mendie:
c'eft bien pis, fi cet homme a une femme & des
enfans; jamais ils ne peuvent, même avec la meilleure
volonté, remonter à leur premier état. Si
ces malheureux ont été enfermés dans des dépôts
, & s'ils y ont croupis dans la fainéantife &
l'opprobre, leur accorder la liberté ne produit
aücun bien : fans domicile, fans avances, fans
habits, ils ne peuvent trouver ni condition, ni
ouvrage ; après avoir épuifé les reffources de quelques
âmes charitables , ils ne tardent pas à mendier
dérechef, & à être ramenés dans les dépôts.
Q u’on ne m'accufe pas ici d’exagérer ; j'ai trop