
par rapport aux vignobles qui ne donnent que du
bon vin d'ordinaire , tel- quil en peut croître partout
dans: une terre légère, graveleufe ou fablon-
neufe , & tel que Ton plus grand mérite confifte
dans fa force & fa falubrité. C'eft avec ces vignobles
feulement que les autres terres communes
du pays peuvent entrer en concurrence , &
non avec ceux qui font recommandables par une
quantité particulière.
Le fol influe plus fur le vin que fur tout autre
fruit de la terre. Au moins fuppofe-t-on qu'il reçoit
du terroir un goût que tous les foins imaginables
ne pourroient lui donner ailleurs, & les
prétentions de quelques charlatans françois fur ce
point font bien ridicules.
On peut comparer à ces vignobles précieux les
fucreries polfédées par les nations européennes
dans les Indes occidentales. Tout leur produit
eft au-deffous de la demande effective de l'Europe
, & on trouve toujours des gens qui veulent en
donner au-delà de ce qui ell néceflaire au paiement
total de la rente, des profits & du falaire dont on a
befoin pour le préparer & le mettre en état*de
vente. Le plus beau fucre blanc fe vend communément,
dans la Cochinehine, trois piaftres le
quintal, environ treize fchellings & fix deniers de
notre monnoie, comme nous l'apprend M. Poivre
, obfervateur attentif de l'agriculture de ce
pays-là. C e qu'on y appelle quintal pefant de cent
cinquante à deux cents livres de Paris, & fon
poids moyen eft de cent foixante-quinze livres î
c'eft environ huit fchellings ( 9 liv. de France ) le
cent, poids d'Angleterre, ce qui n'eft pas le
quart de' ce qu'on paye communément en Angleterre
les fucres bruns ou mofcouades que les
colonies angloifes fourniffent, ni le fixième de ce
qu'on paye le plus beau fucre blanc. La plus grande
partie des terres cultivées dans la Cochinehine,
font employées à produire du bled & du riz ,
qui nourriffent le grand corps du peuple. Les prix
refpeélifs du bled , du riz & du fucre y font pro-
bablement>dans la proportion naturelle, ou dans
celle qui s'établit naturellement entre les différentes
productions de la plupart des terres en culture
, & qui règle, auffi exactement qu’il fe peut,
la récompenfe du-propriétaire & du fermier fur
la dépenfe qu'il a fallu originairement pour mett
r e la terre en éta t, & fur celle qu'il faut tous
les ans pour l'y entretenir. On dit communément
que le rum & la melaffe défraient toute la dépenfe
de la culture du fucre q ui, parce moyen,
eft tout bénéfice pour le propriétaire ou planteur.
Si la chofe eft vraie ( car je ne prétends pas. l'af*
furer ) , c'eft comme fi le fermier d'une terre à
bled fe rembourfoit de tous les frais de culture
avec le produit de la paille , & que tout le grain
fut profit pour lui. Nous vovons fouvent des fo-
ciétés de négocians de Londres & autres villes
commerçantes acheter, dans les colonies angloifes
à fucre, de vaftes terreins pour les faire valoir
par des faâeurs & des agens j & malgré l'éloignement
& l’incertitude des retours provenans
de l'admfniftration* défeCtueufe de la juftîce dans
ces pays-là , ils ne lailfent pas de compter fur
un profit. Perfonne ne s’avifera de faire fa même
entreprife fur^ les terres les plus fertiles de l’E-
coffe & de 1 Irlande, ou fur les terres à bled
des provinces de l’Amérique feptentrionale, quoique
1 adminiftration de la juftice y étant plus
exaCIe, on puifle compter fur des retours plus
réguliers.
On préfère, dans la Virginie & le Maryland,
la culture du tabac à celle du b led , comme
étant d’un meilleur rapport. Le tabac peut être
cultivé avantageufement dans la plus grande partie
de l'Europe. Mais, comme il y eft devenu
prefque par-tout un fujet d'impôt, & qu'on a
fuppofé qu'il étoit plus difficile de lever le droit
fur les différentes métairies du pays où cette
plante pourroit être cultivée, que fur l'importation
qui s'en feroit à la douane, on y a pris le
parti d’ en défendre la culture, ce qui n'eft pas
trop raifonnable, puifque c'eft en accordant le
monopole«aux pays auxquels on la lailïe} monopole
dont la Virginie & le Maryland partagent
le bénéfice avec quelques concurrens, & dont
ils profitent largement, parce que le tabac croît
chèz eux en plus grande quantité. Cette culture n'eft
pourtant pas fi avantageufe que celle de fucre. Je
n'ai jamais oui dire que des négocians réfidans
dans la Grande - Bretagne , aient appliqué leurs
fonds à des plantations de tabac , & nous ne
voyons point que les colonies à tabac envoient
des planteurs auffi riches qu'il en vient des ifles
à fucre. Quoique la préférence que ces colonies
ont jufqu'ici donnée au tabac fur le bled , femble
dénoter qu’il y en a moins qu'on n'en demande
en Europe, il eft probable que la demande e f fective
du fucre eft encore moins remplie ; &
quoique le prix aétuel du tabac foit vraifembla-
blement plus que fuffifant pour payer le montant
de la rente, du falaire & des profits , félon le
taux ordinaire auquel ils fe paient pour le bled ,
le prix aétuel du fucre doit rendre encore au-delà de
ce furplus. Auffi les colonies à tabac ont-elles craint
la furabondance de cette marchandife, comme
les propriétaires des vignobles de France ont craint
I celle du vin. Par un aéte d'affemblée, elles ont
J borné là culture à fix mille plantes par nègre ,
évaluées à un millier de tabac. Ils calculent qu'un
■ nègre peut faire valoir en même-tems quatre acres
de terre de bled d’Inde, le doéteur Douglas, que
je foupçonne être mal informé , dit q u e , pour
prévenir cette furabondance, on brûle tant de tabac
par chaque nègre, quand les années font trop
fertiles j pratique attribuée aux hollandois, par
rapport à leurs épiceries. S'il faut des expédiens
auffi violens pour tenir le tabac à fon prix aCtuel,
il y a grande apparence que fa culture ne confervera
Ÿera pas long-temps l'avantage qu'elle peut avoir
aujourd’hui fur celle du bled ( 1 ) .
Si le peuple d’un pays droit fa nourriture ordinaire
& favorite d’une plante que la terre la plùs
commune, avec la même ou à-peu-près la même
culture que celle du bled, produiroit en beaucoup
plus grande abondance que les terres les
plus fertiles ne produifent de b led, la rente du
propriétaire ou le furplus de la quantité de nourriture
qui lui refteroit, le travail payé, &• les
fonds du fermier remplacés avec leurs profits ordinaires
, feroit néedfairement beaucoup plus
grande. Quel que fût le taux du prix du travail,
il pourroit en acheter ou en commander davantage.
Ainfi un champ de riz produit beaucoup plus
de nourriture que lé champ de bled le plus fertile.
On dit qu'un acre donne ordinairement par
an , en deux récoltes , de trente à foixante boif-
feaux. Sa culture demande plus de travail3 mais
le prix de ce travail payé, il refté quelque chofe
de plus que fi c'étoit du bled ; & de ce furplus,
il en revient une plus groffe part au propriétaire
dans les pays où le riz eft la nourriture com-
’"mune & favorite du peuple , &• où il fait la principale
fubfiftance des cultivateurs. A la Caroline
ou les planteurs font généralement fermiers & propriétaires
tout enfemble, & où la rente eft par *
conféquent confondue avec le profit, on trouve
que- la culture du riz eft plus lucrative que celle
du > bled , quoique la récolte du riz ne s’y
faffe qu’une fois par an, & que le peuple foit
trop attaché aux coutumes de l’Europe pour faire
de cette plante fa nourriture ordinaire.
Un bon champ de riz eft en tout temps une
fondrière qui., à Une certaine époque de l’année ,
fe couvre d'eau. Il n'eft propre ni pour le bled,
ni pour les pâturages, ni pour la vigne, ni pour
aucune autre efpèce des végétaux utiles à l'homme.
Par conféquent, dans les pays même où
croît le riz , la rente des terres qui le portent,
ne peut régler la rente des autres terres cultivées,
.dont il eft impoffible de faire des rizières.
Un champ de pommes de terre ne produit pas
moins de nourriture qu'un champ de riz , & en
produit beaucoup plus qu'un champ de froment.
Un acre donnera douze mille pefant de pommes
de terre contre deux mille pefant de froment. Il
,eft vrai que ces deux plantes ne font pas auffi
nourriffantes en proportion de leur poids, à caufe
de la nature aqueufe des pommes de terre. Mettons
cependant que la moitié du poids de cette
racine aille en eaux , ( c'eft beaucoup ) , un
acre rendra encore fix milliers de nourriture folid
e , c'eft-à-dire, le triple de ce qu'en rend un
acre de froment. Il en coûte moins de frais pour
cultiver l’un que l'autre 5 Je labour qui fe fait avec
la houe , & les travaux extraordinaires qu'exigent
les pommes de terre , étant plus que com-
penfés par le repos qu'on accorde aux-terres à
froment avant de les femer.
Si jamais cette racine devenoit la nourriture
commune-du peuple dans quelque partie de l’Europe
, comme le riz l'eft dans certains pays 3 fi
elle y occupoit autant de terrein qu’en occupent
aujourd'hui le froment & les autres grains , la
même quantité de terre alimenteroit beaucoup
plus de monde 3 & les laboureurs étant généralement
nourris de pommes de terre, ce qui en
refteroit, après avoir remplacé tous les fonds &
pàyé tout le travail employé à la culture, feroit
plus confidérable. De ce furplus, il en revien-
droit auffi une plus groffe part au propriétaire : la
population augmenteroit, & les rentes iroient
bien plus haut qu'elles ne vont à préfent.
Comme le fol propre aux pommes de terre
eft bon pour prefque tous les végétaux utiles
, fi elles occupoient la même quantité de terre
qui eft aujourd’hui en b led , elles régleroient de
même la rente de la plupart des autres terres cultivées.
On dit que, dans certaines parties du Lan-
cashire, on regarde le gruau d'avoine comme une
nourriture plus fubftantielle pour les gens de
peine que le pain de froment, & fouvent en dit
la même chofe en Ecofle 5 mais la vérité de cette
opinion laiffe bien des doutes. Le menu peuple
d'Ecoffe, qui mange du pain de gruau d'avoine
, eft en général moins robufte & moins beau
\ que le menu peuple d'Angleterre, qui mange du
• pain de froment, & il n'y a pas la même différence
entre les gens plus aifés des deux royaumes
5 expérience qui fembleroit prouver que la
nourriture du bas peuple en Ecofle convient moins
à la conftitution de. l'homme que celle des anglois
du même rang. Il n'en eft pas ainfi des pommes
de terre. Les porteurs de chaife, les crocheteurs,
ceux qui déchargent le charbon , & ces malheureu-
fes femmes qui vivent à Londres de la preftitution ;
font pour la plupart de la lie du peuple d'Irlande
, qui fe nourrit de cette racine. Or , ce font
peut-être les hommes les plus vigoureux & les-
plus belles femmes de l'Empire britannique. C'eft
une preuve décifive que cet aliment a des
fucs nourriciers, & qu'il eft bon pour la conftitution
& la fanté de l'homme.
Il eft difficile de garder pendant un an des
pommes de terre, & impoffible d'en faire des
(1) L’expérience a montré la juftefl’e de cette remarque de M. Smith, auteiir de la Richejfe des nations : nous
avons dit à l’article Etats-Unis que les habitans. de la Virginie & du Maryland font en effet dégoûtés de
la culture du tabac, & qu’ils trouvent aujourd’hui un meilleur emploi de leurs terres,
Q£çont pçlit. & diplomatique, Torn. i i . E e e &