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pays , qui etoit ators fous la domination de l’Ef-
pagne, défendit, de fon coté , Y importation des
faines angloifes. En 1700, la défenfe d’importer
de la dentelle en Angleterre fut levée, à condition
que l‘ Importation des laines angloifes feroit
en Flandre fur le même pied qu’elle étoit auparavant.
•Il peut y avoir une bonne politique à ufer de
cette efpèce de repréfailles, quand il y a une
probabilité qu’ elles feront révoquer les gros droits
& les prohibitions dont on fe plaint. Ce qu'on
recouvrera d’étendue dans le marché du dehors,
fera généralement plus que fuffifant pour com-
penfer l’inconvénient paffager de payer plus cher
certaines marchandifes pendant un court efpace
de temps. Mais ces fortes de repréfailles produiront
elles la révocation dont il s’agît ? C ’eft un
point dont la décifion appartient peut-être moins
à la fcience du légiflateur, dont les délibérations
doivent toujours être dirigées par des principes
généraux qui ne varient jamais, qu’à l’adreffe de
l'homme d’état ou du politique, dont les con-
feils fe règlent félon les viciffitudes ou les variations
momentanées qui arrivent dans les affaires.
S’ il n’y a pas> de probabilité que ces repréfailles
falfent lever les impolîtions & les défenfes., il
paroît que c’ eft une mauvaife méthode que de
réparer un tort fait à certaines claffes de nos
concitoyens , en faifant nous - mêmes un autre
tort à ces claffes & à prefque toutes les autres.
Quand nos voifins ferment leurs portes à quelques
unes de nos fabriques, nous fermons les nôtres
non-feulement à ce qui fefait de pareil chez
eux , ce qui feul ne les toucheroit pas beaucoup,
mais encore à d’autres produits de leur induftrie.
Cette vengeance peut fans doute donner de 1 encouragement
à quelque claffe particulière de nos
ouvriers , & , en excluant certains da* leurs rivaux
, les mettre en état d'augmenter le prix de
c ç qu’ils font & vendent chez nous. Cependant
les ouvriers qui ont fouffert de la prohibition de
jios voifins, n’y gagneront rien 5 au contraire ,
ik y perdront eux & prefque toutes les autres
piaffes de citoyens, puifque par-là ils feront obligés
de payer certaines marchandifes plus cher
qu’ils ne les payoient auparavant. Une loi de
cette nature impofe donc une taxe reelle fur tout
le pays , non en faveur de cette claffe d’ouvriers
à qui la prohibition de nos voifins porte préjudice
, mais en faveur de quelqu’autm claffe.
Il y a auffi quelquefois matière à délibérer juf-
qu’oü & de quelle manière il convient de rétablir
la libre importation des marchandes étrangères
, après qu’ elle a été interrompue pendant
quelque temps. C e fécond cas a lieu , quand des
manufactures particulières, au moyen des gros
droits & des prohibitions fur toutes les marchandifes
étrangères qui pouvaient entrer en concurrence
avec elles , fe font étendues au point
4'gmploye? une grande multitude 4?
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ce cas , l'humanité peut exiger, que U liberté tttf
foit rendue au commerce que peu-à-peu, lentement
& avec beaucoup de réferve & de circonf-
pe&ion. Si on fupprimoit tout d'un coup & tout
à la fois ces forts droits & ces prohibitions * iï
viendroit peut - être bientôt dans le pays une u
grande quantité de marchandifes étrangères de U
même efpèce & moins chères , que plufieurs milliers
de fujets fe verroient tout-a-coup privés de
leur emploi ordinaire & des moyens de fubfifter.
Il enfà-éfulteroit fans doute un grand défordre ?
mais qui feroit pourtant, félon toute apparence ,
beaucoup moindre qu'on ne l'imagine communément
: ce que je prouve par les deux raifons fui«
vantes. . . .
i ° . Toutes ces manufactures, dont le produit
paffe communément en partie chez l’étranger ,
fans qu’il y ait de gratification attachée à l’exportation
, ne peuvent guère fe reffentir de la
plus libre importation des marchandifes étrangères.
Il faut que leurs productions fe vendent hors
du pays , auffi bon marché que toutes les étrangères
des mêmes efpèces & qualités, & confe-
quemment il faut qu’elles fe vendent meilleur
marché dans le pays même. Elles ' feroient donc
encore en poffellion du marché intérieur} & quand
certaines perfonnes du beau monde auroient la
fantaifie de préférer les marchandifes étrangères,
précifément parce qu’elles font étrangères , à
celles du pays qui font de même efpèce , quoique
meilleures & moins chères, cette folie, par
la nature des chofes, feroit toujours fi rare &
s’étendroit fi peu, qu’elle ne pourroit faire aucune
impreflion fenfible fur l’emploi général des
ouvriers. Mais il n’y a aucune gratification attachée
à l’exportation qui fe fait annuellement d une
grande partie des manufactures de laine , des
cuirs tannés & de la quincaillerie de la Grande-
Bretagne } & ce font ces manufactures qui|em-
ploient le plus de bras. La manufacture de foie
feroit peut - être celle qui fouffriroit le plus de
cette liberté du commerce ; celle de toile en-
fuite , quoique beaucoup moins.
20. De ce qu’un grand nombre de gens per-
droient leur moyen ordinaire de fubfiltance, par
le rétabliffement de la liberté du commerce, il
ne s’enfuit nullement qu’ ils feroient privés de tout
moyen de travailler & de fubfifter. Par la réduction
des armées de terre & de mer , à la fin
delà guerre de 1756, il y eut en Angleterre plus
de cent mille, tant foldats que matelots, à quj
on retira leur emploi ordinaire, & ce nombre
égale ce qu’on emploie de gens dans les plus
grandes manufactures. Sans doute qu’ ils en fouf-
frirent quelque dommage} mais, en les congédiant
, on ne leur ôta point tout moyen de travailler
& de gagner leur vie. La plus grande par^
tîe des matelots s’ attacha probablement au ferviefc
des vaiffeaux marchands à mefure qu’elle en trouva
l’oççafiop > & en ^ttepcfoïrt * les foldats & eu»
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furent abforbés dans la grande maffe du peuple ,
ôù ils s’adonnèrent à beaucoup de différentes occupations.
Non-feulement l’état n’éprouva aucune
convulfion , mais il n’arrivâ pas même de défordre
fenfible après un fi grand changement dans la fi-
tuation de plus de cent mille hommes, tous rompu?
dans l’ufage des armes , & la plupart accoutumés
à la rapine & au pillage. Qn ne s’apperçut
pas que le nombre des vagabonds fût nulle part
augmenté fenfiblement ; & , autant que j’ ai pu
l’apprendre, le falaire même du travail ne baiffa
dans aucune profèffion, fi ce n’eft dans celle des
matelots au fer vice de la marine marchande. Mais
fi l’on compare les habitudes d’ un foldat avec
celles d'un manufacturier quelconque, on trouvera
que celles du dernier tendent moins à le
rendre inhabile à un nouveau métier, que celles
du premier à le rendre incapable d’en exercer aucun.
Le manufacturier a toujours été accoutumé
à ne compter pour fa fubfiltance que fur fon travail
fe u l, au lieu que le- foldat l’a toujours attendue
de fa paie. L’application & l’ induftrie ont
é té -le partage de l’un , la fainéantife & la diffi-
pation celui de l’autre. Or il eft beaucoup plus
facile de changer la direction de l’ induftrie, &
de la tourner d.’une efpèce de travail à une autr
e , que d’amener l’oifiveté & la diffipation à
s ’occuper. D ’ailleurs la plupart des manufactures
fe reffemblent affez , pour qu’un ouvrier n’ ait pas
grande peine à paffer de l’une à l’autre. La plus
grande partie de ces ouvriers font auffi employés
accidentellement aux travaux de la campagne. Les
fonds qui les mettoient auparavant en aCtion dans
line manufacture particulière demeurant encore
dans le pays, Terniront à occuper le même nombre.
de-bras à quelqu’autre chofe. Le capital du
pays reliant le même <3 on demandera la même
ou à-peu-près la même quantité de travail. Peu
importe qu’il ne fe faffe pas dans les memes endroits,
& qu’ il n’ait pas les mêmes objets. Il eft
vrai que les foldats & les matelots licenciés ont
la liberté d’exercer tel métier qu’ ils voudront dans
toutes les villes & tous les lieux de la Grande-
Bretagne & de l’ Irlande. Qu’on rende à tous les
fujets de fa mâjefté britannique la même liberté
naturelle d’exercer telle efpèce d’induftrie fqu’il
leur plaira , & par - tout où bon leur femblera
dans les trois royaumes } qu'on caffe les privilèges
ëxclufifs des corporations j & qu’on aboliffe
îe ftatut de l’apprentiffagè-, deux inftitutions. qui
font de véritables breches faites au droit naturel j
<|u’ on y ajoute auflj la révocation de la loi des
éfâbliffemens , & qu’ un pauvre ouvrier qui ne
troüve plus rien à faire dans un certain métier,
ou dans un certain endroit , cherche impunément
dé - quoi gagne r -fa vie aütreme; t o u dans un
'autre endroit f qu'il ne -craigne plus; d’ être pour-
Tuivi <;u renvoyé , alors ni le public - ni les in-di- .
vidus ne feront • guère plus léfés par la-’diffolution
accidentelle de-quelques clafies de manufaCtu-J
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fie r s , que par le licencîment des foldats. Les
manufaâuriers anglois ont fans doute un grand
mérite par rapport à leur pays > mais ils ne, peuvent
en avoir plus que ceux qui le défendent de
leur fang, & ils. ne méritent pas d'en être mieux
traités.
S’attendre que la liberté du commerce foit jamais
rétablie entièrement dans la Grande-Bretar-
gn e , ce feroit une bonhomie auffi abfurde que
de compter d’y voir jamais réalifer YOceana ou
l’Utopie. Non-feulement les préjugés , mais, ce
qui eft bien plus infurmontable , les intérêts particuliers
.de plufieurs individus s’y oppofent irré-
fiftiblement. Si les officiers d’une armée s’oppor
fqient à toute réduction des troupes avec autant
de zèle & d’unanimité , que les maîtres manufacturiers
en ont pour s’élever contre tout*
loi tendante à multiplier leurs rivaux dans le marché
intérieur j fi les premiers animoient leurs fol-
dats comme les autres enflamment leurs ouvriers,
pour les foulever & les déchaîner contre toute
proportion d'un pareil réglement, il n'y auroit
pas moins de danger à réduire une armée, qu'il
n’y en a eu dernièrement à vouloir diminuer à
quelque égard le monopole que,nos manufacturiers
ont obtenu contre leurs concitoyens. C e
monopole a tellement groffi le nombre des monopoleurs
, que , femblables à un déluge de troupes
fur pied, Us font devenus formidables au
gouvernement, & ont intimidé plufieurs fois la
légiflation. Le membre du parlement, qui vient
à l’appui de toute propofition faite pour fortifier
le monopole , elt fur d’acquérir non-feulement
la réputation de bien entendre le commerce, maie
de la faveur & du crédit dans un ordre d’hom.
mes, à qui leur multitude & leurs richeffes donnent
une grande importance. S’il s’y oppofe, au
contraire , & qu’il ait de plus affez d’autorité
pour les traverfer , ni la probité la plus reconnue,
ni le plus haut rang, ni les plus grands ferviçes,
rendus au public, 11e peuvent le mettre à l’abri
de la détra&ion & des calomnies les plus infâmes,
des infultes perfonnelles, & quelquefois dü
danger réel que produit le déchaînement des
monopoleurs furieux & trompés dans leurs efpé-
rances.
Si ôn ouvrait fubitement le marché intérieur à
la concurrence des étrangers , le maître particulier
d’une manufacture , qui feroit obligé d’abandonner
fon commerce, enfouffriroit fans doute
confidérablement. Il pourroit peut - être trouver
aifément un autre emploi à cette partie de fon
capital, qui lui fervoit à acheter les matières &
à payer fes ouvriers > mais il ne- pourroit guères
fe garantir d’une groffe perte dans la difpofitton
qu'il feroit de l’autre partie de fon capital , fixée
dans fes atteliers & dans les inftrumens fervans
à'fa fabrique. Un ménagement équitable pour
Ton intérêt demanderoit donc que ces fortes de
changement ne te fiffeiu pas brufquement, mais