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core dans fon impuifiance. L'amour, la juftice ,
la piété leur en faifoient un devoir plus facré ,
par la prévoyance de leur ptopre intérêt. C'eft
ainfi que les relations morales, qui fe font étendues
dans la fociété civile, fortent des relations
phyfîqües inftituées par la nature , à laquelle nous
devons toujours remonter pour trouver le vrai
principe de tout droit & de toute fociété.
A mefure que les enfans prirent de l'accroiffe-
ment, leur concours aux travaux profitables à la
famille dut étendre leurs droits par l'emploi de
leur perfonne & de leurs talens , & le chef dut
leur faire trouver , fuivant les régies mêmes de la
juftice diftributive, dans les fecours & les travaux
des autres, & dans la participation de leurs avantages
, la compenfation de leur peine & de leurs
fervices. Il eft jufte y en effet, que celui qui travaille
pour un autre dans la fociété , & à fa décharge,
participe à fes bénéfices j la femme qui
prépare les repas, la fille qui fait les habits , lésais
qui déchargent le père d'occupations diverfes pour
le lai fier à celles principales , travaillent tous 'avec
lui & pour lui} ils doivent donc tous & un chacun
jouir, dans la famille, de toute l'étendue de
leut droit naturel, conformément au bénéfice qui
réfulte du concours des travaux de cette fociété.
Si ofl confidère les hommes dans un état de multitude
, c'eft-à-dire, un nombre de familles vivant
enfemble fur le même territoire, fans aucune dépendance
les uns des autres ni d'aucun de leurs
membres, par conféquent fans loix pofitives qui
en faffent une fociété régie par une autorité légitime
, ce fi faut les confidérer comme une peuplade
*> de fauvages dans des déferts , qui y vivroient
»3 des productions naturelles du territoire, ou qui
•» s'expoferoient par néceffité aux dangers du bri-
35 gandage, S'ils pouvoient faire des excurfions
« chez des peuples ou il. y auroit des richeffes à
s» piller 35 ( i ) j mais cet état ne peut pas durer
long-temps entre des hommes qui tournent leurs
foins à multiplier les travaux , & enfin à cultiver
Jes champs, parce qu'ils tendent à la fociété policée
j & jufques-là pourtant ils doivent, par des
conventions tacites ou explicites, refpeCter la perfonne
d'autrui & fes propriétés quelconques, pour
la garantie de leur fûreté perfonnelle & de leurs
propriétés àcquifes.
Telle fut fans doute la marche des hommes
vers l'ordre focial & vers le bonheur, pour la jouif-
fauce de leurs droits réciproques. Ils vécurent d’abord
des produits de leurs recherches. Ils devinrent
enfuite bergers ; enfin ils étendirent leurs droits
fur le fo i , & fe firent des propriétés plus confiantes
, en forçant la terre , par leur travail ^ de
jnultiplier leurs fubfifiances.
Quoique certains écrivains aient avancé, èn traitant
du droit naturel de l'homme , que tous avoient
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un droit a toiit 3 c'eft-à-dire, que tout devoit lent
être commun, & qu'ainfi perfonne ne pouvoir fe
faire une pofieffiôn exclufive, fans empiéter fur
le droit des autres, & fans voir repoufîer fon én-
treprife par des attaques que la force-feule pouvoir
réprimer : il eft inconteftable & par le raifonne-
mentjSc par le fait, que ce droit s'arrêtant de
lui-même au point où chacun peut le porter, il fe
réduit aux chofes dont chacun peut obtenir la
jouiffance. Qu'eft-ce en effet que ce droit illimité.,
qui étant commun à tous, néceflite chacun à ne
jouir de rien, fi ce n'eft un droit abfolument-nul
par l'impoflibilité d'en faire ufage ?
Si le premier qui fit l'entreprile de s'approprier
un terrain, eût blefie, par un a<5te aufli manifëfte,
la propriété des autres , eft-il vraifemblable qu'ils
eulfent tous fouffert de le voir pofieffeur tranquille
de leur bien ufurpé ? Plufieurs fe feroient
réunis contre lui j il eût été forcé d'a5andonner
fa terre, & cet exemple eût anéanti pour jamais
de pareilles entreprifes $ car qui eût v o u lu f e u l
contre tous , tenter une ufurpation tout au moins
inutile , employer un temps précieux & des ri-
cheffes plus précieufes encore pour fe faire tant
d'ennemis ? Mais les propriétés foncières exiftent j
elles ont donc exifté par l'approbation tacite &
unanime de tous les hommes, qui n'ont vu exerr
cer au premier propriétaire qu'un aéte de juftice
naturelle, qu'il leur étoit libre d'exercer comme
lui. Sans l'intime conviélion de fon droit exclufif
à la terre qu'il auroit travaillée & aux productions
de cette terre, l'homme n'y eût point fait detra?
vaux. S'il n'eût pas cru pouvoir recueillir en fû-
reté, il n'eût pas femé. 11 faut donc convenir que
l'homme ne trouva pas d'obftaçles , de la part de
fes femblables, à l'établiffement dp fa propriété
foncière, & qu'il ne devoit pas en trouver.
La propriété n'eft donc pas une injuftice, un
attentat contre le droit de tou s , comme on l'a
dit î elle eft au contraire le garant de la vie de
tous les membres de la fociété. Les prétentions
de l'homme à cet égard font donc bien fondées ;
elles n'auroient même de bornes que fon infuffi-
fance à les étendre, fans la propriété d'autrui ,
que la juftice naturelle & la raifon lui apprennent
à refpeéler , pour ne pas donner aux autres des
motifs d'attenter à la fienne. Il n'eft donc pas pof-
fible de révoquer en doute le droit de l'homme
à la propriété, puifqu'il eft fondé fur fon droit à
l'exiftence , qu'on ne fauroit lui contefter fans les
plus terribles conféquences pour foi-même.
Mais, quand ces principes feroient'problématiques
, n'eft-on pas en droit de demander à ceux
qui regardent l'établiflement dé la propriété comme
un crime de lèfe-humanité & le premier monument
de fervitude, fi dans l'hypothèfe qu'un
homme a été la bafe du genre humain , quelqu'un
(i^ fhyfiocratie, pag, zé.
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a pu lui difputer le droit de propriété ; fi les
enfans n'ont pas eu le droit, la liberté, la facilite
d'en acquérir autant qu'il y avoir de place vuide ?
Cela eft trop évident pour être contefte. Et fi le genre
humain avoir dû fon origine à plufieurs hommes
primitifs, nous difent quelques-uns? Mais ces hommes
auroient bien eu de quoi choifir > &r, de 1 aveu
des ennemis de la propriété, l'homme naturel étant
fans aftuce & fans envie, il n'auroit pas imagine
d'attaquer la poflfeflion d'un autre , quand il avoit
toute la facilité de s'en donner une pareille, ou
même une plus grande, s'il la vouloit.^
L'homme n'acquiert pas. la propriété d un terrain
qui n'a pas de maître, en le mefurant des
yeux & en difant : ceci eft a moi. Sa propriété fe
borne où finit fon travail, & le travail ne fauroit
embralfer les limites indiquées p a r la penfée, ou
même par la vue. Il eft reftreint à une modique
portion. Sa propriété n'eft rien au-delà > car une
propriété, qui ne produit rien , eft une propriété
nulle. C'eft une partie de la fubftance de l'homme,
ce font.fes forcer, fon temps, fes richefles employées
à bonifier la terre, qui la rendent exclufi-
vement fienne. Tout autre pouvoit avant lui l'acheter
au même prix, & la juftice des mêmes rai-
fons devoit la lui garantir. C'eft donc une bizarrerie
de.l'efprit de paradoxe, de vouloir que deux
hommes qui font feuls dans le monde, aient à fe
faire la guerre pour la prétention des limites de
leurs poifdfions.
La propriété foncière fut donc allurée à l'homme
par fon droit & par le confentement des autres
j & la convention tacite d'en jouir fans trouble,
établie fur la raifon de la paix commune &
générale, la rendit immune & facrée. L'idée de
,1a compenfation en bien & en mal,. fut comme
une règle qui dirigea toutes les volontés vers l'avantage
de tous, en les accoutumant au plus grand
refpeét pour la propriété des autres, & cette lumière
devint pendant quelque temps la garde tutélaire
des fociétés. Les habitations d’abord épar-
fes & éloignées par la nécelfité de la recherche ,
fe rapprochèrent avec les poffeflions. Les occafîons
de fe voir étant plus fréquentes , la confiance augmenta,
les relations s'étendirent. L'homme, convaincu
qu'il n'avoit fur l'homme que le droit de
l'échange, s'accoutuma à fecourir les autres pour
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mériter leurs fecours. On s’entraida, on s'allia par
des mariages. Ces fociétés multipliées* formèrent
en quelque forte 3 des nations particulières, où
tous demeurèrent tacitement ligues pour la défenfe
& la fûreté de tous ; mais cet état qui avoir quelque
douceur, ne dut pas être d'une longue durée,
puifqu'elie ne pouvoit guère fubfifter qu'entre ceux
qui avoient un même & commun intérêt à la
maintenir. Dès que les propriétés établies ne permirent,
dans un même-pays, que la formation
moins avantageufe de nouvelles propriétés, l'inégalité
naturelle de l'homme, rendue plus mani-
fefte ou même accrue par une pofition facheufe ,
jetta des femences de jaloufie & de cupidité dans,
fon coeur aigri du bonheur des autres, q u i, fai—
fant naître fouvent la défiance, le trouble & la
guerre, forcèrent les propriétaires à chercher un.
abri fous la proteérion tutélaire d'un pouvoir nouveau,
pour parer leurs propriétés ( i ) des entreprifes
hardies de tout homme in jufte j.~rce qui fit
naître la promulgation des loix pofitives, écrites
ou de convention, &l'étabiiifement d'une autorité
fouveraine pour les faire obferver.
« Ainfi la forme des fociétés (2) dépend du
s? plus ou du moins de biens que leurs membres
53 polfèdent ou peuvent polféder, ?& dont ils veu-
33 lent s'affûter la confervation & la propriété.
35 Ainfi les hommes qui fe mettent fous la pro-
33 teétion des loix pofitives & d'une autorité tu-
»3 télaire, étendent beaucoup leurs facultés,d'être
33 propriétaires, & par conféquent étendent beau-
>3 coup l'ufage de leur droit naturel, au lieu de le
33 reftreindre (3) 55;
Du droit jiaturel des hommes réunis en fociétés
policées.
En palfant de l’état de multitude à l'union for
ciale, les hommes reconnurent en divers pays diverfes
formes de gouvernement ou d'autorité fouveraine
j i c i , elle fut réunie dans les mains d'un
feul 5 l à , elle fut divifée entre plufieurs chefs *
ailleurs , le peuple en corps voulut en quelque
forte la retenir , en ne la confiant que pour un
temps à des membres qui le repréfentèrent ; delà
naquirent la monarchie ou la royauté , l'arifto-
cratie ou la république des nobles, la démocratie
(1) Chaque cultivateur , occupé tout le jour au travail de la culture de fon champ , avoit befoin de repos
& de fommeil pendant la nuit ; ainfi il ne pouvoit pas veiller alors à fa fûreté perfonnelle , ni à la con-
fervâtion des productions qu’il avoit fait naître par fon travail & par fes dépenfes ; il ne pouvoit pas non
plus abandonner fon travail pendant le jour | pour aller au loin défendre le territoire contre les ennemis du
dehors. Tous les propriétaires furent donc nécelfités de concourir unanimement & de contribuer à l’établif*
fement & à l’entretien d’une force & d’une garde aflez puiffantes, pour aflurer la défenfe de la foeiété &
de fes richefles contre les attaques extérieures, pour maintenir l’ordre dans l’intérieur, pour prévenir & punir
les crimes des malfaiteurs ; ce qui fit naître l’autorité d’un ou de plufieurs chefs.
(a) Les hommes fe font réunis fous differentes formes de fociétés, félon qu’ils y ont été déterminés par
les conditions néceflàires à leur fubfiftance , comme la chaflë,. la pêche ,, le pâturage , l’agriculture , le commerce
, le brigandage , &c ; de-là fe font formées les nations fauVages, les nations ichtnyophages, les nations
pâtres , les nations agricole, les nations commerçantes , les nations errantes, barbares, feenites & pirates-
(3.) Kiyficratie, pag. z8»