
ble ; mais nous permettra-t-on de le remarcfuer ?
L e véritable patriotifme ne fouffre pas ces petites
affëéiions particulières. Que les officiers américains
fe foient réparés avec regret , qu'un attendriffe-
ment général les ait faifi tous, au moment où ils
alloient quitter , peut-être pour jamais, les compagnons
de leurs victoires , de leurs détreffes & de
-leurs «avaux 5 qu'après de fanglantes batailles &
de pénibles fervices, ils aient voulu garder le
fouvenir de ces fcènes héroïques & de c e s s io n s
touchantes , dont ils avoient été les témoins ou
les aélçurs 3 & qui avoient laiffé dans leur ame une
impreffion facrée , cela eft digne* d’éloges j mais
lorfque de braves guerriers qui ont combattu pour
leur liberté, & q u i, aiment leurs conftitutions,
veulent, pour conferver ces fouvenirs, maintenir
une fociété qui excite les réclamations de treize
républiques, leur bel attachement ne devient - il
pas de la foibleffe ? ne reffemblent-ils pas à ces
yiéliffies d'une paffion orageufe, q u i, pour un
inftant de plaifir, facrifierbient l'univers entier ?
& cette difpofition n'a-t-elle rien de dangereux ?
Et qu'eft-ce que des citoyens dont la patrie n'ab-
forbe^ pas tous les fentimens, & qui dédaignent
une égalité parfaite ? Enfuite n'y a-t-il point ici
d ’exagération? Il eft permis de le croire 5 car enfin
tous les C in c in n a ti ne fe connoiffoient pas, &
peut-on leur fuppofer cet enthoufiafme de la ten-
dreffe, & ces tranfports paffionnés qu'on retrouverait
à peine dans une fociété de frères ?
6°. On a voulu préfenter l'aflociation des C in cin n
a t i 3 comme une franc-maçonnerie militaire:on n'a
pas fongé qu'on la jugerait alors plus redoutable, & '
oferoit - on foutenir qu'une franemaçonnerie mi litaire
, utile peut-être dans les monarchies , eft
convenable à des gouvernemens démocratiques ?
7°. Si les républiques du nouveau - Monde
avoient quelques inilitutions ariftocratiques, l'af-
fociation, dans fon état aétuel, auroit moins
d'inconvéniens. Mais nous prions les C in c in n a ti de
l’obferver ; en abjurant cette inconcevable méprife
qui rendoit la décoration héréditaire & tranfmet-
toit fes privilèges à leurs defeendans , le danger
qu'ils ont reconnu fur cet article , eft le même
fur ceux qu'ils confervent ; & fi l'abus eft plus
foible , c'eft toujours un abus.
8°. Il eft réellement inconcevable qu'une affo-
ciation d'amis , dans une république, ait imaginé
de fe donner une croix & un cordon. N e favent-
ils pas que ces cordons peuvent être utiles à des
complices , mais que les honnêtes citoyens n'ont
pas befoin de ce ralliement ? S i , par une eftimable
déférence pour les difpofîtions de leurs compatriotes,
ils s'abftiennent de porter l'a igle , cet aigle eft
d on c , de leur aveu , un objet d’horreur & de dédain
dans les Etats- Unis ; & ne pas la facrifier
entièrement, eft - ce montrer toute la déference
que mérite ici l’opinion publique ? & n*eft-rl pas
raifonnable de concevoir des inquiétudes?
9 0. T ant que la fociété des C in c in n a ti fubfiftera,
on aura droit de fe plaindre d'une infraction aux
conftitutions des nouvelles républiques 5 on aura
droit de réclamer contre les formes illégales qu'on
a mifes en ufage pour l'établir. Les officiers américains
fe font trompés > ils avoient befoin de l'aveu
du congrès, éc de l'aveu de chacûne des
provinces : & quand cette inftitution feroit moins
dangereufe , c'eft un grand mal que, dans une
affaire fi importante, on dédaigne l'opinion du
peuple & de fes repréfentans.
Quels Jeroient les moyens de prévenir ces malheurs,
& comment pourroit-on abolir l'ajfociation des C IN CINNATI
? Cette inftitution peut être abolie,
1 °. par les officiers américains eux-mêmes ; 20. par
le crédit de M. Washington 5 30. par un décret
du corps légiflatif de chacune des provinces î 40.
par une recommandation du congrès. Nous allons
examiner ces différens moyens, calculés de manière
que le troifième & le quatrième relieront
toujours au défaut 4es deux premiers.
i° . Le premier de ces moyens feroit. le plus
fimple & celui qui réformeroit avec le plus de
gloire une méprife que la pollérité jugera févére-
ment. Nous oferons donner ici des confeils aux
officiers américains , & nous ne craindrons pas
de leur dire : à votre première affemblée générale,
( c'ell-à-dire , l'année prochaine ) diftribuez vos
fonds , à ceux d'entre vous qui en ont befoin ;
affurez d'une manière quelconque les penfions des
officiers, à qui vous avez promis tous les ans une
certaine fomme 3 ceffez à jamais vos contributions
au tréfor particulier de la fociété, & imitez les
autres citoyens dans leurs aétes de généralité.
Déclarez en même-temps que vous ne tiendrez
plus d'affemblées générales ou particulières. Si
vous habitiez la même ville ou la même bourgade ,
il feroit peu féant de vous exhorter à ne pas former
des cotteries entre vous \ mais difperfés dans
la vafte étendue des Etats-Unis ou d'une province,
vous ne pourrez déformais faire de longs voyages
pour vous réunir, fans exciter des inquiétudes &
de julles reproches. Ecoutez un étranger qui eft
animé par le feul but de la profpérité générale
de vos républiques : nous vous conjurons de fondre
les aigles, afin que vos defeendans ne foient pas
un jour tentés de les fufpendre à leurs boutonnières.
On vous a éclairés fur les difpofîtions des
officiers françois j ils garderont le figne de votre
affociation, qu'ils tiennent de leur fouverain 38z
loin d'exciter leur mécontentement, vous obtiendrez
leurs éloges : interrogez le jeune héros qui
a volé fi noblement au fecours de l'Amérique ,
que fa fageffe., fa valeur & fes talens militaires
ont rendu les délices du nouveau-Monde, & qui
recueille en Europe des hommages fi bien mérités $
il vous dira quelles font les difpôfitiôns de fes
compatriotes. Exécutez la généreufe réfolution
que vous aviez prife en 1784, & qu'une mal-
heureufe cîrconftance a fait changer. Il fera beau
de vous voir , d'un commun accord , facrifier
les relies de votre inftitution à la tranquillité &
au bonheur publics : ce facrifice vous méritera, la.
plus douce des récompenfe, la reconnôiffance de
VOS concitoyens, & l'eilime & l'admiration de toute
l’Europe. Pourquoi ne le feriez-vous pas. vous ne
jouiffez point de cette petite décoration j aucun
de vous n’ofe la porter : vous vous en abltenez
par délicateffe. Vous ne retrouverez plus une aulii
belle occafion d'acquérir de la gloire. Cet adte de
générofité fera célèbre à jamais dans vos annales:
tous les gouvernemens libres le citeront pour exemple
, & vous recueillerez encore les eloges des
pays où le citoyen a perdu fa liberté.
Qu'auriez - vous donc à gagner, en foutenant
votre fociété, malgré les réclamations de toutes
les provinces ? La vanité eft indigne de vous, &
fes intérêts font nuis ic i, puifque vous ne profitez
point de la marque d honneur qu elle s etoit
ménagée. Si l’on vous demandoit de renoncer a
cette efpèce de confidération ou a ces jouiflances
de vanité , que l’homme chérit toujours, votre
réfiftance offriroit une forte d’exeufe 5 mais on vous
propofe le feul parti qui puiffe convenir meme a
votre amour-propre, & nen doutez pointa on
ne verra dans votre réfiftance qu une opiniâtreté
mal entendue. i . v
Votre affociation peut devenir utile un jour a
des intrigans & des' ambitieux j mais la majorité
d'entre vous peut-elle efpérer- ces avantages | &
ne doit-elle pas fe réunir à la nation pour arrêter
les funeftes projets de quelques hommes corrompus
? Dans cinquante ans, dans un fiècle, le progrès
des richeffes aura peut-etre affoibli le fenti-
ment de la liberté, les diftinétions ne feront plus
*odieufes au peuple , ou il n ofera plus le dire}
mais alors , il ne reliera plus àe Cincinnati ; & que
penferoit-on de vous, fi vous, refiftiez aux folli-
citations de vos compatriotes & aux principes de
la jullice & de la raifon, dans l'efpoir d'obtenir
un avantage, éloigné par-dela le terme de la vie ?
Ne comptez pas maintenir fourdement une inftitution
qui rencontrera des occafions plus heu-
reufes de fe montrer. Tous vos concitoyens ont
les yeux ouverts 5 ils vous furveillent avec foin j
& que pourront vos foibles moyens, contre trois
millions d'hommes qui ne veulent point de dif-
tinélions ? Des manoeuvres fecrettes triompheront-
elles de la force irréfillible des conftitutions &
des loix ? & viendront-elles à bout d'affervir l’ef-
prit général ? S'il eft des contrées , où il foit fi facile
à un petit nombre de grands, de mener des
-millions d’eiclaves , ce n'eft pas à ces époques
d'enthoufiafme, où de nouvelles républiques viennent
d'établir leur liberté i ce n'eft pas au milieu
travaux > elle n'y verra point de générofité. Au
nom de la patrie , abjurez donc folemnellement
une erreur qui fouille vos exploits.
du nouveau-Monde , où les deferts & les forets
entretiennent l'horreur de l'efclava^e.
Hâtez-vous de prévenir le congres & les corps
légiflatifs des différentes provinces 5 ils ne tarderont
pas à s'occuper de vous > ils ne manqueront
pas de vous proferire j ils en ont lp droit, & foyez-
en fûrs , tant que votre affociation fubfiftera,
l’Europe ne rendra point de jullice à yqs héroïques
20. Le le&eur fe fouvient qu'en 1704, M- Washington
avoit entraîné l'affemblée de I hiladelphie
par fon influence & par la jufteffe de fes raifons ;
& qu'à la voix de ce grand homme, la majorité
des députés des Cincinnati alloit abolir a jamais
l'aflociation, lorfque M . l'Enfant arriva. Son influence
eft aujourd’hui la même 3 tous les officiers
connoiffent fon défintéreffement & fa vertu j ils
le chériffent, ils l’admirent tous, & on n a peut-
être jamais vu perfonne captiver auffi généralement
la confiance & l’amour de fes concitoyens:
il peut exercer ici l’empire de fa vertu. Il 1 a reconnu
, il l'a dit publiquement j il l'a foutenu avec
courage 5 il feroit utile d’abolir l’ aflociation : deux
années de plus d'expérience & de réflexions aver-
tiffent fon coe u r , qu'elle eft contraire aux loix 3
que c'eft un abus effrayant 5 que fes inévitables
effets font d'un extrême danger pour des republi-
■ ques ; & lorfqu’il embraffe dans fes nobles pen-
fées le fort de ces états , fondés par fa valeur,
il déplore, n’en doutons pas, la fatalité des cho-
fes humaines qui déconcerte les meilleurs projets.
Il n'a plus à craindre d'irriter fes officiers., qu à
la fin de la guerre quelques provinces refufoient
de payer ; ils font tous fatisfaits. Il craignoit alors
de déplaire à fes braves alliés, & il fait aujourd’hui
qu’ il ne leur déplaira point. Puiffe-t-il s'occuper
de cet objet important ! Il réufliroit, nous
en fommes convaincus, & ce nouveau triomphe
fermeroit à jamais la bouche de fes détracteurs.
Oui de fes détracteurs, car il en a , depuis 1 éta-
bliffement dont nous parlons : leur nombre eft peu
confidérable, il eft v ra i} mais enfin , pour rendre
une jullice complette à fes lumières & a fa fageffe
, ils attendent qu'il ait propofé une fécondé
fois l’abolition de la fociété des Cincinnati..
30. Puifque l'aflociation des Cincinnati fe trouve
divifée en affemblées d "états , c'eft-à-dire , en
corps particuliers dans chacune des provinces ,
chacune de ces provinces a le droit de l’abolir 5
& il relie aujourd’hui peu de motifs de la traiter
avec ménagement. Lorfqu'elle fe forma , la <lé-
treffe du tréfor général de l’union ^ & du trefor
particulier des diverfes républiques, etoit extreme,
il fembloit que les officiers n'obtiendroient pas les
j termes qu'on leur avoit promifes, & que I embarras
des finances ne permettroit pas de leur accorder
les récompenfes pécuniaires, ftipulées par le
congrès. L'anéantiffement du papier-monnoie avoit
caufé des pertes plus ou moins grandes à chacun
d'eux ; on n'ofoit indifpofer, fur tous les points ,
'des guerriers qui avoient à peine quitté les armes
, & il fallut bien tolérer alors ces dédom-
magemens qu’ ils fe donnoient. Maintenant que
le corps légiflatif de l’union américaine leur a
cédé , dans le territoire de l’Oueft , les terres
quils réclamoient > que la demi-paye a été aiiu>