
Ruffie, la Saxe, la Weftphalie, la Cherfonèfe
cimbrique, & jufqu'à la Fionie, la NorWege &
la. Suède. On prétend qutQdin, leur c h e f , ne
parcourut tant de contrées, ne chercha à les af-
îervir qu'afin de foulever tous les efprits contre la
puiffance formidable, odieufe & tyrannique des
romains. C e levain, qu'en mourant il laiffa dans
le -nord, y fermenta fi bien enfecret, que, quelques
fiècles après, toutes les nations fondirent , d'un
commun accord , fur cet Empire ennemi de toute
liberté, & eurent la confolation de le renver-
f e r , après l'avoir affoibli par plufieurs fecouffes
réitérées.
Le Danemarck 8c la Norwege fe trouvèrent fans
Labitans, après ces expéditions glorieufes. Ils fe
.rétablirent peu-à-peu dans le filence, & recommencèrent
à faire parler d'eux vers le commencement
du huitième fiècle. C e ne fut plus la terre
qui fervit de théâtre à leur» valeur j l'Océan leur
ouvrit une autre carrière. Entourés de deux mers,
on les vit fe livrer entièrement à la piraterie, qui
eft toujours la première école de la navigation pour
des peuples fans police.
Us s'effayèrent d'abord fur les états voifins, 8c
s'emparèrent du petit nombre de bâtimens marchands
qui parcouroient la Baltique. Çes premiers
fuccès enhardirent leur inquiétude, 8c les mitent
en état de former des entreprifes plus confidéra-
bles. Us infeftèrent de leurs brigandages les mers
les côtes d'Ecoffe, d'Irlande , d'Angleterre,
de Flandre , de France, même de l'Efpagne, de
l'Italie 8c de la Grèce. Souvent ils pénétrèrent
dans l'intérieur de cés vaftes contrées, & fis s'élevèrent
jufqu'à la conquête de la Normandie &
de l’ Angleterre. Malgré la'confufion qui règne
dans les Annales de ces temps barbares, on parvient
à démêler quelques-unes des caufes de tant
d'évènemens étranges.
D ’abord , les danois 8c les norwégiens avoient
pour la piraterie un penchant violent, qu'on a
toujours remarqué dans les peuples qui habitent
le voifinage de la mer , lorfqu'ils ne font pas contenus
par de bonnes moeurs & de bonnes loix.
L'habitude dut les familiarifer avec l'Océan, les
aguerrir à fes fureurs. Sans agriculture, élevant
peu de troupeaux , ne trouvant qu'une foible ref-
fource à la chalfe dans un pays couvert de neiges
&: de glaces, rien ne les attachoit à. leur territoire.
La facilité de conilruire des flottes, qui n'é-
toient que des radeaux greffiers alfemblés pour naviguer
le long des côtes , leur donnoit les moyens
d'aller par-tout, de defeendre, de piller & de fe
tembarquér. Le métier de pirate étoit pour eux
ce qu'il avoit été pour les premiers héros de la
G rè ce , la carrière de la gloire 8c de la fortune ,
la profeflion de l’honneur qui confifloit dans le
mépris de tous les dangers. C e préjugé leur inf-
piroit un courage invincible dans leurs expéditions,
tantôt combinées entre différens chefs, &
tantôt féparées en autant d'armeméns que de nations.
Ces irruptions fubites , faites en cerit endroits
à la fois , ne lafifoient aux habitans des
côtes mal défendues, parce qu'elles étoient mal
gouvernées , que la trille alternative d'être maf-
facrés , ou de racheter leur vie en livrant tout ce
qu'ils avoient.
Quoique ce caractère deftruéleur fût une fuite
de la vie fauvage que menoient les danois & les
n orw é g ien s . de l'éducation groflière & militaire
qu'ils recevoiént, il étoit particuliérement l'ouvrage
de la religion d'Odin. C e conquérant im-
polteur exalta , fi l'on peut s'exprimer ainfi, par
fes dogmes fanguinaires, la férocité naturelle de
ces peuples- Il voulut que tout ce qui fervoit à la
guerre, les épées,- les haches , les piques, fût
déifié. On cimentoit les engagemèns les plus fa-
crés par ces inllrumens fi chers. Une lance plantée
au milieu de la campagne attiroit à la prière
& aux facrifices. Odin lui-même, mis par fa mort
au rang des immortels , fut la première divinité
de ces affreufes jpontrées, où les rochers 8c les
bois étoient teints & confaçrés par le. fang humain.
Ses feélateur s croyoient l'honorer, ' en l'ap-
, pellant le dieu des armées 3 le père du carnage , le
dépopulateur, £ incendiaire. Les guerriers qui al-
loient fe battre , faifoient voeu de lui envoyer uiv
certain nombre d'ames qu'ils lui çonfacroient. Cés
âmes étoient le droit d'Odin. La croyance, uni-
verfelle étoit que ce dieu fe montroit dans les
batailles, tantôt pour protéger ceux qui fe dé-
fendoient avec courage, 8c tantôt pour frapper
les heureufes viétimes qu’il dellinoit à périr. Elles
le fuivoient au féjour du ciel, qui n'étoit ouvert
q u'aux guerriers- On couroit à la mort, âu martyre
, pour mériter cette récompenfe. Elle ache-
voit d'élever jufqu'à l'enthoufiafme , jufqu'à l'i-
vreffe du fang , le penchant de ces peuples pour
la guerre.
Le ch'riftianifme renverfa toutes les idées qui
formoient la chaîne d'un pareil fyftême. Les mif-
fionnaires avoient befoin de rendre leurs profélytes
fédentaires, pour travailler utilement à leur inf-
truélion } & ils réuffirent à les dégoûter de la vie
vagabonde,. en leur fuggérant d'autres moyens de
fubfifter. Ils furent allez, heureux pour leur faire
aimer la culture, 8c fur-tout la pêche. L'abon-
. dance du hareng que la mer amenoit alors fur les
côtes, „ y procuroit un moyen de fubfiilance très-
facile. Le fuperflu de ce poilfon fut bientôt échangé
contre le fel nécelfaire pour conferver le relie.
Une même fo i, de nouveaux , rapports, des be-
foins mutuels, une, grande fûreté encouragèrent
ces liaifons nailfantes. La révolution fut fi entière,
que, depuis la converfion des danois 8c des norwégiens
, on ne trouve pas dans l'hilloire la moindre
trace de leurs expéditions, de leurs brigandages.
L e nouvel efprit qui paroifîbit animer la N o rwege
& le Danemarck 3 devoir, étendre de jour
en jour leur communication.avec les autres peu-
«les de l'Europe. Malheureufejpent elle fut inter-
ceptée par l'afeendant que prenpient les villes ,an-
féatiques. Lors même que cette grande & lingu-
lière confédération fut déchue, Hambourg maintint
la fupériorité qu'elle avoir acquife fur tous les
fujets de la domination danoife. t
Au relie, les peuplades qui occupoient l e Ua-
nemarck dans les premiers tems , n ont produit aucun
hillorien exaét, 8c ce n'ell que depuis cinq
ou fix cens ans que l'hilloire de ce payselt bien
connue. Les livres font pleins de details fn r le s
expéditions des premiers danois, & tous les hilto-
riens nous parlent de l'ancien gouvernement de
Danemarck comme d'un état eleélif. Saxon le grammairien
8c les auteurs danois fes fuccelfeurs s accordent
fur ce point. Puifendor’ff ( i ) , V tn o t ( z )
& les écrivains étrangers nous en donnent la meme
idée j mais un nouvel hillorien (3) a entrepris de
prouver que la fuccelfion a la couronne de Da~
nemàrck fut héréditaire jufqu'au régné d Abel (4) ,
& que lorfque le peuple renonça , dans le dernier
fiècle, au droit d'élire fon fouverain , il ne
fit que rétablir l'ancienne forme de gouvernement.
Les monùmens hilloriques femblent démentir cette
alfertion. , -,
La Norwège , royaume egalement eledtir, eut
long-temps fes rois particuliers j 8c apres avoir ete
unie, tantôt au Danemarck 3 8c tantôt a laSuede,
ell enfin demeure au Danemarck.
Marguerite, élue reine de Danemarck ( y ) - 8c
enfuite de Norwège (é) , aulfi le feeptre
.d e Suède, autre étatéledif,.egalement gouverne
par un roi, par un fénat 8c par des^ états generaux.
Cette princelfe entreprit de faire palier fur
la tête d'Eric , duc de Pomeranie, fon petit nev
eu , les mêmes couronnes, qu elle avoit reunies
fur la fienne, 8c elle réuflit. Elle convoqua (7) les
états-généraux de.ces trois royaumes a .Calmar en
Suède. Les états confentkent à l'éleélion d'Eric,
& à l'union des trois couronnes en faveur de ce
prince. On en fit une loi fondamentale qui fut reçue
par les trois nations (8). • . ’
Cette loi célèbre dans le nord, fous le nom de
tunion de Calmar 3 contenoit trois articles principaux.
I. Que ces royaumes n’auroient dans la fuite
tjue le même roi élu tour-à-tour dans les trois
royaumes par quarante éleéleurs de chaque royaume
} lavoir, trois prélats, un bailli > un maréch
a i, quelques.gentilshommes, les bourguemeftres
des principales villes , 8c deux des plus anciens
pàyfans de chaque jurifdiélion, fans que/a dignité
royale pût être transférée comme un héritage , a
moins que le prince n'eût des enfans ou des pa-
rens , que les trois états alfemblés jugeaffent dignes
de lui fuccéder. IL Que le fouverain feroit
obligé de réfîder tour-à-tour dans les trois royaumes
, -8c de confumer dans chacun les revenus de
chaque couronne, fans pouvoir les tranlporter
ailleurs, ni les employer à autre chofe qu à 1 \x-
^tilité particulière de l'état dont ils feroient tires.
III. Que chaque royaume conferveroit fes loix ,
fes coutumes 8c fes privilèges, 8c que les gouverneurs,
lesmagiftrats, les généraux, les eve-
qües, 8c même les troupes 8c les ga.rnifons feroient
tirés de chaque pays , fans qu'il pût jamais
être permis au roi de fe fervir d'etrangers, ni de
fujets de fes autres royaumes, qui feroient repûtes
étrangers, dans le gouvernement de 1 état où
ils ne feroient pas nés. _ . •
C e n’ell pas ici le lieu d'examiner fi cette unio^
étoit bien fage , fi les circonllances h juftifioient,
& fi on avoit pris les précautions néceffaires pour
la maintenir. Après la mort de Marguerite , que
les hilloriens appellent la Sémiramis du nord 3 les
fuédois fecouèrent le joug d'une domination qui
avoit paru injulle dès fon commencement, 8c qui
à la fin étoit devenue infupportable 5 8c cette di-
vifîon produifit, entre les danois 8c les fuedois^,
des guerres qu'il importe p e u . de faire connoi-
tre ici. . . ■ • > , -
Les danois, après, avoir pris des rois dans lés
maifons de Pomeranie 8c de Bavière (9.) , élurent
enfin Chrillian d'Oldembourg -, connu dans 1 hif-
tqire fousr ïe nom de Frédéric I , dont la raaifon
! règne depuis trois fiècles fur les royaumes de Da-
! nemarck & de Norwège / auxquels elle a déjà
donné douze rois. La couronne fut éleélive jufqu'à
Frédéric III ; mais fous le règne de ce prince
, elle devint héréditaire, 8c l'on établit la loi
royale-qui fera inférée plus bas.. ,
Tant que la couronne fut éleélive, il y eut des
états-généraux, & l'autorité des rois fut limitée ;
ils prêtoient à leur couronnement un ferment plus
favorable aux nobles qu'aux dernières claffes^ des
citoyens (10). Frédéric III en fut difpenfe. Il
avoit défendu fa capitale avec autant de courage
(1) Dans fon lntroduftion à l’hiftoire de FEurope. *
(*) Dans fes Révolutions de Suède. , - , 7 -n.
(3^ Hiftoire de Danemarck, par Jean-Baptifte DeCroches , avocat du roi au bureau des nnances de la .ko*
#helle. Amjlerdam 1735 , 8'vol. in-ia ; & Paris 1732 , 9 vol. in-n.
C4> Son règne commença en ns«. . . ^ „ .
/5) Dans le quatorzième fiècle , après la mort de Waldemar n i fon pere, roi de Danemarck.
(6) Après la mort de Haquin fon époux , roi de Norwège.
;; (7) En *-395.
(g) Nous parlerons de l’union de Calmar à 1 article Union.
<io) V 4ptômettoit en pleine affemblée de ne faire mourir ni confifquer aucun homme noble, & d’en