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jamais ils n’étudient à fond ce qui a rapport aux
gouvernemens, & ils ne s’àvifént pas de prendre
fur ces matières une réferve proportionnée à leurs
lumières. Les uns admirent l’inftitution de Sparte, 8c ils voudroient que le monde entier adoptât le
régime des lacédémoniens j les autres font paflion-
nés pour la pure démocratie } & fans examiner
li elle eft pbffible , fi elle convient aux grandes
& aux petites nations, ils demandent toujours
que le gouvernement foit auffi démocratique qu’ il
peut l’être : ceux-ci dédaignent le caractère national
& la pofition d’ un pays } 8c pour les fa-
tisfaire, il faudroit établir par-tout le même gouvernement
: ceux-là ne connoiffent point la corruption
humaine, o u , s’ils la connoilfent , ils
croient qu’il eft facile de la réformer } ils ne mettent
point de ménagemens dans les remèdes qu’ils
propofent, & ijs prennent de bonne-foi le langage
qu’emploient les empiriques^ par charlatannerie.
Plufieurs parojffent convaincus que l’efpèce humaine
eft perfe&ible jufqu’au dernier point, &
ils fe réjouiffent férieufement de ce qu’on verra un
jour l’âge d’or & le fiècle d’Aftrée. Quelques-
uns , ou plutôt des feétes entières, fe fâchent
de ce qu’on ne mène pas le monde avec deux ou
trois mots , & ils croient que leur fecret eft infaillible.
Le moindre détail d’adminiftration ap-
pren droit à tous qu’une injufte loi condamne
l ’homme à une fervitude plus ou moins grande $
que les rapports des citoyens entr’ eux, 8c des états,
les uns avec les autres, ont toujours produit &
produiront toujours des maux & des abus j qu’un
peuple ne doit pas fonger à établir line conftitu-
tion parfaite } que le comble du bonheur eft d’en
obtenir une un peu raifonnable, & qu’ on ne ceffera
de dire des plus belles conftitutions ce que difoit
Solon de celle qu’il venoit d’établir à Athènes :
ce riejl pas la meilleure c ejl tout au plus celle
qui convient le mieux aux athéniens.
Quoi qu’il en foit, les conftitutions adoptées
par les Etats- Unis femfclent leur convenir } elles
confacrent tous les principes qui peuvent contribuer
à l’efpèce de bonheur dont l’homme eft
fufceptible } elles laiifent aux citoyens la portion
de liberté qu’on peut efpérer dans une grande
nation.
Quand on fe rappelle les formes de gouvernement
dont parle l’Hiftoire } quand on jette les
yeux fur les différens pays de la terre, comment
ne feroit*on pas frappe de la fimplicité, de la rai-
fon 8c de la philefophie des conftitutions d’Amérique
? Les droits du peuple & les grands principes
des conventions faciales y font établis de la manière
la plus énergique 8c la plus formelle : on y'
retrouve tous les points de fagelfe 8c d’utilité
qu’offre celle de l’Angleterre. Elles établiffent la
liberté de la preffe 8c la tolérance, le jugement
par fes pairs, 8c la fubordination de la pùiffance
militaire à la puiflance civile } elles mettent tous
les magiftrats dans U dépendance de la nation ,
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qui peut vles révoquer, & qui leur fait rendre
compte lorfqu’ils font fortis de charge. Elles ont
réformé plufieurs abus de la conftitution angloife ,
& contiennent plufieurs difpofitions importantes
que les vrais patriotes anglois s’efforcent d’ introduire
dans la leur : ainfi elles ont exclus des corps
légillatifs quelques employés qui pouvoient porter
dans les délibérations des intérêts particuliers
contraires à l’intérêt général 5 elles ont fagement
interdit toute autre commiffion aux hommes chargés
d’une portion de la pùiffance exécutive : elles
ont exclus'du fénat 8c de la chambte des communes
les officiers de marine 8c de terre, les trai-
tans 8c foarniffeurs d’habillemens ou de munitions
pour les foldats ou les vaiffeaux.
Les Etats- Unis ne fe font pas avifés de déclarer
leurs conftitutions éternelles & immuables j ils ont
ftipulé expreffément qu’on les changeroit, lorf-
qu’ elles ne conviendroient plus au peuple ; plufieurs
provinces recommandent de les changer, lorfque les
circonftances Texigeront, 8c elles fe font ménagées
par-là le moyen le plus fur de réformer les abus
8c d’avoir un bon gouvernement. Peut-être n’ont-
ils pas etïcore établi les meilleurs principes fur les
impôts} mais if faut obferver que fi la réferve
pour le peuple du droit de foufcrire aux taxes par
fes repréfentans doit faire partie d’ une conftitution
libre ; il n’en eft pas de même des détails fur la
perception de l’impôt, qui forment un article d’ adminiftration
variable félon les cfrconftances j 8c
s’ il y a lieu de craindre que les préjugés des ha-
bitans des. Etats- Unis, & le fyfteme qu’ ils fe -font
formé fur cette partie de l’économie politique ne
les déterminent à mai affeoir les taxes, ils ont du
moins proferit tous les impôts humilians , tels que
la capitation , &c. Enfin fi les faines idées fur le
commerce ne font pas encore univerfelles dans' ces
nouveaux gouvernemens, on peut efpérer qu’elles
ne tarderontpas à s’y répandre j car le Maryland
déclare dans fa conftitution, que les privilèges
exclufifs font odieux, contraires à l’efprit d’ un
gouvernement libre 8c aux principes du commerce.
La conftitution de la Grande-Bretagne a fervi
de modèle aux conftitutions américaines j mais le?
Etats-Unis y ont choifî avec une raifon forte les
articles convenables à leur pofition. C e qui regarde
les droits de l’homme 8c du citoyen, convient à
• tous les peuples & à toutes les nations, grandes
ou petites, 8c ils ont adopté en entier cette partie
de la conftitution angloife} mais fi l’ autorité ro-^
yale eft un1 mal néceffaire chez les anglois, il n’ en
eft pas de même en Amérique , & les Etats-Unis
ont proferit tout ce qui regarde l’autorité royale.
' Si les nouvelles provinces, exceptées deux, ont cru
devoir divifer leurs repréfentans en deux chambres
: f i, à Limitation de ce qui fe paffe én Angleterre
, elles ont étabji une chambre des communes
8c un confeil ou fénat qui a quelque analogie
avec la chambre des pairs, ilfhut bien examiner lès
effet®
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effets du fénat 8c de cette diftributîon de la puif-
fance légiflative, avant de la critiquer. Un efprit
de vertige s’empare quelquefois d’un corps, on
ne fait comment, 8c il paroît utile qu’un fécond
corps foit néceflaire pour former une réfolution :
ces deux corps n’embarraffent point la légillation,
lorfqu’on a fixé d’une manière précife leurs prérogatives
8c leurs droits , 8c lorfqu’on a pris des moyens
i fûrs pour triompher de leur oppofition mutuelle^ j
c’eft ce qu’ont très-bien calculé les républiques d A-
mérique : fi ces deux corps mettent de la lenteur
dans les affaires , tant mieux j on examinera da-.
vantage les grands points de la légillation ou de
l ’adminiftration, & il fe gliffera moins d’erreurs
dans les ordonnances ou les décrets du corps le-
giflatif.
Je viens de parler de deux états qui n’ont point
formé deux chambres de légillation : c’eft de la
Penfylvanie Sc de la Géorgie dont il s’agit : cette
dernière province eft fi petite, les cultures y ont
fait fi peu de progrès, qu’elle croit n’avoir pas
befoin d’un fénat. Elle y a fuppléé cependant par
un confeil exécutif qui exerce les fonctions du
confeil privé, mais dont les droits fe bornent à
propofer fes obfervations à l’ affemblée générale,
fans pouvoir rien empêcher j lorfque fâ population
fera plus confidérable, il y a lieu de penfer qu’ elle
fendra les avantages d’une fécondé chambre.
Quant à la Penfylvanie, c’eft parce qu’ elle vou-
loit une conftitution très - démocratique , qu’elle
n’ a point établi de fénat, 8c nous difeuterons ailleurs
fes vues fur ce point (1 ). Nous formons
des voeux bien fincères, pour qu’ un gouvernement
fi populaire fe maintienne dans une province
fi peuplée 8c fi étendue} mais nous n’ ofons l’ef-
pérer. Si les moeurs des quakers ont la fimplicité
'& l’honnêteté qui conviennent à une démocratie
prefque àbfolue , elles mont pas l’énergie 8c la
vigueur néceffaires à une forme de gouvernement
fi orageufe.
Nous ayons remarqué ailleurs que fi toutes les
conftitutions américaines établiffent ces droits fa-
crés que l’homme & le citoyen doivent conférver
dans tous les gouvernemens, elles le font avec
plus .ou moins d’énergie ou d’étendue. '
Les gouvernemens qu’elles ont adoptés, font
plus ou moins démocratiques , 8c elles ont pris
des précautions plus ou moins grandes contre l’abus
du pouvoir, & en faveur de la liberté du
peuple. Nous indiquerons les caufes de ces différences
., 8c nous tâcherons de montrer quelle e f t ,
dans cette diverfîté de fyftêmes, la combinaifon
-la plus fage. Si elles ont prefque toutes exclu
du fénat 8c de la chambre des communes les officiers
de marine 8c de terre, les traitans ou four-
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niffeurs d’habillemens, de munitions, 8cc. pour
les foldats ou lès vailfeaux, quelques-unes , telle
que la Caroline feptentrionale, en ont aufli exclu
les feCrètaires d’é ta t , les procureurs généraux ,
les greffiers des cours de regiftre, les miniftres 8c
les prédicateurs de l’Evangile. Si elles établiffent
toutes la tolérance, elles, ne lui laiffent pas partout
une égale étendue/Quelques-unes demandent
qu’on croie en Dieu } 8c d’autres ; veylent qu’on
croie à la religion proteftante, à l’ancienN'& au
nouveau Teftament ; plufieurs exigent des fermens
bien, dangereux , 8c ordonnent fur ce point des
chofes vagues 8c contradictoires. La Caroline méridionale
, par exemple, après avoir dit qu’il fuf-
fira de croire en Dieu , veut enfuite qu’on recon-
noiffe la vérité de la religion chrétienne , 8c
-l’ infpiration de l’arteien 8c du nouveau Tefta-
ment.
La plupart ont établi un gouverneur, mais il
y en a qui n’en ont point : les unes fixent à trois
'ans la commiffion de leurs repréfentans dans le
corps légillatif, 8c les autres la réduifent à une
année. Nou§ indiquerons, dans des articles particuliers
, celles qui femblent avoir accordé trop
de-privilèges à leurs .gouverneurs : la prérogative
de faire grâce, qu’on leur a laiffé dans quelques
états y eft peut-être dangereufe, malgré les modifications
qu’on a tâché de mettre à ce dro it} 8c
les provinces qui leur ont donné trop d’influence
dans la nomination aux emplois de la milice, ont
peut-être eu tort.
Les Etats-Unis font encore gouvernés par les-
loix civiles de l’Angleterre } ils ne tarderont pas à
s’occuper de la rédaction de leurs codes : ce travail
eft prêt dans une ou deux provinces } Sc
comme rien ne les oblige à la précipitation, il
faut qu’après avoir d#nné au monde entier un li
bel exemple par leurs conftitutions, ils lui en donnent
un auffi beau par leurs loix : l’intérêt du genre
humain leur en impofe même le devoir : quelque
facheufe que foit cette conje&ure, il eft aifé de
prévoir que leurs conftitutions ne feront adoptées
nulle part, excepté peut-être dans les parties de
l’Amérique qui fe civiliferont} l’Europe les admirera
y 8c ne les imitera pas.: mais leurs lo ix , li
elles font bonnes, pourront être utiles en plufieurs
points aux nations européennes : elles gé-
miffent fous un fatras de réglemens injuftes ou
bifarres., reftes de la féodalité ou de la jurifpru-
dence des romains : l’autorité des bons écrivains
8c de leurs élèves fera trop foible pour
extirper des abus fi multipliés & fi invétérés }
mais fi les américains doivent à leur code une
partie de leur bonheur , cette autorité impofante
féduira peut-être les peuples de l’ancien monde.
Eft-il befoin de rappeller aux Etats-Unis que fi
( x ) Voye%, l’ a r t i c l e P e n s y i v a n IE.
(Æcon. polit. & diplomatique. Tome 11. Z z