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de la nation : quelles que foient les fomfties accù-
mulées ainfi dans leurs coffrés* il eft’clair qu'elles
n'ajoutent rien à la malfe totale : en leur parvenant,
elles ne font que changer de main. Je vous
obferverai feulement que dans l'un & l'autre cas,
ces fortes'de fortunes y quoiqu'elles foient des ri-
cheffes dans l'étàtn'appartiennent :pas, à l'état.
Cofmopolites par leur nature, elles n'ont point
• de patrie qui leur fdit propre- & particulière 5 elles
ne relient même chez une nation qu'autant qu'elles
s'y croient en sûreté , qivelles y jouiffent d'une
pleine immunité : auffi , quand une nation en a
befoin, elï-elle obligée d'acheter l'argent des coni-
'merçaris nationaux , comme celui des étrangers.
Il feroit plàifant que le propriétaire d'une mai-
fon regardât l'argent comptant dé fes locataires
comme un accroiffemeht à fa fortune, parce que
cet argent fe trouverait placé dans fa maifon. Une
fois qu'il aurait affiché cette ridicule prétention,
argent, locataires, tout fuirait : adieu fa prétendue
opulence ; la maifon relleroit déferte. Telle,
feroit pourtant la manie d'une .nation j fi ,; quand
fes marchands ’ s'enrichilfeht ; elle cfoyoiit s'enrichir
réellement*,' & pouvoir difpofef de leur- argent
pour 'lès befOins de l'étàt. - -
' Les économifies' reconnbiffeht toute' l'Utilité qui
réfulte du miniftèrè des1 çommerçâns , • & font
hautement prôfeffion d'honorer les commerçans ;
maïs ils ne veulent pas que cette utilité foit payée,
par la nation, à un prix plus haut que la nation
ne doit la payer; Pour en émpêèher-,1 la liberté du
commerce leur paroît être l'unique 'moyen qu'on
puiffe employer fans bleffèr la -jultice , l'unique
moyen qui "convienne à l'intérêt commun ; & fous
ce nom,‘ ils'comprennent celui des1 commerçans
mêmes j car , pour que ceux-ci puiffent faire un
grand commerce j il eft néceffaire que la nation
ait annuellement une grande abondance de productions
à Cômmercer ; abondance qui ne peut
fe perpétuer , 'qu'àutant que la natiôn en retire
tin bon prix.1 Si Cela vous eft évident comme- à
moi, je Vous prierai de m'indiquer comment ce
qui eft dans l'ordre de la juftiéé & de l'intérêt
commun , peut devenir dangereux 5 il ne m'elt
pas poffble de l'imaginer.
Je fais bien. pourtant que quelques personnes
ont allégué , contre là liberté du commercé ,
qu’ elle feroit" trop favorable aux nations étrangères
j qu'elle ’tendrait à les enrichir. En tout
c a s , f i , p a r - là , les étrangers s^ehrîchiffent, ce
ne fera pas à nos dépens , puifque cette liberté
nous procure le- double avantage d'obtenir le
meilleur prix poffble , tant en vendant qu'en
achetant. En vain objëétera*t-on que du moins ils
partagérbfit avec nous cët"avantage j tant mieux;
c'eft lè moyen que lè commet ce fe perpétue en-
rr'eux & nous : il feroit -d'une - mjpoffibilité ab-
Tolue qu'il fubfiftât Ion g- tetüps entre deux nations,
s'il étoit ruineux pour l'une des deux. Oui , je
défie qu'il s'établiffe folidement fur toute, autre
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bafe qu'une utilité réciproque : c'eft -îà ce qui
forme cette grande chaîne dont la nature fe fert
pour lier toutes-les branches dè-l'ordre fociàl ,
pour ne former, d'une multitude d'hommes, qu'un
feul & même individu moral.
| yuc.Choie-Certaine-, c'eft qu'encore que les
commerçans s'élèvent fortement contre la'liberté
du commerce , il n eft eft pas, un que vous ne rendiez
fur. lè' champ écbnomïjh, quand il vous plaira'.
Dites - lui que le gouvernement vient d'abandonner
abfolumefit le fyftême de-la liberté ; que dans
chaque- province- lé commerce - eft mis en’ ferme
pour le ro i, par conféquent en privilège exclufif;
& pour lui ôterK toute éfpérance , ajoutez que
toutes les compagnies font nommées ; qu'elles feules
-déformais pourront commercer. Si cet homme
vous croit, il vous démontrera fur le champ , &
par de très-bannes raifons , que tout eft perdu :
ainfi, le voilà devenu économijleà. cet égard. Votre
propos cependant, quoique faux dans fon expofé,
n'aurait rien que de conféquent : fi la liberté du
commerce eft nuifible, on ne peut trop la reffer-
fe r , on ne peut trop diminuer le nombre des commerçans;
on n'a1 rien de mieux à faire" que d'établir
d.ans chaque province un feul privilégié. Qu'on
lé faffe donc, & je vous jure que toute' là France
fe 1 déclarera bientôt économiftt : vous verrez alors
combien de gens le font fans -le Lavoir.
L'immunité du commerce eft une branche ef-
fentielle de la liberté dont il doit jouir. Point dé
taxes fur les perfonnes g fur-les falaires de Jeur
industrie ; point de1 droits fur les marchandifes,
fur leur, paffage d'un lieu à un autre. Les écono*
mijîes ne veulent qu'un feul & unique impôt;
établi dans une proportion invariable & connue,
fur le produit net des terres, filiale revenu qu'elles
donnent annuellement ; revenu qui confifte uniquement
dans la valeur en argent de leurs productions*
après qu'on en a déduit les reprifes à faire par le
cultivateur , pour le paiement de fes travaüx;;
pour-les 'intérêts & . les indemnités de fes àvandes.
Si cette-branche du fyftême économique a quelques
inconvénient, ce n'ell pas pour les agens
du commerce & de Tindultrie, puifque leurs personnes
& leurs falaires doivent jouir d'une entière
immunité : auffi fur cet article fontdls tous de vrais
économises. Mais ce n'eft ;pâs rfon plus pour le
fouverain : il eft prouvé qu'une grande partie de
ces fortes d'impofitions retombe fur lui perfon-
nellement , par les renchériffeffiens qu'elles occaJ
fionnent, fans parler des autres préjudices qu'elles
lui caufent indirectement. C e n'eft pas enfin pour
les propriétaires fonciers , püifqu'ils ont à fup-
porter ces mêmes renchériffemens ; & que, par
un effet néceffaire des contre-coups de ces fortes
d'impofitions , leurs devenus' doivent progréffive-
nient diminuer , tandis que les' impôts doivent
prqgreffivement augmenter.
. Pour vous 'convaincre , monfieur , de cés vérités
3 il faudrait ici faire un traité de l'impôt;
vous
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fyous redire ce qui cént fois a été d i t , a été démontré
par des calculs rigoureux. Permettez donc
que je vous renvoie aux traités déjà faits & connus
; vous y trouverez les calculs dont je vous
parle ; & dans le cas où les données de ces calculs
vous paraîtraient exagérées, retranchez la
moitié des réfultats ; vous ferez encore effrayé de
l'énormité des préjudices caufés à la richeffe nationale,
par les taxes perfonnelles, principalement
par les droits fur les marchandifes ou T&ur tranf-
porr. Hélas ! mon cher marquis,- c'eft ainfi que
voyoit, que penfoit Sully, autre homme à fyf-
têmes, autre ennemi du bien public, qui n'ai-
moit ni fon ro i, ni l'état.
Peut-être ne voudrez-vous pas prendre la peine
de lire de tels ouvrages ; hé bien ! confidérez un
moment cette maffe prodigieufe de frais & faux-
frais de çoute efpèce, inféparables de la perception
de ces impôts : alors vous conviendrez fans
doute, qu'en voyant la nation écrafée par le
poids de ce fardeau monftrueux, on peut bien,
fans être un mauvais citoyen, publier les moyens
naturels de l'en délivrer.
Ces, moyens font, comme je viens de vous le
dire, l'établiffement d'un impôt direét & proportionnel
fur le produit net des terres, de tous les
biens-fonds productifs ; impôt qui fe percevroit j
fans frais, & qui ne préjudicieroit en rien à la i
culture, au commerce, au bon prix & à l'abon- i
dance des productions territoriales. A mon avis,
perfonne alors ne pourroit fe plaindre ; car per-
fonne alors ne paieroit l'impôt. En effet , dans
tous les aCtes eftimatifs des terres & tranflations
de leur propriété , elles ne feroient plus évaluées
qu'en raifôn du revenu qu'elles donneraient annuellement
à leurs propriétaires’, déduction faite
de l'impôt.
A la vérité, cette manière d’évaluer les terres
luppofe une règle de proportion invariable pour
la fixation de l'impôt. Auffi , je vous en ai prévenu
, cette règle eft-elle dans le fyftême des économises',
c'eft même un des articles qui leur fuf-
citent le plus d'ennemis. Cependant il n'eft point
ici dé milieu : fi cette règle n'eft pas fixe ; fi la
quotité de l'impôt, n'étant pas déterminée par
une loi confiante & immuable, peut varier fans
aucune néceffité, peut varier par la feule volonté
arbitraire de l’état gouvernant, il eft clair que
tous droits de propriété font détruits dans l'état
gouverné ; car ils fe tiennent tous de manière que
bleffer l’un, c'eft bleffer les autres. O r , détruire
les droits de propriété, c'eft anéantir tous les avantages
qui doivent en réfulter poftr le fouverain
même, comme pour fes fujets ; c’eft brifer le lien
politique, en bleffant ouvertement l'intérêt commun.
En même-temps que les économises s'élèvent
contre-cé défordre; qu'ils lui oppofent l'intérêt
de la fouveraineté, l'intérêt général de l'état, ils
prétendent que le revenu de la fouveraineté doit
(ffeort. polit, & diplomatique, Tçm. I l,
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être compofé de toute la pôrtion qu’elle peut
prendre dans le revenu général de la nation , fans
opérer la deftruCtion de ce rçvenu, fans même repouffer
les accroiffemens dont il pourrait être fuf-
ceptible. Maintenant, je m'en rapporte à vous ,
monfieur, un tel fyftême ne convient-il pas autant
au véritable intérêt du fouverain, qu'à celui de la
nation ? Un fouverain raifonnable peut - il fe pro-
pofer d’éteindre Je revenu national, pour groffir
celui de fa fouveraineté ? N'agiroit-il pas, en cela,
comme le Diffipateur, qui fait entrer fon capital
dans fa dépenfe annuelle ? D'un autre c ô té , les
peuples peuvent-ils redouter un plan , qui tend à
ne faire payer par eux , que ce qu'ils peuvent &
doivent payer fans inconvénient '; ou plutôt un plan,
dans lequel on ne leur demande rien, les terres
étant chargées de les acquitter entièrement de l’impôt
? ’
On ne prétend pas cependant que l’impôt ne-
pût augmenter paflagèrement, s’il furvenoit dés
fujets imprévus de depenfes extraordinaires & in-
difpenfables. NéceJJité ne connoît point de loi : on
peut quelquefois fe trouver obligé de facrifier une
partie pour ne pas perdre le tout ; c ’eft une maifon
qu’on abat pour arrêter les progrès d’un incendie.
Mais ce qu’une néceffité impérieufe &
publiquement connue, commande dans des temps
extraordinaires , ne convient plus aux autres
temps.
Auffi, pour éviter tout abus en cette.partie, le
droit de propriété exige-t-il que de tels cas foient
déterminés affez clairement par les lo ix , pour que
l’augmentation de l’impôt & fa répartition ne puif-
fent jamais devenir arbitraires. A votre avis, vaut-
il donc mieux qu’ elles le foient ? Penfez-vous qu'il
y ait du danger dans l'établiffement d'un ordre public
, qui ne permettrait pas que ce qui a pour
objet la confervation de l'éta t, pût opérer la def-:
truétion de l'état ? Après tou t, le danger que
vous pourriez y voir, ne feroit ni pour le fouverain
, ni pour la nation ; mais feulement pour des
hommes cupides, qui chercheroient à devorer la
nation. v
Quelques perfonnes ont eu la fîmplicité d’ob-
jeéter que les privilèges des biens eccléfîaftiques
fe trouveroient bleffés par l'établiffement d'un impôt
territorial. Comme fi tous les biens-fonds de
l’état n'étoient pas naturellement & néceffairement
gré.vés de l'obligation de contribuer aux charges
communes de l’éta t, aux depenfes qu'exige la fureté
de l'état. Comme fi les eccléfiàftiques ne pa-
yoient pas déjà cette contribution, dans la perfonne
de leurs fermiers, ainfi que par les dons
gratuits, & par les droits impofés fur les chofes
que nous confommons, Comme fi les contre-coups
de ces droits pouvoient détruire une portion des
revenus de nos domaines , fans porter le même
préjudice aux revenus des biens-fonds appartenais
aux eccléfiàftiques ; quelle illufion, qu'un tel privilège
i .