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E N F A N T -T R O U V É . L ’enfant-trouvé eft un
enfant , qui dans les premières années de fà vie
a été abfolument abandonné de fes père & mère*
& auquel Fadminiftration des hôpitaux ou la cha- '
rité de quelques particuliers rend les devoirs de
la maternité. Le premier hôpital qui ait été fondé
en Europe , en faveur des enfans-trouvés , eft celui
de Paris.
Nous allons en parcourir tous les -détails 3 &
nous réunirons ainfî toutes les notions qui peuvent
avoir rapport à cette claffe infortunée de Fefpèce
humaine.
L'un des points de vue qui paroît devoir le plus
attacher les louverains à la religion 3 c'eft le rapport
néceffaire qui fe trouve entre fes principes
& le bonheur de leurs fujets. Ainfi , la France
doit au zèle devfaint Vincent de Paul & à la charité
de quelques dames pieufes F hôpital des enfans-
trouvés. Cette inftitution , vraiment patriotique ,
a , dès fes commencemens 3 eu deux objets > de
faire participer* ces malheureufes vi&imes. de la
honte & de la misère aux bienfaits de la religion ,
de les conferver, s'il étoit poflible, pour Futilité
de la fociété.
Le defir qu'elles ne fuffent pas privées de la
grâce du baptême, entraîna ce faint homme regardé
à tant de titres comme le meilleur citoyen
du liècle dernier.
Dans les premiers temps, les enfans expofés ap-
partenoient, comme efclaves, à ceux qui les re-
cueilloient. Et comme ces exportions fe faifoient
fouvent à la porte des églifes (1) , ils devenoient
les efclaves des fabriques. Telle étoit la difpofi-
tion du droit romain & des conciles. Mais Jufti-
nien ayant déclaré libres les enfans expofés, &
l'efclavage ayant été aboli en France, les enfans
expofés devinrent alors des charges purement oné-
reufes aux paroiffes, aux hôpitaux , aux feigneurs
des lieux, dans lefquels on les avoit expofés. Pendant
un grand nombre de lïècles , la charité commune
adoucit finguliérement cette charge j mais la
charité fe réfroidit, & il fallut enfin décider qui
devoit les nourrir.
L'ordonnance de Moulins ( 1 $66 ) ordonna que
les pauvres de chaque ville , bourg & village
dont ils font natifs & habitans, foient nourris &
entretenus par les habitans de ces mêmes ville,
bourg & village. Et comme les enfans expofés font
affurément les premiers & les plus infortunés pauvres
, chaque paroiffe refta chargée des fiens. La
coutume de Bretagne offre fur ce point une dif-
pofition précife à l'article 503. D'Argentré trouve
même que cette inftitution eft digne de Platon.
Non potuijfet ah ipfo Platone meliits & humaniu4
infiitui.
Ceté ordonnance de Moulins, dont l'exécution
éprouva les plus grandes difficultés * ne ftatuoit
cependant rien de bien pofitif fur le fort des enfans
expofés. Mais la J urifprudence , après une
multitude de variations, s'eft enfin fixée à en charger
les feigneurs hauts-jufticiers. On a penfé que
cette obligation devoit être une compenfation des
profits attachés à la haute - juftice, tels que les
épaves , les amendes, les confifcations , la déshérence
& la fucceffion des bâtards. Tous les*$u-
teurs, fans exception, atteftent qu'on a regardé
ces cafuels comme un dédommagement de la nour-,
riture qu'ils dévoient aux enfans expofés.
Mais, ne doit-on pas regarder cette légiflation
qui fubfifte encore en partie,. plutôt comme un
moyen que le gouvernement avoit pris pour fe
décharger'de ces infortunés, que comme une dif-
pofîtion bienfaifante à leur égard ? Il eft étonnant
que les difputes que cette charge occafionnoit,
n'aient pas réveillé fa tendreffe fur ces individus ,
qui font réellement fes enfans. Combien ont perdu
la vie , par les lenteurs avec lefquelles on alloit
d'abord à leur fecours ? A quels dangers les ex-
pofoient la répugnance avec laquelle on les pre-
noit, l'intérêt que l’on avoit à leur mort ? Quelle
race déteftable devoit fortir du fein d'une confti-
tution qui ne déterminoit ni la durée, ni la qualité
des fecours qui leur étoient néceffaires, ne pour-
voyoit point à leur inftruétion , & qui loin de
, leur rendre fupportable l'infamie de leur origine,
en faifoit encore un fardeau pour leurs concitoyens,
& aggravoit ainfi les torts.de leur naif-
fance par ceux de leur éducation ! Quelle épouvantable
moyen encore d'affurer la confervation
de ces enfans, lorfqu'on excitoit un fi grand intérêt
de connoître leurs mères , lorfqu'il étoit fi
facile àéy parvenir, & lorfqu'on puniffoit de mort
la lâcheté, une fois conftatée de Fexpofition !
Henri II voulut prévenir le crime dé l'expofî-
tion : il déclara , par fon édit de février i $$6 y
que toute femme qui fe trouvera convaincue cCavoir
celé, touvert & occulté , tant fa grojfejje , que fon
enfantement, fans avoir déclaré Vun ou Cautre , G*
pris de l'un & l'autre témoignage fufjifant, même de
la vie ou mort de fon enfant, lors de l'ijfue de fon
ventre , G* qu* après /’enfant fe trouve avoir été privé
du baptême & fépulture , telle femme fera réputée avoir
homicidé fon enfant, G* pour réparation , punie de
mort, & de telle rigueur que la qualité particulière du.
cas méritera.
On eft encore obligé de publier cet édit plufieurs
(1) Il v avoit anciennement devant les portes des églifes une coquille de marbre où Ion mettoit les enfans
quon vouloir expofer. Ils n’appartenoient aux fabriques, que lorfque perfonne ne vouloir fe charger de les
nourrir. A cette coquille, on fubftitua un berceau dans l’intérieur de l’églife. Celui 4e Notre-Dame eft très-
gneien. Il en eft fait mention dans Ips titras les plus vieux de cette églifç./
Fois l'année dans les chaires évangéliques. Mais
quelle défolante révélation de la méchanceté du
eoeür humain ne peut pas produire cette terrible
fanétion dans Famé novice qui l'entend pour la
première fois ! Une dame, devenue célèbre ^par
fes, ouvrages, a foutenu qu’il ne falloit pas même
prononcer les noms des vices devant les enfans.
Cette exceflive précaution eft impoflible. Mais
feroit-il également faux qu’on ne doit pas offrir
aux yeux des perfonnes fimpks le fpeétre de 1 un
des plus grands crimes ?. Quoi qu'il, en foit,
l'édit de Henri I I , dont l'objet le plus apparent
étoit d'empêcher les expofitions, a peut-etre mis
les mères mal intentionnées, dans le cas d étouffer
promptement le germe ; & fon effet principal
a peut-être été d’obliger de couvrir ce crime ou
celui de Fexpofition des plus épaiffes ténèbres. Si
le légiflateur eût commencé par confulter le coeur
d'une mère , il eût probablement établi d'autres
moyens, ceux, par exemple , qui auroient facilité
à l'excefiive indigence le foin de fes enfans.
On étoit bien éloigné de fuivre cette marche.
A u flî, vers le milieu du fiècle dernier , rien n'étoit
fi commun dans les . campagnes que l'infanticide ,
& Fexpofition étoit très-fréquente dans les villes.
Cependant, l'aurore qui annonçoit le beau fiècle
de Louis X IV , commençoit à paroître. Les
arts & les fciences adoüciffoient déjà nos moeurs ,
en jettant plus de lumières. Et la religion, en fe
repliant fur fes principes, offroit le fpeélacle con-
folant d'une charité qui cherchoit à remédier à tous
les maux. C'eft à cette époque de la monarchie
que nous fommes redevables des inftitutions les
plus fages & les plus bienfaifantes. La piété d'un
feul homme les créa & les fit réuflir prefque toutes.
On fentit enfin avec profondeur , que la religion
, l'humanité & l'état avoient un intérêt égal
à la confervation des enfans expofés. La tendre
religion , qui feule avoit jufqu’ici jetté les yeux
d’une mère fur ces infortunés, pleuroit fur le fort
de ceux que par un crime atroce on privoit du
baptême, & frémiffoit des malheurs dont la me-
naçoit le défaut d'éducation des autres. Le génie
de l'humanité s’ attendrit fur cette multitude de
viétimes qu'un faux honneur , la pauvreté & une
légiflation mal conçue, faifoient égorger. Le gouvernement
s'apperçut que la véritable richeffe étoit
dans fa population , & que fi la perte de tant
d'enfans l'appauvriffoit, leur mauvaife inftitution
en pouvoit faire des fcélérats , & lui rendre un
jour redoutables des hommes qu'il avoit d'abord
méprifés..
L'hôpital des enfans-trouvés fut donc projetté.
On fit plufieurs effais, & les lettres-patentes d'é-
tabliffement parurent en 1670.
Nous allons entrer dans quelques détails fur
l'état aéhiel de cette inftitution. Ils pourront quelquefois
paroître minutieux 5 mais il ne faut pas
perdre de vue qu’ ils font tous importans , dans J
un auflî vafte établiffement j que, quelque peu curieux
qu'ils paroiffent , ils opèrent cependant le
bien ou le mal d'une multitude d’individus , &
qu'en regard avec les autres établiffemens de ce
genre, faits ou à faire , ils peuvent être précieux.
Il n'eft pas toujours auflî utile qu’on penfe , au
progrès des lumières, & fur-tout au bien de l'humanité
, de n'offrir que de grandes maffes d’idées.
Combien nous regrettons que les anciens, qui
aimoient tant à développer les penfées les plus
Amples, aient dédaigné de aous inftruire en dé-
I tail de leurs établiffemens !
Il y a trois maifons d'enfans - trouvés à Paris,
I qui ne font qu'un même établiffement. L ’une ,
fituée rue Notre - Dame , s’appelle la maifon de
j La couche. Elle eft le feul entrepôt des enfans.
C'eft-là que fe tiennent tous les genres de cor-
refponda'nce qui les concernent. L'autre , beau-
, coup plus vafte, eft fituée dans la rue du faux-
bourg Saint-Antoine. Le choix de fa fituation lui
a même fait donner le-nom de bel air. C 'e ft- là
que les enfans fains & valides font placés au retour
de la campagne. La troifième eft l ’hofpice
des enfans-nouveaux-nés-vènériens , fituée à Vau-
girard.
On reçoit tous les enfans préfentés à la maifon
de la couche, avec la fimple formalité d'un procès
verbal, dreffé par un çommiffaire au Châtelet*
& défcriptif de tous les papiers & hardes trouvés
fur eux , & des indications données par ceux
qui les portent. C e font ordinairement les fages-
femmès ou les accoucheurs qui les préfentent.
Nous verrons qu'on pourroit tirer des perfonnes
de cet état des éclairciffemens utiles aux enfans
à l'hôpital.
On commence par vifiter les enfans \ ils y reftent
quelques jours & jufqu'à ce qu'on les envoie en
nourrice. En attendant, ils font allaités par des
nourrices réfidentes , au nombre de dix - huit ou
vingt. Ceux qui font trouvés corrompus déjà par
le virus vénérien, font tranfportés à l'hôpital de
Vaugirard. On les faifoit paner, il-y a peu d'années
à la Salpêtrière, où on les nourriffoit avec
du Lait.
Les autres font envoyés en nourrice en N o r mandie
en Picardie & en Bourgogne 5'ils reftent
dans les campagnes jufqu'à l'âgê de fept ans. Delà
, on les place chez les laboureurs qui les demandent.
Le furplus des enfans eft ramené à la:
maifon de Saint-Antoine , où ils font au nombre
de 600 des deux fexes. Les bourgeois dé Paris
& les artifans viennent en prendre pour les instruire
dans leurs profeflîons. Ceux qui n'ont pas
été demandés,. font envoyés à l’âge de 16 .ans*
les garçons à la Pitié, les filles à la Salpêtrière ,
pour travailler aux- ouvrages des deux maifons*
L'hôpital des enfans-trouvés 'n'en eft plus chargé.
Pour connoître le nombre des enfans qui font
habituellement à la charge de l'hôpital, on a formé
„une année commune fur les cinq années 1775