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falique, & les autres parties de notre ancien code,
ne font rien à côté de ces belles ordonnances,
qui fuppofent les vues les plus fag.es & les ,com-
binaifons les plus heureufes. Le défaut de principes,
d'ordre 8c de méthode eft le moindre de
ceux qu'on remarque dans cette colle&ion.
On peut donc dire que fous la .fécondé race ,
ainfi que fous la première, les,principes du droit
te de la politique, cet enchaînement de confé-
quences liées entre elles, cette filiation de règles,
d'axiomes , de définitions , de divifions exactes
qui forment une fcience , ëtoient tout - à- fait inconnus.
Le fiècle de Charlemagne 8c les deux fuivans,
furent à-peu-près étrangers aux loix du droit naturel
& à la littérature : l'ignorance , la fiupidité,
le mépris des fciences 8c de la morale régnoient
univerfellement, dit un moderne ( i ) .
Le droit féodal , qui devint la jurilprudence
de l’état & du gouvernement fous les premiers
rois de la troilïème race, & qui mtroduifît quelques
formes républicaines dans un état monarchique
, renverfa prefque entièrement le grand
édifice de légiflation dont s'étoit occupé Charlemagne.
Il fit de tels progrès, 8c les conféquen-
ces des principes reçus en cette matière furent,
pouffées fi lo in , que l'on ne connut bientôt plus
d'autre jurifprudence que celle des loix féodales.
L e droit public , le droit particulier, le droit ec-
cléfiaftique même , la politique, tout prit l ’empreinte
du droit des fiefs.
- C e fut dans ces temps qu'on vit naître les mots
étranges de fwçeraineté , hommage 3 féautê 3 vajfa-
lité , ligéance ou ligéiié, parage 3 lois , rachapt ou
relief 3 loyaux aides , aides chevels 3 & tant d'autres
dont notre droit 3 appellé coutumier 3 notre
ancienne hiftoire, notre vieille poéfie 8c nos vieux
-romans font remplis.- Les caprices les plus extra-
vagans devinrent des loix, & fous le nom de droits
te de devoirs féodaux, celui qui avoit la force en
main exigeoit des hommes, qu'il appelloit tantôt
fes vajfaux , tantôt fes fujets, tout ce qu'il lui
plaifoit 5 la raifon, les moeurs , la religion , la
nature même (2) réclamaient en vain contre l'abus
ou la barbarie ; la loi de l’inféodation parloit 5 il
falloit fe taire & fe foumettre.
Dans cette pofition, quel refpeéfc pouvoit - on
avoir pour les principes du droit & de la politi-
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I q ue, facrifiés en toute occafion à des idéés tou«
' jours arbitraires 8e très-fouvent bifarres ? :
Une des caufes apparentes du retard des progrès
de la fcience du droit 8e de la politique fut
aufli le principe fîngulier que la cour de Rome,
qu'on ne diftinguoit point encore du Saint-Siège,
s'efforça d'introduire , pour augmenter fon pouvo
ir , 8e accréditer dansTèfprit des peuples fes
prétentions immenfes fur le temporel des rois.
Elle en trouva l'oecafion dans la foibleffe 'de
Louis-le Débonnaire, dans l'efprit mal-fait de
Charles-Ie-Chauve, dans la timidité de Robert,
le premier de nos rois qui ait été excommünié
à Rome, 8e le premier qui y ait été canonifé $
dans l'indolence de Philippe I , difpofé à facrifier
: tout à fon repos 8e rien à fa gloire 8e à celle de
l'état j dans la conduite aveugle 8e paflionnée de
Louis-le-Jeune , contre Henri II , roi d'Angleterre
, fon rival 5 enfin, dans les projets peu réfléchis
de quelques autres princes qui , en fe fervant
de la cour de Rome, confirmèrent fes ufurpà-
tions 8e lui donnèrent des titres, dont les papes
firent dans la fuite un fi fréquent ufage contre
ceux de qui ils les tenoient.
Philippe-Augufte fut le premier des rois de la
troifième race, qui reconnut les fautes de fes.pré-
déceffeurs, 8e qui penfa férieufement à y remédier.
Mais, à l'époque de fon règne , la cour de
Rome avtfit déjà pris ' tant de fupériorité , en
éblouiffant les peuples 8e quelques fouverains même
du nom toujours refpeétable de la religion ,
qu'il n'alla pas aufli loin qu'il s'en étoit flatté.
La découverte du livre des BandeEtes 3 en 112 7 ,
eût dû bannir tout-à-fait l'ignorance 8e la barbarie
, en ramenant les efprits à cette raifon épurée
qu'on a appellée ratio fcripta 3 8e q u i, fans être
parfaite, étoit bonne du moins pour ce temps-là.
Mais de vieux préjugés ,5 L'habitude 8e de trop
grands intérêts s'oppofoient aux progrès des principes
lumineux du droit romain, qui le céda, d'un
côté , au droit canonique, 8e de l'autre au droit
féodal.
S. Louis fut plus heureux que fon aïeul, 8e peut-
être , fous fon règne, la France eût-elle connu de
véritables principes de droit 8e de politique , fi le
fyftême des croifades , né fous Philippe I , n'eût
point été un nouvel obfiacle. au progrès de la
raifon.
à fon tour de la même peine, par les empereurs Léon & Bazile , qui firent ce qu’ils pûrent pour fupprimec
fes livres. Traduction d’Arthurus Duck, deVûfâge du droit civil, ch. 5 , pag. 68.
(i') Arthurus Duçk, de Tufage du droit civ il, chap. $ , pag. 7$.
(2) Cambden de Britannia, & Spelman après lui, rapportent une ancienne charte par laquelle Baudouin
avoue tenir certaines terres à Hemington, dans le comte de Suffolk , pers ferjantiam , pro quâ dcbuit facere,
die notalis domini, unum faltum, fufflum & peltum. Dans l’aveu de "Breuil, daté du 27 feptembre 1398, il eft
parlé d'un trépied dû au fetgneur pour chaque femme qui battoit fon mari. Pour la -naifl’ance d’un enfant qui
auroit les deux fexes , au village de Montluçon , quatre deniers une fois payés, out unum bombum five vul~
ganter pet, fuper pontem de caftro montis Lucii folvendum. La Thaumaflière , dans fes notes fur les coutumes
de Beauvais , chap. 28 , pag, 407 -à la fin & 408. La mai fon de la Rovere en Piémont avoit le droit de déshonorer
la mariée, le jour ou la première nuit de fes noces. Un cardinal de cette maifon, Jérôme de la Rovere
, -jecta au feu la charte.de ce privilège. Bayle, Did. au mot S \ x te I V, note U.
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Il fe livra, comme bien d’autres princes, au fé-
duifant appas des conquêtes de religion , qui le
bannit, pour ainfi dire , de fes états, & priva
enfin les françois d'un de leurs plus grands rois.
Il aimoit la juftice j il cherchoit à la connoître ÿ
il en faifoit l'objet de fes réflexions 8c de fes études.
Les grands ouvrages qui ont paru de fon tems,
annoncent fon goût, 8c prouvent le degré d'eftime
qu'on avoit pour là jurifprudence 8c Tétude des
loix romaines 8c des livres de Juftinien, dont la
France commençoit à s'occuper.
Tout le monde connoît les Etablijfemens de faint
Louis , divifés en deux livres, 8c le livre de la Roy ne
Blanche, rédigé par Pierre de Fontaine , que le
prince faifoit fouvent monter avec lui fur le même
tribunal pour rendre la juftice à fon peuple, 8c le
Coutumier de Beauvoijis , compofé par Philippe de
Beaumanoir, bailli de Robert de France , fils de
S. Louis, comte de Clermont, auquel quelques-
uns de nos jurifconfultes ont donné le nom de
Juftinien françois.
Dans ce même fiècle, Thomas d’Aquin, qui
montra du génie dans des ouvrages qui en fuppo-
fôient peu, jetta les fondemens de la fcience $ je
veux dire, d'une connoiflance méthodique du droit
te de la politique dans fon ouvrage des Devoirs des
princes, ( de eruditione principum ) , & dans fa lettre
adreffée à la duchefle de Brabant.
Sous le règne de Philippe le hardi, efprit bien
inférieur à celui de S. Louis fon père, mais non
moins zélé pour la juftice, \e droit 8c la politique
firent quelques progrès. Gilles de Rome , élève
de S. Thomas & précepteur de Philippe le B e l,
le diftingua par un excellent ouvrage fur la Conduite
des princes, 8c par un autre fur le Pouvoir
eccléfiaftique & la puiffance temporelle. Ces morceaux
, peu connus 8c peu lu s , mériteroient de
l'être davantage, 8c honorent à quelques égards
le fiècle où on les publia. Pour faire l'éloge de
Gilles de Rome, il fuffira de dire qu'il Fut le con-
feil 8c le guide de Philippe le Bel dans le fameux
différend , entre ce prince 8c l'ambitieux Bonifa- '
ce V I I I , 8c qu'il foutint les intérêts du prince
contre les prétentions du pontife avec une fermeté
qu'on ne fauroit trop admirer , 8c qui annonce un
homme inftuuit dans le droit 8c la politique. Après
cette grande affaire, conduite par la France avec
Alitant de fageffe que de vigueur, on jugea que
la cour de Rome craindroit toujours , dès qu'on
cefferoit de la craindre.
Les guerres fanglantes entre la France 8c l'Angleterre
, qui occupèrent les règnes de Philippe
de Valois 8c du Roi Jean, dont le caractère dur
8c impétueux fut fi funefte à fa patrie, empêchè-
rent pour un temps les progrès de la fcience du
droit 8c de la politique : mais, foüs fon fucceffeur,
on en vit renaître le goût avèc celui de l'hiftoire,
qui y eft lié plus qu'on ne le penfe communément.
Le tempérament de Charles V , affoibli par le
(Mcon, polit. & diplomatique. Tome. II.
poîfbn que lui avoit donné le roi de Navarre fon
beau-frère, le renferma dans fon palais 8c l’obligea
à faire la guerre par fes généraux. Il aimoit la lecture
, 8c rut le premier de nos rois qui penfa à fe
former une bibliothèque.
Parmi les différens ouvrages auxquels fon eftime
pour les favans donna lieu, on a toujours diftin-
gué le Songe du verger. C e t ouvrage fut dédié à
Charles V en 1*6 4 , par Charles de Louviers ,
confeiller au parlement de Paris. Il eft précieux ,
parce qu'il contient les anciennes maximes de l'état
favamment difeutées pour l'époque où le livre
parut.
, Mais quelque eftimables qu’en foient les principes
, quelque refped que l'on doive à cet ancien
monument de nos droits 8c de nos libertés ,
le plan de l’ouvrage , aufli - bien que celui du
Rofier des guerres, écrit fous les yeux 8c par l'ordre
de Louis X I , pour l'inftruétion du dauphin ,
eft trop rétréci, trop peu méthodique pour fervir
d ’introduélion à la connoiflance du droit 8c de la
politique. C e ne font que desréfultats de l'expérienc
e , ou de fages réflexions appuyées fur le taifon-
nement 8c l'autprité du droit civil ou du droit
canonique, de l'écriture ou des pères. On diroit
que l'auteur du Songe du verger, qui a adopté la
forme du dialogue, a voulu fuivre la méthode de
Platon ou de Cicéron.
Il faut dite la même chofe des excellens Mémoires
de Philippe de Commines , hiftorien de
Louis X I , que tant de politiques ont pris pour
un chef-d'oeuvre, 8c dont l'empereur Charles-
Quint n'achevoit la leéiure que pour la recommencer.
Oh a comparé fes fages réflexions, fes
principes utiles 8c judicieux à ce qui fe trouve de
! meilleur dans Thucydide, Polybe, Xenophon 8c
Tacite ^ mais quelle différence : on n'y trouve pas
la clarté, la fimplicité , la raifon profonde 8c le
courage éclairé que doit offrir un bon ouvrage fur
le droit 8c la politique. L'auteur n'ayant écrit que
d'après fon expérience, 8c fon expérience ayant
été acquife dans un fiècle groflïer 8c peu éclairé,
il n'a pu imaginer les grands principes fur I'admi-
niftration des focietes ou la forme des gouverne—
mens.
Le célèbre prince de Machiavel, bien loin de
contribuer à l'établiffement des vrais principes du
droit 8c de la politique, femble n'avoir été écrit
que pour les détruire, empoifonner le coeur des
princes , leur infpirer les maximes les plus pèrni-
cieufes, leur apprendre la théorie des plus grands
crimes ; 8c, fous le prétexte de la néceflîré ou de
la convenancce, c’ eft-à-dire , fous le prétexte le
plus dangereux 8c le plus abominable, les exciter
à desaftes d'irréligion, de menfonee , de perfidie
8c de cruauté. Quelle fut la fin de cet affreux
Céfar Borgia qui étoit fon héros ? Ses forfaits in->
dignèrent tout le monde $' il fut mis en prifon au
1 Château Saint-Ange 8c à Oftie 5 il recouvra fa IL