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un privilège qui lui eft interdit à l'occident ? Un
pareil édit bien interprété ne fignïfie-t-il pas : défendons
à chaque contrée de cultiver au-delà de
fa propre confommation , 8c à chacun de leurs
habitons d'avoir befoin d'autre chofe que des productions
de fon fol. Une communication libre
fut enfin ouverte à ces provinces , 8c on leur pre-
mit de fe cjroire concitoyens 3 de fe traiter en frères.
Une lo i , du mois de février 17 7 8 , autorife
tous les ports d'Efpagne à faire des expéditions
pour Buenos - Aires , à en faire pour la mer du
fud. Au mois d'oétobre de la même année, cette
liberté, a été accordée pour le. relie du continent,
excepté pour le Mexique qui ne doit par tarder
à jouir du même avantage. C e fera un grand pas
de fait ; mais il ne fera pas fuffifant, comme on
a’én flatte, pour interrompre le commerce interlope
, l’objet de tant de déclamations.
Tous les peuples, que leurs poffeffions met-
toient à portée des établilfemens efpagnols, cherchèrent
toujours à s'en approprier frauduleufement
les tréfors & les denrées. Les portugais tournèrent
leurs vues vers la rivière de la Flata. Les
françois, les danois, les hollandois fur la côte de
Caraque, de Carthagène 8c de Porto-Belo. Les
anglois qui connoilfoient 8c qui pratiquoient ces
voies , trouvèrent, dans les ceflions qui furent
faites à leur nation par les traités , des routes nouvelles
pour fe procurer une* part plus confidérable
à cette riche dépouille. Les uns 8c les autres atteignirent
leur but, en trompant ouencorrompantles
gardes-côtes, 8c quelquefois auffi en les combattant.
Loin de remédier au défordre, il paroît que les
chefs l'encourageoient le plus qu'il étoit poffible :
plufieurs avoient acheté leur polie ; la plupart
étoient preffés d'élever leur fortune , 8c voûtaient
être payés des dangers qu'ils avoient courus en
changeant de climat. Il n'y avoit pas un moment
à perdre, parce qu'il étoit rare qu'ont fût continué
de trois ou de cinq ans dans les places. Entre
les moyens de s'enrichir, le moins dangereux
étoit de favorifer la contrebande, ou de la faire
foi-mème. Perfonne^ en Amérique, ne réclamoit
contre une conduite favorable à tous. Si les cris
de quelques négocians européens arrivoient à la
cour, ils étoient aifément étouffés par des largef-
fes verfées à propos. Le coupable ne fe mettoit
pas feulement l'abri de la punition , il. étoit encore
récompenfé. Rien n'étoit fi bien établi, fi
généralement connu que cet ufage. Uii efpagnol
qui revenoit du nouveau-Monde, où il avoit
rempli un emploi important, fe plaignoit à quelqu'un
des bruits .qu'il trouvojt femés contre l'honnêteté
de fon adminiftration. « SM'on vous ca-
»2 lomnie, lui dit fon ami, vous êtes perdu fans
»2 reffourcç ; mais fi l'on n'exagère pas vos bri-
33 g^ndages, vous en ferez quitte pour en facrifier
»» - une partie } vous jouirez paifîblement & même
93 glorieufement du refte ».
t e commerce frauduleux continuera jufqu'à ce
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qu'on l'ait mis dans l'impoffibilité de foutenir les
frais qu'il exige, de braver les dangers auxquels
il expofe, & jamais on n'y parviendra que par la
diminution des droits dont on ? fucceflfivement
charge celui qui fe fait par les rades efpagnoles.
Depuis même les facrifices faits par le gouvernement
, dans les arrangemens de 17 78, fi le navigateur
interlope n'a pas 64 pour cent d'avantage
fur les liaifons autorifées, comme le dit un auteur
très-connu, il en a plus dé 50.
La révolution qu'une politique judicièufe ordonne
, formera un vuide & un grand vuide
dans le tréfor public : mais l'embarras qui en ré-
fultera ne lera que momentané. Combien de ri-
cheflfes couleront un jour de cet ordre de chofes fi
long-temps attendu.
Il faut obferver d'ailleurs , 8c cette remarque
ell frappante, qu'avec fesrevenus de 170 millions,
ou , comme le difent des hommes bien inftruits ,
de 200 millions, -le gouvernement <E Efpagne eft au
moins aufïi riche que d'autres nations qui perçoivent
fur leurs fujets un revenu trois fois plus confidérable
: d'abord il a très - peu de dettes, &
cet article des dettes abforbe ailleurs près de 200
millions j il paye très-peu de penfions , 8c l'on fait
que le tréfor royal de France, par exemple, en
paye 28 millions : quelque foit la magnificence de
la cour, elle n'égale pas le fafte 8c la magnificence
de telle autre cour, & l'on peut ellimer
qu'elle dépenfe trois fois moins le département
de la guerre & celui de la marine coûtent infiniment
moins qu'en France , & il eft beaucoup
d'autres articles de dépenfes, fur Iefquelleé la
comparaifon eft à l'avantage de l’Efpagne : enfin
la population de Y Efpagne n'étant pas la moitié de
celle de la France., il eft clair qu'on doit accorder
moitié moins de ces grâces , de ces dons &
de ces places inutiles, qui d'abord confomment
les revenus en pure perte , qui accoutument en-
fuite le peuple & les grands à demander, 8c qui
finifient par établir, dans une nation, une claflfe
infiniment nombreuse d'hommes & de femmes^ qui
s'enrichiffent en furprenant des largeffes, 8c en déterminant
le miniftre à de très-mauvaifes opérations.
Ainfi les revenus de Y Efpagne bien adminiftrés ,
permettroient aux fouverains de très-grands facrifices
pour l'encouragement des travaux utiles
à- la nation 8c au roi.
Au refte, il eft un moyen de profpérité pour
YEfpagne, qui y loin de s'affoiblir, acquerera tous
les jours de nouvelles forces. C'eft le travail des
terres : rien n'offre des avantages plus fûrs 8c
plus faciles, & rien ne feroit plus intérefiant 5
car enfin fi l 'efpagnol a les plaifirs de l'oifi-
v e té , il en a la misère : s'il redevient laborieux ,
fa vie »fera moins trille j il aura plus de jouiflfan-
ces 5 il fera mieux nourri & mieux vêtu j il fe
portera mieux ; il éprouvera moins d'ennui 3 8c il
verra que la fatigue du travail eft préférable à
celle de J'oifiveté, f
I multipliera, & les produirions fe multiplieront
avec les propriétés.
Il eft pofïîble qu'on faflfe profpérer les aroma- I
tes , les épiceries de l'A fie , qui font annuellement
fortir dix ou douze millions de la monarchie. Cet
efpoir eft plus particiiïiérement fonde pour la ca-
nelle : elle croît naturellement dans quelques-unes
des vallées des Cordelières. En la cultivant * on
lui donnerojt 'peut-être quelques-unes des qualités
qui lui manquent. « , , .
Plufieurs provinces du Mexique recoltoient autrefois
d'excellentès foies que les manufactures
d'Efpagne employbient avec fucces. Cette richefie
s'eft perdue par les contrariétés fans nombre qu elle
a efïuyées. Rien n'eft plus aife que de la reflufci-
ter 8c de l'étendre. J
La laine de Vigogne eft recherchée par toutes
les nations. C e qu'on leur en fournit n eft rien
en comparaifon de ce qu elles en demandent. Le
plus fûr moyen de multiplier ces toifons precieu-
fes ne feroit - il pas de laiffèr vivre l'animal, qui
les donne, après l'en avoir dépouille ?
Qui pourroit nommer des productions que le s .
vaftes régions polfédées par • les efpagnols en
Amérique pourroient voir éclore ? Dans tant
d'efpèces de culture ne s'en trouveroit-il pas quelqu'une
du goût des indiens ? quelqu une ne fixe-
roit-elle pas de petites nations toujours errantes ?
Diftribuees avec intelligence, ces peuplades -ne
ferviroient-elles pas à établir des communications
entre des colonies, maintenant fépàrees pat des
efpaces immenfes8c inhabités? Les loix, qui font
toujours fans force parmi des hommes trop éloignés
les uns des autres & du magiftrat, ne fe-
roient-elles pas obfervées ? Le commerce, continuellement
interrompu par l'impoffibilité de faire
-arriver les marchandifes à leur deftination, ne
feroit-il pas plus animé ? En cas de guerre ^ ne
feroit - on pas averti à temps du danger , & ne fe
donneroit-'on pas des fecours prompts 8c efficaces ?
Il faut l'avouer, le nouveau fyllême ne s'établira
pas aifément. L'habitude de l'oifiveté, le climat 8c
les préjugés contrarieront ces vues falutaires : mais
il y a lieu de croire que des lumières fagement
ïépandues, des encouragemens bien ménagés, des
marques de confidération placées à propos > fur-
monteront avec le temps tous les obftacles.
On accéléreroit Beaucoup le progrès des cultu-
r é s , en fupprimant la pratique devenue générale
des majorats ou fucceffions perpétuelles, qui engourdit
tant de bras dans la métropole, & qui
fait encore plus de mal dans les colonies. Les premiers
conquérans & ceux qui marehoient fur leurs
traces, ufurpèrent ou fe firent donner de vaftes
contrées. Ils en formèrent un héritage indivifiblë
pour l'aîné de leurs enfans ; & les cadets fe virent
en quelque forte voués au célibat, au cloître ou
au facerdoce. Ces énormes pofleffions font reliées
en friche , 8c y relieront jufqu'à ce qu'une main
vigoureufe 8c fage.en permette ou en ordonne la
divifion. Alors le nombre des propriétaires, aujourd'hui
fi borné malgré l'étendue des terres * fe |
Les travaux avaneeroient plus rapidement, s'il
étoit permis aux étrangers d'y prendre part. Le
chemin des Indes efpagnoles leur fut indillinéte-
ment fermé à tous à à l'époque même de la découverte.
Les loix preferivoient formellement de
renvoyer en Europe ceux qui v* auroient pénétré
de quelque manière que ce put être. Prelfé par
fes befoins, Philippe II autorifa, en 159(3, fes
délégués à naturaliser le peu qui s'y étoient glif-
lé s , pourvu qu'ils payalfent cette adoption au
prix qu'on leur fixeroit. Cette efpèce de marché
a été renouvellé à plufieurs reprifes 5 mais plutôt
pour des artiftes néceffairement utiles au pays ,
que pour des marchands qu'on fuppofoit devoir
un jour fe retirer avec les richeffes qu'ils auroient
-acquifes. Cependant le nombre des uns & des autres
a toujours été exceffivement borné, parce
qu'il eft défendu d'en embarquer aucun dans- la
métropole, 8c que les colonies elles-mêmes , foit
défiance, foit jaloufie, les repouflfent. Le progrès
des lumières autorife à penferque cette infociabi-
lité aura uii terme.
Il faut le dire, le gouvernement de YEfpagne ,
qui lailfe tant de chofes à defirer, 8c q u i, ayant à
lutter contre des obftacles difficiles à furmonter ,
ne donne encore que des efpérances fur des articles
effentiels, fuit à quelques égards des principes
beaucoup meilleurs que d'autres pays où l'on croit
avoir plus de lumières.
Il n'y a rien de vénal dans les charges de l'é-
glife, dans les armées , dans la magiftrature ; on
y récompenfe le mérite, fans s'embarraffer de la
naiffance. C'eft peut-être le pays de l ’Europe où
un plébéien arrivé plus aifément à la fortune.
Les difpofitions les plus heureufes n’y font pas
étouffées par l'impoffibilité de l'avancement. La
nobleffe y eft refpeétée fans doute j mais en même-
temps le champ de l’honneur eft ouvert au fîmple
foldat, & il obtient plutôt qu'ailleurs les dignités
. 8c les grades. Si un homme, né dans l'état le plus
obfcur, fe diftingbe par fes lumières & fes vertus
, il fe trouve bientôt aux premières places. On
y établit des impôts avec beaucoup de ménagement
: rimpuifiran.ee de la nation oblige, il eft
vrai, à une partie de ces ménagemensj mais le
. cabinet de Madrid montre fur cet objet une vivacité
de zèle qui eft digne d'éioges.
Il vient de foutenir une guerre longue 8c dif-
. pendieufe : on s'étoit vu obligé d'augmenter d'un
tiers les tributs ordinaires. La paix étoit à peine
fignée, que le roi a foulagé fes fujets de ce fardeau
: & depuis le I er janvier 1784 on a ceffé
de percevoir les accroiflfemens d'impôts. -
S e c t i o n V e.
. Des tro.upes , de la. marine , & des forces de
Y-Efpagne.
I Si l'on en croit les apologiftes de VEfpagni, on