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la jurifprudence criminelle de la Grande-Bretagne
offre, excepté en ce qui regarde la nature des peines
prononcées contre certains délits , ce qu’ont
imaginé les hommes de moins défectueux, fes loix
civiles fe font formées au milieu de la barbarie
des fiefs , & qu’il eft convenable de détruire ces
monumens du malheur & de la fottife de nos
ayeux. Leur fituation les garantira de ces erreurs
, & ils femblen-t fi difpofés à écouter la
raifon & les droits de l’homme, qu’il y a lieu de
former les plus belles efpérances. La conftitution
de quelques-uns d’ ëntr’eux , celle de Penfvlvanie,
par exemple, ordonne de réformer les loix, de rendre
les punitions moins fanguinaires, & de les proportionner
au crime. Plufieurs provinces ont déjà porté
la réforme fur ces relies groffiers de la féodalité ;
elles permettent la chaffe 8c la pêche fur toutes
les terres qui ne font pas. enclofes, 8c fur toutes
les rivières navigables qui ne font pas une propriété
particulière. D ’autres fe font expliqués fur
un article plus important des loix civiles , fur la
fervitude 8c fur l’ efclavage des nègres : nous avons
parlé ailleurs des intérêts particuliers qui arrêteront
dans quelques provinces l’ afFranchifTement
général 5 mais qu’elles y prennent garde, elles
déshonoreront leur cbnftitutions & leur liberté, fi
elles retiennent des nègres dans les fers j & fi
Athènes, Sparte & Rome ont confervé des ef-
claves , qu’elles ne cherchent point à fe prévaloir
de cet abus : ces peuples de l’ antiquité ont fub-
jugué l’admiration par de grandes chofes, & la
défiinée n’appelle pas les citoyens des Etats Unis
à une gloire éclatante. Nous traiterons en détail,
des abus qu’ils doivent éviter dans la rédaélion de
leurs codes , & nous renvoyons le leCteur à la
feélion 8e. f
La Penfylvanie s’eft réfervée le pouvoir d’ établir, à
certaines époques, des cenfeurs qui veillent au maintien
de la conftitution & à l’exécution des loix. Les
citoyens de l’ Amérique les plus éclairés font peu de
cas de cette inftitution, à laquelle les anciennes républiques
mirent tant de prix. Ils font perfuadés
que les cenfeurs troubleront Yétat 8c l’ adminiftra-
tion ; que , s’ils furent utiles chez des peuples
de l’antiquité , les circonftances ne font plus les
mêmes , & que la liberté de la preffe eft la feule
cenfure qu’il foit convenable d’établir aujourd’hui
dans les républiques : mais comme on ne peut
àfiurer de trop de manières le maintien de la conftitution
& l’exécution des loix , il eft à defirer
que les Etats- Unis examinent bien cette inftitit-
tion lorfqu’ils rédigeront leurs codes. Eft-elle compatible
avec leur pofition ? en l’adouciffant & en
fa combinant d’une autre manière , n’auroit - elle
pas quelques avantages ? n’en auroit-elle pas du
moins aujourd’hui que les moeurs des citoyens ne
font pas encore formées ? ne pourroit-ôn pasl’ effayer
pour un temps, avant de l’établir d’une manière
formelle ?
L’auteux fi profond & fi habile des Notes fur
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l'état de Virginie, dit qu’au mois de décembre
1776 & au mois de juin 1 7 8 1 , l’ affemblée de Virginie
, embarraffée de toutes les manières, propofa
de créer un diôtateur revêtu de la puiffance légifla-
tiv e , exécutrice, judiciaire, civile & militaire ;
du droit de vie & de mort fur les fujets de Yétat,
& d’une autorité abfolue fur leurs propriétés ;
que cette effrayante propofition manqua d’être
accueillie , 8c que la pluralité en faveur de la
propofition contraire fut feulement de quelques
voix. Que les Etats - Unis y réfléchiffent bien,
& quelle que puiffe être un jour leur détreffe , ^
qu’ils ne fongent jamais à cet expédient. 11 dé-
truiroit l’édifice de leur liberté 5 car fi la dictature
ne caufa point de mal dans les premiers temps de
la république romaine, qu’on fe rappelle les épouvantables
atrocités qui en furent la fuite fur la fin
de la république, 8c la bleffure mortelle qu’elle
fit à . la conftitution. Les citoyens des nouvelles
républiques doivent fonger rarement à imiter les
romains > ils ne font pas appellés à la même célébrité
: s’ils veulent devenir guerriers & conqué-
rans, ils fe perdront, & leur conftitution profcrit
la diélature : nous reviendrons fur cet, objet à
l’article V ir g in ie . Voyei V ir g in ie .
Après avoir établi la tolérance d’une manière
formelle dans la déclaration des droits , la Virginie
a omis cet article fondamental dans fa conftitu-
tion y 8c f i , comme le dit l’auteur des Notes fur
l’état de Virginie , cette province fe trouve réellement
foumife à la loi commune de l’Angleterre,
qui ordonne des perfécutiofis religieufes, il faut
fe hâter de fortir d’une pofition fibifarre. Le lecteur
croira d’abord que les citoyens des Etats-
Unis refpeclent peu leurs conftitutions, püifqu’ iîs
ofentles enfreindre fur un point auffi important j il
regardera ces conftitutions comme un vain firau-
lacre préfenté au peuple pour l’ exciter à la révolte
y il traitera de charlatannerie ces belles maximes
& ces belles difpofitions qu’on y voit ; mais
qu’il ne fe preffe pas de juger, il trouvera à la fin
de cette fe&ion, des détails qui appaiferont fon
humeur, & il ne fera plus effrayé de I’omiffion
qui nous occupe ici. *
Les Etats-Unis ne tarderont fans doute pas à
changer quelques articles de leurs conftitutions ,
& ils violeroient leurs loix fondamentales, s ils ne
s’occupoient pas de cette réforme. Quoique leurs
-conftitutions’ aient été rédigées à la hâte au
milieu de la guerre, elles n’ont rien oublie d efi*
fentiel : jamais peut-être un ouvrage^ fi difficile
n’a été fait fi rapidement ; 8c , dans 1 état ou elles
font, c’eft peut-être le plus beau monument de la
légiflation humaine. Il faut .payer un tribut délogés
au vertueux citoyen qui y a le plus contribue,
& nous nommerons ici M . Georges Mafon qui*
en 1776 , rédigea la déclaration des droits de la
Virginie, laquelle a fervi de modèle à toutes les
autres.
Nous nous fournies permis plufieurs critiques
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fur ces conftitutions; mais pour ne rien dire de
vague, & ne pas oublier la pofition diverfe des
différentes provinces de l’Amérique, nous les
avons places à l’article de chacun des Etats- Unis.
L ’article V irg in ie fur-tout contient ^des remarques
générales, qu’on jugera peut-être importantes.
I Trois hommes recommandables par leurs lumières,
M. l’abbé de Mably, M. Turgot & le
doéleur Price, ont écrit fur les conftitutions d’A- 1
mérique > la plupart des critiques des deux premiers
font fufceptibles de bien des réponfes, 8c
nous oferons donner ici notre avis. . . ,
L’ouvrage de M. l’abbé de Mably eft intitule :
Qbfcrvations fur- le gouvernement & les loix des
Etats-Unis de l'Amérique. Il eft plein de vues 8c
de réflexions très-fages î mais plufieurs de fes critiques
générales 8c particulières manquent de juf-
teffe ; il met beaucoup d’importance à de petites
chofes; il eft effrayé de quelques inconvénients
qui ne doivent pas infpirer de l’effroi * il veut prévenir
des abus avec des moyens qui ne^ feraient
d’aucun effet ; il oublie que lorfqu’on a établi des
inftitutions importantes , on peut négliger des details
qui vont d’eux-mêmes > il paraît même ne
pas bien connoître la pofition aéhieile des Etats-
Unis ; d’autrefois fes préventions contre la conftitution
d’Angletesre l’ égarent,-& il ne femble
. pas faire affez de cas des ménagemens & des
modifications qu’exige la pofition d’une peuplade.
Enfin, après avoir écrit toute fa vie fur la politique
, la vieille divifion des gouvernemens en
démocratie, en ariftocratie, en monarchie 8c en
defpotifme le trompe, comme elle trompe les
hommes les moins inftruits, & il parle toujours
de la démocratie, comme s’ il n’y avoit qu’une
efpèce de gouvernement démocratique.
H reproche aux américains de ne s’être pas occupés
des moeurs dans leurs conftitutions, & il loue
beaucoup les habitans de la Géorgie d’avoir recommandé
la modération, la frugalité , la tempérance
: ce n’eft pas ainfî que s’établiffènt ces
vertus ; elles fe forment par de bonnes loix généra
le s , par la liberté civile 8^ politique , par l’ amour
de la patrie, & par i’âbfence des préjugés
deftru&eurs.
-Ses réfultats manquent de précifion ; il a toujours
aimé la démocratie, il en parle encore avec
éloge y d’ un autre c ô té , il regrette que les américains
n’aient pas établi un gouvernement arifto-
cratique, tempéré par de fages loix. Il femble
croire que le paéte fondamental d’une république
fuffit pour en prévenir à jamais les révolutions
; il eft pourtant clair que la conftitu -
tion ariftocratique la mieux établie & la mieux
tempérée finira, fuïvânt l’inévitable révolution des
chofes, par dégénérer en démocratie, en anarchie;
& lorfque des légiflateurs ont la fageffe
d’établir dans une nation un câra&ère de vigueur
qui ne fe laiffe point opprimer, 8c qui fe déveÉ
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loppe félon les circonftances, il ne faut rien de-
1 mander de plus. M. l’abbé de Mably n’ a pas eu
des vues allez étendues. La réponfe à fes objections
l\ir cette matière eft bien facile, 8c la voici :
les américains ont prévu tout cela ; ils ont ordonné
une révifion générale de leurs loix fondamentales
à de certaines époques ; ils fe font en-
I gagé à faire cette révifion toutes les fois que la
nation le voudra : il ne s’agit plus que d’avoir la
force de la faire ; & fi quelque chofe peut donner
cette force, c’ eft l’amour du bien public 8c
le courage énergique qu’ infpire la—démocratie :
dans les gouvernemens ariftocratiques , les hommes
n’ayant point de part au gouvernement, ne
l’ont pas. Il faut obferver d’ailleurs que la révifion
des loix & des abus à différentes époques , a
toutes fortes d’avantages ; le peuple marque fa
puiffance par une grande opération , 8c on en con-
ferve le fouvenir : il fait ordinairement des aâes
d’une juftice rigoureufe 8c éclatante, & on fonge
moins à opprimer un vengeur fi terrible.
Sans doute les inftitutions américaines font bien
démocratiques ; fi on veut les jüger d’après l’hif-
toire .& d’après la marche des autres peuples anciens
ou modernes > il faudra y admettre un jour
I une partie du régime de l’ariftocratie, 8c les re-
I marques de M. l’abbé de Mably & de quelques
autres écrivains , font fondées à plufieurs égards î
mais encore une fois pourquoi établir d’avance
des chofes qu’on établira beaucoup mieux dans
i'occafion ? Afin de remédier à des maux qui
peut-être n’arrîveront point, eft-il donc néceffaire
d’adopter un mauvais régime ? car enfin la liberté
de la preffe aura en Amérique des effets qu’on
ne peut calculer : on fera peut-être furprïs de la
manière dont elle arrêtera les fuites du progrès
des richeffes & de la civilifation ; 8c aucun peuple
n’ayant eu cette reffource, il n’ eft point de
nation dont on puiffe citer-ici l’exemple.
Les abus de la tolérance, établie par les américains
, inquiètent M . l’abbé de Mably : parce
que quelques états ont permis aux citoyens d’avoit
un lieu d’àffemblée religieufe , lorfqu’ils voudront
payer un pafteur, il a peur que la diverfité des
feâes 8c de communions ne trouble l’Amérique.
Nous ne craindrons pas de le prédire : on s’apperce-j
vradans cinquante ans que les citoyens d’Amérique
n’ont point abufé de cette loi. Ôn s’occupe des
folies de la fuperftition, dans un pays où l’on
s’occupe peu de la politique & de la liberté ; mais
le fanatifme & la fuperftition font peu redoutables
dans les pays libres.
Ses idées fur la liberté de la preffe paroiffent
également pufillanimes. Sans doute cette liberté
entraîne des abus , & il eft aifé de les peindre
d’une manière frappante : mais la queftion fe réduit
à favoir fi elle produit plus de biens que de
maux ? Les gouvernemens font tous condamnés à
employer des chofes qui entraînent des abus ; il
I ne s’agit plus que 4e choifir ces chofes, & l’ext