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Les députations font plus ou moins folemnelles, !
fuivant la qualité des perfonnes à qui on les fait,
& les affaires qui en l'ont l’objet.
Le terme de députation ne-peut-être appliqué
proprement à une feule perforine envoyée auprès
d’une autre, pour exécuter quelque commiflion ,
mais feulement lorfqu’il s’agit d’un corps. Le parlement
j en Angleterre, députe un orateur & fix
membres pour préfenter fes adrefles au roi. Un
chapitre députe deux chanoines pour folliciter fes
affaires au confeil.
En France, l’affemblée du clergé nomme des
députés pour complimenter le roi. Le parlement
fait auffi par députés fes remontrances au fou-
verain ; & les pays d’états, tels que le Languedoc
, la Bourgogne , l’Artois, la Flandre, la Bretagne
, & c . font une députation au ro i, à la
En de chaque affemblée.
On donne auffi le nom de députation à une forte
d’affemblée des états de l’Empire, qui eft différente
de celle des diètes. C ’ell un congrès où les députés
ou commiffaires des princes & états de
l ’Empire difcutent, règlent & concluent les cho-
fes qui leur ont été envoyées par la diète 5 cette
députation a lieu auffi quand l ’eleéleur de Mayence
, au nom de l’empereur, convoque les députés
de l’Empire, à la prière des direéleurs d’un ou
de plufieurs cercles , pour arranger des affaires,
ou pour affoupir des contellations qu’ils ne font
pas eux-mêmes en état de terminer.
Cette députation , en ufage dans le corps germanique
, fut inftituée par les états à la diète
d’Augsbourg en 1555..On y nomma alors pour
commiffaires perpétuels l’envoyé de l’empereur 5
les députés, de chaque éleéteur, excepté celui du
roi de Bohême, parce qu’il ne prenoit part aux
affaires de l’Empire , qu’en ce qui concernoit l’ é-
leélion d’un empereur ou d’un roi des romains i
mais les chofes ont changé à cet égard depuis l’empereur
Jofeph. On y admet encore ceux de divers
princes, prélats & villes impériales. Chaque député
donne fon avis à part, fait qu’il foit de la
chambre des éleéleurs, bü de celle des princes. Si
les fuffrages des deux chambres s’accordent avec
celui du commiffaire de l’empereur, alors on conclut
, & , ainfi que dans lés diètes, on forme un
réfultat qui fe nomme conjlitütion-, mais une feule
chambre qui eft d’accord avec le commiffaire de
l’empereur, ne peut faire une conclufion, fi Fau-
tre eft d’ un avis contraire.
D É P U T E , celui qui eft envoyé par une communauté
quelconque.
Les députés n’étant pas miniftres publics, ne
font point fous la protection du droit des gens j
mais on leur doit une protection plus particulière
qu’à d’autres étrangers ou citoyens , & .quelques
égards en confidération des communautés dont ils
font les agens.
Des écrivains enthoufiaftes fe font moqués des
députés qu’envoient les grandes nations aux états,
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aux diètes > aux parlemens & aux diverfes affem-
blées qui font chargées de faire les lo ix , ou de
confentir aux impôts : trop amoureux d’une liberté
complette, ils ne fongeoient pas qu’ils de-
mandoient une chimère , & que, s’il eft poffible
de rendre utiles aux peuples ces fortes de difcuf-
fions , il faut le contenir dans des bornes raifon-
nables. L’exagération fe réfute d’elle-même , & le
paffage fuivant n’ a pas befoin de remarques.
.«* L’ attiédilfement de l’amour de la patrie, l’ac-
» tivité de l’ intérêt privé, l’immenfité des états,
« les conquêtes , l’abus du gouvernement ont
» fait imaginer la voie des députés du peuple dans
» l’ affemblée de la nation. C ’eft ce qu’en certains
» pays on ofe appeller le tiers-état. Ainfi l’intérêt
33 particulier de deux ordres eft mis au premier
& au fécond rang 5 l’intérêt public n’eft qu’au
» troifième.
» La fouveraineté ne peut être repréfentée, par
»» la même raifon qu’ elle ne peut être aliénée ,
» elle confifte effentieliement dans la volonté gé-
» nérale, & la volonté ne fe repréfente point :
» elle eft la même, ou elle eft autre > il n’y a
» point de milieu. Les députés du peuple ne font
« donc ni ne peuvent être fes repréfentans > ils ne
» font que fes commiffaires j ils ne peuvent rien
» conclure définitivement. Toute loi que le peu-
» pie en perfonne n’a pas ratifiée eft. nulle ; ce
» n’ eft point une loi. Le peuple anglois penfe
» être libre ; il fe trompe fort , il ne l’eft que
» durant l’ éle&ion des membres du parlement ;
» fi-tôt qu’ils font élus , il eft efclave, il n’eft
>3 ,ri«n. Dans les courts momens de fa liberté ,
« l’ ufage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde.
» L’ idée des députés eft moderne : elle nous
» vient du gouvernement féodal, de cet abfurde
« gouvernement dans lequel l’efpèce humaine eft
>9 dégradée, & où le nom d’homme eft en déshon-
99 neur. Dans les anciennes républiques, &même
99 dans les monarchies, jamais le peuple n’eut de
99 députés : on ne connoiffoit pas ce mot-là. Il eft
» très fin^ulier qu’ à Rome , où les tribuns étoient
>9 fi facres, on n’ ait pas même imaginé qu’ils puf-
99 fent ufurper les fondions du peuple j & qu’ au
93 milieu d’ une fi grande multitude ils n’aient ja*
» mais tenté de paffer de leur chef un feul plé-
39 bifeite. Qu’on juge cependant l’embarras que
99 caufoit quelquefois la foule, par ce qui arriva
99 du temps des gracques, où une partie des ci-
99 toyens donnoit fon fuffrage de deffus les toits.
39 O ù le droit & la liberté font toutes chofes ,
>3 les inconvéniens ne font riem Chez ce fage peu-
39 p ie , tout étoit mis à fa jufte mefure : il laiffoit
99 faire à fes liéteurs ce que fes tribuns n’ euffent
93 ofé faire j il ne cràignoit pas que fes liéteu-rs
99 vouluffent le repréfenter33.
Les députés aux affemblées publiques jouiffent
de certains privilèges. Les états qui ont droit de
s’affembler par députés, pour délibérer fur les af-
I faires publiques, peuvent par cela même exiger
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une fùreté entière pour leurs reprefentans, &
tout ce qui eft néceffaire à ta liberté de leurs
fondions. Si 1a perfonne des députes n eft pas inviolable
, ceux qui les. délèguent ne pourront s af-
furer de leur fidélité à maintenir les droits de 1a
nation, & à défendre courageufement le bien public
: ces repréfentans ne s’acquitteront pas dignement
de leurs commiffions, s’il eft permis de
les inquiéter, en les traînant en juftice pour dettes
, ou pour des délits communs. Les raifons qui
établiffent les immunités des ambaffadéurs font
applicables ici. Les droits de la nation & ta foi
publique mettent ces députés à couvert de toute
violence, & même de toute pourfuite judiciaire,
pendant 1a durée de leur miflion. Cette réglé s ob-
ferveentout pays, & particuliérement auxdietes
de l’Empire, au parlement d’Angleterre, & on
la fuivoit jadis aux Cortès d’Efpagne, Henri I I I ,
roi de France, fit tuer aux états de Blois le duc
& le cardinal de Guife : il viola ta furete des états >
& lorfque fes apologiftes diront que ces princes
étoient des fa&ieux & des rebelles, qui portoient
leurs vues audacieufes jufqu’ à dépouiller leur fou-
1 verain de fa couronne, il faudroit favoir fi Henri
n’étoit plus en état de les faire arrêter & punir,
| fuivant les loix j & fi ta néceffité fembloit impo- ,
fer la loi de fe défaire de deux princes, on re-
I grettera toujours qu’ on ne les ait pas attaqués ail-
I leurs. On dit que le pape Sixte V , apprenant ta
I mort du duc de Guife , loua cet adte de vigueur
K comme un coup d’état néceffaire ; mais qu’ il en-
I tra en fureur, quand on lui dit que le Cardinal
I avoir été tué aufli : c’étoit pouffer bien loin d’or-
I gueilleufes prétentions 5 & le pontife, en avouant
| que la néceflité avoir autorifé Henri à violer 1a
[ fureté des états & toutes les formes de 1a juftice,
I montroit une partialité ridicule dans fa colère fur
[ le dernier point.
DESPOTE. C e mot , dans fon acception
f fimple , veut dire maître & feigneur fuprême ; il
f, eft fynonime de monarque.
DESPOTISME*, fignifie donc , dans fon fens
b naturel , l’autorité légitime & fouveraine d’un
I feul 5 mais l’opinion & l’ufage le font communé-
I. ment prendre en mauvaife part, on le confond
; fouvent avec le pouvoir arbitraire & 1a tyrannie.
I Voici ce qu’en dit l’ ancienne Encyclopédie, en
I le préfentant fous ce double point de vue.
Le dejpotifme eft le gouvernement tyrannique,
| arbitraire & abfolu d’un feul. T e l eft le gouver-
I nement de Turquie, du M o g o l, du Japon , de 1 Çerfe, de prefque toute l’A fie , &c.
I Le principe des états defpotiques , - eft qu’ un
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feul prince gouverne to u t , félon fes volontés,
n’ayant abfolument d’autre loi qui le domine, que-
celle de fes caprices. 11 réfulte de la nature de ce.
pouvoir, qu’il paffe tout entier dans ta main de
celui à qui il eft confié j cette perfonne, ce vifir
devient le defpote lui-même, & chaque officier
particulier devient le vifir. L’ établiffement d un
vifir découle du principe fondamental des états
defpotiques (1 ). Lorfque les eunuques ont affoibli
le coeur & l’ efprit des princes d’Orient, & fou-
vent leur ont laiffé ignorer leur état même, on
les tire du palais pour les placer fur le trône ; ils
font alors un vifir, afin de fe livrer dans leur fer-
rail à l’excès de leurs paflions ftupides : ainfi 3 plus
un tel prince a de peuples à gouverner, moins il
penfe au gouvernement plus les affaires font
grandes, & moins il délibère fur les affaires ; ce
foin appartient au vifir. Celui c i , incapable de fa
place, ne peut ni repréfenter fes craintes au fultan
fur un événement futur, ni exeufer fes mauvais
fuccès fur le caprice de 1a fortune. Dans un tel
gouvernement, le partage des hommes ,■ comme
des bêtes, y eft fans aucune différence, l ’inftind,
l’obéiffance, le châtiment. En Perfe, quand le
fophi a difgracié quelqu’ un , ce feroit manquer au
refpeét, que de préfenter un placet en fa faveur ;
lorfqu’ ii l’a condamné, on ne peut plus lui demander
grâce : s’ il étoit yvre , ou hors de fens ,
: il faudroit que l’arrêt s’exécutât tout de même j
fans cela, il fe contrediroit, & le fophi ne fauroit
fè contredire.
Mais, fi dans les états defpotiques le prince eft
• fait prifonnier, il eft cenfé mort j les traités qu’il
fa it, comme prifonnier, font nuis , Ton fucceffeur
ne les ratifieroit pas,: en effet, comme il eft 1a loi,
l’état & le prince, & que fi-tôt qu’il n’ eft plus
le prince, il n’ eft rien ; s’il n’étoit pas cenfé mort,
l’ état feroit détruit. La confervation de l’état n’eft
que dans ta confervation du prince, ou plutôt du
palais où il eft enfermé : c’eft pourquoi il fait rarement
1a guerre en perfonne.
Malgré tant de précautions, 1a fucceffion à l’empire
, dans les états defpotiques, n’en eft pas plus
affurée, & même , elle ne peut pas l’être j en
vain feroit-il établi (2) , que l’ aîné fuccéderoit;
le prince en peut toujours choifir un autre. Chaque
prince de 1a famille royale ayant une égaie capacité
pour être é lu , il arrive que celui qui monte
fur le trône , fait d’abord étrangler fes fières ,
: comme en Turquie i on les fait aveugler, comme
en Perfe ; on les rend fous, comme chez le Mogol :
ou fi l’on ne prend point ces précautions , comme
à Maroc, chaque vacance du trône eft fuivie d’une
(t) Ce n'eft pas un principe de gouvernement , mais au contraire un oubli des principes., un abus de
l’autorité qui ne reèonnoît ni règles ni limites , & qui tend par fon excès à fe détruire elle-même.
( Nöte de M. G. ) ~ '
(a) Etabli ! par qui 1 Si on en faifoit une loi , la loi feroit au-deffus du prince , & l’état ne feroit plus despotique
, dans le fens qu’on l’entend ici. Si c’étoit par la volonté feule du prince, il eft évident qu’on n’en
tiendroit aucun compte après lui. (.Note de M, G.) .