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Le grand argument, l'argument banal contre
l'impôt direct fur le produit net des terres, eft de
dire que le revenu du fouverain diminueroit, ou
que les propriétaires fonciers feroient furchargés.
On ne voit donc pas que , dans la fituation préfente
des chofes , ce font ces mêmes propriétaires qui,
en dernière analyfe, paient toutes les impofitions j
qu’ils paient, en outre, les frais & faux frais énormes
de leur perception > que néanmoins une grande
partie des revenus dont ils pourroient & devraient
jouir , fe trouve éteinte par le contre - coup des
impofitions. On ne voit donc pas que toutes les
depenfes annuelles de l’état, foit dépenfes communes
, fbit dépenfes particulières de fes membres,
font établies fur le revenu général de l’éta t, &
que ce revenu général confifte uniquement dans le
produit net annuel de fon territoire.
Cette vérité a tant de fois été mife dans le plus
grand jour par les économifies , que j’aurais honte
de vous en entretenir plus long-temps. Je finis donc
cet article , en Vous répétant qu’il eft démontré,
mais démontré jufqu’ à la plus grande évidence ,
que les taxes fur l’induftrie 8c les droits fur les
marchandifes, détriiifent en pure perte, 8c fans
que perfonne en profite, une grande partie du
revenu national 5 qu’en leur fubftituant l’impôt di-
reéf dont je vous parle, le fouverain feroit plus
riche, le clergé plus riche, le propriétaire foncier
plus riche : d’après cela , jugez vous-même fi la
clafTe induftrieufe en ferait plus pauvre , 8c dites-
moi pour qui feroit dangereux un pareil changement
?
Je conviens cependant que, pour ne compromettre
ni le revenu du fouverain, ni celui des propriétaires
fonciers, on ne doit fonger à lever directement
fur le produit des terres , la totalité de
l ’impôt, qu’après avoir fait ce qui convient pour
rendre à ce produit, ce que les charges actuelles,
dont il eft indirectement grévé, lui font perdre
néceffairement. L’ impôt ne peut être demandé qu’à
ceux qui l’ont dans leurs mains : il faut donc qu’il
fe trouve en entier dans celles des propriétaires
fonciers pu de leurs fermiers , pour qu’ils puiflent
le payer directement 8c en entier. Il faut par con-
fequent que les frais de culture cefient d’être grof-
fis par le renchériflement forcé de tout ce qu’achète
le cultivateur, tant pour fa perfonne que
pour fon exploitation. Il faut qu’il foit encore affranchi
de toute impofition perfonnelle, de manière
qu’on ne prenne rien fur les fommes defti-
nées aux avances de fa culture 5 8c qu’en faifant
de ces fommes un tel emploi, il n’ait à craindre
pour lui perfonnellement aucune augmentation
d’impôt. Il faut enfin qu’ il ne fubfîfte plus aucun
des obftacles qui s’oppofent à la confommation ,
au débit de nos productions, 8c privent les .premiers
vendeurs, d’une portion du prix qu’ils devraient
naturellement recevoir.
Certainement on ne dira que la vérité, quand
on alléguera que parmi nous l’intérêt aCtuel de
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1 argent, les baux des terres, les loyers des maî-
fons, les prix de la main-d’oeuvre 8c des productions
, étant réglés en çonféquence des impôts
tels qu ils font établis, le projet d’une telle révolution
dans les arrangemens économiques de l’état,
doit rencontrer les plus grandes difficultés, fans
compter celles qui naîtront des intérêts particuliers
déréglés. Mais que p eut-on en conclure ?
qu avec le talent néceffaire jou r les prévoir, il
faut encore du courage pour entreprendre de les
furmonter, du génie pour en imaginer les moyens.
Auffi les efforts pour remplir un point de vue
fi important, doivent-ils être applaudis par tout
bon citoyen. En fuppofant même que ces moyens
ne fuffent pas encore trouvés, feroit-ce une rai-
fon pour croire qu’ils ne lè feront jamais , une
raifon pour ne pas les chercher ? En feroit-il moins
vrai qu il faudrait defirer cette révolution, comme
la plus heureufe de toutes celles qui pourroient
furvenir dans ce royaume ? Si vous en doutez ,
confiderez un moment la dette publique 8c fes
contre-coups affreux : bientôt vous ferez pénétré
de la néceffité d’opérer progreffivement la libération
de 1 état. C ’ eft fur-tout d’après cette, néceffité,
que vous - devez juger s’il eft important de faire
paffer, dans les mains du fouverain, tout ou partie
des frais ou faux-frais qu’entraînent la forme
actuelle de nos impofitions 8c celle des paiemens
faits enfuite pour le compte du roi.
Une autre branche bien iatéreffante du fyftême
des économifies 3 eft l’inftitution d’une fouveraineté
unique 8c héréditaire. C e qu’il y a de fingulier,
c’ eft qu’ à cet égard ils font accufés par les uns ,
de vouloir convertir en defpotifme la monarchie,
8c par les autres, de vouloir détruire la monarchie
en combattant le defpotifme. La contradiction
manifefte de ces deux imputations vous annonce
que ni ceux - là , ni ceux - ci ne les ont entendus.
Qui dit autorité, dit le droit de commander ,
joint au pouvoir de fe faire obéir : fans ce droit,
on ne verrait en elle que violence, qu’oppreffion :
fans ce pouvoir, toujours dépendante des volontés
arbitraires d’autrui , elle ne pourrait exercer
fon droit j elle ne ferait qu’un nom , 8c rien de
plus. -
Par fon effence, l’autorité doit donc être ab-
folue : fi l’on pouvoit arbitrairement fe difpenfer
de lui obéir, elle ne ferait point une véritable
autorité. Mais, par la raifon qu’ elle doit être ab-
folue, il faut auffi néceflairement qu’elle foit unique
: deux autorités égales , ne pouvant rien l’une
fans l’autre , ne feraient autorité ni l’une ni l’autre,.
Or il eft évident que l’unité d’autorité requiert
l’unité de fouverain : fi elle étoit partagée en plu-
fieurs mains , il y aurait ptufieurs autorités, ou ,
pour mieux dire, plufieurs puifTances rivales les
unes des autres, cherchant mutuellement à fe détruire
les unes les autres, parce qu’elles feroient
mutuellement un obftacle les unes aux autres.
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Frappés des maux qu’entraînent naturellement
après eux les vices d’une telle conftitution politique
, du danger auquel elle expofe tous les droits
de propriété, les économifies fe font ouvertement
déclares pour le gouvernement d’un feul j 8c remettant,
comme arbitraire dans fes fondions ,
toute autre contre-force, que celle du corps politique
même, en le fuppofant plein de v ie , 8c non
dans l’état de mort ; toute autre contre-force, que
telle des volontés communes de ce corps entier ,
invariablement fixées par la connoiffance de fon
intérêt commun, 8c clairement énoncées dans fes
!oix fondamentales, ils foutiennent*qüe lefouve-
rain doit jouir fans partage d’une autorité abfolue 5
que tenant des loix tout ce qu’ elle e ft, on ne
peut s’ élever contre cette autorité , fans s’élever
contre les loix. Voilà , moniteur, ce qui les a fait
accufer par quelques-uns de favorifer le defpotifme
, de chercher à le juftifier. On n’a pas pris garde
que, dans leur fyftême, l’autorité n’eft jamais que
la fille, 8c nullement la rivale des loix j que ,
pout être abfolue, elle n’eft point arbitraire j que,
pour être fans partage, elle n’ eft point fans bornes.
Peut-être ne fe font-ils pas fuffifamment exÏ
diqués fur ces objets ; c’en: cependant d’après
eurs explications, que d’autres perfonnes ont voulu
les faire paffer pour ennemis du gouvernement
monarchique : voyons fi elles y font bien fondées.
Faut-il être l’ennemi de ce gouvernement, pour
dire que le bien s’opère par l e s loix naturelles 8c
immuables} que les moyens .de faire le mal font
les feuls qui puiflent prêter à ^arbitraire 5 qu’ ainfî
l ’autorité tutélaire des fouverains a des'bornes ef-
fentielles, des bornes marquées par J a nature des
chofes, 8c qui ne conviennent pas moins à l’intérêt
perfonnêl du monarque, qu’aux intérêts de
fes fujéts. Nos rois mêmes, ces maîtres que nous
adorons , ces princes à qui notre amour 8c notre
confiance rendent tout poffible , n’ônt ceffé de
reconnoître publiquement 8c authentiquement ces
importantes vérités. D’après leurs propres paroles
, croyez, moniteur, croyez qu’ils fe refpec-
tent trop, pour ne pas vouloir toujours régner
par la juftice 8c par la raifon 5 qu’il n’ eft même
aucun temps> où ils 11e viffent avec amertume ,
avec douleur, qu’on ne leur en fupposât pas l’intention.
A cet egard, on ne peut donc rien imputer
aux économifies, à moins que de les accufer
de vouloir donner à l’autorité, des bornes* qu’elle
ne doit point avoir naturellement j il eft aifé de les
en juftifier.
Pourriez-vous bien vous repréfentet ütie fociété
dont les membres n’auraient entr’ eux aucuns droits
réciproques ? S’ils n’avoient pas de droits, pourquoi
s’impoferoient - ils des devoirs ? 8c quel be-
foin auraient - ils d’un gouvernement ? Cherchez
quel eft à ce fujet l’ordre Hnmaable de la nature :
c^eft fur nos droits qu’elle a fondé nos devoirs j
c eft fur nos devoirs qu’ elle a fondé nos droits.
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Pour vouloir fe rendre indépendant de cet ordre ,
il. finit avoir oublié qu’on eft homme } il fa u t ,
comme le fils de Philippe, fe croire un Dieu )
hé bien ! à une telle folie , les économifies répondront
comme les fpartiates : ce mortel -veut être
Dieu , qu'il le foit.
Non , non, on ne peut refufer aux hommes un
droit naturel à l’exiftence , 8c même à l’exiftence
heureufe, par conféquent un droit naturel aux
moyens d’exifter 8c de fe rendre heureux. C ’eft
pour faire valoir ce droit qu’ils fe font réunis en
fociété i c’eft auffi pour remplir l’objet de cette
réunion, que la loi de propriété devient néceffairement
la loi fondamentale d’ une fociété, le
droit commun de tous fes membres ; c’ eft enfin
pour confolider cette lo i , pour maintenir ce droit
dans toute fon intégrité , qu’ un gouvernement eft
8c doit être inftitué.
C ’ eft donc dans la loi de propriété même, dans
cette loi dont l’auteur de la nature eft inftituteur ,
qu’ il faut aller chercher les bornes effentielles de
l’autorité fuprême d’ un monarque : il doit s’interdire
tout ce que cette loi lui interdit, tout ce
qu’ il ne pourrait fe permettre, fans bleffer le droit
commun de fon empire, fans détruire les droits
effentiels de fes fujets j fans être injufte envers les
hommes 8c coupable envers Dieu : tel eft le langage
d’ un économifte. Auffi l’ idée qu’ il a des rois ,
eft-elle la plus grande, la plus élevée qu’on puiffe
s’en former : il ne voit', dans leur augufte minif-
tère, qu’une autorité tutélaire dont tout le monde
a befoin ; dans leurs perfonnes facrées, que des
êtres privilégiés, deftinés par le ciel à toujours être
bienfaifants, parce qu’ils font deftinés à toujours
être juftes.
Remarquez préfentement q ue , dans une monarchie
héréditaire, ce fyftême eft parfaitement
conforme aux véritables intérêts perfonnels du fouverain.
La raifon en eft bien fîmple : fes intérêts
perfonnels font alors les mêmes que ceux de fa
fouveraineté j 8c les intérêts de fa fouveraineté ,
toujours inféparables de l’intérêt commun, fe trouvent
inféparablement auffi attachés au maintien du
droit de propriété.
Je ne vous dirai point qu’ il n*en eft pas ainfi
des monarchies électives ; l’exemple de la Pologne
vous en a pleinement convaincu. Vous le favez,
monfieur, vous le favez > les intérêts perfonnels
des fimples ufufruitiers ne feront jamais les mêmes
que ceux d’ un propriétaire : la fouveraineté n’étant
pas leur patrimoine, que leur importe le préjudice
qu’ils lui occafionnent, dès qu’il en.refaite
pour eux un avantage particulier ? Voilà quel eft
en général le grand inconvénient du gouvernement
de plufieurs î 8c comme les mauvais effets
qui doivent en réfulter, dépendent du perfonnel
des adminiftrateurs, font auffi tantôt plus 8c tantôt
moins funeftes } l’importance de cet inconvénient
ne doit point être appréciée par les maux
1 qu’il çaufe, mais bien par ceux qu’il peut caufçr,
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