
blic eft en état de fupporter bien des facrificcs ;
& nous dirons plus bas que les dépenfes étant
beaucoup moins grandes, & l'état ne fe trouvant
furchargé ni de dettes-, ni de pendons, il eft réellement
plus riche que d'autres royaumes qui fem-
bjenr avoir un revenu triple. Les adminifttateurs
n ont jamais fenti jufqu'où va leur autorité ; avec
quelle aifançe ils peuvent produire de grands effets
; ils n ont pas allez vu cette multitude d'en-
couragemens qui dépendent d'eux , & qui ne coûtent
rien. Mais quand celui A‘Efpagne ferait réduit
à. le fervir, . pour premier moyen , de l'argent
du trefor royal, on peut alfurer qu'il n'y aurait
pas de depenfes mieux employées ; & comme le
nfc eft toujours le maître de fe dédommager en-
fmte, & même de gagner fur fes avances par des
contributions, ce foin d'adminiftration, .au-lieu
d'etre de pure bienveillance, devient encore ici
un calcul d'intérêt. Nous obferverons enfin que
le gouvernement doit établir fur-tout, de grandes
routes & des communications, non - feulement
entre les diverfes provinces, mais entre les dif-
triéls d une province particulière, & même d'un
village à l'autre ( i ) . N'éft-il pas honteux qu'il y
ait fi peu d'hôtelleries fur les grands chemins ;
que les voyageurs foient obligés fouvent de porter
leurs lits & leurs provifions , Sé que les chef
mins foient fi mauvais? Qu'on perce des routes &
des chemins; qu'on établiffe des hôtelleries partout
g & le gouvernement ; qui femblera d'abord
n'avoir travaillé que pour fa gloire ,• verra les heureux
effets de ces foins, fur "la culture. C'eft une
règle générale ; un pays'fera toujours mal cultivé,
fi fon intérieur n offre pas des communications
fans nombre , par terre ou par eau : & cette ob-
fervation bien (impie eft d'une vérité fi frappante,
qu'on fera toujours étonné de voir des nations
qui n'en profitent pas.
VEfpagne vènd tous les ans à l’étranger, en
laine , en foie, en huile, en vin, en fer , en
foude , en fruits; pour plus de So,ooo,ooo de’ liv.
Ces exportations , dont la plupart ne peuvent
etre remplacées par aucun fol de l'Europe, font
fufceptibles d’une augmentation immenfe. Elles
fuffiront, indépendamment des Indes, pour payer'
tout ce que l'état pourra confommer de marchan-
difes étrangères. Il eft vrai qu'en livrant ainfi aux
autres nations fes produélions brutes, elle augmentera
leur population, leurs richeffes & leur
puifiance : mais elles entretiendront, elles étendront
dans fon fein un genre d'induftrie bien plus
fû t , bien plus avantageux. Son exiftence politique
ne tardera pas à devenir relativement fupérieure,
& le peuple cultivateur l ’emportera fur les peuples
manufàéhiriers.
L Efpagne a donné depuis quelques années toute
torte cl encouragemens au commerce, & il ne
aut pas examiner ici fi ees encouragemens font
pien calcules. La meme méthode ne convient pas
& les P™Pl“ fe trouvent
quelquefois dans des circonftances où il eft bon
d exciter a des chofes, prefque toujours abufives
n fw f S' t f ,otaêe ’ Par exemple, dans les fonds
P, - r ^ ûans les entreprifes , eft contraire aux
véritables principes de l’économie politique ; &
dans la pofîtion ou fe trouve VEfpagne , il eft utile
d y exciter l’agiotage, pour donner aux habitans
le délit de fortir de leur mifère, & les porter
auxfpeculations & à l’indullrie. Le gouvernement
a, de cette aélivité pour fon compte ; &
c “ t ainfi que tous les foins de l'àdminiftration ,
qui femblent n avoir pour but que Je bonheur &
a richelie des peuples , tournent encore à fon
profit.
D ailleurs le tréfor royal ne peut infpirer
des la confiance & avoir du crédit que lorf-
qu,on oubliera ces dettes du prince qui fe -font
anéanties plufieufs fois à fa mort, & il a
befom cependant d'exciter la cupidité , pour
obtenir de l'argent lorfqu’il ouvre de modiques
emprunts. Il a fallu fept ans pour remplir un ejn-
prunt de io millions en rentes viagères, ouvert
en 17 70, quoiqu.il offrît aux prêteurs un intérêt
de neuf pour cent. Il importe à la gloire du gouvernement
de remplir fes vues avec plus d'aifance,
lorfqu'il fe, détermine à de femblables opérations.
Il lui importe que les effets publics ne tombent
pas dans le difcrédit , comme.ils y font tombés
jufqu a préfent ; & le miniftère a fi bien fenti ces
ventes, que fes dernières opérations de finances
n ont pas d'autre but.
Le .gouvêrneffîent doit s’intéreffer d'autant plus
au maintien du crédit & de l'intérêt de l'argent /
que les mines du Mexique & du Pérou aviliffent
les métaux en Efpagne 3 & que cet avilififement entretient
l'indolence & la pareffe.
L inca Garciloffo (2) dit qu'en Efpagne3 après
la conquête des Indes, les rentes qui étoient au
denier dix, tombèrent au denier vingt. Cela de-
voit etre ainfï. Une grande quantité d'argent fut
tout-a-coup portée en Europe bientôt moins de
perfonnes eurent befoin d'argent’; le prix de toutes
chofes augmenta, 8r celui de l'argent diminua :
la proportion fut donc rompue, toutes les anciennes
dettes furent éteintes. On peut fe ràppelîer le
temps du fyftême ($) , où toutes les chofes avoient
une grande valeur, excepté l’ argent. Après la conquête
des Indes-, ceux qui avoient de l'argent fu-
W S c ement s’oc<ruPe aSuellement de cet objet avec beaucoup de vivacité*
K< n ‘ftoire ?ies- fe r re s civi-les des efpagnols dans les Indes.
Lj) ° n appellojt ainfi le projet de M. Law en France.
rent obligés de diminuer le prix ou le louage de
'leur marchandife, c'eft-à-dire, l'intérêt.
Depuis ce temps, l'intérêt n'a pu revenir à
l'ancien taux : ce n'eft pas feulement, comme le
dit Montefquieu, parce que la quantité d’argent
a augmenté toutes les années en Europe, puifqu'il
y eft revenu chez les autres nations qui partagent
ces métaux , & qui ont un numéraire plus
abondant que celui dë VEfpagne 3 mais fur-tout
parce qu'on a négligé la circulation.
Ainfi cette compagnie des Philippines ou des
Indes, & cette banque nationale de S. Charles,
qu'on a critiqué avec tant de chaleur & d'amertume,
peuvent être combinées d'une manière dé-
feétüeufe dans les détails 3 mais elles feront utiles
z VEfpagne 3 par la circulation qui en fera la fuite,
par l'efprit d'activité qu'elles infpireront aux efpagnols
, & par les reftbur-ces direétes & indirectes
qu’elles fourniront au'gouvernement.
La cédule qui établit la compagnie des Philippines
ou des Indes, eft du 10 mars 1785 j elle
contient cent articles, dont plufîeurs font relatifs a
la diffolution de la compagnie de Caracas , à la liquidation
de fes dettes, & à l’incorporation de
fes fonds dans la nouvelle compagnie..
Les opérations de celle - ci ont commencé le
premier juillet de l'année; 17% . On lui accorde un
'privilège exclufif durant vingt - cinq ans pour le
commerce.de l'A fie , qu'on veut réunir à celui de
l'Amériqiié. Dans cette dernière partie du monde,
la compagniè ne jouira d'aucun privilège 5 mais
feulement de la liberté indéfinie accordée à tout
efpagnol pour ce commerce. Le port de Manille
aux Philippines eft libre & ouvert aux nations afia-
tiques : fes habitans pourront faire le commerce
dans toute l'A fie , le privilège de la compagnie ne
fe bornant qu'au tranfport d'Amérique en A fie ,
& d'Afîe en Europe. Le roi permet l'introdu&ion
& la vente de toutes les* denrées & marchandifes
de d A fie , foies, cotons, porcelaines, th é , bois
précieux, mouffelines, &c. Quant aux droits ,
les piaftres embarquées en Efpagne pour les Philippines
, en feront exemptes 5 celles exportées des
ports de la mer du fud pour les Philippines, paieront
deux & demi pour cent de leur valeur 3 les
effets & fruits de VEfpagne exportés pour ces ifles ,
ainfi que les effets & fruits exportés des ports de
l'Amérique, où les vaiffeaux de la compagnie
aborderont, feront francs de droits 3 les effets &
fruits étrangers, embarqués' en Efpagne pour les
Philippines, paieront deux pour cent 3 l'argent ,
les fruits & marchandifes nationales d‘Efpagne &
de l'Amérique, exportés de Manille pour l'Afie
par des efpagnols, feront libres ; s'ils font portés
par des afiatiques , l'argent paiera trois pour cent
de droits |; les effets efpagnols,,ou de l'Amérique
, feront francs 5 les effets étrangers paieront deux
pour cent de leur valeur, & les droits d'entrée
pour les marchandifes de l'Afie feront de cinq
pour cent. L'extrême modicité de ces droits encouragera
le commerce des Indes orientales, &
facilitera celui de la compagnie.
Si on n a pas augmenté les fonds de la compagnie,
ils font de 120 millions de réaux de vellon, divifés
en 32 mille a étions de 250 piaftres chacune. Sa
majefte y prend poiir 20 millions de réaux de vel-
lo n , la banque ^nationale pour 12 millions- C e
capital ne peut etre. augmenté que par de nouvelles
a étions, & jamais par emprunt. On accorde
a la compagnie, pour conftruire fes vaiffeaux, les mêmes
privilèges que ceux dont jouit la mariné royale;
fes bâtimens auront le pavillon royal, & les capitaines'
de la marine du foi pourront y fervir fans
déroger. Pendant le voyage jufqu'au retour en
Efpagne, les équipages feront réputés de la marine
du ro i, & jouiront de tous fes privilèges. Les
voyages pourront fe faire par le Cap de Bonne
Efpérance 3 mais on defire qu’ils aillent par le Cap
Horn, en relâchant dans les ports de la mer du
fud. Jufqu'à préfent le vaiffeau qui va d’Acapulco
à Manille , pourra continuer. Les retours doivent
fe rendre en droiture dans les ports de VEfpagne 3
fans pouvoir aller en Amérique, fous quelque prétexte
que ce foit. La compagnie enverra un nombre,
d'artjfans à Manille , avec les.inftrumens né-
ceffaires’ pour la culture des terres , & fur le bénéfice
annqél, il fera pris quatre pour cent, pour
encourager l ’agriculture & rinduftrie aux ifles Phi-
lippines, où la compagnie aura un confeil. Il fera
établi une direétion générale à Madrid, à laquelle
le miniftre des Indes préfidera. La compagnie ne
. fe mêlera d'aucun objet politique quelconque ,
* fous quelque prétexte que ce foit.
VEfpagne s’occupant avec zèle de nouveaux
réglemens fur ie commerce, elle ne"'doit pas oublier
fes anciennes erreurs. Nous craindrons d’autant
moins d en rappelier une, qu’ elle à montré
depuis des principes plus générèux, & que' fes
vues fur cet objet fe perfeélionnent de jour
jour. ;
Dans la guerre qu'elle eut contre les angloisen
1740-, die fit une loi u) qui: puniffoit de mort
ceux qui‘introduiraie;nt dans les, états à*Efpagne
des marchandifes d'Angleterre 3 elle infligeoit la
même ,peinè- à ceux qui porteroient dans les états
d'Angleterre dés marchandifes à*Efpagne. Une ordonnance
pareille ne peut,’ je crois, dit Montefquieu
trouver de modèle que dans les loix du
Japon. Elle choque nos moeurs, l'efprit du commerce,
^l'harmonie qui doit être dans la pro-
•portion des peines ; elle confond toutes les idées ,
faifant un crime d'état de ce qui n'eft que. violation
de police.
(.1) Publiée à Cadix au mois de mars 1740,