
refpérance d’amafler de ftériles métaux , & îl faut
reprocher cette méprife aux efpagnols avec cir-
confpeÇtion ; car non-feulement les peuples, mais
les individus les plus éclairés, les auroient imité
en pareilles circonftances. Après la conquête du
Mexique & du Pe'rou, le gouvernement devoir
s’occuper des ifles, y établir les colons & y encourager
la culture 5 mais la.maifon d’Autriche fe
trouva tout-à-coup placée dans un ordre de choies
abfolument nouveau pour elle 5 elle ne connoif-
f>it point les véritables principes fur la fondation
des colonies 5 le Mexique & le Pérou abforboient
toute fon attention ; cet amas éclatant de richefïes
qu’elle en tiroit, acheva de l ’égarer : elle n’avoit
pas aflfez dè fujets pour peupler à la fois le continent
& les ifles , & elle négligea abfolument ces
dernières. Malheureufement, le caractère efpagnol
s’accordoit mieux de ces aventures périlleufes, au
milieu des peuplades & des montagnes du Mexique
& du P érou, d’où il réfultoit tout-à-coup
.une brillante fortune, que de la culture paifible
& journalière des déferts de Saint-Domingue ou
de la Havane , où l’on ne pouvoit-s’enrichir qu’avec
des foins & une confiance infatigables. Mais
aujourd’hui que deux fiècles d’expérience ont appris
à Y Efpagne combien les métaux enrichiffent
peu les nations ; aujourd’hui qu’elle reconnoît les
funeftes fuites de la conquête du Mexique & du
Pérou, elle fent qu’il eût été plus utile pour elle
de cultiver Y Efpagne & les ifles d’Amérique, que
d’exploiter les mines du Potofe 5 & en cherchant
à conferver les poffeffions du continent qui lui ont
coûté fi cher, elle s’ occupe, autant que le permet
fa fituation, des moyens de réparer les fautes &
les abus que deux fiècles d’erreurs ont accumulé
dans fes ifles.
Des établijfemens efpagnols dans le continent du
nouveau- Monde. Lorfque la epur de Madrid fe vit
maitrefle de tant de valles contrées dans l’Amérique
fepçentrionale & dans l’Amérique méridionale
, elle s’occupa de la manière dont elle régi—
roit de fi grands etabliffemens. Elle donna la préférence
à la plus abfolue. Les monarques efpagnols
concentrèrent dans leurs mains tous les droits ,
tous les pouvoirs, & en ^confièrent l’exercice à
deux délégués qui, fous le nom de vice-rois 3 dévoient
jouir, tout le temps de leur commiffion,
des prérogatives de la fouveraineté. On les entoura
même, dans leurs fonctions publiques &
jufques dans leur vie privée, d’une repréfentation
qui parut propre à- augmenter le refpeét & la terreur
que le commandement devoit infpirer. Le
nombre de ces places éminentes fut doublé depuis,
fans qu’il arrivât jamais la moindre altéra-,
tion dans leur dignité. Cependant leur conduite,
comme celle de tous les agens inférieurs, fut
foumife à la cenfure du confeii des Indes, tribunal.
érigé en Europe pour gouverner , fous l’inf-
peCtion du monarque, les provinces conquifes dans
Je fioqveaq-Mondç.
Dans ces contrées éloignées furent fucceffiVe^
nient établies dix cours de jultice, chargées d’ affiner
la tranquillité des citoyens & de terminer les
différends qui s’éleveroient entr’eux. Ces tribunaux
, connus fous le nom d"audiences , prononcèrent
définitivement fur-les matières criminelles :
mais les procès, purement civils , qui s’élevoient
au-defius de 10,156 pialtres ou de.54,843 livres,
pouvoient être portés, par appel, au confeii des
Indes. La prérogative accordée à ces grands corps
de faire des remontrances aux dépofitairès de l’autorité
royale, & la prérogative plus confidérable
encore, attribuée à ceux des capitales, de remplir
lés fonctions des vice - royautés lorfqu’ elles
étoient vacantes : ces droits les élevèrent tous à un
degré d importance qu’ils n’auroient pas obtenu
comme magiftrats.
Il relloit à régler le fort de ceux qui dévoient
y vivre. Le fouverain 3 qui fe croyoit maître légitime
de toutes les terres de l’Amérique, & par
droit de conquête, & par la conceflîon des papes
, en fit d’abord diftribuer à ceux de fes fol-
dats qui avoient combattu dans le nouveau-Monde,
& elle les traita avec beaucoup de génerofité.
Le fantaffin reçut cent pieds de long cinquante
de large pour fes bâtimens 5 dix-huit cents
quatre-vingt-cinq toifes pour fon jardin ; fept mille
cinq cents quarante-trois pour fon verger; quatre-
vingt-quatorze mille deux cents quatre-vingt-huit
pour la culture des grains d’Europe, & neuf mille
quatre cents vingt-huit pour celle du bled d’inde >
toute l’étendue qu’il falloit pour élever dix porcs,
vingt chèvres , cent moutons, vingt bêtes à corne
& cinq chevaux. La loi donnoit au cavalier un
double efpace pour fes bâtimens, & lé quintuple
pour tout le relie.
Bientôt on cbnftruifit des villes. Ces établifle-
mens ne furent pas abandonnés au caprice de ceux
qui vouloient les peupler. Les ordonnances exi-
geoient un fite agréable, un air falubre, un fol
fertile, des eaux abondantes ; elles régloient la
pofition de% temples , la direction des rues, l’étendue
des places publiques. C ’étoit ordinairement
un particulier riche & aCtif qui fe chargeoit d e .
ces entreprifes,- après qu’elles, avoient obtenu la
fanétion du gouvernemeîit. Si tout n’étoit pas fini
au temps convenu, il pèrdoit fes avancés, & devoir
encore au fife 5,400 liv. Ses autres devoirs
étoient de trouver un pafteur pour fon églife, &
de lui fournir ce qu’exigeoit la décence d’un culte
régulier ; de réunir au moins trente habitans espagnols
,. dont chacun auroit dix vaches, quatre
boeufs, une jument, une truie, vingt brebis , un
coq & fix poules. Lorfque ces conditions étoient
remplies , on lui accordoit la jurifdîCtion civile &
criminelle en première.inftançe p’our deux générations
g la nomination des officiers municipaux ,
& quatre lieues quarrées de terrain.
L’emplacement de la cité, les communes, l’en-*
treprefteur abforboient une çortion de ce vafle
efpace. Le relie étoit partagé en portions égales
qu’on tiroit au fort, & dont aucune ne pouvoit
être aliénée qu’après cinq ans d’exploitation. Cha*
que citoyen devoit avoir autant de lots qu il au
roit de maifons : mais ' fa propriété ne pouvoit
jamais excéder ce que Ferdinand a voit original
rement accordé dans baint-Domingue pour crois
cavaliers. .
Par la lo i, ceux qui avoient des poffeffioiis dans
les villès déjà fondées, étoient exclus des ^nouveaux
établilfemens : mais cêtte rigueur ne s eten-
doit pas jufqu’à leurs enfans. Il etoit permis a
tous les indiens , qui n’étoient pas retenus ailleurs
par des liens indiflfolubles , de s y fixer comme
domeltiques, comme artifans, ou comme laboureurs.
•
Indépendamment des terres que des conventions
arrêtées avec la cour aîïuroient aux troupes & aux
fondateurs des villes, les chefs des diverfes colonies
étoient autorifés à en diftribuer aux efpagnols
qui voudroient fe fixer dans le nouv’el hémifphère.
Cette grande prérogative leur fut otee en 1591.
Philippe I I , que fon ambition engageoit dans des
guerres contihuelles, & que fon opiniâtreté ren-
doit interminables, ne pouvoit fuffire a tant de
dépenfes. La vente des champs d’Amérique, qui
avoient été donnés jufqu’à cette époque, fut une
des reffources qu’il imagina. Sa loi eut meme un
effet? en quelque forte rétro aétif, puifqu elle or-
donnoit la confifcation de tout ce qui feroit pof-
fédé. fans titre légitime , à mbins que les ufurpa-
teurs ne confentiffent à fe racheter. Une difpofi-
tion fi utile, réellement ou en apparence, au file,
ne fouffrit de modification dans aucune période ,
& n’en éprouve pas encore.
Mais il étoit plus aifé d’accorder gratuitement,
ou de céder à vil prix des terrains à quelques aventuriers
, que de les engager à en folliciter la fertilité.
C e genre de travail fut méprifé par les premiers
efpagnols que leur avidité conduifît aux Indes.
La voie lente , pénible & difpendieufe de la
culture ne pouvoit guères tenter des hommes, à-
qui l’efpoir d’une fortune brillante & facile fai-
foit braver les vagues d’un océan inconnu , les
dangers de tous les genres qui les attendoient fur
des côtes mal faines & barbares. Ils étoient prefifés
de jouir , & le plus court moyen d’y parvenir
étoit de fe jetter fur les métaux. Avec plus de lumières
fur les principes de l’économie politique &
de la richeffe des nations , on auroit travaillé à
re&ifier les idées des fujets, & à donner, autant
qu’il eût été poffible , une autre pente à leur ambition.
C e fut tout le contraire qui arriva. L’ erreur
des particuliers devint la politique du minif-
tère. Il préféra des tréfors de ptire convention,
dont la quantité ne pouvoit manquer de diminuer ,
& qui chaque jour dévoient perdre de leur prix
imaginaire', à des richeffes fans ceffe r en aidantes,
& dont la valeur devoit augmenter graduellement
dans tous les temps. Cette illufion des conquërans
& des monarques jetta l’état hors des routes de
fa profpérité , & forma les moeurs en Amérique.
On n’y fit cas que de l’o r , que de l'argent accumulés
par la rapine , par l’opprefiion & par l’exploitation
des mines.
Dans les premiers temps de la conquête, il fut
décidé qüe les mines appartiendraient à celui qui
les dëcouvriroit , pourvu qu’ il les f ît enregiftrêr
au tribunal le plus voifin. Le gouvernement voulut
d’abord faire fouiller pour fon compte la portion
de ce riche térrein qu’il s’étoit réfervé ; mais
il ne tarda pas à revenir d’une erreur fi ruineufe,
& il contracta l’habitude de la céder au maître
du relie pour une fomme infiniment modique. S i,
ce qui n’ arriva prefque jamais, ces trefors fe trou-
voient dans des campagnes cultivées, l’entrepreneur
devoit acheter l’efpace dont il avoit befoin,
ou donner le centième des métaux. Sur d’arides
montagnes, le propriétaire étoit plus que fuffi-
famment dédommagé du très-petit tort qu’ on lui
faifoit, par la valeur qu’une activité nouvelle donnoit
aux pro du étions récoltées dans1 le voifinage.
De toute antiquité, les mines, de quelque nature
qu’elles M e n t , livroient au fife , en Efpagne,
le cinquième de leur produit. Cet uïage fut porté
au nouveau-Monde ; mais avec le temps , le gou -
vernement fut obligé, de fe réduire au dixième
pour IV r , & même en 17 3 5 , pour l’argent au
Pérou. Il lui fallut auffi baiffer généralement le
prix du mercure. Jufqu’en 1761 , !cet agent né-
ceffaire avoit été vendu 43 2 liv. le quintal. A cette
époque, il ne coûta plus que 3 24 liv ., ou même
216 liv. pour les mines peu abondantes ou d’une
exploitation trop difpendieufe.
Tout porte à penfer que la cour d3Efpagne fera
obligée, un peu plutôt, un peu plus tard, à de
nouveaux facrifices. A mefure que les métaux fe
multiplient dans le commerce, ils ont moins de
valeur , ils repréfentent moins de marchandifes.
C e t avilififement doit faire un jour négliger les meilleures
mines, comme il a fait abandonner fucceffi-
vement les médiocres , à moins qu’on n’allège
encore le fardeau de ceux qui les exploitent.
Le temps n’ efl peut-être pas éloigné, ou il
faudra que le miniftère efpagnol fe contente des
deux réaux de plata ou 1 liv. 7 f. qu’il perçoit par
marc pour la marque ou pour la fabrication.
C e .qui pourroit donner un grand poids à ces
conjectures, c’ elt qu’il n’y a plus guere que des
hommes dont les affaires font douteufes ou délabrées
, qui entrent dans la carrière des mines. S’il
arrive quelquefois qu’une avidité fans bornes y
pouffe un riche négociant ; c ’eft toujours fous le
voile d’un myftère impénétrable. C e hardi fpécu-
kteur peut bien confentir à expofer fa fortune,
mais jamais fon nom. II n’ ignore pas que fi fes