
les réclamations de leurs députés auraient été
étouffées parla multitude, & cés provinces fe fe-
roient vues légalement chargées de la partie du
fardeau qu'on auroit voulu lui faire porter. Dans
le fécond, le miniftère difpofant des dignités ,
des emplois, des pènfionS, même des élections,
n'auroit pas éprouvé plus de réfiftance à fes volontés
, dans cet autre hémifphère que dans le
riôtre ». /:; .*■
« Cependant lés, maximes confacrées en Amérique.
avoient une 'autre bafe que des préjugés.
Les peuples fondoiènt leurs prétentions fur la nature
de leurs Chartres 5 ils s'appuyoient plus foli-
dement encore fur -le droit qu'a tout citoyen an*
glois de ne pouvoir être taxé que de fon aveu,
ou de celui' de fes rep’réfentans. C e droit , qui
devroit être celui de tous les peuples, puifqu'il
eft fondé fur le cbdé éternel de la raifon , datoit
du règne d'Edouard premier. Depuis cette époque',
l'anglois ne le perdit jamais de vue. Dans
la paix, dans la guerre ,* fous des rois féroces
comme fous des rois ignorans, dans des momens
de fervitüde, comme dans des temps d'anarchie,
il le réclama fans ceffe. On le vit fous les Tudors
abandonner fes droits' les plus précieux, & livrer
fa tête fans défenfe à la hache des tyrans, mais
jamais renoncer au droit de s'imposer lui-même.
C'eft pour le défendre qu’il répandit des flots de
fan g , qu'il détrôna ou Ht mourir fes rois. Enfin,
à la révolution de 16S8 , ce droit fut folemnel-
lement reconnu dans l'aéle célèbre où l'on vit
la liberté ^ de la même main dont elle chaffoit un
r o i , tracer les conditions du contrat entre une
nation, & le nouveau fouverain qu'elle venoit de
choifir. L'anglois, en fondant fes colonies, avojt
porté Ces principes au-delà des^ mers, & les mêmes
idées s’étôient tranfmifes à fes enfans ».
« Les anglois , établis dans l'Amérique fepten-
trionale, favoient à quel prix leurs ancêtres l'a-
voient acheté. Le fol même qu'ils habitent devoit
nourrir en eux un fentiment favorable à ces idées.
Difperfés dans un continent immenfe 5 libres comme
la nature qui les environne, parmi les rochers,
les montagnes, les vaftes plaines de leurs déferts,
aux bords de ces forêts où tout eft encore fau-
v age , & où rien ne rappelle ni la fervitüde,
ni la tyrannie de l'homme, ils fembloient recevoir
de tous les objets phyfiques les leçons de la
liberté & de l'indépendance ». ^ # S I
« Soit que le miniftère britannique ignorât ces
difpofitions, foit qu'il efpérât que fes délégués
réufliroient à les changer , il îaifit le moment
d'une paix glorieufe pour exiger une contribution
forcée de fes colonies ».
« L'an 1764 vit éclore ce fameux a été du tim-,
b r e , qui défendoit d'admettre dans les. tribunaux
tout titre qui n'auroit pas été écrit fur du papier
marqué & vendu au profit du fifc ». ^ #
« Les provinces angloifes du nord de l'Amérique
de leurs droits les plus précieux les plus fa-
crés. D'un accord unanime, elles renoncent à
la confommation de ce que leur fourniffoit la métropole
s'indignent toutes contre cette ufurpation J
, jufqu'à ce qu'elle ait retiré un bill illégal
& oppreffeür. Les femmes, dont on pouvoir
craindre la foibleffe, font les plus ardèntes à faire
le facrifice de ce qui fervoit à leur parure' j & les
hommes , animés par cet exemple , renoncent de
leur côté à d'autres jouiffances. Beaucoup de cultivateurs
quittent la charrue, pour fe former à
l'induftrie dans des atteliers j & la laine, le lin ,
le coton, grofliérement travaillés, font achetés
au prix que coûtaient auparavant les coilés les plus
fines & les plus belles étoffes ».
« Cette efpèce de confpiratioü étonne le gouvernement.
Les clameurs des négocians , dont les
marchandifes font fans'débouche, augmentent fon
inquiétude. Les ennemis du miniftère appuient ces
mecontentemens, & l'aéfce dit timbre eft révoqué
après, deux années d’un mouvement convulfif ,
qui, dans d'autres tems, auroit allumé une guerre
civile ».
« Mais le triomphe des colonies eft de courte
durée. Le parlement qui n'a reculé qu'avec une
extrême répugnance, veut en 1767 que ce qu'il
n'a pu obtenir de revenu par le moyen du’ timbre
, foit formé par le verre , lé -plomb, le coton
, les couleurs , le papier peint &. le th é , qui
font portés d'Angleterre en Amérique. Les peuples
au continent feptentrional ne font pas moins
révoltés de cette innovation que de la première.
Vainement leur dit-on que perfonne ne peut con-
tefter à la Grande-Bretagne le pouvoir d'établir
fur fes exportations les droits qui conviennent à
fes intérêts , puifqu'elle n'ôte point à fes établif-
femens, fitués au - delà des mers, la liberté de
fabriquer eux - mêmes les marchandifes affervies
aux nouvelles taxes. C e fubterfugè paroît une
dérifion à des hommes, qui purement cultivateurs
& réduits à n'avoir de communication qiCav.ec
leur métropole, ne peuvent ni fe procurer par
leur induftrie, ni par des liaifons étrangères, les
objets qu’on-vient d'impofer. Que ce foit dans
l'ancien ou dans le nouveau-Monde que ce tribut
foit payé, ' ils comprennent que" le nom ne change
rien à la chofe, & que leur liberté ne feroit pas
moins attaquée de cette manière que de celle qu'on
a repouffée avec fuccès. Les colons voient clairement
que le gouvernement yeut les tromper,
& ils ne veulent pas l'être ».
« Les principes de tolérance & de liberté ,
établis dans les colonies angloifes, en avoient fait
un peuple différent des autres peuples. On y fa-
voit ce que c'étoit que la dignité de l'homme 5 &
le miniftère britannique la violant, il falloit né-
eeffairement qu'un peuple tout compofé de citoyens
fe foùlevât contre cet attentat ». .
« Trois ans s'écoulèrent, fans qu'aucune des
taxes qui bleffoient fi vivement les américains,
fût perçue. C'étoit quelque chofe. : mais ce »"étoit
■ ‘ ' pas
pas tout ce que prétendoient dës hommes jaloux
de leurs prérogatives. Ils voulojent une renoncia-
tion générale & formelle à tout ce qui avoit ete
illégalement ordonné, & cette fatisfaétiôn leur fut
accordée* en 1770. O n l n'ën excepta que le the.
Encore cette réferve n'eut-elle pour objet que de
pallier la honte d'abandonner entièrement la fu-
périorité de la métropole fur fes colonies : ce droit
ne fut pas plus exigé que les autres ne l 'avoient
été ». j ;
« Le miniftère, trompé par fes délégués, cro-
yoit fans doute les difpofttipns changées dans le
nouveau - Monde, lorfqu'en 1773 il ordonna la
perception de l'impôt fur le the ». t ■ .
c« A cette nouvelle, l’ indignation eft générale
dans l’Amérique feptentrionale. Dans quelques
provinces , on arrête des remercîmens pour les navigateurs
qui avoient refufé de'prendre fur leurs
bords cette production. Dans d'autres, les nego-
cians auxquels elle- eft adrefiee, refufent de la
recevoir. I c i , on déclare ennemi de la patrie quiconque
ofera la vendre. L à , on charge de la
même flétriffure ceux qui en conferveront dans
leurs magafins. Plufieurs contrées renoncent fo-
lemnellement à l'ufage de cette boiffon. Un plus
grand nombrë brûlent ce qui leur refte ^ de cette
feuille, jufqu'alors l'objet de leurs délices* Le thé,
expédié pour cette partie du globe, étoit évalue
à cinq ou fix -millions, &* il n'en fut pas débar^
qué une feule caiffe. Bofton fut le principal théâtre
de ce foulévement. Ses habitans détruifirent,
dans le port même , trois cargaifons de thé qui
«frrivoient d'Europe ».
« Cette grande ville avoit toujours paru plus
occupée de fes droits que le refte de l'Amérique.
La moindre atteinte qu'on portait à fes privilèges,
étoit repouffée fans ménagement. Cette ré-
fiftariëe quelquefois accompagnée de troubles ,
fatiguoit depuis quelques années le gouvernement.
Le miniftère qui avoit des vengeances, à exercer,
faifit trop vivement la circonftance d'un excès blâmable
, &*il en demanda au parlement une puni- ’
tion févère^».
« Les . gens modérés fouhaitoient que la cité
coupable fût-deulement condamnée à un dédommagement
proportionné au dégâycommis dans fa
rade , & à l'amende qu'elle méritait pour n'avoir
pas puni cet a&e de violence. On jugea cette peine
trop légère 5 & le 13 mars, 1774* il fut porté un
bill qui fermoit le port de Bofton , & qui défendoit
d'y rien débarquer, d'y rien prendre ».
ce La cour de Londres s’applàudiffoït d'une loi
fi rigoureufe, & ne doutoit pas qu'elle n'amenât
les boftoniçns à cefefprit de fervitüde qu'elle avoit
travaillé vainement jufqu alors à leur donner. S i ,
contre toute apparence , ces hommes hardis per-
févéroient dans leurs prétentions , leurs voifîns
profiterpîent avec empreffement de l'interdit jetté
fiir le principal port de la province. Au pis aller,
les autres colonies, depuis long-temps jaloufes de
(l£con.polit. é diplomatique, Tom. I l,
celle de Maffachufet, l'abandonneroient avec indifférence
à fon trifte fort, & recueilleroient le
commerce immenfe que fes malheurs feroient refluer
fur elles. De cette maniéré , feroit rompue
l'union de ces divers établiffemens qui, depuis
quelques années, avoit pris trop de confiftance,
au gré de la métropole».
ce L'attente du miniftère fut généralement trompée.
Les américains demeurèrent unis. L'exécution
d'un bill qu'ils appelaient inhumain , barbare
meurtrier, ne fit que les affermir dans la
: réfolution de foutenir leurs droits avec plus d'accord
& de confiance ».
c< AjBofton, les efprits s'exaltent de plus en
plus. Le cri de la religion renforce celui de la liberté.
Les temples retentiffent des exhortations les
plus violentes contre l’Angleterre », ;
« Les autres habitans dë Maffachufet dédaignent
jufqu'à l'idée de tirer, le. moindre avantage de la
capitale. Ils ne fongent qu'à fefferrer avec les bof-
toniens les liens qui les unifient, difpofés à s'en-
feVelir fous les ruines de leur commune patrie ,
plutôt que de laiffer porter la moindre atteinte
à des droits qu'ils ont appris à chérir plus que
leur, vie»., j . ce Toutes les provinces s'attachent à la 'caufede
Bofton, & leur affedion-augmente à proportion du
malheur & des fouffrances de cette ville, infortunée.
Coupables, à peu de chofe près, d'une
réfiftance fi févérement punie, elles fentent biea
que la vengeance de la métropole contre elles
n'eft que différée, &.que toute la grâce dont peut
fe flatter la plus fayorifée fera d’être la dernière
fur qui s'appéfantira un bras 'oppreffeür ».
« Ces difpofitions à un foulévement général
: font augmentées par l'a&e contre Bofton , qu'on
voit circuler dans tout le continent fur du papier
bordé de noir, emblème du deuil de la liberté.
Bientôt l'inquiétude fe communique d’une maifon
à l'autre. Les .citoyens fe raffemblent & conver-
fent dans les places publiques. Des écrits pleins
’ d’éloquence & de vigueur, fortent de toutes les
'preffes ». ■ ,
; « Les févérités du parlement britannique con-
» tre Bofton, dit-on dans ces imprimés, doivent
» faire trembler toutes les provinces américaines.
» XI ne leur refte plus qu'a choifir entre le fe r ,
: ■ » le feu , les horreurs dè la mort, & le joug
» d'une obéiffance. lâche & fervile. La voilà en-
T » fin arrivée^ cette époque d’iine révolution im-
» portante, dont l'événement heureux ou funèfte
» fixera à jamais les regrets ou l'admiration de la
» poftérité.
» Serons-nous libres, ferons-nous efclaves ?
» C ’eft de la folution de ce grand problème que
» va dépendre , pour le préfent, le fort de trois
». millions' d'hommes , & pour l'avenir la félicité
» ou la mifère de leurs innombrables defeen-
» dans.
» Réveillez-vous donc , > o américains ! jamais
Yy