
la fcience des droits & des devoirs de l'homme, 1
à la pratique habituelle de la julrice par eflence &
de la vertu.
ce Jamais fiècle ne fut plus fécond que le nôtre
en projets d1éducation, & jamais on ne s'accorda
fi peu fiir les principes qui doivent en être la bafe.
Le plus petit pédant s'évertue dans un impofant
projpeftus , où il ne vous promet rien moins que
des fpartiates pour le corps, & des athéniens pour
l'efpric, après quatre ou fix modeftes années d'études
& d'exercices j & , Dieu fait, quels font
ces prodiges ! celui-ci ne veut former que le coeur,
dit-il, & rendre l'efprit jufte. Pour cela , qui eft
tout fîmple, il ne s'agit que de ne plus étudier
le latin 8ç l'hiftoire que très-foiblement, & au
contraire de ne s'occuper que de mathématiques,
parce que cette fcience eft la feule vraie, la feule
utile. Celui-là trouve plus commode de s'en tenir
à l'ancienne manière, & tout fjmplement fuit le
plan d'études de Charlemagne, décline & conjugue
éternellement, & méprife les innovateurs
qu'il regarde comme des athées ».
«= Que réfulte-t-il de cette diverlîté d'opinions
fur une matière aufti importante ? Beaucoup d'incertitudes
pour les gens fenfés, & de perte de
temps pour les gens trop confians. L'erreur, ce
me fenible, vient de ce qu'on n'a pas affez dif-
tîngué deux objets > qu'il eft dangereux de confondre
dans l'éducation, Tinftruétion & l'éducation
proprement dite. L'inftrudrion doit avoir pour
but de donner les connoiflances générales, communes
& convenables à tous les hommes vivans
dans l'ordre de la fociété , & de plus les élémens
des connoiflances particulières, relatives à l’état
de chaque individu dans l'ordrè de cette fociété.
Le but de l'inftitution eft de former le corps de
mapière à le rendre fain, vigoureux & diipos ,
& de faire prendre au coe u r , par l’exemple &
l'exercice, les habitudes fociales. Ces deux principes
bien diftingués, je penfe que l'inftruérion
doit être publique , & l'inftitution particulière &
domeftique. L'inftruélion doit être publique, parce
que l'aiguillon le plus v i f , qui puifle le plus exciter
les enfans & leur infpirer le courage de fur-
monter les peines & les difficultés de l'application
qu'exige l'etude, eft l'émulation qui, à cet âge,
çft d'ordinaire d’une vivacité extrême y & telle
q u e , s'il eft des enfans fur lefquels ce motif ne
puifle • rien , il me femble inutile d'en chercher
d’autres. Les établiflemens publics, dans ce genre,
doivent être fous la main direâre d'une adminiftra-
tion éclairée, qui veille de près für les maîtres
avant toü t, & fur l'ordre des études. L'objet de
l ’inftrudrion , en général, doit être l'étude de la
religion , des langues anciennes trop négligées,
fans lefquelles cependant nous retomberions
bientôt dans la barbarie du neuvième fiècle j car
il en eft des fociétés inftruites, en général, comme
des hommes q u i, en particulier, mettent à
profit l ’expérience de leurs pères. C'eft l’hiftoire,
qui donne à chaque génération l'expérience qui
lui manqué, & fans laquelle il eft évident que le
monde fe renouvelleroit à chaque inftant, pour
recommencer les mêmes chofes fans aucune efpèce
de progrès. C ’eft en profitant de l'expérience de
la génération qui la précède, & en prenant les
connoiflances au point où cette première les a
laiflees, que la génération qui fuit peut en acquérir
de nouvelles. L'unique caufe de la barbarie
des nations fauvages, eft l'ignorance des temps
qui les ont précédées. Ce n'eft que dans le fou-
venir du pâlie qu'il faut rechercher la perfeélibi-
lité de l'homme $ car le préfent ne fait que l'étonner
fans lui rien apprendre. S'il lui arrive d'étendre
un peu fes regards fur l'avenir, il s'égare en vaines
conjectures , & rebuté par la iatigue de tant
d'efforts inutiles, qui n'ont pour bafe aucun point
de comparaifon, il retombe bientôt dans fon état
primitif d'abrutiflement 3c de ftupidité ».
cc Les philofophes 8c les calculateurs ont beau
raifonner fur les identités 8c les nombres, il n'en
fera pas moins vrai de dire que l'étude de l'Hif-
toire eft une des plus importantes, en ce qu'elle
indique aüx nations la route qu'elles doivent fui-
vre, 8c aux particuliers les modèles qu'ils doivent
imiter ».
« Les Langues anciennes font néceffaires, en
ce qu'elles nous confervent 8c nous facilitent cette
étude. On dit toujours que les traduirions fuffi-
fent j je le crois à certains égards j mais encore
faut-il qu'il y ait des gens allez inftruits pour traduire
, 8c d'autres non moins inftruits encore pour
juger les traductions. On ne rencontre par-tout que
de ces raifonneurs exclufifs 8c tranchans, qui trouvent
en général plus commode de déprifer ce qu'ils
ignorent que de l'apprendre. De quelle utilité peu.t
être le latin qu'on ne parle plus ? Mais les livres
écrits en latin comment les lira-t-on ? Mais ils font
eux-mêmes inutiles pour la plupart, direz-vous j
qu'a-t-on a faire de toutes les inepties dont la plupart
font remplis ? Quoi qu'il en foit de ces inepties
, fi l'on ne vous les avoit pas tranfinifes
vous n'auriez peut-être pas acquis de vous-même
le jugement que vous croyez avoir affez fain pour
les éviter. Croyez que ceux qui vous ont précédés
, philofophes altiers , étoient aufli avancés
qu'ils pouvoient l'être} qu'à leur place, fans l'expérience
que l'on vous a tranfmife, vous auriez
dit 8c fait plus de fottifes peut-être, 8c qu'à la
vôtre ils raifonneroient plus fenfément que vous
ne faites. Il ne faut plus que des Mathématiques.
J'avoue que cette fcience peut être utile à qui
veut être architeCle, navigateur, aftronome j mais
pour celui qui ne veut rien être de tout cela, les
premiers élémens doivent Suffire. Il eft faux, comme
on le prétend, que cette étude rende l'efprit
jufte : i° . parce que rien ne peut rendre jufte un
efprit qui ne l'eft pas : z°. parce que cette juftefle
d’efprit, que l'on fuppofe l’effet de l'étude des
Mathématiques , doit au contraire être fuppofée
antérieure,
antérieure, fans quoi il n'y a ni goût ni progrès
à attendre* D'ailleurs il refulte de quantité d'ob-
fervations 8c d'expériences, que cette étude, fi-
non en donnant, au moins en perfectionnant très-
ftriétement la jufteffe de l’efprit, a l'inconvénient
d'appauvrir 8c de deffécher l'imagination , 8c de
faire des raifonneurs qui nient tout ce qui ne leur
eft pas démontré. C e n'eft que depuis quelques
années, où l'on s'eft livré indiftinCtement à cette
étude, que nous avons vu s'éteindre le goût de
la littérature 8c des arts d'agrément. La Poefie
elle-même a cefle dépeindre 8c de mouvoir} elle
eft devenue raifonneufe, 8c conféquemment a cefle
d'être Poéfîe. On a vu de toutes parts s elever des
effains de philofophes géomètres^, qui ont tout
fournis au calcul, arts, goû t, génie, fentiment.
De là l'extinérion abfolue des talens 8c des affections
les plus douces. Le fiècle de Louis X I V ,
qui valoit bien le nôtre, avoit produit, dans
tous les genres, des grands hommes que les Mathématiques
n'avoient fûrement pas rendus tels.
Je ne vois pas qüe Bofluet, Fléchier , Fénelon,
Racine, Moliere, Boileau, la Fontaine foient ar»
rivés, par des fériés ■ de calcul, à cette juftefle
d'efprit, à cette vérité de goût, qui eft un grand
mérite de leurs écrits. L'application du calcul ne
peut fe faire, en un mot, qu'aux objets qui, de
leur nature , peuvent fe mefurer ou fe compter :
tout ce qui tient à l'élévation du génie, à la ri-
cheffe de l'imagination 8c à la fenfibilité du coeur,
n'eft 8c ne fut jamais de leur refîort. Il eft cependant
des établiflemens publics à Paris, où l'on
n'étudie les .autres fciences qu'àccefloirement à
celle-ci, qui eft l'objet feul de l'inftruérion. La
raifon que l'on donne de cet étrange plan , eft
que les enfans entendent mieux les rapports de 1
figures crayonnées fous leurs y eu x , qu'ils n'entendent,
l'Hiftoire 8c le principe des Langues. A
cela , je réponds : i° . qu'il ne faut pas imputer
à l'étude même de l'Hiftoire 8c des Langues, la
mal adrefle des inftituteurs qui n'ont pas l'avantage
d'une règle invariable., commune à tous les maîtres
de Mathématiques , qui n'ont à faire que
d’expofer la chofe pour la faire entendre , à très-
peu de différence près dans les méthodes. Encore
une fois , les fiècles qui nous ont précédés ont eu
des poètes, des orateurs, des philofophes, des
légiflateuts, des généraux d'armée, 8c nous ne
voyons nulle part que ce fût à l'étude des Mathématiques
qu'ils fuflent aucunement redevables
de leurs talens, de leur génie, encore moins de
cette force 8c de cette énergie de fentimens qui
ont produit tant de belles aérions. Cette obferva-
tion, jointe à celle du dénuement 8c de la féche-
teffe de notre fiècle calculateur, devroit, ce me
femble, nous rendre un peu plus circonfpefts fur
le choix des études, 8c nous faire conclure que,
fans tout accorder à l'ancienne manière d'inftrui-
r e , nous ne devons pas tout prendre de la nouvelle
». '
(Econ.polit. & diplomatique, Tom. I l ,
« La fécondé partie de [‘éducation que je nomme
injiitution, 8c qui a pour but effentiel, comme
je l'ai dit plus haut, de former un corps bien
conftitué 8c un coeur fain , ne doit pas être livrée
aux foins publics j mais aux foins domeftiques de
ceux qui touchent de plus près aux enfans ; je veux
dire, de leurs parens : car c'eft de l’affeétion,
de la tendreffe 8c l'influence journalière des
bons exemples qu'il faut à la jeunefle, 8c non les
préceptes & le raifonnement du pédagogue. C 'eft
par la fenfibilité que l'amour de la vertu pénètre
dans le coeur ; c'eft par l’exemple qu’il s'y établit
8c s'y fortifie. J'avoue que, pour c e la , il fe—
roit nécefiaire que l'intérieur de nos maifons ne
pût offrif aux enfans que des exemples-de pères
vertueux, -8c que malheureufement il eft à-peu-
près démontré que , dans ce fiècle, ce feroit trop
exiger. Mais cependant, en établiffant ce principe
d'inftitution pour les enfans , ne feroit-ce pas travailler
en meme-temps à réformer les moeurs des
pères, & à leur impofer la néceffité d'en avoir
de plus pures ? Il n'eft pas un homme, quelque
dépravé qu'on le fuppofe, fans ftupidiré , qui ne
craigne d'être mal jugé par fon fils. Il eft une pudeur
naturelle que l'on ne peut étouffer, qui maî-
trife l’opinion & enchaîne les penchans vicieux.
Aufli voyotisinous que c'eft cette dure néceffité
de donner l’exemple des vertus, ou de s’abftenir
de celui dès vices, qui détermine la plupart des
parens à faire élever leurs enfans loin d'eux. C e
feroient des témoins journaliers 8c importuns, qui
les forceraient à une vigilance perpétuelle fur eux-
mêmes. L ’avantage de ne rendre publique que
l’inftruélion 8c non l’inftitution, feroit donc né-
ceffairement celui de rendre les pères meilleurs ,
de les détacher de tant d'habitudes criminelles
que plufieurs voudraient avoir occafion de rompre
, de leur rendre leur intérieur plus cher , 8c
de leur faire prendre le goût des vertus 8: des
plaifirS domeftiques-----Tant d’époux qüe nous
voyons défunis | féparés, feroient peut-être devenus
des modèles parfaits de décence 8c d'honnêteté,
s'ils avoiept été affez heureux pour fe
charger eux-mêmes de l’inftitution de leurs enfans
, qui font les liens naturels de toute fociété
établie entre un homme 8c une femme. L'accroif-
fement qui eft fi intéreffant dans l'enfance , ce
développement fucceffif des facultés , auxquelles
chaque jour femble apporter un rayon d'intelligence
de plus, eft un charme fecret qui attache
8c qui bientôt rend néceflfaire l’habitude de la.
domefticité. Bientôt l’intérêt ne fait qu’ augmenter
les époux fe chériffent, les liens des familles fe
refferrent, on devient bon fils , bon p è re , bon
époux, parce que tout cela a fon plaifir, abftrac-
tion faite de toute néceffité de devoir. Les enfans
prennent la douce habitude de l'attachement, de
la reconnoiffance : ce n'eft plus parce qu'on leur
a dit. qu'il falloit aimer 8c refpeéter fes parents
qu'ils les airaeat & les refpe&ent ; mais parc»